UN PARTENARIAT ÉDUCATIF EST- IL POSSIBLE

AVEC TOUS LES PARENTS ?

Belmont, B., Revue de l’AIS, N°7, Institutions et familles, 1999

Mots-clés :

relations école-familles, différenciation sociale, normes culturelles, démarches d'ouverture, communication, partenariat éducatif, enfants handicapés ou en difficulté.

Résumé :

On accorde actuellement de l'importance, dans le système éducatif, aux relations école-familles, dans une perspective de lutte contre l'échec scolaire. Cependant, ces relations ne sont pas sans poser problème, certaines familles restant en marge de l'école. S'appuyant sur plusieurs recherches, cet article met en avant les relations différenciées qui se structurent entre école et parents selon l'origine sociale de ces derniers. Ce sont des pratiques systématisées d'ouverture de l'école pour se rendre accessible et attentive à tous qui permettent aux parents de milieux populaires d'y trouver une place. Ces pratiques reposent sur une démarche délibérée de la part des enseignants, caractérisée par la reconnaissance des parents en tant que partenaires éducatifs.

Actuellement l'importance des relations entre l'école et les familles semble communément admise. On leur attribue une incidence sur l'adaptation et la réussite scolaire des enfants. Les enseignants s'attendent généralement à ce que les parents suivent la scolarité de leurs enfants et poursuivent le travail de l'école. Il leur semble que les rencontres avec les parents peuvent contribuer à aplanir certaines difficultés et ils déplorent de ne pas voir justement ceux dont les enfants posent problème.

Dans le cadre des projets éducatifs mis en œuvre pour tenter de réduire l’échec scolaire dans les quartiers populaires et en particulier les ZEP, de nombreuses actions se sont développées en direction des familles, visant à les impliquer dans la scolarité de leurs enfants.

Quelles relations peuvent s’établir entre l’école et les familles ? Quelles actions peuvent favoriser la communication ? Un partenariat éducatif est-il possible avec tous les parents, y compris ceux de milieux populaires qui posent le plus souvent problème à l’école et dont les enfants sont souvent en échec scolaire ? Ces questions seront abordées à partir de différentes recherches menées dans le cadre du CRESAS.

Pour viser une efficacité, il semble que les actions envers les familles devraient pouvoir s’appuyer sur une connaissance de ce qui est en jeu dans le dialogue école-familles. Une autre enquête par entretiens auprès d’une trentaine d’instituteurs d’écoles maternelles et élémentaires et de 90 parents de différents milieux sociaux permet de comprendre comment se nouent les contacts entre école et familles, selon l’origine sociale de ces dernières (Breton, Belmont, 1984).

Sans rencontrer forcément des difficultés d’apprentissage, d’autres élèves, du fait de leur handicap, sont souvent considérés comme posant des problèmes pour l’école. Une seconde enquête par entretiens auprès d’une quarantaine d’enseignants de primaire qui accueillent des enfants handicapés dans leur classe montre quelles relations ils établissent avec leurs parents, en vue de faciliter leur intégration dans la classe (Lantier et al., 1994).

Ensuite, différentes recherches menées en collaboration avec des enseignants sur des terrains variés permettent d’identifier des moyens utilisés pour établir le contact avec les familles et de dégager les principes qui les sous-tendent (CRESAS, 1984, 1989, 1991, Doray, 1989, Chauveau, 1992).

Des relations différenciées selon le milieu social

Les entretiens d'enseignants et de parents de différents milieux sociaux interrogés sur leur expérience des contacts école-familles font apparaître que les relations se structurent sur la base d’une reconnaissance implicite par les partenaires de leur appartenance ou non au même univers culturel. Deux catégories sociales de familles s’avèrent particulièrement contrastées dans leurs relations avec l'école.

Connivence culturelle avec les familles de classe moyenne

En général, école et familles de classe moyenne se confortent et se soutiennent. Il existe une convergence entre les conceptions éducatives de ces familles et celles de l'école : "ils ont une façon d'être avec leurs enfants, proches des nôtres, ils sont équivalents, ils vont dans le sens de l'école". Ces parents sont très présents à l'école, ils s'y sentent à l'aise, ils interviennent facilement dans les réunions où ils ont tendance à monopoliser la parole : "ils font fuir ou écrasent ceux à qui on voudrait s'adresser plus particulièrement". Ils sont au courant du fonctionnement et des attentes de l'école. Ils suivent attentivement la scolarité de leurs enfants et prolongent le travail de l'école. Ces parents sont appréciés par les enseignants : "ce sont des parents que l'on aime voir, avec qui on a plaisir à échanger". Un rapport d'identité, d'égalité s'établit entre eux, de l'ordre de la connivence sociale et culturelle.

