Du monde du travail au travail enseignant : quel rapport au "nouveau" métier pour les futurs enseignants de lycées professionnels

Auteur(s) :
PEREZ-ROUX, Thérèse (Université de Nantes - IUFM)

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Mots clés :

professionnalisation
expérience
rapport au métier
identité professionnelle
Atelier(s) :

5A
Thèmes :

Axe 3 : Les dimensions professionnalisantes du travail enseignant
Public : lycée professionnel et lycée
Démarche : enquête, étude qualitative

Résumé :

Du monde du travail au travail enseignant : quel rapport au « nouveau » métier pour les futurs enseignants de lycée professionnel ?

La recherche porte sur les dynamiques identitaires des Professeurs-stagiaires de Lycée Professionnel (PLP2) durant leur année de formation professionnelle à l’IUFM. Elle vise à comprendre comment s’amorce l’entrée dans le métier enseignant, à la fois en fonction des trajectoires antérieures des individus, des contextes de formation et des situations de travail rencontrées (Hetu, Lavoie et Baillauques, 1999 ; Wittorski et Briquet-Duhazé, 2008). Entre normes institutionnelles, modèles existants dans la formation et dans le travail, représentations et pratiques professionnelles singulières, il s’agit d’identifier le rapport au métier enseignant dans sa complexité (Charlot, 1997), notamment chez les futurs enseignants de LP ayant déjà une expérience professionnelle dans un autre secteur (de l’industrie ou du tertiaire).
En effet, ces derniers sont amenés à vivre une conversion professionnelle qui s’accompagne de nouvelles formes de socialisation. Par ailleurs, se réorienter génère nombre d’incertitudes qui ponctuent l’accès au monde fantasmé et convoité des enseignants, activant des représentations que vient (re)questionner une formation en alternance.
L’étude se centre sur l’expérience de ces PLP2 confrontés aux tensions que génère le travail enseignant (Jellab, 2005) : entre expérience passée, logiques de la formation, dynamiques d’établissement et réalités des pratiques de classe.

Au plan méthodologique, un questionnaire a été proposé à l’ensemble des PLP2 d’un IUFM en octobre 2007 (n = 67) puis deux entretiens semi-directifs (janvier et juin 2008) ont été conduits avec 19 PLP2 représentatifs du groupe : 5 enseignants de disciplines générales (Lettres-Histoire et Maths-Sciences), 7 enseignants du secteur industriel (Conduite Routière et Bois), et 7 enseignants du secteur tertiaire (Communication Administrative et Bureautique).
La première série d’entretiens rend compte du travail enseignant et en décline les différentes dimensions, mettant en lumière un ensemble de difficultés et de paradoxes que les enseignants tentent, avec plus ou moins de succès, de dépasser.
La deuxième série d’entretiens se centre sur les processus en jeu dans la construction de la professionnalité, entre acquisition de compétences nouvelles et positionnement identitaire.

Les résultats mettent en relief nombre de tensions entre la mise en scène des savoirs et les caractéristiques du public. En effet, la « rencontre » avec les élèves reste parfois problématique dans le sens où les PLP2 ont le sentiment de ne pas trouver la « juste mesure » entre mise en activité des élèves et conduite de classe, supposant fermeté et adaptation.
Les stagiaires comprennent rapidement l’inadéquation de cours magistraux, pensés dans une logique qui échappe aux élèves. Evoquant le manque de repères, ils expriment les nombreuses questions d’ordre didactique et pédagogique qui restent en suspens lorsqu’il s’agit à la fois d’intégrer les prescriptions de l’IUFM, de favoriser l’enrôlement des élèves dans les tâches proposées, de trouver une cohérence pour soi-même dans un processus d’enseignement/apprentissage, nécessitant de constants ajustements.
Le manque de motivation des élèves reste au cœur des préoccupations professionnelles, notamment pour les enseignants des disciplines générales. Ce phénomène est compensé par une relation aux élèves qui semble fonder en grande partie le rapport au métier des PLP (Perez-Roux, 2008). Beaucoup reviennent sur la nécessité - et la difficulté parfois - de tenir le cadre, de maintenir une fermeté face aux classes turbulentes, de faire preuve d’un seuil de tolérance optimal face aux écarts pour pouvoir toujours « les stimuler, les responsabiliser, les amener à travailler, à s’investir ». Pour certains enfin, dont l’expérience professionnelle antérieure a permis d’autres relations avec les adolescents, la « juste » distance à la classe pose un réel problème d’adaptation.
L’analyse des entretiens révèle aussi des modalités variables pour rendre l’enseignement plus efficace et, de fait, aider les élèves à progresser. Au-delà d’un soutien affectif vécu comme une nécessité, la majorité des stagiaires interrogés évoque des ajustements ponctuels ou des modifications dans lesquelles les outils (TICE) prennent une place importante. Une autre entrée consiste, pour les stagiaires ayant déjà une expérience professionnelle, à prendre appui sur celle-ci, considérée comme un réel atout pour illustrer les contenus, enrôler les élèves et donner du sens au travail en classe.
Derrière les discours, se dessinent pour certains de véritables stratégies inscrites à la fois dans l’espace et le temps et articulées autour de projets interdisciplinaires qui nécessitent des formes de collaborations au sein et en dehors de l’établissement.

Ainsi, pour les PLP2 interrogés, le travail enseignant ne se limite pas à la sphère de la classe et s’inscrit dans une dimension éducative plus large, ouvrant sur le monde professionnel et ses logiques plus ou moins partagées. Il révèle aussi des formes d’insertion professionnelle délicates dans des contextes de travail relativement fermés où les normes implicites du groupe des enseignants titulaires viennent parfois freiner les dynamiques engagées durant l’année de formation. Il s’agit pour ces enseignants en passe d’être titularisés de comprendre et d’investir les contours d’un genre professionnel, tout en affirmant progressivement un style propre, nourri des expériences passées, présentes et à venir (Clot, 1999).

Au final, la construction de la professionnalité enseignante suppose la prise en compte d’un certain nombre de valeurs défendues par le sujet ; de ce point de vue le rapport au métier, aux autres et à soi-même suppose un « processus de construction et de reconnaissance d’une définition de soi qui soit à la fois satisfaisante pour le sujet lui-même et validée par les institutions qui l’encadrent » (Demazière et Dubar, 1997, p. 304).

Bibliographie
Clot, Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris : PUF
Charlot, B. (1997). Du rapport au savoir. Paris : Anthropos.
Demazière, D & Dubar, C. (1997). Analyser les entretiens biographiques. Paris : Nathan. Hetu, J-C., Lavoie, M & Baillauques, S. (1999, Eds.). Jeunes enseignants et insertion professionnelle. Bruxelles : De Boeck.
Jellab, A. (2005). Les enseignants de lycée professionnel et leurs pratiques pédagogiques : entre lutte contre l'échec scolaire et mobilisation des élèves. Revue Française de Sociologie, vol. 46, 2, 295-323.
Perez-Roux, T. (2008). Devenir enseignant de lycée professionnel : une construction entre tensions et ajustements aux élèves. Colloque Efficacité et Equité, Rennes, 19-21 novembre 2008. http://ent.bretagne.iufm.fr/efficacite_et_equite_en_education/programme/index. Symposium Duceux et al, « Quelle efficacité pour les Lycées professionnels ? », contribution 4, 34-43.
Wittorski, R & Briquet-Duhazé, S. (2008, Eds.). Comment les enseignants apprennent-ils leur métier? Paris : L’harmattan.