Deux dimensions de l’activité du professeur des écoles exerçant dans des milieux défavorisés : installer la paix scolaire, exercer une vigilance didactique

Auteur(s) :
BUTLEN, Denis (IUFM des Pays de la Loire, équipe CREN, Université de Nantes)
CHARLES-PEZARD, Monique (IUFM de Créteil, Université Paris 12, Laboratoire André Revuz)
MASSELOT, Pascale (IUFM de Versailles, Université Cergy-Pontoise, Laboratoire André Revuz)

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Mots clés :

didactique des mathematiques
pratiques de débutants
paix scolaire
vigilance didactique
activité
formation
Atelier(s) :

1B
Thèmes :

Axe 1 : Le travail enseignant au quotidien
Axe 3 : Les dimensions professionnalisantes du travail enseignant
Public : Primaire
Public : formation adultes
Démarche : étude de cas, approche clinique

Résumé :

S’inscrivant à la fois dans le cadre de la didactique des mathématiques et dans celui de la théorie de l’activité, nos recherches portent sur les pratiques de professeurs des écoles débutants enseignant les mathématiques dans des écoles socialement défavorisées. Dans un premier temps, nos analyses ont permis de mettre en évidence des contradictions vécues au quotidien par ces professeurs ainsi que les systèmes de réponses apportés. Prenant en compte la double mission d’instruction et d’éducation du professeur des écoles enseignant les mathématiques en ZEP, nous avons établi une catégorisation des pratiques effectives en distinguant les i-genres (liés à la mission d’instruction) des e-genres (liés à la mission d’éducation). Dans un second temps, pour intervenir sur ces pratiques en visant leur enrichissement, nous avons élaboré une ingénierie de formation, sous forme d’un accompagnement pendant leurs deux premières années d’exercice, de professeurs des écoles débutants, nommés en ZEP. L’enjeu est d’améliorer d’une part les apprentissages des élèves de milieux défavorisés, d’autre part le confort des professeurs dans l’exercice quotidien du métier.
Nous étudions les pratiques enseignantes dans le cadre d’une approche utilisant des concepts issus de la didactique des mathématiques (notamment de la théorie des situations didactiques) et de l’ergonomie, ainsi que des éléments de sociologie. Il s’agit plus précisément d’une adaptation du cadre théorique de la « double approche » défini par Robert et Rogalski prenant particulièrement en compte les contraintes sociales liées aux élèves. Pour appréhender le poids de l’aspect social dans la pratique d’un enseignant de ZEP, nous essayons de mieux comprendre comment le public des élèves participe à la définition de l’activité du professeur et comment cette activité, à son tour, influence le public des élèves. Nous nous centrons sur trois grands moments de l’activité du professeur dans sa classe, qui semblent rendre compte suffisamment des apprentissages : les processus de dévolution, de régulation et d’institutionnalisation. Le public des élèves est pris en compte à la fois dans son passé et dans son devenir. Son passé, notamment cognitif et social, nous permet de préciser certaines contraintes de l’enseignement en ZEP. Le devenir de l’élève nécessite de regarder ce dernier à la fois en tant qu’enfant futur citoyen et en tant qu’élève à instruire. Nous pourrions qualifier notre démarche de socio-didactique.
Pour étudier les pratiques enseignantes, on ne peut s’en tenir à leur objectif principal qui est l’apprentissage des élèves, il faut aussi prendre en compte le fait qu’elles s’inscrivent dans un métier. La double approche didactique et ergonomique permet de considérer l’enseignant comme un adulte exerçant une profession rémunérée sur un temps long dans un cadre social et institutionnel donné. Elle se situe dans le cadre plus général de la théorie de l’activité et conduit à privilégier les activités mathématiques des élèves en classe, considérées comme des intermédiaires légitimes entre l’enseignement et les apprentissages. Notons que nous n’avons accès qu’aux activités possibles des élèves et non aux activités réelles, une partie de ces dernières restant inaccessible. La théorie des situations didactiques (Brousseau 1986) nous sert par ailleurs à analyser les mathématiques proposées à la fréquentation des élèves.
Pour définir les i-genres, nous avons repris de manière métaphorique le concept de « genre » de Clot (Clot 1999) en l’adaptant à notre objet d’étude pour décrire et interpréter les régularités intra et interpersonnelles identifiées dans nos observations. Si les régularités intra-personnelles relèvent plutôt d’une mémoire personnelle (le « style »), les secondes renvoient à l’idée d’une mémoire collective des enseignants et à la notion de genre. Cela conduit évidemment à penser que des informations diffusent au sein d’un réseau de professionnels et que les pratiques dépassent pour une part les individus.
Pour recomposer les pratiques à un niveau global, nous utilisons les cinq composantes définies par Robert et Rogalski : une composante cognitive qui permet de décrire les itinéraires cognitifs proposés aux élèves (contenus, gestion a priori des scénarios) ; une composante médiative qui émerge du discours du professeur, des modes d’interactions en classe des différents acteurs ; une composante personnelle traduisant les représentations du professeur sur les mathématiques, leur apprentissage et leur enseignement, mais aussi sur l’école et les élèves en difficulté ; une composante institutionnelle qui regroupe les informations relatives à la prise en compte par l’enseignant des programmes, des horaires mais aussi des différents niveaux de la hiérarchie du système éducatif ; une composante sociale traduisant le fait que le professeur interagit avec des élèves de différents groupes sociaux et travaille avec d’autres collègues dans un même établissement. Les trois premières composantes sont davantage liées aux mathématiques proposées aux élèves, les deux dernières à l’exercice du métier.
L’analyse des pratiques des professeurs des écoles débutants observés nous permet de mieux comprendre la construction et le développement de ces dernières, compte tenu des nombreuses contraintes auxquelles ces enseignants sont soumis. Nous avons aussi tenté de repérer et d’évaluer les effets de l’ingénierie de formation sur la formation de ces pratiques. Cela nous amène à cerner plus précisément les problèmes liés au travail de l’enseignant débutant affecté en première nomination dans des classes difficiles.
Dans cette communication, en nous appuyant sur une méthodologie d’analyse en cinq niveaux de l’évolution des pratiques, nous dégageons deux dimensions de l’activité des professeurs des écoles débutants enseignant les mathématiques en ZEP : installer la paix scolaire (premier niveau) et exercer une vigilance didactique (plutôt liée aux quatre autres niveaux). Nous définissons la paix scolaire comme le couple « paix sociale » et « adhésion au projet d’enseignement du professeur ». Cette notion a émergé dans le contexte de milieux défavorisés, où la contradiction fondamentale entre logique de socialisation et logique des apprentissages disciplinaires est particulièrement aiguë, mais elle peut s’étendre aux classes ordinaires même si elle y est moins sensible. La vigilance didactique apparaît comme un ajustement didactique permanent de la part du professeur, s’exerçant à différentes moments de son activité (projet et mise en actes) et dans les différents niveaux d’organisation des pratiques (global, local et micro). La vigilance didactique est du côté du savoir mathématique, des connaissances didactiques mais aussi de leur mise en fonctionnement dans l’acte d’enseigner. Ces deux dimensions, qui se révèlent fondamentales dans l’activité du professeur des écoles enseignant les mathématiques, sont complémentaires, mais elles peuvent aussi entrer en contradiction. Elles constituent deux grandes questions de la profession contribuant à son intelligibilité et peuvent faire l’objet d’un travail en formation.