Méconnaissance et incompréhension mutuelles avec les familles populaires

Au contraire, une grande distance sépare école et familles populaires. Les parents de milieux populaires se montrent peu à l'école. Ils éprouvent un malaise face aux enseignants, ils manquent de confiance en eux, ont peur de déranger, d'être mal jugés : "je ne vais jamais à l'école, le directeur me paralyse", "on a peur de paraître trop bête". Les rapports avec l'école les angoissent car ils ont souvent eu eux-mêmes une expérience négative de l'école et craignent des jugements défavorables sur leurs enfants : "remonter les marches de l'école me glace... aller expliquer quoi au maître ? il a eu raison contre moi, c'est pareil pour mes enfants". Ou encore, ils pensent qu'ils n'ont pas à se mêler des affaires de l'école. Ils interviennent en dernière extrémité et de façon qu'ils jugent eux-mêmes parfois inadéquate : "je ne vais à l'école que quand ça va trop mal pour le petit, les rencontres avec l'école sont toujours si pénibles", "on ne fait pas ça dans les règles" . Ils viennent peu aux réunions où ils sont en général mal à l'aise et leur absence est interprétée par les enseignants comme un désintérêt pour l'école :"le jour où l'instituteur me proposera d'aller boire tranquillement et qu'on aura le temps de parler, j'irai à l'école ; que voulez-vous que je dise dans un conseil ?".

Ces parents sont peu informés du fonctionnement de l'école, de ses règles du jeu implicites, des attentes des enseignants. Comme le relève De Queiroz (1981), ils sont désorientés par les pratiques pédagogiques qui diffèrent de ce qu'ils ont connu et n'en perçoivent pas toujours l'intérêt : "à quoi ça sert, tout ça ?". Si bien que les enseignants ne se sentent pas toujours reconnus dans leur travail et notamment dans leurs efforts d'innovation : "ils réclament du calcul et de la lecture, des choses qui ne les désorientent pas". De leur côté, les enseignants ont tendance à juger négativement les comportements et attitudes éducatives des familles populaires qui leur posent problème car non conformes aux leurs :"les enfants arrivent trop tôt le matin", "ils ont des sucreries plein les poches".

Les relations entre l'école et ces familles sont ainsi constituées de méconnaissance et d'incompréhension mutuelles, de désaccords culturels, créant un état de tension permanente. Cela ne signifie pas pour autant que les parents se désintéressent de l'école. Ils ont au contraire une grande attente vis à vis de l'école qui représente pour eux un moyen de promotion sociale, mais leur intérêt ne se manifeste pas sous des formes valorisées par l’école.

Cette caractérisation ne recouvre pas l’ensemble des familles de milieux populaires qui ne constituent pas une catégorie monolithique. Notre étude portait sur une partie de ces familles populaires que l’on pourrait qualifier de "traditionnelles" (ouvriers, paysans, personnels de service). Elle ne correspond pas au public actuel des ZEP. Dans ces quartiers, même, il semble difficile d’amalgamer l’ensemble des familles ; on peut au contraire repérer chez elles différentes attitudes par rapport à l’école (A. Henriot Van Zanten, 1990). Cependant, dans une étude sur les familles destinataires d’actions sociales, D. Glasman (1992) montre que malgré des rapports à l’école diversifiés, certains points communs les rapprochent. Il relève notamment, comme dans notre population, une méconnaissance du fonctionnement de l’école et de ses règles.

Les relations avec les parents d’enfants handicapés intégrés

L’accueil dans les classes ordinaires d’enfants présentant un handicap pose souvent problème à l’école. Quelles relations se tissent avec les parents de ces enfants ? Dans l’ensemble, les enseignants interrogés sur leur expérience d’intégration estiment qu’il est important d’avoir des contacts avec leurs parents et s’attendent à les développer davantage qu’avec les autres parents. Cette position des enseignants semble accréditer l’idée que la présence d’un handicap justifie une particularité dans les relations avec les familles : "on est obligé de les voir plus fréquemment que les autres parents, de faire le point assez régulièrement". Cependant, selon une partie des enseignants, leur attitude n’est pas différente de celle qu’ils ont en général avec les parents des élèves en difficulté : "c’est comme d’autres parents qui viendraient me parler du cas de leur enfant qui pour telle ou telle raison n’arrive pas à suivre". De façon générale, la conception sous-jacente est que ces relations peuvent favoriser l’intégration de l’enfant à la classe.

