ÉTAT DE LA QUESTION

Les questions de travail énoncées par un certain nombre d'équipes engagées dans la recherche concernent la communication aux familles, les relations de partenariat avec les familles ou le rôle complémentaire joué par les parents. Ces termes recouvrent d’une école à l’autre,   des modalités, voire des réalités bien différentes. Il est apparu nécessaire de clarifier les termes employés si l’on veut que les représentations des uns et des autres ne constituent pas des obstacles à la réflexion, mais également de tenir compte des recherches qui depuis une vingtaine d’années ont produit des connaissances sur ce thème. C’est un résumé de cet état de la question qui est proposé maintenant.

Les acteurs en présence

L'enfant

Il est le premier acteur à entrer en action sur cette scène. L’école le transforme en élève, mais personne ne peut apprendre à sa place. La première condition de réussite passe par lui et d’abord par les rapports qu’il établit avec l’école et le savoir, en termes d’implication, de motivation, de mobilisation ou d’engagement, –de ce point de vue le rôle incitatif des parents et de l’éducation familiale ne peuvent être négligés. Ces deux doivent être distingués, comme le précisent Charlot, Bautier, Rochex (1992, 1999). Du point de vue de l’enfant, l’enseignement doit être vu comme un moyen pour atteindre un but fixé. L'engagement d'un enfant dans la matière scolaire n'est pas le fruit du hasard. Il découle d'une intériorisation graduelle du projet éducatif que l'on a élaboré pour lui et résulte donc d'une histoire et d’un projet scolaire et familial singulier, qui demande aux familles persévérance et continuité. L’enseignant serait alors le metteur en scène des conditions d'apprentissage (Pourtois, Desmet, 2000).

La famille

Qu’est-ce que la famille? La réponse, quoiqu’on en pense ne va pas de soi. C’est d’abord un phénomène culturel, construit socialement et historiquement. On peut remarquer à la suite de D. Glasman (1992) qu’on n’utilise pas indifféremment, dans les milieux éducatifs, les termes parents ou familles. C’est celui de parents qui est utilisé par l’Éducation Nationale dans les textes officiels, l’expression parents d’élèves s’étant institutionnalisée pour désigner exclusivement le père et la mère ou le responsable légal des enfants, dès les premiers textes officiels définissant les conditions de représentation des parents à l’école. Cependant le couple parental n’est pas toujours le seul interlocuteur des enseignants. Des liens peuvent s’établir avec d’autres membres de la famille, frères et sœurs, ou des amis et voisins, etc. Le terme de " familles " est donc davantage celui que l’on va utiliser dans la relation sociale. Les familles représentent une entité extérieure à l’école, avec laquelle celle-ci va devoir traiter, en tenant compte de sa diversité et de sa complémentarité.

L'école et les familles…un peu d’histoire

Au cours des années 60, l’école primaire subit une mutation importante (Doray, 1984). " Elle cesse d’être l’école du peuple, préparant une forte proportion d’enfants à la vie active, pour devenir le premier degré par lequel passe tous les enfants avant le collège. Les petites classes des lycées disparaissent et les milieux aisés, les cadres, les classes moyennes se tournent alors vers les crèches, les écoles maternelles et primaires ". Ces parents, disposant de plus de temps, plus à l’aise dans les rencontres individuelles, ou dans les réunions et les instances électives, attachant une grande importance à l’éducation, cherchent à suivre leurs enfants et à les aider. Ils veulent s’informer et dialoguer, coopérer ou tenter d’infléchir les pratiques… Face à cette entrée des parents dans l’école, la réaction des enseignants s’est manifestée parfois vivement, l’absence de communication, de dialogue accentuent l’éloignement à tel point que certains ont pu parler d’un contentieux École - Familles qui aboutit à de graves malentendus réciproques : les uns dénoncent le système scolaire et son inefficacité, les autres condamnent l’éducation familiale et son irresponsabilité.

