ENTRETIEN AVEC PHILIPPE MEIRIEU
DIRECTEUR DE L'INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE PEDAGOGIQUE.
Mission école primaire :
Comment qualifier et définir la démarche dans laquelle
se trouvent engagées les équipes pédagogiques
de l'échantillon INRP dans le cadre de la charte "Bâtir l'école du XXIè siècle?"
Philippe Meirieu :
Les écoles et les équipes de chercheurs qui les
accompagnent sont dans une démarche qui s'écarte
à la fois de l'expérimentation en vue d'une généralisation
et de l'innovation sans contrôle, qui ne dépasse
que rarement le stade des bonnes volontés locales.
Le travail engagé ici s'apparente plus à une exploration
régulée par une évaluation précise
et exigeante. Ainsi, à terme, les écoles disposeront
d'outils de pilotage pour éclairer les décisions
pédagogiques qu'elles sont amenées à prendre
dans leur travail quotidien.
Mission école primaire :
Quel cadre de référence permet aux équipes
pédagogiques de travailler ?
Philippe Meirieu :
Tout d'abord, il convient de rappeler la problématique
d'ensemble qui sous-tend ce travail : "A quelles conditions
l'organisation du travail scolaire et du partenariat peut-elle
faciliter les apprentissages et le développement de tous
les élèves ? ". Le mot important ,ici, est
celui d'organisation. Il s'agit de s'interroger sur la manière
d'organiser les situations d'apprentissage, de gérer les
ressources, le temps et l'espace, d'accompagner au mieux chaque
élève.
Dans ce cadre, l'enfant est reconnu en tant qu'individu singulier
ayant ses propres rythmes et stratégies d'apprentissage.
Il est reconnu aussi en tant que personne particulière
inscrite dans une histoire (même si cette histoire doit
être dépassée) et capable d'accéder
à des savoirs universels. Il est reconnu également
en tant que sujet, exerçant sa liberté d'apprendre
avec le soutien des adultes.
Ainsi, l'école est vécue comme un véritable
espace-temps dévolu à l'apprentissage ; elle doit
proposer un environnement adapté à tous les élèves,
introduire les médiations et mettre en cohérence
toutes les interventions des différents adultes.
Mission école primaire :
Sur quels principes les équipes pédagogiques et
les chercheurs qui les accompagnent peuvent-ils s'appuyer pour
formuler à terme leurs propres hypothèses de recherche?
Philippe Meirieu :
Je distinguerai trois principes essentiels :
Premièrement, le travail en commun des partenaires
de la communauté scolaire est producteur de cohérence
et d'efficacité scolaire : c'est " l'école
comme institution apprenante " et cette "institution
apprenante" est beaucoup plus que la simple somme des enseignements
ou des apprentissages proposés.
Deuxièmement, ce travail en commun est d'autant plus efficace
qu'il prend en compte la formation intellectuelle des élèves,
avec les exigences de vérité, de probité
et d'équité qu'elle impose, mais également
l'accès à l'autonomie documentaire (être
capable pour l'élève d'identifier les ressources
et les recours, de faire preuve d'investigation, de s'approprier
les données collectées par une possible restitution
auprès de pairs par exemple). Il faut aussi que soient
assurés le suivi et l'accompagnement des élèves,
définir les objectifs, penser une évaluation formative
et déterminer des situations de remédiation.
Enfin, troisièmement, nous croyons qu'il est possible
de produire, à partir de l'observation de corrélations
entre l'organisation du travail scolaire et les résultats
des élèves dans divers domaines, des "recommandations
pédagogiques".
Mission école primaire :
Quelle est la bonne méthode pour définir une hypothèse
de recherche?
Philippe Meirieu :
S'il doit y avoir méthode elle ne peut se construire que
progressivement. Les écoles retiendront un "objet
de recherche", c'est à dire une modalité spécifique
d'organisation scolaire dans leur fonctionnement propre. Ensuite,
grâce notamment à l'accompagnement des équipes
de recherche académiques et des outils proposés
par l'INRP, elles procèderont à des observations
rigoureuses et collecteront des données sur cet "objet
de recherche", sur la base entre autres des entrées
proposées par ce livret d'accompagnement.
De la confrontation des hypothèses élaborées
et de leur validation entre les écoles d'un même
département ou d'une même académie pourront
émerger progressivement, au niveau national, des "recommandations
pédagogiques" auxquelles je faisais référence
précédemment. En d'autres termes, il conviendra
de comprendre comment "ça" marche.
Mission école primaire :
Quelles sont les premières hypothèses relevées
dans les écoles de l'échantillon ?
Philippe Meirieu :
Les premières hypothèses émises par les
équipes pédagogiques lors des colloques académiques
peuvent s'exprimer de la manière suivante :
- L'accueil des élèves de CP facilite la mise
au travail dans la mesure où il s'effectue dans les conditions
suivantes
- L'intervention d'une personne extérieure en musique
contribue aux apprentissages fondamentaux et au développement
des enfants dans la mesure où
- La répartition des élèves en "
groupes de besoin " entre enseignants peut faciliter l'apprentissage
à la prise de parole argumentaire à condition que
- La prise en charge par un aide-éducateur d'un atelier
d'informatique est utile si
- Le travail en petits groupes d'élèves pour
apprendre une " leçon " exige, pour être
efficace, que
- L'animation d'un atelier de lecture à la BCD par un
parent d'élève contribue aux apprentissages fondamentaux
si
- Une visite scolaire, avec l'enseignant, chez un artisan local
permet la consolidation de savoirs arithmétiques dans
la mesure où
Sur la base des hypothèses émises, chaque équipe
poursuivra son travail d'exploration pour tenter de les valider
et de faire des propositions pédagogiques qui pourront
être utilisées par d'autres. Cette mutualisation
des expériences réciproques pourra faire ainsi
progresser l'ensemble des pratiques pédagogiques et éducatives.
Haut de page
|