Corps et théâtralité dans l’activité des enseignants d’EPS au cours de leurs interactions avec les élèves : apports d’une analyse conjointe du cours d’expérience et d’une analyse proxémique

Auteur(s) :
Visioli, Jérôme (UFRSTAPS Université Rennes 2)
Ria, Luc (IUFM Université Blaise Pascale Clermont-Ferrand)
Trohel, Jean (UFRSTAPS Université Rennes 2)

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Mots clés :

expérience
Corps
Théâtralité
enseignement
EPS
proxémique
Atelier(s) :

2B
Thèmes :

Axe 1 : Le travail enseignant au quotidien
Axe 2 : Les variations, transformations et évolutions du travail enseignant
Public : collège
Public : lycée professionnel et lycée
Démarche : étude de cas, approche clinique

Résumé :

L’activité d’enseignement peut-être comparée à celle d’un comédien évoluant sur scène : il s’agit de s’exposer corporellement au regard des élèves et le sachant, d’organiser la présentation de soi en se créant un personnage (Pujade-Renaud, 1983 ; Goffman, 1973 ; Runtz-Christian, 2000 ; Yinger, 1987). Cette activité de théâtralisation nous semble particulièrement intéressante à analyser dans le contexte spécifique du cours d'Education Physique et Sportive (EPS), qui se caractérise par une grande richesse des interactions entre l’enseignant et les élèves, en lien avec la diversité des Activités Physiques Sportives et Artistiques (APSA). A ce titre, il faut souligner que la gestualité de l’enseignant apparaît comme une préoccupation actuelle des recherches portant sur cette discipline, tant en didactique (Amade-Escot, 2007 ; Loquet, 2007) qu’en action située (Gal-Petitfaux, 2000). Cependant, par rapport ces travaux, nous pensons qu’il est possible d’affiner l’analyse des relations entre ce que le corps donne à voir (point de vue extrinsèque) et le vécu de l’enseignant (point de vue intrinsèque). Pour ce faire, nous avons choisi le cadre théorique et méthodologique du « cours d’action » (Theureau, 2006) qui a déjà été utilisé pour l’analyse de l’activité des enseignants d’EPS, et nous tentons de l’articuler de manière complémentaire avec les travaux sur la communication non verbale (Winkin, 1986).

L’objectif de cette étude était donc de s’intéresser au corps et à la théâtralité dans l’activité d’enseignants au cœur des interactions du cours d’EPS. Huit études de cas ont été réalisées avec des classes de collège et de lycée. Chaque enseignant(e) « expert(e) », au regard des critères de Tochon (1993), a été observé(e) dans deux APSA : en tant que spécialiste puis de non spécialiste. Les leçons ont été enregistrées en vidéo (l’enseignant étant muni d’un micro HF). Des entretiens d’auto confrontation complétés par une grille d’auto évaluation des émotions ont été réalisés avec les enseignants, et des entretiens semi-directifs avec des élèves à l’issue de certaines leçons. Notre méthodologie (échelle d’évaluation du plaisir / déplaisir, observation à la sourde, découpage vidéo, analyse détaillée des photos, modélisation proxémique…) permet selon nous d’obtenir un gain supplémentaire en terme d’analyse de la dialectique entre ce que le corps donne à voir et le vécu de l’enseignant.

L’analyse de l’activité des enseignants a permis de mettre en évidence plusieurs résultats : (1) les enseignants ont développé une capacité à rendre significatif par leur comportement (ou parfois à masquer) leurs propres intentions d’action pour les élèves : c’est entre autre par des postures, gestes, placements et déplacements qu’ils donnent à voir et à comprendre ce qu’ils attendent des élèves ; (2) notre méthodologie permet de documenter finement des moments où le corps de l’enseignant le trahit en dévoilant son ressenti aux yeux des élèves ; le corps masque le ressenti de l’enseignant par une attitude neutre ; le corps « théâtralisé » exprime une émotion ne correspondant pas au ressenti de l’enseignant ; le corps traduit de manière « sincère » l’expérience de l’enseignant ; (3) les enseignants expérimentés perçoivent et reconnaissent directement les formes de corps que les élèves donnent à voir comme des significations permettant d’évaluer le degré de convergence ou de divergence entre ses attentes et préoccupations et celles des élèves ; (4) les enseignants ont développé une capacité à se présenter aux élèves avec une qualité de congruence, ce qui signifie qu’ils se sentent en état d’acceptation à l’égard de leurs sentiments réels, qu’ils sont souvent disponibles à l’émergence d’interactions avec les élèves.

Ces résultats sont discutés en lien avec des perspectives de formation. Ils débouchent sur (1) une réflexion concernant les effets formatifs pour les enseignants ayant participé à la recherche ; (2) une participation à un projet de modélisation hiérarchique des dispositions à agir des enseignants d’EPS et à un curriculum de formation « orientée activité ». Au final, cette recherche tente de rendre compte du travail enseignant au quotidien en interaction avec l’activité des élèves, et plus précisément de ses formes émergentes, innovantes et renouvelées, avec une visée de ressource pour la formation initiale et continue.