Les rencontres avec ces parents permettent tout d’abord aux enseignants de répondre à leur anxiété, en les tenant au courant de l’adaptation de leur enfant à la classe : "je pense que ça rassure la mère". Cette prise en compte de la difficulté que représente, pour des parents, le fait d’avoir un enfant handicapé conduit ainsi les enseignants à une attitude spécifique à leur égard.

Ces contacts sont également pour les enseignants un moyen d’obtenir des informations sur l’enfant, son comportement, son handicap ou ses difficultés, susceptibles de les guider dans l’ajustement de leur pratique à son égard : "j’ai trouvé ça un peu difficile au début, de ne pas être mieux renseignée". N’est-ce pas là ce que les enseignants recherchent également dans leurs échanges avec les parents d’élèves en difficulté ?

Ils y voient aussi la possibilité d’établir une cohérence éducative autour de l’enfant intégré. Ils souhaitent notamment que les parents puissent soutenir et aider leurs enfants dans leur travail scolaire et ils leur donnent volontiers directives ou recommandations dans ce sens. En fait, ce qui est demandé aux parents, c’est de renforcer et prolonger le travail de l’école : "la maman la fait beaucoup travailler, et dans mon sens, c’est-à-dire qu’elle lui fait refaire, il y a un travail continu". En cela, les attentes à l’égard des parents d’enfants intégrés ne différent pas de celles que l’on a envers l’ensemble des parents.

Cependant, les relations ne sont pas toujours satisfaisantes, du point de vue des enseignants. Sur ce point encore, les parents d’enfant handicapés ne se différencient pas des autres. C’est avec les familles privilégiées, qui sont en convergence d’intérêts, d’attitudes avec l’école, que les enseignants parviennent le plus facilement à établir des relations qu’ils jugent positives. Ces parents se montrent actifs et ouverts dans les contacts, ils manifestent leur intérêt pour l’école et sont prêts à prendre le relais, une entente s’établit avec eux : "les parents ont toujours été partie prenante de l’école". Les relations sont en général plus difficiles avec des familles populaires qui ne cherchent pas ou fuient le contact, ne semblent pas s'intéresser au travail scolaire, ne le suivent pas de façon jugée adéquate ou ne reconnaissent pas le travail de l’école : "la mère essaie de la faire travailler, mais malgré sa meilleure volonté, elle ne voit pas toujours ce qu’il y a à faire".

La présence d’un handicap chez un élève semble ainsi inciter les enseignants à porter un plus grand intérêt aux relations avec ses parents. Mais cela ne leur évite pas de se trouver confrontés aux mêmes écueils qu’avec les autres familles. L’instauration de relations différenciées en fonction de l’existence ou non de valeurs partagées risque en effet de pénaliser les enfants de milieux populaires dont les parents ne s’investissent pas dans la démarche d’intégration d’une façon souhaitée par l’école.

Il apparaît ainsi que, dans les conditions habituelles de fonctionnement, les actions d’ouverture de l’école, qu’elles visent à favoriser les apprentissages des élèves en difficulté ou l’intégration des enfants handicapés, profitent essentiellement aux familles de milieux aisés. Est-il possible d'entrer en contact avec les parents de milieux populaires, de les introduire dans ce système d’échanges, de leur permettre d’en être partie prenante ?

Des actions pour faciliter l’abord de l’école

A partir de différentes recherches, menées avec des enseignants engagés dans cette voie, il est possible de caractériser quelques types d’actions permettant d’établir le contact avec ces parents et de leur rendre l’école plus abordable.

La multiplication et la diversification des occasions de rencontre, formelles ou informelles, individuelles ou collectives, augmente les chances de toucher toutes les familles. Les parents osent venir à l'école quand ils s'y sentent bien accueillis. Cela nécessite une disponibilité de la part des enseignants, ainsi qu'une souplesse dans l'organisation de l'école : par exemple, possibilité pour les parents d'entrer dans l'école, moments prévus pour les rencontres, moments d'accueil des parents dans les classes... Des manifestations conviviales où chacun se sent reconnu et accepté sont également l'occasion pour certains parents de se familiariser avec l'école dans un contexte détendu. Des démarches spécifiques peuvent s'avérer utiles pour atteindre les familles les plus éloignées de l'école : téléphone, rencontres dans le quartier ou à domicile...

