Gérard Chauveau et Eliane Rogovas-Chauveau

Relations école familles populaires et réussite au CP

Revue française de pédagogie, N°100, Juillet-Août-septembre 1992, p.5-18

L’article s’intéresse à un " nouvel objet " de la sociologie de l’éducation : l’interface école/familles. Il met en évidence le lien entre les difficultés d’apprentissage au cours préparatoire et les perturbations des relations école/familles populaires : contresens réciproques, malentendu pédagogique, doubles méprises... Ces résultats suggèrent que la dynamique, à la fois sociale et cognitive, à l’œuvre au sein du triangle enfant-école-parents est au cœur des processus d’acquisition des " savoirs fondamentaux ".

Prés de 25 % des élèves de cours préparatoires obtiennent des résultats faibles ou insuffisants en lecture-écriture. Les trois quarts d’entre eux sont d’origine populaire. Pourquoi un enfant d’ouvrier sur trois est-il en difficulté dès la première année de scolarité obligatoire ? Comment expliquer les disparités scolaires précoces entre groupes socio-culturels : 4 % environ d’insuccès dans la maîtrise du lire-écrire au CP chez les enfants de milieu favorisé contre 50 % chez les enfants d’ouvriers non qualifiés ? Les explications classiques mettent en avant trois sortes de facteurs les caractéristiques de l’enfant, celles de la famille (et du milieu sociofamilial), les aspects institutionnels et pédagogiques. Quelques études ont essayé d’évaluer le poids respectif de ces trois grandes variables (Mingat, 1991). Pendant plus de vingt ans, la sociologie de l’échec scolaire s’est partagée entre " une sociologie de l’élève (et de son milieu familial) et une sociologie de l’école (Forquin, 1982).

Une autre voie consiste à s’intéresser aux interactions entre les trois pôles principaux de l’activité d’enseignement/apprentissage au CP : l’enfant-élève, l’école et la famille. Il s’agit d’aller au-delà des études de corrélation et des mises en cause successives de l’enfant, de l’institution scolaire et de la famille en tentant d’appréhender "  le drame " lui-même — " ce drame où s’invente une histoire dont le texte n’est pas établi d’avance " (Touraine, 1978).

Pour comprendre la (non) réussite scolaire des jeunes enfants de milieu populaire, il ne suffit pas de dégager les traits de chacune des forces en présence, il faut aussi prendre en compte la dynamique qui existe entre elles. C’est ce que propose l’écologie de l’éducation : " Les conditions et les méthodes d’acquisitions dans un cadre éducatif sont fonction d’un ensemble de forces ou de systèmes à deux niveaux. Le premier intéresse les rapports entre les caractéristiques des élèves et leurs environnements habituels (maison, école, groupe d’âge, voisinage, communauté...). Le second englobe les rapports et les liens entre ces types d’environnement ". L’examen de " ces deux ensembles de relations et leur influence sur l’acquisition des connaissances " est par conséquent " essentiel " (Bronfenbrenner, 1981).

Quels sont les effets cognitifs du rapport école! familles populaires? En quoi " le jeu à trois " enfant-école-famille intervient-il dans les progrès et les performances scolaires des écoliers de six ans d’origine modeste ? Quel est le lien entre les mécanismes sociaux et culturels effectivement à l’œuvre dans ce " triangle socio-pédagogique " et le rendement scolaire, voire intellectuel, des élèves de CP ? C’est ce que nous avons tenté de mieux comprendre au cours de deux études " qualitatives ".

I-LA CONSTRUCTION SOCIALE DE L’ÉCHEC PRÉCOCE

Notre hypothèse était que les perturbations de la scolarité vécues au CP par de nombreux élèves des couches populaires sont le plus souvent associées à des perturbations de la relation école-familles. Elles seraient une composante des rapports sociaux-éducatifs " désaccordés " ou " morbides " établis entre les acteurs locaux du champ scolaire (professionnels et usagers) relations de domination ou d’exclusion, stigmatisations, conflits, ruptures culturelles, incompréhensions, peurs, méfiances, refus... Cette " communication négative " — dont l’insuccès scolaire serait la manifestation la plus visible —aurait lieu à deux niveaux : le micro-local (le trio enseignant-élève-parents) et le local (le rapport établissement scolaire — milieu local dans les " zones défavorisées "). Au lieu d’être " les partenaires habituels " de l’école dont parlent certains textes officiels de l’Education nationale, nombre de parents d’écoliers décrits comme désavantagés et en difficulté (se) sont mis sur la touche " ou " marginalisés " (Tedesco, 1979 de Queiroz, 1981 ; Beimont et Breton, 1984 Henriot-Van Zanten, 1990; Devaux, 1990), processus social-institutionnel qu’on ne saurait dissocier de la mauvaise scolarité et de " l’exclusion du savoir " (Grootaers, 1980) de leurs enfants. L’examen in vivo de la nature et des modalités de cette communication — entendue au sens de " communication sociale " (Bachmann et al., 1981), c’est-à-dire ce qui relève, non de la bonne ou mauvaise volonté des personnes et de difficultés techniques ou inter-subjectives, mais de facteurs sociologiques tels que les positions et dispositions sociales des acteurs individuels ou collectifs en présence (de Queiroz, 1982) — devrait nous aide à expliquer " l’échec ordinaire " qui touche une fraction importante d’enfants de travailleurs manuels dès le CP.

    1. Etude 1 (niveau micro-local) : des études de cas.

Nous avons observé des enfants d’ouvriers signalés en difficulté par les maîtres de CP. Mais a lieu de nous focaliser sur " l’enfant-problème ", notre attention s’est portée sur " la situation-problème ", c’est-à-dire sur les conditions sociales de l’acquisition du lire-écrire " vécue " par l’enfant l’école et à la maison.

La méthode utilisée — que nous appelons clinico-ethnographique — consiste

  1. à observer le comportement scolaire de l’enfant face à l’apprentissage de la lecture ainsi que les attitudes de intervenants adultes entre eux et envers l’apprenti lecteur,
  2. à réaliser des entretiens avec chacun des protagonistes à propos des difficultés de l’enfant.

Nous avons retenu ici quatre cas pour leur va leur d’exemples types ; même si ce petit échantillon n’est pas représentatif (au sens statistique du mot), il nous semble significatif, c’est-à-dire riche de sens pour rendre plus intelligible " l’alchimie sociale " qui produit une partie des échecs dan les premiers apprentissages.

Anne: A la mi-janvier, l’institutrice envisage déjà le redoublement." Je ne sais pas si je pourrai l’éviter. Anne est une élève facile : elle est douce elle ne fait pas de bruit. Mais elle a trop de mal à suivre. Et puis, elle n’est pas soutenue à la maison. Les parents ne sont même pas venus à la réunion que j’ai faite en début d’année ".

Au cours de l’entretien que nous avons avec elle, Anne nous explique que pour apprendre à lire " il faut être sage et gentille avec la maîtresse ".

    • Et qu’est-ce qu’il faut faire encore?
    • Je te l’ai déjà dit.

Puis elle explique que ceux qui apprennent mal " sont des vilains ". Et elle parle alors avec force détails d’un Mikaël " qui est vilain ".