Cependant depuis plus de trente ans, les textes officiels s’efforcent de définir clairement et régulièrement les droits des parents : représentation dans les conseils d’école, information sur les objectifs pédagogiques, élaboration des règlements. En 1985, les parents obtiennent un droit de refus de l’orientation décidée par le conseil de classe. La loi d’orientation de 1989 définit les parents comme les "membres de la communauté éducative. Leur participation à la vie scolaire et le dialogue avec les enseignants et les autres personnels sont assurés dans chaque école et dans chaque établissement. Les parents d’élèves participent par leurs représentants aux conseils d’école" (art. 11) , les textes les plus récents (Royal) déterminent des priorités pour favoriser le partenariat école-familles.

La relation "école-familles" devient un objet d'études pour les sociologues de l'éducation

La volonté d’installer un partenariat a été confortée par les résultats de nombreuses études qui se sont attachées d’abord à montrer les difficultés, pour les enseignants, à agir efficacement seuls, sans implication, participation ou engagement des parents, puis s’agissant de l’enfant, que celui-ci apprend mieux quand il est motivé, et que cette motivation, ou mobilisation (Charlot et alii, 1999), qui est l’une des premières conditions de la réussite, est largement dépendante de l’attitude familiale. Les travaux de Chauveau-Rogovas (1992) mettent en évidence les corrélations entre difficultés d’apprentissage au Cours Préparatoire et perturbations des relations école/familles : contresens réciproques, malentendu pédagogique, doubles méprises…et suggèrent que " la dynamique, à la fois sociale et cognitive, à l’œuvre au sein du triangle enfant-école-parents est au cœur des processus d’acquisition des savoirs fondamentaux. ".

La famille apparaît alors comme " le contexte mobilisateur et dynamique " (Pourtois, Desmet, 2000) du développement affectif, cognitif, social et idéologique de l’enfant. Elle est devenue le partenaire obligé de toute entreprise éducative à l'égard de l'enfant. Dès lors, que peut-on attendre d'elle ? Toutes les familles ont des missions communes à remplir (surveillance, éducation, solidarité affective), mais chacune les remplit singulièrement et hors du regard d'autrui, ce qui en fait une instance extrêmement difficile à appréhender.

Les chercheurs semblent s’accorder sur une " connivence culturelle de l’école avec les familles de classe moyenne " (Belmont, 1999) :  " En général, école et familles de classe moyenne se confortent et se soutiennent. Il existe une convergence entre les conceptions éducatives de ces familles et celles de l'école ", tandis qu’il existerait " une distance entre école et familles populaires " : " les parents de milieux populaires se montrent peu à l'école, éprouvent un malaise face aux enseignants, ils manquent de confiance en eux, ont peur de déranger, d'être mal jugés. Les rapports avec l'école les angoissent car ils ont souvent eu eux-mêmes une expérience négative de l'école et craignent des jugements défavorables sur leurs enfants. "(Belmont, 1999).

Il faut souligner que la plupart des parents apprennent le plus souvent seuls à remplir leur rôle de parents d'élèves. Être parent d'élève au XXIème siècle exige, plus que jadis, des habiletés particulières, telles que l'aide au décodage de la culture scolaire, la contribution à l'installation du plaisir d'apprendre, la stimulation à la motivation et à la persévérance, l'aide aux travaux scolaires, la réaction adéquate aux évaluations, la capacité à saisir les attentes des professeurs, la recherche d’informations sur les parcours scolaires les mieux adaptés, etc.

C’est pourquoi l’école a dû non seulement s’ouvrir aux parents dans le sens d’une meilleure communication, mais est aussi entrée dans un processus de collaboration avec les parents, incluant une dimension de " formation " mutuelle. Les auteurs parlent alors d’un nouveau contrat social et pédagogique (Pourtois, Desmet) ou d’un " pacte éducatif " à construire (Meirieu, 2000).

On ne regardera donc pas ici l'enfant, la famille et l'école de façon partielle. La démarche proposée veut permettre d'examiner comment ces différentes instances, selon le point de vue adopté, se complètent, s'articulent – ou s'excluent - entre elles.