Des actions en lien avec le quartier, tout en donnant aux enfants l'occasion de s'approprier leur environnement, permettent de situer l'école, de lui donner une existence dans le quartier. C'est ainsi qu'une école de banlieue développe différents projets, au travers desquels se font les apprentissages scolaires : enquêtes auprès de différentes structures du quartier (crèche, cuisine municipale), rallye pédestre, décoration de vitrines, panneaux explicatifs pour le parc municipal... Dans les quartiers défavorisés, des actions orientées vers la découverte et l'exploration des ressources existantes constituent une reconnaissance par l'école du milieu et des conditions de vie des enfants. Par exemple, en ZEP, des classes effectuent reportage photos, recueil de témoignages et poèmes sur le quartier, exposition de tapis appartenant aux familles... Ces actions où le travail effectué par les élèves est rendu visible aux parents, sont ainsi l'occasion d'une reconnaissance de l'école par le quartier (Doray, 1989).

La création d'un réseau de relations entre parents autour de l'école, qu'il résulte des occasions de rencontre offertes par l'école ou soit lié à la vie associative locale, permet aux parents de parler entre eux de l'école, de s'informer mutuellement, de se sentir moins seuls face aux enseignants. Il constitue pour certains une première approche de l'institution.

L'intervention de personnes ou structures relais qui font le lien avec l'école peut également aider à dissiper les malentendus. Elles sont un moyen d'information, pour les parents, sur l'école, les pratiques mises en œuvre et, pour l'école, sur les demandes, interrogations et habitudes des parents. C'est ainsi que, dans le cadre d'un travail en collaboration avec une enseignante, les rencontres individuelles des chercheurs avec les familles ont permis aux parents de comprendre les objectifs de la maîtresse, la valeur pédagogique de certaines activités, et à l'institutrice de découvrir le fort intérêt des parents pour l'école, leur demande d'apprentissage, les possibilités d'aide familiale aux enfants (Chauveau, 1992). C'est par le biais d'associations de quartier que sont parfois transmises à l'école la demande de parents. Certains établissements s'appuient sur des "parents-relais", bien insérés dans le quartier, qui expliquent aux familles en marge de l'école ce qui s'y passe, les incitent à s'y rendre, les aident à suivre la scolarité de leurs enfants et sont leur porte-parole auprès des enseignants (Dannequin, 1992).

Les fondements de la communication

Les différentes recherches citées permettent également de dégager quelques principes directeurs pour parvenir à une communication avec les familles habituellement à l'écart de l’école et déboucher sur une collaboration éducative.

Souci de transparence, de lisibilité de l'école

En premier lieu, il apparaît important que les parents soient informés des actions menées à l'école et de leurs objectifs, et ceci d’une façon claire et compréhensible pour tous, et tout spécialement pour ceux pour lesquels elle ne l'est pas d'emblée. Puisque certains parents n'osent pas venir aux réunions, d'autres moyens s'avèrent nécessaires. Montrer est souvent plus efficace que d'expliquer. C'est ainsi que peuvent être organisées, par exemple, des "classes ouvertes" où la possibilité est donnée aux parents de passer un moment dans la classe de leurs enfants ou qui donnent lieu à une présentation du travail effectué par les élèves. Ces moments sont l'occasion de discuter avec les parents et d’avoir des contacts individualisés avec eux.

Prise en compte des préoccupations des parents par rapport à l'école

La lisibilité de l'école ne sera effective que si, dans cette démarche d’information, les parents se sentent autorisés à demander des éclaircissements, à exprimer leurs doutes et inquiétudes concernant le fonctionnement de l'école et s'il est répondu à leurs interrogations par un effort d'explicitation. Cette prise en compte de leurs préoccupations peut amener l'école à infléchir certaines de ses pratiques en fonction des réactions des parents, de façon à se rendre davantage compréhensible et à leur permettre une certaine prise sur le travail de leurs enfants. Certains enseignants utilisent ainsi dans leur pratique des acquis familiaux (alphabet, majuscules) ou réintroduisent des manuels scolaires dont l'absence inquiète une partie des parents. Dans un quartier à forte population immigrée, un accueil progressif en maternelle a été aménagé, de façon à tenir compte des habitudes familiales de coucher tardif (Mouvet, 1994).