Lorsque nous rencontrons les parents, ils insistent à plusieurs reprises sur les consignes qu’ils donnent à leur fille : " Tu dois bien faire attention t’appliquer, écouter la maîtresse... Anne est un peu tête en l’air ! " Ils évoquent le suivi scolaire à la maison en termes de contrôle et de surveillance : " On regarde si ses affaires sont bien rangées, si le cahier est propre... ". Ils n’ont pas conscience des risques de redoublement : " On fait confiance à la maîtresse, elle connaît son métier... Si Anne fait des efforts, ça devrait aller ".

L’observation de quelques séquences de lecture en classe fait apparaître une organisation socio-pédagogique " traditionnelle ". Les relations maîtresse-élèves sont autoritaires et verticales ; seule l’enseignante a le droit de questionner ; les échanges entre enfants sont quasi inexistants. Les principes du " chacun pour soi " et " du bien ou mal" régissent la majorité des activités : les situations d’apprentissage tout comme les moments " intermédiaires " (sorties, déplacements...) donnent lieu à une séparation constante des élèves on bons/mauvais, récompensés/blâmés ; par exemple, le bon point et la remontrance sont distribués aussi bien pour sanctionner une réponse ou un exercice, que la tenue dans les rangs.

Ainsi, l’intervention de l’enseignante et celle des parents se conjuguent pour induire chez Anne à la fois crainte de la relégation (la menace de " tomber chez les vilains ") et fausse conscience (la confusion entre conduite cognitive et comportement moral). Elle est l’objet d’un travail " de division — qui oppose bien/mal, bons/mauvais —et de brouillage — qui rend opaques les aspects cognitifs des acquisitions scolaires. Elle n’a saisi qu’une moitié de son métier d’écolier : elle a compris son statut de subordonné mais pas du tout son rôle d’apprenant.

Maria: Après deux CP ratés, elle a été placée en classe de perfectionnement. Vers la Toussaint, le premier carnet scolaire indique " Peu d’efforts, peu de progrès, ne sait pas lire couramment ". La mère (Mme A., femme de ménage, portugaise) fait quelques ménages chez Mme B. professeur. Au cours d’une conversation, Mme A. fait part des soucis qu’elle a à cause de la mauvaise scolarité de Maria. Mme B. lui donne deux conseils : aider Maria à lire le soir à la maison et aller parler à l’institutrice. Etonnement de la maman qui ne pensait pas que " c’était utile " et encore moins " qu’il fallait le faire ". Cette double conduite est mise en application par Mme A. et porte ses fruits : six semaines plus tard, les progrès scolaires de Maria sont manifestes et les appréciations de la maîtresse positives.

Jusqu’ici, " l’absence " de participation des parents de Maria à la vie scolaire était en fait l’application d’une règle simple : " la maison c’est la maison, l’école c’est l’école; les parents doivent faire confiance aux enseignants et ne pas se mêler de leur travail ". Ce modèle culturel des rapports école-famille — largement répandu dans certaines couches populaires, notamment chez les immigrés — est à l’opposé de celui des enseignants pour lesquels " les bons parents d’élèves sont ceux qui apportent une aide scolaire à leur enfant et qui dialoguent avec les maîtres ". En croyant bien faire, la mère " jouait deux fois " contre sa fille. Premièrement, elle se distinguait des " parents qui savent " et mettent en place des stratégies payantes : visites à l’enseignant et préceptorat familial. Deuxièmement, son attitude était mal interprétée et dévaluée par les professionnels de l’éducation : " Ces parents se désintéressent de l’école et de la scolarité de leur fille ".

L’échec de Maria apparaît ainsi comme le résultat d’un processus complexe de mise hors jeu qui touche conjointement l’enfant et sa mère. Le manque d’informations de celle-ci sur son rôle d’auxiliaire pédagogique et sur les règles implicites de l’école entraîne de sa part une stratégie scolaire peu efficace. Parallèlement, les enseignants font appel aux thèses défectologiques — déficience culturelle ou psychologique de l’enfant et de son milieu — pour expliquer le problème rencontré.

Sylvie : La maîtresse nous la " signale " pour ses difficultés dans l’apprentissage de la lecture et sa grande timidité. Au cours d’une séance individuelle de lecture que nous lui proposons à la mi-CP, Sylvie se lance d’abord dans une production de sons et une syllabation pénible du texte qui délaisse toute recherche du sens. " Je lis comme avec maman, nous explique-t-elle ". Au second essai, après avoir écouté nos remarques (" lire c’est comprendre "), elle regarde l’image qui accompagne le récit, repère deux ou trois mots imprimés puis invente une histoire. Elle se justifie en disant : " Je lis comme avec la maîtresse ".

Dans les jours qui suivent, nous avons un entretien avec l’institutrice et un autre avec la mère. Toutes les deux se montrent très agressives et accusatrices. " C’est la faute de la mère, dit la maîtresse. J’utilise une méthode de lecture par le sens. Je l’ai expliquée aux parents pour qu’ils agissent comme nous. Mais la mère de Sylvie fait chaque jour des exercices de b-a-ba. Je lui ai demandé d’arrêter car ça perturbait complètement Sylvie. Rien à faire ". De son côté, la mère dénonce avec vigueur " la méthode globale " de la maîtresse. " Ça fabrique des enfants qui lisent mal et écrivent n’importe comment. Ils n’apprennent même pas les lettres. Nous, nous avons appris à lire avec la méthode b-a-ba. C’est ça qui convient à Sylvie, je crois. J’ai voulu en parler à la maîtresse et à la directrice. Rien à faire ! "

On peut interpréter les difficultés en lecture de Sylvie comme l’effet de la discordance relationnelle et didactique entre les deux lieux d’apprentissage (l’école/la maison) et entre les deux principaux formateurs (la maîtresse/la mère). Sylvie se trouve au centre d’un conflit socio-pédagogique qu’elle ne peut surmonter. La perturbation des rapports école/famille, à la fois sociale (opposition de deux institutions, de deux catégories socioculturelles) et pédagogique (opposition de deux conceptions de l’apprentissage de la lecture), semble à la base de la perturbation socio-cognitive de Sylvie : celle-ci s’adapte mal à l’école (malaise, anxiété, inhibition) et en même temps met en place une conception erronée de l’activité de lecture (opposition entre un savoir-lire domestique et un savoir-lire scolaire). L’enfant devient un apprenant écartelé qui ne sait pas quel guide choisir (la mère ou l’enseignant), ni quelle conduite adopter pour lire (combiner des lettres-sons ou deviner l’histoire). Elle oscille de l’un à l’autre, incapable de " recoller les morceaux ", de concilier les deux référents adultes (la mère et la maîtresse) et les deux démarches cognitives (déchiffrer et anticiper) qui lui sont présentées comme incompatibles.

Thierry : Il redouble le CP et a été orienté vers un centre médico-psychopédagogique (CMPP) à cause de " gros problèmes en lecture-écriture " et de " troubles du comportement " (instable, opposant). Lors de notre premier entretien, Thierry a l’air désorienté et gêné par nos questions : il ne saisit pas ce qu’on attend de lui ni ce qu’il doit faire pour bien faire.

Pour les instituteurs, " le problème c’est Thierry " qui leur paraît perturbé sur les plans affectif et intellectuel. "  C’est aussi les parents " qui, d’après eux, s’occupent mal de leur enfant, s’opposent à l’école et ne veulent rien entendre. Les parents ont un discours tout à fait symétrique.

