Le travail enseignant, en tension entre didactique et pédagogie. Une approche par l’analyse pragmatique des énoncés des enseignants sans la classe

Auteur(s) :
PIOT, Thierry (Université de Caen Basse-Normandie, CERSE)

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Mots clés :

pédagogie
travail enseignant
énoncés
pragmatique
didactique
Atelier(s) :

1B
Thèmes :

Axe 1 : Le travail enseignant au quotidien
Public : Primaire
Démarche : enquête, étude qualitative

Résumé :

Introduction : Le travail enseignant est un objet de recherche relativement nouveau au sens ergonomique du terme, avec notamment les approches de Tardif et Lessard (1996), Durand (1996) et Barrère (2002), et les travaux sur la professionnalité enseignante (Altet, 1994) et les travaux du groupe OPEN). Les perspectives ouvertes par l’émergence de la didactique professionnelle (Pastré, Vergnaud et Mayen, 2006) pour analyser l’activité des enseignants indiquent l’intérêt épistémologique de suivre cette voie de recherche (Vinatier, 2007). Ces perspectives permettent de dépasser le clivage classique et idéologiquement marqué entre les Républicains et les Pédagogues. Pour notre part, nous regardons l’articulation polémique entre les didactiques disciplinaires et la didactique professionnelle non pas comme une aporie définitive mais comme une tension interne, spécifique, constitutive des situations d’enseignement-apprentissage et de la co-activité asymétrique à l’œuvre entre maître et élèves. D’un point de vue historique, cette tension est induite et rendue cruciale par l’entrée dans la période de la seconde modernité, marquée par des changements permanents, des incertitudes générées par la mise en cause structurelle des institutions. Nous pensons particulièrement ici aux institutions symboliques comme la culture, l’autorité et le savoir, historiquement structurantes de toute activité humaine, dont les activités professionnelles adressées à autrui et notamment de l’enseignement et la formation qui sont en expansion depuis la seconde partie du siècle dernier.
Eléments problématiques :
Le cadre scientifique de cette recherche est celui de la didactique professionnelle. Si l’extension formelle et informelle du travail enseignant concerne principalement le travail collectif hors de la classe dans l’établissement (Marcel & al, 2010), le travail de préparation et correction, voire, à l’école primaire, le soutien personnalisé, le cœur du travail de l’enseignant reste la conduite des situations d’enseignement-apprentissage dans le cadre de la classe. Notre recherche veut caractériser le travail enseignant à partir de l’analyse des énoncés verbaux durant des séquences d’enseignement en s’appuyant sur le cadre de la linguistique pragmatique. A partir des travaux fondateurs de Austin (1970), la pragmatique qui prend en compte les énoncés verbaux sans les couper du contexte d’énonciation, vise à comprendre dans quelle mesure les échanges verbaux, qui sont au centre de l’activité professionnelle des métiers de l’interaction humaine comme l’enseignement, dépassent la dimension d’échange d’informations et comprennent un co-construction de sens ainsi que des activités spécifiques incluses dans les échanges verbaux comme promettre, encourager, insister, expliquer, inviter à…
Recherche empirique : méthodologie et analyse de données
Notre travail empirique concerne des leçons de mesure au cycle 3 de l’école primaire réalisées par deux enseignantes de classe de CM2. Chacune des deux enseignantes a réalisé deux séquences de 45 minutes sur une même partie du programme scolaire (conversion d’unité de mesure de longueur) : Chaque séquence a été vidéo-enregistrée et a été l’objet d’un entretien d’explicitation par auto-confrontation. L’analyse des énonciations croise une grille pédagogique et didactique insprirée des travaux de Bruner (1983) ainsi qu’une grille pragmatique qui cherche à distinguer les dimensions locutoire, illocutoire et perlocutoire.
Résultats et éléments de discussion :
Les résultats indiquent que la force illocutoire des discours est très présente chez les deux enseignantes qui, simultanément interviennent dans la gestion didactique de la leçon (enrôlement dans l’activité, dévolution de la tâche, traitement raisonné des informations, dimension procédurale et contrôlée de l’activité par l’élève) et dans la gestion pédagogique et motivationnelle de la classe ainsi que de quelques élèves en particulier (logique de différenciation). Ce travail conduit à mettre en évidence que le discours magistral en situation d’enseignement-apprentissage ne clive pas les registres didactique et pédagogique (avec une acception large de ce terme qui recouvre des tâches d’organisation symbolique et matérielle, des tâches de régulation sociale et émotionnelle) mais les articule en gardant une tension dynamique de ce qui apparaît comme deux faces unitairement complémentaires de l’activité de l’enseignant en classe.
Conclusion :
Le travail de l’enseignant se complexifie tant dans la classe où la gestion des hétérogénéités cognitives, motivationnelles et sociales demeure un défi permanent, qu’au niveau de l’établissement, considéré comme l’unité fonctionnelle de gestion et d’organisation des apprentissages (Dupriez, 2005). L’analyse de l’activité réelle de l’enseignant par l’analyse pragmatique permet de penser qu’il s’agit plus de coordonner et combiner de manière fluide et les deux registres distincts de l’activité magistrale (registre didactique – registre pédagogique) pour atteindre les objectifs d’apprentissage des élèves, objectifs qui finalisent la présence de ces derniers à l’école.