Cette contribution envisage le travail enseignant de façon latérale et, je l’espère, quelque peu originale. Le principe est de demander à de jeunes élèves (fin de maternelle et début du primaire) de « jouer à l’école ». Les interactions ainsi obtenues sont filmées, analysées, puis soumises aux enseignants des enfants. L’hypothèse est que les jeux mis en place par les élèves disent quelque chose de leur représentation de l’école, des membres qui y évoluent, de ce qui s’y « joue », mais aussi de leur métier d’élève (Perrenoud, 2004). Les questions de recherche sont les suivantes. Comment les enfants se représentent-ils l’activité de l’enseignant et celle de l’élève ? Le jeu peut-il constituer un témoin et un auxiliaire pertinents de ces représentations ? Que font les uns et les autres ? Quelles interactions se nouent entre élève-instituteur et élèves-élèves ? Quels échanges s’établissent entre élèves-élèves ? Quelles tâches se mettent en place ? Comment s’organisent les tours de parole ? Comment qualifier le langage verbal des différents interactants : lexique, morphosyntaxe, tics langagiers… ? Quelle est la nature des prises de parole : ordre, conseil, interdiction, demande, interrogation, reformulation, synthèse, insulte, acquiescement, refus… ? Comment décrire le langage para-verbal des intervenants : volume, intonation, accent, fluidité, débit, souffle, articulation… ? Que dire de leur langage non-verbal : posture, regard, proxémie, gestuelle, mimique… Comment le matériel scolaire est-il utilisé et par qui : tableau noir, craie, affiches, cahiers, albums ou romans, cartes, bancs, chaises… ? Quelle utilisation est faite de l’espace et du temps ? Les autres acteurs de l’univers scolaire sont-ils évoqués durant le jeu et, dans l’affirmative, comment : direction, inspection, parents… ? Par ailleurs, que disent les enseignants des enregistrements vidéos qui leur sont soumis ? Se reconnaissent-ils dans les mises en scène ? Reconnaissent-ils leurs propres élèves jouant à être élèves ? La connaissance de ces interactions les conduit-elle à reconsidérer leur propre fonction enseignante, s’agissant de leur langage para/non/verbal, des tâches proposées ou des interactions établies avec les élèves ? L’hypothèse générale qui préside à cette recherche est que des « pratiques enseignantes » et des « pratiques apprenantes » différenciées pourront être mises au jour, pratiques qui pourront éventuellement être réunies dans des constellations idéal-typiques relativement homogènes. En effet, l’hypothèse est que la mise en lien des indicateurs de professionnalité cités ci-avant permettra de donner à voir des postures enseignantes et des postures apprenantes différenciées. L’analyse se veut donc dans un premier temps descriptive et compréhensive : il s’agit de révéler des modes de faire, de dire, de penser, d’échanger, d’enseigner et d’apprendre. Plus précisément, je formule l’hypothèse selon laquelle prédomineront des figures assez caricaturales, tant pour l’enseignant que pour l’élève. Nous pourrions ainsi avoir affaire à une dominante d’enseignants distants, autoritaires et transmissifs. En revanche, nous pourrions être confrontés à une majorité d’élèves soumis, dociles, soucieux de bien faire et davantage préoccupés de se conformer aux attentes du maitre que de construire leurs propres apprentissages, par le biais de médiations sociales et instrumentales soigneusement organisées. La recherche étant en cours, ces hypothèses devront être mises à l’épreuve des données empiriques récoltées, mais une première recherche exploratoire tend à confirmer cette intuition. Quoi qu’il en soit, seront avancés des facteurs explicatifs concernant les différentes postures recensées. Sur le plan méthodologique, il s’agira de réunir un échantillon, de mettre en place les conditions du jeu de rôles, avant de les filmer systématiquement. Les vidéos seront soumises aux enseignants des élèves et retranscrites intégralement. L’analyse s’appuiera de façon classique sur les travaux inscrits dans le champ des interactions verbales : Austin (1970), Benvéniste (1966, 1974), Bourdieu (2001), Bronckart (1996), Charaudeau (1992, 1995), Charaudeau et Maingueneau (2002), Hall (1971), Goffman (1973, 1974), Grandaty et Turco (2001), Kerbrat-Orecchioni (1990, 1992, 1994, 1996, 1999), Maingueneau (1996)…