" Le problème c’est les maîtres " ils ne comprennent pas Thierry, ils l’ont pris à rebrousse-poil, ils ne les aiment pas, eux les parents. D’après un animateur périscolaire qui connaît bien Thierry, " le problème c’est l’école ", institution norme qui ne tolère pas les différences, structure conservatrice qui fabrique de l’exclusion. Enfin, pour le psychothérapeute, " le problème c’est la famille " : il parle de relations intrafamiliales dysharmoniques et de situation œdipienne mal résolue.

Ce qui frappe d’abord, c’est la cacophonie des explications : il y a autant de conceptions hétéroclites et contradictoires que de protagonistes. C’est ensuite la dénonciation mutuelle des intervenants : chacun a tendance à dire que " c’est la faute de l’autre ". On assiste à une sorte de jeu de ping-pong où chaque acteur se renvoie la balle. Thierry se trouve renvoyé de l’un à l’autre et ballotté dans tous les sens. On remarque en outre que cette dynamique éducative chaotique n’est pas seulement le résultat de relations personne incohérentes ou conflictuelles. C’est aussi l’effet de structures éducatives fermées (" bornées ") qui ne peuvent que répéter leur logique interne préétablie et leur " langue de bois " catégorielle ou institutionnelle.

B) Etude 2 (niveau local) : des études de terrain

Nous avons essayé d’analyser le lien existant entre dynamique scolaire et dynamique sociale d’un quartier populaire (Henriot et Léger, 1985, Chauveau et Duro-Courdesses, 1989) en nous intéressant plus particulièrement à l’influence rapports école/milieu local sur le rendement scolaire. L’examen des contradictions, voire des antagonismes, entre acteurs locaux (d’un côté " équipes " d’enseignants, de l’autre " la communauté " ou le milieu socio-familial) devait, pensions-nous, nous éclairer sur la mise en échec nombreux enfants.

L’une des méthodes consiste à étudier " des moments forts " de la vie d’un établissement scolaire et de ses relations avec " le quartier " : par exemple, les conditions de la rentrée scolaire, rédaction d’un projet d’école, une action de formation (stage d’école ou de terrain), une rencontre-débat avec des parents ou des habitants. L’observation de ces "  périodes sensibles " permet de saisir des tensions ou des ruptures qui, le reste du temps, sont souvent souterraines et non dites. C’est dans ces circonstances particulières, " extra-ordinaires ", que se révèlent le mieux les caractéristiques du contexte socio-scolaire et leur impact sur les processus d’enseignement d’acquisition des savoirs. Nous avons appliqué cette méthode — l’étude ethnologique de situations non quotidiennes — à des écoles de ZEP connues pour leur taux élevé d’insuccès scolaires. En voici deux illustrations.

- Ecole A : Au cours d’un stage d’école, des formateurs invitent les enseignants à analyser les résultats — " globalement médiocres " — de l’évaluation effectuée au début CE2. La plupart d’entre eux ne décrivent le milieu socio-familial et le quartier (une ZUP) qu’en termes de manques, de carences ou de handicaps. Les explications " misérabilistes " s’accumulent. On cite plusieurs cas d’enfants délaissés, mal nourris ou maltraités; on se plaint des parents " qu’on ne voit jamais " on évoque l’abus de télévision ; on met en avant les déficiences linguistiques des adultes : " ils ne parlent pas français ", "  ils ne savent pas lire ". Le directeur conclut les débats en disant : " On est obligé de faire du social, ce qui n’est pas notre rôle, mais on n’en a pas les moyens ".

La même semaine, une petite équipe de prévention sociale organise une réunion pour " les femmes du quartier " sur le thème de l’école et de la scolarité de leurs enfants. La majorité des vingt mères présentes manifestent avec vivacité leurs critiques et leur amertume : " C’est comme pour le reste, on nous donne les plus mauvais enseignants ", " qui voudrait venir travailler ici ? ", " quand nos enfants n’ont pas cours, on ne sait même pas pourquoi ", " je connais des gens qui ont refusé d’envoyer leur enfant à A, il y a bien une raison ", " pourquoi font-ils moins de français et de mathématiques à l’école A qu’à l’école M ? Je ne comprends pas ça ", " les enfants ne sont pas assez tenus, beaucoup de maîtres ne s’intéressent pas à eux ".

- Ecole B : A la rentrée scolaire, les différents établissements scolaires de la ZEP du Grand T. rédigent leur projet d’école. Les instituteurs de B écrivent en introduction de leur document. " L’école B est située dans un quartier très défavorisé où sévit (sic) le chômage, la drogue, la délinquance, la violence, bref la misère. (...) Les enfants manquent dans leur famille de stimulations verbales et sensorielles, leur niveau de langage est extrêmement faible, etc. ".

Lors d’une réunion du conseil de la ZEP qui a pour but de coordonner les projets d’établissement et d’établir un projet de zone, l’un des deux représentants de B affirme que dans son école " un élève et demi par classe lit vraiment après deux ans ". Il y voit la preuve " qu’il est tout simplement impossible d’apprendre à lire " dans le quartier du Grand T.

Dans le même temps, 22 familles du secteur (sur 56 soit près de 40 %) demandent une dérogation pour leur enfant à l’entrée du CP. D’autres parents s’adressent à la mairie ou à l’inspection de l’Education nationale pour se plaindre de certains enseignants de B et affirmer que les enfants y sont " mal enseignés ".

Certes les situations des écoles A et B peuvent sembler bien singulières, voire caricaturales. Nous pensons plutôt qu’elles mettent clairement en évidence un phénomène fréquent mais souvent moins visible ou moins intense : le rejet mutuel, l’accusation réciproque entre enseignants et milieu local coïncident avec une faible efficacité pédagogique de l’établissement scolaire. Plusieurs études réalisées dans des ZEP urbaines fournissent des indications concordantes avec notre analyse des " écoles à problèmes ". Les unes relèvent la prépondérance de " l’idéologie du handicap socioculturel " (Rochex, 1988) chez les enseignants (voir aussi Testanière, 1985 ; Doray et Rogovas-Chauveau, 1989; Galeyrand, 1989; Payet, 1991). D’autres signalent que les habitants sont enclins à penser que " de même que le quartier a hérité des logements les plus médiocres, il a récupéré les écoles et les enseignants les plus médiocres " (Delarue, 1991, p. 163). Quelques-unes décrivent " la spirale infernale " de l’échec : manque de personnels stables et qualifiés, prolifération des structures spéciales et dévalorisées, échange de points de vue stigmatisants, fuite des parents " avertis ", augmentation du taux d’élèves en difficulté, fuite des enseignants (Léger et Tripier, 1986).

Cet ensemble d’éléments suggère que les rapports école/milieu local constituent une variable importante de la réussite scolaire dans les quartiers " fragiles ". En particulier, l’examen des relations sociales école/familles populaires et celui des dynamiques éducatives locales semblent être des passages obligés pour mieux comprendre pourquoi tant d’enfants de milieu populaire échouent au moment des apprentissages scolaires de base.

