Vers un matérialisme pédagogique

Auteur(s) :
CARRAUD, Françoise (Université Lumière Lyon2, ISPEF)

Mots clés :

place et rôle des objets
organisation de l'activité enseignante ordinaire
Atelier(s) :

2A
Thèmes :

Axe 1 : Le travail enseignant au quotidien
Public : Primaire
Démarche : enquête, étude qualitative

Résumé :

Vers un matérialisme pédagogique


Cadre de la recherche

La réflexion proposée pour ce colloque est issue d’une enquête préparatoire à un programme de recherche Vers une pragmatique de l’activité enseignante, qui sera réalisée dans le cadre de l’UMR Éducation, cultures et politiques (2011-2015). Cette première enquête s’est attachée à observer et décrire le travail ordinaire et quotidien des enseignants d’une école élémentaire grâce à une approche pluridisciplinaire spécifique aux Sciences de l’éducation (Bouvier, 2002 ; Glaser et Strauss, 2010) en s’intéressant notamment aux courants issus de la sociologie du travail (Lantheaume et Hélou, 2008), de la psychologie du travail (Clot, 2005, 2008 ; Dejours, 1995) ou de l’action située (Durand, 1996).

En marge des questions relatives à l’efficacité ou à la normalisation du travail enseignant, cette enquête s’est intéressé aux détails de l’activité habituelle (Piette, 1996 ; Woods, 1990) à partir de questions a priori anodines : quel est l’ordinaire du travail des enseignants du primaire ? Comment organisent-ils leur travail au quotidien, dans une journée, dans la semaine et tout au long d’une année scolaire ? Quels obstacles rencontrent-ils ? Quelles ressources mobilisent-ils ?

Les premières observations ont mis en évidence l’omniprésence des objets matériels, comme si faire classe ne se limitait pas à l’organisation de situations d’apprentissage et à la conduite de groupes mais comprenait aussi une dimension plus triviale liée à la gestion d’objets.

Problématique et hypothèses

Ainsi la problématique de cette recherche s’est orientée vers les questions de la place et du rôle des objets dans le travail ordinaire des enseignants.

Notre hypothèse est que, même inanimés, mêmes inhumains (Latour, 2005 ; Descola, 2005) les objets ou les choses (Pérec, 1965) font partie des réseaux d’acteurs et contribuent largement à l’organisation de l’activité enseignante. Selon les moments et les situations, ils peuvent être des ressources ou des obstacles à l’activité ordinaire des enseignants de l’école primaire. Les observations directes du chercheur ne pouvant, seules, permettre de comprendre et de donner une signification au rôle des objets dans l’activité enseignante, nous avons pris en compte le point de vue des acteurs eux-mêmes : comment organisent-ils leur activité d’organisation et de gestion des objets matériels ? Quel sens donnent-ils à cette activité ?

Méthode

Ainsi notre enquête s’est appuyée sur plusieurs procédés méthodologiques : observation régulière (une à deux fois par semaine) sur plusieurs mois (de septembre à décembre) de plusieurs enseignants d’une même école (sept enseignants du CP au CM2) ; entretiens « à chaud » avec ces enseignants, immédiatement après les observations ; entretiens individuels et collectifs à partir de photos réalisées dans les classes, réalisés plusieurs jours ou semaines après les observations.

Résultats

Les premiers résultats montrent que les objets sont bien des acteurs qui, à leur manière, directement ou indirectement, contribuent à organiser l’activité enseignante. Les enseignants sont plus ou moins conscients de leur propre activité avec les objets dont les différents usages leur échappent parfois en partie, volontairement ou non.

Différents moments et différents types d’objets ont été distingués.
1. En amont de la situation pédagogique
Les enseignants ordonnent et organisent l’espace de la classe, et placent les élèves dans cet espace organisé. Ils choisissent, achètent, préparent le matériel nécessaire aux activités scolaires (cahiers, crayons, manuels, fichiers, classeurs, etc.) et prévoient leur utilisation, leur rangement, etc.
2. Pendant le temps de classe
Les enseignants sont conduits à gérer les usages des objets scolaires par les élèves pendant le temps de classe (sortir et ranger livres et cahiers, stylos, etc.). Ils sont aussi confrontés aux usages non scolaires ou imprévus de ces mêmes objets et ont à faire face à leur perte ou absence momentanée. Ils s’occupent aussi des usages des objets non scolaires qui sont omniprésents dans les classes (jouets ou petits objets personnels – bouteilles d’eau, vêtements, etc.) sans oublier les objets scolaires personnalisés (feutres parfumés ou ornés de figurines, trousses et cartables décorés, etc.). Ces objets sont sans cesse touchés, regardés, bricolés par les élèves : les choix des enseignants (autorisation, tolérance, déni, etc.) sont divers.
3. En aval de la situation pédagogique
Les questions liées au rangement sont essentielles (conserver, jeter, classer ? Où, quand, comment ? etc.)

Tous ces choix matériels contribuent largement à diriger les déplacements des élèves ou le positionnement des enseignants dans la classe, mais aussi à favoriser ou entraver certaines formes d’organisation du travail des élèves. Ainsi les corps, leurs mouvements et leurs postures tout comme les échanges entre élèves ou entre élèves et enseignants sont organisés par des objets eux-mêmes et plus ou moins contrôlés par les enseignants. Certains d’entre eux font des choix volontaires, d’autres par défaut, d’autres encore se plient, plus ou moins consciemment à des règles plus ou moins implicites. Il semble finalement que, dans l’organisation du travail enseignant à l’école élémentaire, les objets prennent une autonomie que l’on ne soupçonnait pas.