Etude du processus d’appropriation de ressources par des professeurs des écoles enseignant les mathématiques : entre travail au quotidien et développement des pratiques

Auteur(s) :
MANGIANTE, Christine (Université d'Artois-IUFM Nord Pas de Calais-LML)

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Mots clés :

didactique des mathematiques
analyse de pratiques enseignantes
développement professionnel
conception de ressources
Atelier(s) :

1B
Thèmes :

Axe 1 : Le travail enseignant au quotidien
Axe 3 : Les dimensions professionnalisantes du travail enseignant
Public : Primaire
Démarche : étude de cas, approche clinique

Résumé :

1. Problématique de la recherche
Manuels scolaires, guides du maître mais aussi documents pédagogiques disponibles sur Internet constituent pour beaucoup d’enseignants de primaire les matériaux de base de leur travail au quotidien lorsqu’ils enseignent les mathématiques. Même si certaines de ces ressources proposent des séances "clé en main" la plupart des enseignants ne les utilisent pas telles quelles : chaque jour, ils choisissent des documents, les modifient, les adaptent, les transforment, choisissent un exercice, en supprime un autre pour bâtir leur propre projet.

Cette communication propose d’étudier cet aspect de l’activité enseignante grâce à une méthodologie originale empruntant à la fois à la didactique des mathématiques et à la psychologie ergonomique.

Nous décrirons, tout d’abord, l’activité du maître, de la lecture du document-ressource à la mise en œuvre de la séance, en termes de processus de modifications afin de montrer comment chacun des enseignants suivis adapte et s’approprie le projet proposé.

Nous analyserons ensuite le document-ressource pour identifier les contraintes et marges de manœuvre laissées aux enseignants suivis pour mieux caractériser leurs choix et mettre en évidence parmi les modifications inhérente à l’appropriation de ces situations, des modifications révélatrices du développement de leurs pratiques individuelles.

2. Cadres théoriques et méthodologie d’analyse
Pour décrire l’activité de l’enseignant, nous avons mis au point un modèle d’analyse articulant des concepts issus de deux cadres théoriques.

• De la psychologie ergonomique, nous retenons la description que fait Jacques Leplat de l’activité d’un agent, vue comme une succession de tâches : la tâche représentée, la tâche redéfinie, la tâche réalisée (LEPLAT, J. (1997). Regards sur l'activité en situation de travail. Contribution à la psychologie ergonomique. Paris. PUF(Eds)).

Nous modifions, néanmoins, ce schéma afin de tenir compte de notre objet d’étude (les pratiques enseignantes) et de la finalité de l’activité étudiée (enseigner un contenu mathématique donné). Dans ce but, nous faisons apparaître en parallèle la tâche prescrite de manière implicite par le document, l’activité du maître et celle des élèves. Par ailleurs, nous considérons trois niveaux ou positions du maître : la représentation de la tâche, tout ce que fait l’agent pour se représenter la tâche prescrite ; la redéfinition de la tâche, tout ce que fait l’agent pour redéfinir la tâche représentée ; la réalisation de la tâche, tout ce que fait l’agent pour réaliser la tâche redéfinie. L’étude de l’activité du maître consiste à décrire comment le maître passant d’une position à l’autre - certaines pouvant avoir lieu simultanément - prépare et met en œuvre la séance.

Enfin, les trois niveaux ainsi définis n’étant pas sans liens, nous étudions successivement chacun des niveaux mais dans l’intention de décrire la dynamique de laquelle émerge l’écart entre le prescrit et le réel. Lorsque, par exemple, le maître redéfinit la tâche qui sera la sienne, il interroge la façon dont il s’est représenté la tâche (niveau situé en amont sur notre schéma) mais aussi, il anticipe sur la réalisation de la tâche (niveau situé en aval sur notre schéma). Nous tiendrons également compte des liens qui existent entre l’activité du maître et celle des élèves : la façon dont les élèves se représentent la tâche qui leur a été prescrite par le maître est pour ce dernier une source d’information possible dont il va éventuellement tenir compte pour réajuster le déroulement de sa séance.

• La didactique des mathématiques nous fournit les concepts nécessaires à l’interprétation des écarts créés à chacun des trois niveaux. Nous référant à la Théorie des Situations de Brousseau, nous étudions les gestes professionnels de l’enseignant qui participent à la dévolution, la régulation et l’institutionnalisation et nous en déduisons les savoirs mathématiques et didactiques que ce dernier mobilise pour se représenter, redéfinir et réaliser la tâche.

Désignant par "processus", l’ensemble des modifications apportées par le maître (au sens générique) au moment où il s’approprie une situation, nous avons mis au point une manière de décrire et d’analyser son activité pour mieux éclairer ses choix (plus ou moins volontaires). Le processus de modifications est l’objet ainsi modélisé.

3. Principaux résultats obtenus
Plusieurs professeurs des écoles ont été suivis et pour chacun d’eux, des séances ont été recueillies et analysées. Pour chacune de ces séances, une mise en parallèle de l’analyse du projet décrit dans le document et des modalités de mise en œuvre par l’enseignant permet de dégager une contextualisation du processus de modifications : dès la phase de préparation de la séance jusqu’à sa mise en œuvre, une certaine dynamique se crée et les modifications s’organisent, s’enchainent de façon plus ou moins importante à travers la représentation, la redéfinition et la réalisation de la tâche.

Parfois, l’enseignant reste très proche du scénario de la séance décrite dans le document et se limite à effectuer des adaptations mineures mais il lui arrive aussi de trop s’éloigner de la tâche implicitement prescrite dans le document et de ne pas respecter le projet initial. Nous avons retenu les cas où l’enseignant prend des initiatives, explore des possibilités non envisagées par la ressource tout en respectant les éléments fondamentaux de la situation et nous avons mis en évidence les liens entre la conception même du document-ressource et le processus de modifications montrant que certaines de ces caractéristiques peuvent permettre de limiter les écarts créés au niveau de la représentation, de la redéfinition ou de la réalisation de la tâche.

Ces exemples montrent que l’enseignant investit la marge de manœuvre dont il dispose en proposant de nouvelles adaptations tenant compte des éléments fondamentaux de la situation et que tout se passe comme si, le processus de modifications lui permettait de fonctionner au quotidien tout en lui permettant de structurer ce qu’il apprend, favorisant ainsi le développement de ses pratiques.

Nous concluons par des questions relatives à la production de ressources pour les enseignants. Quelle marge de manœuvre laisser aux enseignants pour les encourager à s’approprier les situations d’enseignement proposées ? Est-il possible d’exercer un contrôle sur les modifications apportées par les enseignants ? Comment favoriser l’apport par les enseignants de nouvelles propositions ?