Nos études 1 et 2 tendent à montrer que "  les ratés " de l’apprentissage sont, dans de nombreux cas, indissociables des " ratés " dans l’interaction éducative enfant-école-famille. Les dysfonctionnements de cette relation triangulaire semblent au cœur de l’insuccès scolaire qui frappe les catégories socio-économiques " défavorisées ". Nous avons vu, par exemple, que les difficultés de Maria ne pouvaient être séparées des mécanismes de marginalisation scolaire dont elle et sa mère étaient à la fois objets et coauteurs. Ou que " le va-et-vient des dénigrements " entre les enseignants et les parents était étroitement lié à l’échec massif enregistré dans les écoles A et B.

Mais nous avons aussi remarqué que c’est parfois la conjonction des stratégies pédagogiques inadéquates des enseignants et des parents qui paraît mettre en difficulté le jeune écolier et l’entraîner dans une impasse (voir Anne).

DISCUSSION

L’interface école/familles populaires paraît être un lieu d’observation privilégié pour appréhender la genèse de l’échec dans les savoirs scolaires premiers. C’est, semble-t-il, dans les points de contact et de friction, dans les zones de frottement et d’échange entre ces deux " lieux de vie ", entre ces deux structures éducatives, entre ces deux univers socioculturels que " se fabrique " une part importante de la non-réussite au cours préparatoire. Quelques auteurs voient même dans les conflits et les contradictions entre enfant et école — mais ne peut-on pas y inclure les parents ? — " l’origine première des difficultés d’apprentissage " (Fijalkow, 1986, p. 191-200). " Le nœud du problème " se situerait " dans les interactions enfant-école " (idem, p. 184) — mais ne s’agit-il pas plutôt des interactions enfant-école-famille ?

Une erreur fréquente consiste à vouloir expliquer les difficultés d’acquisition au cours préparatoire sans tenir compte des conditions réelles de scolarité. On recherche alors les causes de l’insuccès dans un " ailleurs " qui peut être temporel (le passé de l’enfant) ou spatial (la famille, l’appareil scolaire, l’environnement socio-économique). La seconde erreur est " la pensée alternative " qui se centre tour à tour sur les facteurs scolaires-pédagogiques, sur les facteurs socio-familiaux et/ou sur les caractéristiques de l’enfant. On étudie soit les processus de différenciation et les disparités internes à l’école, soit les attitudes et les stratégies propres à la famille ou à la " communauté ". Une troisième erreur consiste à proposer une vision " topographique " des mécanismes sociaux et éducatifs. On se limite à mesurer (?) " la distance " sociale ou culturelle entre le milieu " scolaire " et " le milieu " de l’enfant. On traite les rapports sociaux en simples rapports spatiaux, on " fige la dynamique sociale et (on) la réduit à une topographie socioculturelle ". (Charlot, 1990, p. 15).

Nos observations suggèrent que l’étude de la liaison inégalités scolaires précoces/appartenance sociale doit passer par celle des liaisons école/familles populaires, c’est-à-dire, l’investigation des rapports de force (construction des statuts et pouvoirs) et des rapports de sens (jeu des représentations symboliques) qui s’installent " pour de vrai " entre les acteurs " en chair et en os " de la scène scolaire. Pour comprendre pourquoi tant de jeunes écoliers des classes populaires ont " des problèmes " au CP, il est probablement nécessaire d’identifier les connexions et les inter-relations école/familles " qui font problème ". Pour appréhender l’échec massif de ces enfants, l’un moyens — peut-être le meilleur — est d’analyser en même temps la nature des rapports qu’entretiennent les parents, généralement peu scolarisés et peu qualifiés, aux enseignants de leurs enfants et le rapport du maître à ces familles " à risques scolaires ".

Les quelques exemples que nous avons présentés suffisent à montrer la diversité des scénarios possibles. Il y a parfois un conflit ouvert qui est associé aux difficultés de l’élève : les heurts, mésententes, désunions, oppositions sont manifestes, les " refus de l’autre ", sont partagés (par ex. Sylvie, Thierry). Dans d’autres cas, on assiste à des convergences — au moins partielles — qui se révèlent contre-productives (par ex. Anne). Le plus souvent, ces dynamiques triangulaires négatives (ou pathogènes) sont complexes : s’y mêlent des attitudes de dévalorisation de la part des enseignants et d’auto-dévalorisation chez les enfants et les parents (Lurçat, 1976), la difficulté de ceux-ci à comprendre le fonctionnement l’école et les apprentissages fondamentaux (Berstein, 1975 ; de Queiroz, 1981 ; Coulon, 1987) l’absence de connivence entre enseignant et familles (Breton, 1981 ; Zimmermann, 1982, Plaisance, 1985; Isambert, 1985), la mise à l’écart des parents (Tedesco, 1979; Breton et Belmont 1984).

Chacun de ces mécanismes de " l’échec en train de se faire " a été parfois étudié séparément et mis en avant comme " cause " de l’insuccès, il semble, qu’en réalité, ils forment un ensemble — un système de variables (Reuchlin, 1990) ou un réseau de facteurs (Accardo, 1991) — seul capable de rendre compte des interactions école/familles et de leur impact sur la réussite au CP.

Ces "  examens cliniques " (ou micro-ethnographiques) permettent également de noter l’imbrication des aspects sociaux et cognitifs. " L’étiquetage " réalisé par les enseignants va de pair avec le manque d’informations des parents sur l’institution scolaire, avec leur insuffisante compréhension des pratiques pédagogiques et des " règles de jeu " de la réussite scolaire (Mauvy, 1988). Les discontinuités, les retraits, les mécanismes de dévalorisation ou de discrimination, les rapports inégalitaires ne sont pas indépendants du degré de " désorientation " (de Queiroz) ou " d’intelligence institutionnelle " (Coulon) des parents. Mais ils ne sont pas non plus isolables de la (non) " compétence sociologique " des enseignants, c’est-à-dire de leur (mé)connaissance des milieux populaires. Autrement dit, les " mauvaises relations " sont aussi souvent faites de contresens réciproques. Ainsi, des parents pensent bien faire en ne se mêlant pas "  des affaires de l’école " tandis que les enseignants interprètent leur non-intervention comme la preuve de leur désintérêt (exemple Maria). Ou bien, les uns et les autres font une erreur de diagnostic simultanée : les premiers ne saisissent pas l’intérêt d’un enseignement de la lecture centré sur le goût de lire et le contenu des textes alors que les seconds mésestiment l’utilité d’une aide visant la maîtrise du code écrit (exemple Sylvie).

