L’enseignement de l’Histoire des Arts : quels changements dans le travail enseignant ?

Auteur(s) :
ESPINASSY, Laurence (Aix-Marseille Université, UMR ADEF-P3, France)

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Mots clés :

compétences
activité individuelle et collective
prescriptions
histoire des arts
arts plastiques
transversalité
Atelier(s) :

3A
Thèmes :

Axe 2 : Les variations, transformations et évolutions du travail enseignant
Public : collège
Démarche : étude de cas, approche clinique

Résumé :

Notre proposition se penche sur l’apparition de « l’enseignement de l’Histoire des Arts » (HdA) (BO n° 32 du 28 août 2008), mis en application dans les classes de collège à la rentrée scolaire 2009. Il s’agit d’un dispositif spécifique à décliner obligatoirement entre plusieurs disciplines, issu de la mise en œuvre du socle commun (SC) (BO n° 29 du 20 juillet 2006).
Dans une perspective d’analyse ergonomique de l’activité enseignante, nous regardons comment une douzaine d’enseignants d’un collège situé en Education Prioritaire s’empare de ces nouvelles prescriptions. Cette recherche se fonde sur une approche historico-culturelle et développementale de l’activité individuelle et collective. Elle s’appuie sur le cadre méthodologique des « autoconfrontations » selon les conceptions de Clot et Faïta.
Selon les textes officiels, l’enseignement de l’HdA est « un enseignement de culture artistique partagée. Il concerne tous les élèves. Il convoque tous les arts. Il est obligatoire pour tous les élèves. Il est porté par tous les enseignants par une approche pluridisciplinaire et transversale des œuvres d’art ». Le dispositif HdA « implique la conjonction de plusieurs champs de connaissances. Il s’appuie sur trois piliers : les périodes historiques, les six grands domaines artistiques, et les listes de thématiques ». Cet enseignement « implique la constitution d’équipes de professeurs », ne bénéficie d’aucun financement, mais veut renforcer le « partenariat entre les milieu éducatifs et les milieux artistiques et culturels ». Par ailleurs, il oblige certaines disciplines à consacrer un quota de temps à cet enseignement, et il sera évalué au Diplôme National du Brevet dès la session 2011.
Nous constatons que l’« on est typiquement dans la situation où la prescription est infinie et la sous-prescription des moyens pour les atteindre est totale » (Daniellou, 2002). En effet, ces programmes embrassent un champ de connaissances particulièrement étendu dont personne ne peut se revendiquer spécialiste, impliquant des modalités collectives d’organisation du travail des professeurs, ainsi que la cohérence de l’évaluation transversale des élèves, et donc, la construction d’outils communs.

Quels enjeux, quelles tensions, quels déplacements dans l’histoire, la culture et les pratiques professionnelles en découlent ? Dans une première partie, avec l’exemple d’enseignants expérimentés, intéressés et volontaires pour « inaugurer » ces programmes, nous verrons combien certaines habiletés professionnelles et routines de travail se trouvent déstabilisées par des emprunts à des champs de savoirs non familiers. Des phénomènes de stress, d’insatisfaction sont générés, alors que chacun se déclare particulièrement motivé par cette entrée culturelle et transversale des savoirs scolaires.

A ces inconforts professionnels individuels dans la pratique de classe, se greffent les contradictions institutionnelles liées à une particularité historique dans la conception des programmes scolaires : la parution d’HdA s’accompagne simultanément de celle de programmes d’enseignement disciplinaires. Dans une seconde partie, nous observerons comment en Arts Plastiques (APL) l’articulation de ces deux nouveaux programmes génèrent un paradoxe : d’un côté, bien que censés favoriser la mise en œuvre du SC, la formulation des programmes d’enseignement disciplinaires tend vers une conception plus instrumentale des savoirs, à l’encontre de l’évolution historico-culturelle des démarches pédagogiques jusqu’alors en vigueur en APL. D’un autre côté, s’ajoute l’HdA, qui serait garante d’une ouverture vers la culture et le partage de pratiques pédagogiques, (plus en conformité avec les conceptions de la didactique des APL), mais dont les modalités d’organisation permettent difficilement de l’imaginer comme autre chose qu’un prétexte à la « transversalité ».

Enfin, une troisième partie traitera de la question de l’évaluation qui focalise les difficultés de ces enseignants face à la confusion des genres prescriptifs : le SC et l’HdA exigent le passage à une évaluation transversale des compétences, et par conséquent à la création d’outils collectifs prenant en compte la temporalité du parcours de l’élève, alors que parallèlement, les connaissances et savoir-faire spécifiques se voient davantage précisés dans les nouveaux programmes disciplinaires. Quel statut et quelle cohérence attribuer à ces évaluations superposées : disciplinaires – transversales – nationales (Brevet des collèges) ?
Mais le paradoxe de l’évaluation par compétences vaut également pour l’enseignant : d’une part on semble réaffirmer sa liberté d’initiative, tout en lui laissant porter seul la responsabilité de ses incompétences (notamment face à l’immensité d’HdA), et dans le même temps, s’il veut trouver d’autres ressources, le professeur se trouve dans la situation où chacun doit contribuer à l’organisation du travail, soumis à une autonomie et une responsabilité qui l’oblige de « prendre avec soi le fait d’organiser » (de Terssac, 2009).

En considérant la prescription (descendante comme ascendante) comme un organisateur de l’activité collective des professeurs (Amigues, 2009) relative à des enseignements disciplinaires ou interdisciplinaires, la discussion portera sur les facteurs de déstabilisation du milieu individuel de travail, autant que sur ceux de remobilisation de ressources collectives de métier. Nous interrogerons le dynamisme des débats de normes et de valeurs suscités par les inévitables transactions au niveau des savoirs qui découlent de ces nouveaux programmes, ainsi que les compromis opératoires négociés pour ne pas perdre les motifs et le sens de l’activité enseignante au XXIe siècle.