Le « passage dans les rangs » : pérennité et variabilité d’un format pédagogique

Auteur(s) :
VEYRUNES, Philippe (Université de Toulouse 2, le Mirail)

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Mots clés :

activité collective
classe
format pédagogique
individualisation
viabilité
Atelier(s) :

2A
Thèmes :

Axe 1 : Le travail enseignant au quotidien
Public : Primaire
Démarche : enquête, étude qualitative

Résumé :

Cette communication concerne un « format pédagogique » qui se réalise dans le contexte du seatwork ou travail sur table (Helmke & Schrader, 1988) : le « passage dans les rangs ». Fréquemment, alors que les élèves travaillent à faire des exercices écrits individuels, l’enseignant circule dans la classe, supervise leur travail et leur apporte une aide individuelle. Ce mode d’organisation apparaît depuis longtemps dans de nombreuses disciplines, niveaux d’enseignement et systèmes éducatifs. Il présente également des traits de variabilité : l’enseignant peut se limiter à superviser l’implication des élèves dans le travail ou apporter des aides plus ou moins individualisées. À travers une étude de cas, cette communication veut mettre en évidence les relations entre ces deux caractéristiques du passage dans les rangs.
L’étude présentée vise à articuler une description et explication de l’activité individuelle avec une modélisation de l’activité collective. Elle s’appuie sur le présupposé selon lequel les systèmes vivants – individus et groupes sociaux – produisent leur propre organisation (Maturana & Varela, 1994). Chaque acteur agit de manière partiellement autonome dans le monde qu’il construit et son activité contribue à définir ce « monde propre ». Son activité est fonction de l’environnement et de la situation qui sont les siens. De même, les collectifs s’auto-organisent en fonction des relations d’interdépendance entre les acteurs et des contraintes des situations, sans que cette auto-organisation ne résulte de « décisions » des acteurs. Dans ce contexte, les acteurs construisent des significations à propos des situations qu’ils vivent, mais les configurations de l'activité collective ne sont que partiellement significatives pour eux. L’activité individuelle est analysée au niveau du cours d’action (Theureau, 2004), qui correspond à la part « montrable, commentable et racontable » de l’activité de l’acteur engagé dans une situation donnée, c'est à dire la part significative pour lui dans la situation.
Huit séances de classe, organisées sous la forme de « contrats de travail individuel », dans lesquelles se déroulaient des épisodes de passage dans les rangs ont été étudiées dans une classe de CM2. L’activité en classe a été filmée, puis des entretiens d’autoconfrontation ont été conduits avec l’enseignant et certains élèves. Ces données ont permis de déconstruire puis de reconstruire le cours d’action individuel des acteurs et d’accéder ainsi à une nouvelle intelligibilité de l’activité individuelle. Le « passage dans les rangs » a été modélisé à partir du repérage et de la quantification de régularités dans les interactions entre enseignant et élèves et dans les déplacements de l’enseignant.
Les résultats de cette étude ont permis de mettre en évidence les caractéristiques de l’activité individuelle de l’enseignant et des élèves lors d’un épisode considéré comme représentatif de l’étude. Au cours de cet épisode, l’enseignant cherchait : a) à mettre et à maintenir tous les élèves au travail ; b) à vérifier l’avancement de leur travail et c) à les aider et à les guider dans sa réalisation. Les élèves cherchaient à : a) faire le travail demandé le plus aisément possible ; b) obtenir des validations positives et c) à profiter des occasions de distraction. La modélisation de la configuration de l'activité collective a été réalisée à partir : a) des déplacements de l’enseignant dans la classe (leur nombre, fréquence et durée) et b) des interactions qu’il avait avec les élèves avec lesquels il entrait en interaction (leur nombre, fréquence et durée).
Ces résultats sont discutés en deux temps. Premièrement, le passage dans les rangs permet a) aux enseignants de maintenir les élèves occupés et calmes et b) aux élèves de communiquer discrètement et de résoudre les tâches en s’entraidant. Ces caractéristiques semblent en assurer la viabilité et la pérennité. Deuxièmement, dans le contexte étudié il permet à l’enseignant de répondre aux attentes institutionnelles en matière d’individualisation de son enseignement (Bautier & Rayou, 2009).

Bautier, E. & Rayou, P. (2009). Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malentendus scolaires. Paris : PUF.
Helmke, A., Schrader, F.W. (1988). Successful student practice during seatwork: efficient management and active supervision not enough. Journal of Educational Research, 82-2, p70-75.
Maturana, H.R. & Varela, F.J. (1987/1994). L’arbre de la connaissance. Racines biologiques de la compréhension humaine. Paris : Addison-Wesley France.
Theureau, J. (2004). Le cours d’action. Méthode élémentaire. Toulouse : Octarès.