Bien sûr, on ne saurait oublier que toutes ces " mésintelligences ", ces " doubles méprises " ont elles-mêmes des sources sociales : l’histoire de la relation institution scolaire/milieux populaires, les rapports professionnels/usagers, les rapports classe moyenne " nouvelle "/classe ouvrière, les stéréotypes et les idéologies qui dominent le champ scolaire et les "  ethnocentrismes de classe ". Elles apparaissent " au milieu " de phénomènes micro-sociaux et dans des situations locales déterminées. Ce que nous vouions surtout souligner, c’est que les relations école/familles populaires ne comprennent pas que " du relationnel " et du " sociologique " ; elles ont aussi une dimension cognitive. De même que nous avons essayé de montrer que les " difficultés d’apprentissage " semblent autant socio-institutionnelles que cognitives, nous sommes amenés à penser que les "  interactions sociales " entre les parents populaires et l’école comportent des éléments conceptuels importants. Nos interrogations initiales (Quels sont les effets cognitifs de la dynamique sociale école/familles ? Quel est le lien entre contexte socio-scolaire et acquisitions fondamentales ?) méritent d’être revues et précisées. Nous ferons l’hypothèse que les ruptures — si souvent mentionnées par la sociologie et l’ethnologie de l’éducation — entre l’école et les milieux socio-familiaux populaires ne sont pas seulement sociales ou culturelles ; elles touchent également les logiques et la cognition des acteurs, c’est-à-dire " la capacité des sujets à donner un sens à ce qui leur arrive et à ce qui se passe dans l’environnement physique et social " (Perret-Clermont, 1988, p. 155) ; elles s’appliquent aux échanges " intellectuels " et sémantiques, aux prises de conscience et aux analyses de la " situation " (ou du " problème ") que font les différents protagonistes en présence. La division, la divergence et la partialité des interprétations, conceptions, compréhensions, raisonnements seraient — au même titre que la mise à distance ou en retrait, la non-reconnaissance sociale d’autrui, les catégorisations péjoratives, les discontinuités entre modèles culturels et éducatifs... — génératrices des difficultés scolaires chez les jeunes élèves d’origine populaire. Les " ruptures cognitives " — sous la forme de désaccords et de mésententes (Sylvie, Thierry) ou de malentendus (Anne, Maria) — seraient l’une des composantes principales des dynamiques éducatives négatives. Le contexte socio-institutionnel et les conditions sociales-culturelles ne suffiraient pas, à eux seuls, à expliquer " la qualité " des apprentissages scolaires effectués par les enfants au CP, il faudrait aussi prendre en considération " le contexte cognitif ", c’est-à-dire le jeu des raisonnements et des interprétations chez les acteurs (qui sont aussi des " êtres pensants ") intervenant quotidiennement auprès de l’enfant-écolier. Comment celui-ci pourrait-il apprendre et comprendre " les choses de l’école " si les définitions qu’en donnent ses éducateurs sont contradictoires ou incohérentes ? Comment pourrait-il éviter ou surmonter les confusions cognitives (à propos de qu’est-ce que lire, comment apprendre, pourquoi apprendre à lire-écrire) si les adultes qui l’entourent perpétuent contresens et malentendus ? Comment saurait-il se conduire " avec intelligence " au milieu de formateurs qui " vivent en mauvaise intelligence " ?

En résumé, l’une des principales variables explicatives de la réussite scolaire des enfants de la nouvelle classe moyenne (professions intellectuelles) serait la connivence —à la fois sociale, culturelle, cognitive— qui existe entre l’école et le milieu familial. En revanche, les discordances socio-cognitives (rejets mutuels, contresens réciproques, dissensions) fréquentes dans les rapports école/familles désavantagées, généreraient chez les enfants des troubles de relations avec les adultes (inhibition, instabilité) et des troubles des conduites d’apprentissage.

II. VERS UNE " ÉCOLE DE LA REUSSITE POUR TOUS "

Nous avons voulu montrer que les dysfonctionnements de la communication sociale entre l’école et les familles semblent un déterminant important de l’insuccès scolaire au CP chez des enfants de catégories sociales " désavantagées ". La difficulté d’apprentissage apparaît dans de nombreux cas liée à un "  éclatement " de l’espace éducatif de l’enfant, notamment à des ruptures sociales et cognitives qui traversent le triangle élève-école-familles. On peut penser, qu’à l’inverse, la mise en place d’une dynamique socio-cognitive " positive " entre l’école et les familles populaires constituerait une pièce maîtresse d’une " pédagogie de la réussite pour tous " au cours préparatoire. Une telle hypothèse est concordante avec les principes de base des théories écologiques du développement des capacités cognitives. Selon celles-ci, l’activité cognitive de l’enfant ne porte pas seulement sur les objets d’étude (par exemple, le système écrit) ou les savoirs à acquérir (par exemple, la lecture-écriture), elle s’applique aussi aux intervenants et aux micro-milieux (la classe, l’établissement scolaire, la maison...) que fréquente l’apprenant. Le progrès cognitif découlerait d’une double démarche de l’écolier : la maîtrise progressive des tâches et des notions et, en même temps, la compréhension du contexte, la mise en relation des lieux et des adultes chargés de le former. Ses compétences dans les savoirs scolaires de base dépendraient donc de la qualité du lien entre ces deux processus intellectuels (Bronfenbrenner, 1979; Bateson, 1984).

Si l’on admet que l’enfant doit donner sens a son environnement, comprendre la situation sociale d’enseignement/apprentissage pour développer ses compétences (Perret-Clermont, 1988), on est conduit à supposer qu’une amélioration de la communication —les interactions sociales et cognitives— entre l’école et sa famille aura des répercussions sensibles sur les performances de l’écolier débutant. Si l’on parvenait à (r)établir le lien social et cognitif entre les trois participants à l’activité d’enseignement/apprentissage, on libérerait la voie pour l’accès aux savoirs(lire, écrire, calculer). Une intervention centrée sur la prévention ou la résolution des " doubles méprises ", sur la gestion des échanges qui se produisent à l’interface école/familles populaires rendrait le contexte d’apprentissage plus intelligible à l’enfant et réduirait nombre " d’entraves socio-cognitives " qui empêchent sa réussite.

Notre seconde hypothèse est qu’un tel changement des rapports école/milieux défavorisés est possible ici et maintenant. Si l’on considère que ce rapport comprend trois constituants (social, culturel, cognitif), on peut penser qu’en agissant sur " la troisième dimension " —la cognition des différents acteurs : enfant, parents, enseignants— par exemple, en " injectant " des informations, des explications, des outils permettant de connaître et comprendre " le partenaire " potentiel, des techniques facilitant la visibilité et la lisibilité de la " boîte noire " (ou terra incognita) qu’est habituellement " l’institution " ou " le milieu ", on modifiera profondément le rapport social entre l’école et les familles des élèves " désavantagés ".

C’est ce que nous avons voulu tester dans l’étude 3. Elle a été menée dans un CP de 21 élèves, presque tous enfants de travailleurs immigrés. L’école est située dans un quartier réputé très défavorisé et ghettoïsé. Depuis quelques années, les instituteurs estimaient que la moitié des enfants ne savait pas lire en fin de CP et qu’un tiers était toujours non-lecteur après deux années de scolarité élémentaire. De plus, ils déploraient les difficultés de liaison entre les familles ou le manque d’implication des parents pas d’association de parents d’élèves, pas de candidats au conseil d’école, peu de présents aux réunions de classe.

Nous avons mis au point le dispositif expérimental suivant :

  1. organiser une séance individuelle d’aide à la lecture avec tous les élèves de la classe (durée : une heure à une heure et demie) ;
  2. proposer à chaque famille d’assister à une séance de même type (soit à l’école, soit à la maison) ;
  3. rendre compte régulièrement de nos observations à l’institutrice (une fois par quinzaine).

Nous espérions que notre intervention déclencherait un changement de la dynamique socio-pédagogique enfants/enseignants/familles, qu’elle pourrait être relayée par la majorité des intéressés et qu’elle aboutirait à une meilleure réussite scolaire. C’était, en outre, un moyen de valider ou de confirmer les conclusions de nos études 1 et 2 sur les mécanismes de l’échec.

