La santé au cœur des régulations et des décisions de départ des enseignantes de maternelle en fin de carrière

Auteur(s) :
CAU-BAREILLE, Dominique (Université Lyon 2 / IETL - CREAPT)

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Mots clés :

Fins de carrière
enseignants de maternelle
santé
ergonomie
retraite
Atelier(s) :

1A
Thèmes :

Axe 1 : Le travail enseignant au quotidien
Public : Maternelle
Démarche : enquête, étude qualitative

Résumé :

Introduction
Cette communication présente une recherche réalisée sur les fins de carrière dans l’enseignement. Les responsables de l’Education Nationale et le Conseil d’Orientation des Retraites se préoccupent des départs précoces qui touchent ces métiers pour trois raisons :
- ils ne font pas l’objet des métiers identifiés comme faisant parti des plus pénibles eu égard aux critères pris en compte par le gouvernement ; d’où une certaine incompréhension face à ces mouvements,
- la proportion de quinquagénaires dans l’enseignement primaire, déjà importante actuellement, devrait s’accentuer dans les années à venir,
- les mesures gouvernementales prises pour financer les retraites vont plutôt dans le sens d’un allongement des carrières.
Plusieurs syndicats comme de nombreux chercheurs identifient cette période comme une phase sensible des parcours professionnels où s’expriment des phénomènes d’usure, de burnout chez ces salariés modifiant leur rapport au métier. Est-ce les seuls motifs à l’origine des départs précoces ?
Bien que nous ayons réalisé notre étude dans le premier et le second degré, nous avons choisi de cibler notre communication sur le niveau maternelle pour deux raisons :
- c’est un niveau scolaire particulièrement concerné par les départs précoces avec décotes
- les formes de pénibilité du travail semblent beaucoup plus méconnues que dans le secondaire.

Méthodologie
Travailler sur les fins de carrière dans le champ de l’ergonomie impose de mener une réflexion sur les conditions de travail, en lien avec les évolutions touchant au cœur du métier, aux pédagogies, aux rapports avec les parents comme avec les élèves, à la dimension collective du travail, à la charge de travail, de s’intéresser aux stratégies mises à œuvre dans l’activité de travail.
Cela implique de développer une approche diachronique de la santé visant à prendre en compte les expositions aux contraintes tout au long de la vie professionnelle et leur incidence sur la santé des salariés. Car selon Volkoff & coll. (à paraître), "L’évolution de la santé au long du parcours jouerait elle-même un rôle dans le déroulement de l'itinéraire professionnel, voire les décisions de fins de carrière".
Travailler sur les fins de carrière nécessite également de s’intéresser aux équilibrages entre les différentes sphères de vie car l’activité de travail s’inscrit dans un système d’activité global où se jouent des régulations. Notre approche s’inscrit donc dans le modèle du système des activités issu de la psychologie sociale (Curie, 2002), avec l’idée que "Pour comprendre les formes des engagements, il faut regarder ce qui se passe dans les autres domaines d’activités, non professionnelles des sujets".

Nous avons procédé à des entretiens semi-directifs d’une heure et demi minimum auprès de 8 enseignantes quinquagénaires. Notre questionnement portait sur le quotidien de l’activité, sur les modes opératoires mis en jeu dans le travail, sur les stratégies de gestion des classes, des élèves, des parents, sur les rapports avec la hiérarchie ainsi que sur leur mode de vie. Nous avons cherché à montrer les difficultés du métier, surtout la manière dont elles y répondent en fin de carrière en analysant les stratégies de préservation mises en œuvre dans l’activité comme dans les autres sphères de vie.
Les résultats de cette étude ont été discutés dans le cadre du comité de pilotage du COR et mis plus largement en débat lors de réunions avec des syndicalistes, ceci permettant d’apporter une validité à nos résultats au-delà des personnes rencontrées.

Résultats et discussion
Après avoir explicité les caractéristiques de l’activité en maternelle, nous pointerons les difficultés particulières rencontrées par les enseignantes interrogées en fin de carrière.
Elles perçoivent des transformations physiques et psychologiques liées à l’avancée en âge, les rendant plus sensibles aux formes de pénibilité du travail, au climat de la classe, aux tensions avec les élèves, les parents, la hiérarchie, au bruit et la charge de travail. Des problèmes de santé, de douleur et de fatigue aigue, sont évoqués de manière unanime dans les entretiens. Elles ressentent une augmentation du coût du travail, de l’astreinte au fil de l’âge en rapport avec une diminution des ressources personnelles pour faire face aux exigences du métier. Un facteur personnel semble aggraver cette fatigue liée à l’activité : la ménopause.
La perception de ces évolutions amène les enseignantes à élaborer de plus en plus de stratégies de coping pour continuer à exercer, à la fois dans le champ du travail comme hors travail. Mais ces régulations trouvent aussi leurs limites ; d’où des inquiétudes pour les années d’activité professionnelles. Ceci peut déboucher parfois sur un sentiment que les compétences acquises au fil des années leur permettent moins qu’avant de faire face aux exigences de leur métier ; avec le risque d’hypothéquer leur santé. D’autant qu’il est rare qu’elles prennent des arrêts maladie pour prendre soin de leur santé.
Les choix de fins de carrière relèvent donc d’arbitrages complexes entre :
- des arguments qui poussent à rester dans l’activité de travail, liés à des éléments vécus positivement au travail : plaisir à travailler avec de tout jeunes enfants, à les voir progresser rapidement, à travailler avec les collègues, parfois avec certains parents ;
- d’autres vécus négativement qui ont à voir avec l’organisation du travail, les évolutions du métier et du contenu du travail, les spécificités de l’activité et des conditions de travail en maternelle, une dégradation du rapport aux parents, à la hiérarchie, et un profond sentiment de non reconnaissance dans le métier ;
- l’évaluation personnelle des ressources dont elles disposent pour faire face aux exigences du travail. C’est le passage de la notion de fatigue éprouvée en début de carrière à celle d’épuisement dans le travail, de gestion des douleurs ; et ce, malgré leur expérience.
Ce qui domine, est moins l’existence de phénomènes de burnout qu’une modification du sentiment d’efficacité personnelle avec l’âge, liée à la fois aux conditions spécifiques de travail, de faibles marges de manœuvres individuelles et collectives et une problématique de santé de plus en plus présente en fin de carrière imposant plus qu’avant des régulations dans et hors travail. Plus elles se sentent en difficultés, plus elles cherchent des ajustements dans le travail et hors travail ; moins ces ajustements fonctionnent, plus le désir d’anticiper leur départ est important.
Dans le contexte d’allongement des carrières, nous insisterons sur l’enjeu qu’il y a à améliorer les conditions de travail enseignantes.