Centration sur les apprentissages

Tous les parents attendent de l'école qu'elle apprenne à leurs enfants. Or, certains d'entre eux sont désorientés par certaines activités, comme les sorties, les ateliers, les fêtes, dont ils ne saisissent pas bien l'intérêt pédagogique. C'est en rendant visible le travail des enseignants pour assurer les apprentissages, en expliquant les méthodes utilisées, surtout quand elles diffèrent de ce que les parents ont eux-mêmes connu, que l'école peut donner confiance en ce qui concerne la réalisation de sa mission : la transmission des connaissances.

Évaluation avec les parents

Les parents ont également besoin d'être rassurés sur le travail effectué par leurs enfants et les progrès réalisés dans les apprentissages. Pour cela, il est important que l'école leur fournisse des repères, des traces écrites qui leur permettent de suivre le travail de leurs enfants (cahiers, bilans, documents d'évaluation accessibles à tous), en particulier dans le cas de pratiques nouvelles où les apprentissages peuvent ne pas être directement visibles pour des parents non avertis. Cela implique que les enseignants acceptent, à travers l’évaluation des acquis des élèves, de rendre compte de leur démarche pédagogique et de son efficacité.

Conclusion : vers une démarche de co-éducation avec les parents

La mise en œuvre de telles pratiques en direction des familles suppose un renversement d’attitudes de la part des enseignants. De façon générale l’école a en effet tendance à ne pas reconnaître les parents dans leur capacité éducative. On les soupçonne de ne pas remplir leur rôle, on leur reproche de démissionner face à leurs enfants et de se décharger sur l’école (Montandon, 1991). Au début du siècle, l’école avait explicitement, à travers les élèves, un objectif d’éducation des familles populaires, qui réapparaît actuellement sous des formes renouvelées, à l’égard du public des quartiers en difficulté. Ces parents sont soumis à des attentes contradictoires. On leur demande d’aider leurs enfants dans leur scolarité, tout en doutant de leur capacité de le faire de façon adaptée (Glasman, 1992). En fait, ce qui leur est demandé, c’est de se conformer au modèle éducatif des classes moyennes qui ne correspond pas forcément à leur représentation de l’école.

Les expériences étudiées dans le cadre des recherches citées reposent sur une autre démarche. Elles tentent, non pas de former les familles, ni de leur dicter leur conduite, mais au contraire de tabler sur leurs possibilités éducatives. Elles visent à construire avec eux un partenariat, c’est-à-dire à les associer à une réflexion éducative, à rechercher avec eux comment chacun peut concourir aux apprentissages des enfants. On peut ainsi discuter avec les parents des possibilités concrètes d'aide, de l'aménagement du temps de travail à la maison ou de la façon dont ils pourraient participer à certaines activités des classes. Cela suppose également que les conflits ou désaccords soient explicités et discutés de façon à rechercher des accommodements compatibles avec les préoccupations des deux parties.

Une telle reconnaissance des parents en tant que co-éducateurs ne va pas de soi. Elle va à contre courant de la méfiance générale de l’école à l’égard de l’extérieur. Il semble difficile d'y parvenir sans un travail en équipe des enseignants. L’attention est actuellement attirée sur l’intérêt d’une collaboration entre adultes en vue d’une amélioration des pratiques éducatives (Perrenoud, 1994) et l’efficacité des écoles qui développent une "culture de coopération" est reconnue (Gather-Thurler, 1994). La construction d'un projet pédagogique commun et d'une cohérence éducative au sein de l'école, la recherche collective de solutions pédagogiques sont source d’un renforcement professionnel pour les enseignants. Ils en tirent une nouvelle assurance dans leur capacité à remplir leur mission. Ils peuvent dès lors se confronter plus sereinement à d'autres partenaires et prendre le risque d’exposer leur démarche pédagogique au regard extérieur. Une position commune et argumentée dans une visée d’apprentissages pour tous les enfants suscite la confiance et l'adhésion des parents et contribue ainsi à la décrispation des relations.

Il semble que c’est par des pratiques systématisées d’ouverture de l’école pour la rendre accessible et y permettre l’expression de tous, que les parents de milieux populaires peuvent y trouver une place. L’école peut y gagner si l’avis et les réactions des parents ne sont pas considérés comme des remises en question mais utilisés comme des moyens de régulation de son action éducative.

Brigitte Belmont (CRESAS-INRP)