L’expérimentation comporta quatre étapes principales. La première fut consacrée à la définition du contrat de recherche avec l’institutrice. Elle se classait parmi les enseignants proches de la " pédagogie nouvelle " : par exemple, dans le domaine de la lecture, elle n’employait pas de manuel et s’inspirait de la méthode naturelle Freinet. Elle avait deux préoccupations voisines des nôtres : améliorer sa pédagogie de la lecture et associer davantage les parents aux activités éducatives de la classe.

Dans les deux séances d’aide personnalisée à chaque apprenti-lecteur, nous proposions une série d’activités : lire-comprendre de petits récits dans des livres pour enfants, écrire quelques mots et une courte phrase, discuter autour de quelques questions (pourquoi et comment apprendre à lire, qu’est-ce que lire, comment faire pour écrire tel ou tel mot), faire réfléchir l’enfant sur ses façons de faire et de penser, sur ses erreurs et ses progrès.

La séance en présence de la famille comprenait plusieurs moments. Le plus long était " le travail " avec l’enfant. Les parents étaient en position d’observateurs participants : ils pouvaient intervenir pour aider leur enfant s’ils le souhaitaient. Nous insistions surtout sur les conduites de lecture-compréhension, l’exploration " silencieuse " et intelligente de l’énoncé, la justification des réponses. Nous intervenions aussi pour encourager et valoriser les efforts et les découvertes du lecteur malhabile.

Nous expliquions ensuite aux parents certains comportements de l’enfant, en présence de celui-ci, en essayant d’en dégager la logique et l’évolution. Nous précisions aussi le sens de nos propres interventions.

Puis nous parlions de la scolarité de leur enfant, de " ce qu’ils pensaient " de l’école et de l’enseignante, de " ce qu’ils faisaient " pour aider leur fils ou leur fille. Enfin, avant de partir, nous offrions un livre (par exemple un conte) à l’enfant.

RÉSULTATS

- Les enfants ont tous été " nos supporters " et " nos messagers " auprès des membres de leur famille.

- Les parents ont tous répondu positivement à notre demande ; la plupart nous ont accueillis " à bras ouverts " (9 fois sur 10, ils ont choisi de nous rencontrer chez eux).

- En fin d’année, les enfants, l’institutrice et la grande majorité des parents ont exprimé une vive satisfaction du travail accompli.

- Les ¾ des familles ont relayé notre intervention ponctuelle en apportant des aides régulières en lecture à leur enfant.

- Le taux d’échec en lecture est passé de 50 % les années précédentes à moins de 20 %. A l’entrée du CE1, 17 élèves avaient un niveau et un comportement jugés satisfaisants par les instituteurs.

- Cependant, trois enfants (plus un quatrième ayant déménagé en cours d’année) ont éprouvé de sérieuses difficultés. Dans ces trois cas, il semble que notre intervention n’a pas eu de suite dans le milieu familial. Pour l’un d’entre eux, la condition que nous avions posée avant " la séance de travail en famille " (la présence d’une personne parlant français) n’avait pu être remplie.

Ces résultats positifs pourraient être dus à l’effet Hawthorne le simple fait d’introduire "  deux chercheurs de Paris " dans une école " de banlieue perdue " aurait agi sur les mobilisations de l’ensemble des protagonistes et dynamisé leurs relations. Même si l’on suppose que ce phénomène psychosocial a été primordial, cela prouverait au moins, que " l’échec scolaire n’est pas une fatalité ".

En fait, de nombreuses données montrent que d’autres processus peuvent expliquer les changements importants qui ont eu lieu.

1) Les progressions spectaculaires

Quelques enfants ont manifesté des progrès rapides, voire surprenants juste après la rencontre avec la famille. Le compte-rendu de ces séances met en lumière quelques-uns des micro-changements générateurs de succès. En voici deux exemples :

  • Hanifa A. — Elle était perçue par la maîtresse comme faisant partie de ceux qui démarrent mal le CP, qui semblent " à la traîne " ; elle était l’un de ces " timides " qui ne participent pas aux leçons et qui progressent apparemment peu. Son père était présent lors de la réunion organisée par l’institutrice en début d’année avec notre participation. Pour ces deux raisons, il est l’un des premiers contactés. A sa demande, la séance se déroule un samedi matin à l’école, dans une salle libre.

Nous commençons à travailler avec Hanifa ; le papa regarde, puis peu à peu, il entre " dans le jeu ". A son tour, il utilise la technique des questions aiguilleuses-aiguillonnantes : " Pourquoi tu crois que c’est écrit " s’amuse " ? " " Qu’est-ce que tu crois qui est écrit ici ? ", " Par quoi ça commence ? " " Pourquoi ça ne peut pas être " rouge " ce mot-là ? ", etc. Après discussion avec nous, au moment de partir, il dit à Hanifa : " On va bien travailler tous les deux ".

Une semaine après, nous constatons avec l’institutrice une nette amélioration dans l’attitude d’Hanifa en classe et dans ses performances en lecture. Par la suite, elle est devenue l’une des meilleures lectrices de la classe.

Au cours de l’entretien, M. A. nous avait fait part de plusieurs de ses réactions face à l’apprentissage du lire-écrire par sa fille. Devant les réponses inadéquates de celle-ci après plus de deux mois de CP, il avait eu l’impression que " ou bien Hanifa était bête, ou elle y mettait de la mauvaise volonté ", ou que lui " s’y prenait mal ", ou " peut-être les trois à la fois ". Certaines aides qu’il avait tenté d’apporter étaient peu assurées : " Je faisais pareil que vous, sans bien savoir pourquoi, sans savoir si c’était bien ". Après quelques semaines, M. A. avait cessé de faire lire et écrire Hanifa : " Je ne voulais plus la faire travailler... Son petit frère avait abîmé ses livres et ses cahiers... Je m’énervais trop ". Il réalise, ce samedi matin, que les erreurs de sa fille, loin d’être aberrantes, étaient communes à de très nombreux apprentis lecteurs, que ses aides en lecture-écriture étaient pertinentes, que certains obstacles pouvaient être levés grâce à des gestes simples (par exemple donner un livre et un cahier au jeune frère d’Hanifa). Une seule séance avait permis de " débloquer " une situation dominée par la tension, l’anxiété, la culpabilité et de " dénouer " des relations paralysant jusque-là les initiatives de l’enfant et du père.

  • Zakaria C. — La maîtresse était assez pessimiste quant à son avenir scolaire immédiat. Zakaria était arrivé en France depuis un an et il av beaucoup frappé les institutrices de l’école maternelle par ses difficultés d’adaptation : il lui arrivait de temps en temps, en grande section, de manger du sable et de la terre. A la fin novembre, au CP, il se distinguait par sa mauvaise maîtrise du français parié et par son incompréhension de certaines tâches scolaires : il croyait en particulier qu’on pouvait lire les yeux fermés.

Tout au long de la séance de travail qui a lieu à la maison, un samedi après-midi, devant tous les membres de la famille (parents et fratrie), il travaille sans relâche, avec un mélange d’acharnement et de jubilation.

Après plus d’une heure, quand nous proposons de nous arrêter, il s’écrie : " Non, on continue " M. C. est lui aussi très actif; quand Zakaria semble hésitant ou en difficulté, son père lance une question ou une remarque qui met l’enfant sur voie : " Ça se mange ", " Ça commence par pa " etc. La mère, elle, reste debout ou s’occupe du thé mais elle et constamment attentive. Cet femme, analphabète et non francophone demande de temps en temps à son mari de lui traduire certains échanges ou de lui expliquer quelques détails.

Deux jours après, Zakaria avait fait des progrès manifestes en lecture. Fier et heureux, il nous informe qu’il a passé " le samedi soir et dimanche " à lire avec son père le livre que nous lui avons donné (le loup et les chevreaux). Il est conscient d’avoir progressé (" Je sais mieux lire à présent ") et quand nous lui demandons " comment tu as fait ? ", il répond : " Mon père et ma mère, ils m’ont aidé ". Il nous explique alors que sa mère a été sans cesse présente et encourageante, qu’elle lui a "  raconté la même histoire e marocain o’ et qu’il a relu une énième fois le livi avec son père en comparant les deux versions.

Par la suite, Zakaria a pris plaisir à nous parler de " ses lectures à la maison " et il est passé au CE1 sans encombres.

 

Ces " histoires singulières " — que certains sociologues classeraient sans doute dans les anecdotes sans importance — ont à nos yeux, une grande portée heuristique.

Primo, des progrès spectaculaires peuvent apparaître quand une mobilisation intense et conjointe des différents acteurs (l’apprenant, les professionnels, les membres de la famille) s’opère à propos de l’apprentissage scolaire, il semble y avoir alors de puissants " coups d’accélérateur " au processus d’acquisition. Deuxièmement, des sujets (enfants et adultes) présumés peu aptes à s’investir dans l’apprentissage de la langue écrite peuvent manifester une soif de savoir et de réussir et des compétences étonnantes lorsqu’ils ont " le pouvoir ", i.e. le droit et l’occasion, de les exprimer.

2) Des changements du côté de l’institutrice

Plusieurs faits ont été pour elle des " découvertes ", des " révélations "et quelques fois de véritables " chocs ". Citons les principaux. Des enfants ont fait un bond en avant après une seule entrevue avec les parents. Un élève a dit que c’était sa mère — qui ne savait ni lire ni parier français — qui l’avait aidé à apprendre. Tous les parents ont manifesté un vif intérêt pour l’école et la réussite de leur enfant. Leur première demande envers l’école était la maîtrise de la lecture-écriture. Dans les trois quarts des foyers, il y avait au moins une personne ressource pour aider l’apprenti lecteur.

Plus de la moitié des parents a fait part de réserves quant au travail pédagogique des instituteurs de cette école. Ils vantaient la gentillesse et le dévouement de la maîtresse, mais ils percevaient mal ses objectifs didactiques. Ils n’avaient pas compris, par exemple, que la lecture figurait dans ses priorités : " Comment peut-on apprendre sans manuel ?  " Au lieu de jouer ou d’aller au marché, elle ferait mieux de leur apprendre à lire et écrire ". Un père était même sur le point de changer son fils d’école : " Je vais l’envoyer à l’école des Français. Là-bas, il fera du travail sérieux : de la lecture, du français, des mathématiques ".

Toutes ces connaissances sur l’environnement familial et sur " la demande d’école " des parents ont modifié l’attitude et la pratique de l’institutrice. Son " regard " sur les enfants et les parents, —son rapport social au milieu— est devenu nettement plus optimiste, ses attentes à leur égard plus élevés. " Finalement, dit-elle un jour, il n’y a pas de problèmes particuliers pour ces enfants, sauf pour une toute petite minorité ". Elle a décidé d’intégrer dans sa pratique pédagogique quelques acquis familiaux : utiliser l’alphabet, se servir des lettres majuscules, lire dans des manuels scolaires ; elle est même allée en rechercher un stock dans la cave de l’école. Enfants et parents en furent ravis. Trois samedis, elle a organisé des classes ouvertes : les parents étaient invités à assister à des " leçons " de lecture, expression écrite, mathématiques et à discuter ensuite avec elle. Elle a multiplié les " bilans cognitifs de 4 heures " : avant de partir, les enfants faisaient le point sur " ce qu’ils avaient appris " dans la journée ; ils étaient ainsi en mesure d’expliquer " ce qu’ils faisaient à l’école ". Elle a veillé à avoir un maximum d’échanges, même très brefs, avec les mères ou les grands frères-grandes sœurs à la sortie de l’école, dans la rue, au supermarché. Elle s’est donné comme " règle de vie " de ne proposer que des activités compréhensibles par les enfants et les parents.

Pour elle, cette démarche a été " extrêmement formatrice et enrichissante " ; elle n’avait " jamais autant appris depuis ses débuts dans l’enseignement ". Ce fut aussi une démarche gratifiante. " C’est un grand plaisir de voir qu’on est plus efficace, que les choses sont plus faciles, qu’on est aimé des enfants et des parents ".

3) Des changements du côté des parents

La majorité d’entre eux ont aussi " appris beaucoup de choses " au cours de cette expérimentation. Ce fut avec un grand soulagement que plusieurs ont saisi, après trois mois d’école, que le souci N° 1 de la maîtresse était " la lecture pour tous ". ils ont découvert que certaines activités (par exemple une sortie ou un atelier avec des enfants de grande section maternelle) n’était pas " ce qu’ils croyaient " —de simples occupations récréatives— mais des moyens d’apprendre à parler, lire, écrire, calculer. Ils ont vu qu’il existait de nombreuses façons d’aider un enfant à apprendre à lire.

Ils ont mieux apprécié le bien-fondé de leurs propres pratiques pédagogiques : " C’est à peu près comme ça que je faisais, mais je me demandais si je faisais bien ;  Moi je fais pareil, mais là (dans l’intervention du chercheur), il y a le savoir-faire... Nous on s’énerve des fois, on a moins de patience : " Je ne savais pas si je devais continuer ".

Par la suite, le nombre des familles assistant aux classes ouvertes a doublé par rapport à la première en début d’année (entre la moitié et les 2/3 de présents). De même, enfants et parents nous ont signalé que les aides familiales à l’apprenti lecteur se sont effectivement multipliées et diversifiées dans la majorité des cas. Parfois, des adolescents (surtout des adolescentes d’ailleurs) se sont mobilisés : des collégiennes sont venues aux classes ouvertes du samedi matin, d’autres ont demandé conseil à l’enseignante ou aux chercheurs " pour aider le petit frère (ou la petite sœur) ".

DISCUSSION

Au début de cette expérimentation, nous avons trouvé de nombreux exemples du malentendu pédagogique qui " trouble " fréquemment les relations entre enseignants et parents de milieu populaire (voir étude 1 et 2). Les mauvaises perceptions " de l’autre " et les fausses interprétations existaient des deux côtés. Les instituteurs pensaient généralement que les parents ne pouvaient pas aider les enfants dans les apprentissages du CP pour plusieurs raisons: non francophonie, scolarisation réduite, difficultés économiques, manque d’investissement dans l’école... Pour une bonne partie des parents, les enseignants privilégiaient trop le jeu, l’expression libre, les activités socioéducatives au détriment des savoirs de base. Quelques-uns croyaient même avoir affaire à une " école spéciale pour immigrés " ayant des buts et des programmes spéciaux bien distincts de ceux de " l’école des Français ".

Dans une telle situation d’incompréhension mutuelle et d’ambivalence des attitudes, où se mêlaient bonnes intentions et procès d’intention bilatéraux, le malaise et le trouble des jeunes enfants risquaient de se développer plus vite que leurs compétences scolaires. Avec les enfants des milieux favorisés (professions intellectuelles), ces phénomènes sont rares car la connivence pédagogique école-parents existe presque toujours d’entrée de jeu. Quand le maître organise, par exemple, une classe-promenade au marché du quartier, la plupart repère les objectifs cognitifs ou didactiques : étude du milieu, éveil scientifique, expression orale, recueil de matériaux pour des séquences de lecture-écriture ou de mathématique. De plus, comme l’instituteur, ils sont relativement sereins quant à la réussite de leur enfant au CP. Dans ce contexte d’apprentissage (ou contexte socio-cognitif), l’écolier débutant est en mesure d’entrer de plain-pied dans la logique de l’enseignant.

Par contre, pour les parents " sans qualification psycho-pédagogique ", la classe-promenade n’est que détente, divertissement ou diversion : " Au lieu de se promener avec les enfants, la maîtresse ferait mieux de leur apprendre à lire et écrire ", " On n’envoie pas nos enfants à l’école pour faire le marché. Ces réactions sont d’autant plus nombreuses que tout un courant pédagogique " nouveau " tend à masquer l’activité de transmission-acquisition des connaissances. Les objectifs scolaires classiques (lire, écrire, calculer) sont peu mis en évidence ou parfois " introduits en douce " dans des activités globales (les " projets " alors que les repères traditionnels pour les identifier (par ex. le livret de lecture au CP) sont supprimés. Cette " pédagogie invisible " semble accroître le désarroi des enfants et des parents de milieu défavorisé qui ont souvent du mal à donner du sens à certaines pratiques " innovantes ", à en dégager la nature cognitive et didactique.

Pour surmonter ces obstacles à l’apprentissage du maximum d’enfants, les enseignants doivent, pensons-nous, employer une stratégie de construction des convergences école/familles centrée sur l’explication et la transparence. La conviction partagée, l’adhésion des parents à l’action du maître et l’acceptation par celui-ci des pratiques péri-scolaires parentales sont souvent immédiates, spontanées dans les rapports école/couches intellectuelles : c’est un donné du processus d’enseignement/apprentissage. Cette sorte de " prérequis " aux apprentissages fondamentaux doit être établi explicitement dans le cas de l’enseignement en milieu populaire. L’institutrice de l’étude 3 a combiné plusieurs techniques : les classes ouvertes, les bilans cognitifs, l’intégration des pratiques familiales d’apprentissage de la lecture  (alphabet, manuels et livrets), l’écoute des craintes, des doutes, des demandes et des espoirs des parents, la " clarté " (la transparence, la lisibilité) des situations pédagogiques.

CONCLUSION

Ces trois études se sont intéressées à des objets jusqu’ici peu étudiés par la sociologie de l’éducation : l’interface école/familles populaires, la communication sociale entre les trois acteurs de base de la situation scolaire(l’enfant-élève, l’enseignant, les parents). Ce type d’approche permet de disséquer " le couple infernal " —dont les deux membres sont les facteurs institutionnels et l’appartenance sociale— que la sociologie des inégalités scolaires a souvent posé comme source première des disparités à l’école. Il permet en particulier de saisir comment s’installent ou non les congruences et les synchronisations inter-personnelles qui semblent indispensables à la maîtrise des savoirs fondamentaux.

Nous avons pu repérer certains mécanismes à la fois sociaux et cognitifs générateurs d’échec scolaire au CP : doubles méprises, pseudo-accords, convergences contre-productives, discordances socio-pédagogiques, rejets mutuels. Mais nous avons tenté d’aller au-delà de ces analyses micro-sociologiques de l’insuccès au CP en nous demandant si ces interactions triangulaires négatives pouvaient être enrayées ou inversées. A notre connaissance, cette question a été délaissée par les sociologues et les ethnologues de l’éducation. Pourtant, le changement des rapports école! familles populaires nous semble capital dans la perspective d’une " école de la réussite pour tous ".

L’étude 3 indique que certaines stratégies éducatives sont capables de " briser les déterminismes sociologiques " de l’échec au CP. Le rapport des enseignants aux classes populaires de même que le rapport de celle-ci à l’école ne tiennent pas à " la nature " de l’institution scolaire ou des groupes socioculturels. Il n’existe ni " rapport " ni " distance " qui soit donné une fois pour toutes. Nous serions, au contraire, tentés de dire que les relations école/familles populaires sont faites pour être transformées, au même titre que les enfants sont faits pour être transformés par l’action éducative.

Dans la dynamique que nous avons déclenchée et étudiée, cette transformation peut être décrite comme une trans-formation, c’est-à-dire comme un processus d’apprentissage collectif. Les acquis et les progrès cognitifs des adultes —enseignante et parents— accompagnent ceux des enfants et paraissent les étayer. Changement cognitif (acquisition de connaissances et de compétences nouvelles) et changement des rapports sociaux (changement des statuts et de la répartition des tâches) semble en interaction constante. Il n’y aurait pas d’un côté la dynamique sociale école/milieu socio-familial qui relèverait du travail du sociologue) et de l’autre la dynamique cognitive des élèves (qui serait de la compétence du psychologue ou du pédagogue) mais une dynamique à trois pôles qui serait socio-cognitive. C’est la triade enfant/enseignants/parents populaires qui devrait être l’unité d’analyse des uns et des autres pour saisir le lien entre apprentissages scolaires au CP et origine sociale des élèves. D’autre part, la sociologie de la lutte contre l’échec scolaire pourrait peut-être contribuer à " construire l’école populaire " (Léger et Tripier) si elle examinait davantage les conditions et les mécanismes du changement des rapports école/familles populaires.

Sur un plan pragmatique, la notion de transformation peut aider tous ceux — de plus en plus nombreux, en particulier dans les ZEP— qui sont préoccupés " d’améliorer la communication " ou de " changer les relations " entre l’école et les familles. L’étude 3 tend à montrer que les enfants de six ans apprennent d’autant mieux que leurs éducateurs (enseignants et parents) apprennent eux aussi, et en particulier apprennent les uns des autres, ils semblent aussi apprendre d’autant mieux que les échanges école-familles sont centrés sur les savoirs scolaires et leur apprentissage. Cela signifie que le changement de ces relations ne peut être pensé en termes de déplacement : la question n’est pas de savoir " comment faire venir les parents (les familles) à l’école ou " comment s’en rapprocher ". Cela veut dire que ce changement ne peut être assimilé à un simple mouvement : la question n’est pas " comment bouger " ou " comment faire bouger les choses (les gens) ". Cela veut dire aussi que ce changement ne saurait être à sens unique : la question n’est pas " comment éduquer les enfants et leurs parents (familles) ". Cela signifie enfin qu’il n’y a pas de relation ou de communication en soi : la question n’est pas de savoir " comment communiquer " ou " comment avoir des relations ".

Le problème centrai serait d’abord celui de la " clarté cognitive ", de l’échange réciproque des savoirs et de la qualification (au double sens du mot) des différents acteurs de l’enseignement/ apprentissage. Comment produire ces trans/formations ? Là est la question.

 

Gérard Chauveau, Eliane Rogovas-Chauveau, CRESAS - INRP