Travail enseignant et épistémologie

Auteur(s) :
Gagnon, Mathieu (Université du Québec à chicoutimi)
Zourhlal, Ahmed (Université du Québec à chicoutimi)

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Mots clés :

travail enseignant
cognition épistémique
formation à l'enseignement
rapport au savoir
Atelier(s) :

5B
Thèmes :

Axe 3 : Les dimensions professionnalisantes du travail enseignant
Démarche : recherche documentaire, traitement d'archives
Démarche : étude conceptuelle

Résumé :



Avec les travaux, entre autres, de Fourez, Bader, Beillerot, Belémont, Belenky et al., Brousseau, Buehl, Caillot, Charlot, Hofer, Jonnaert, Kitchener, Kuhn, Larochelle, Lenoir, Perry, Rochex ou Schommer, l’importance de considérer le rapport au savoir dans le travail enseignant est devenue manifeste. En 1992, la notion de rapport au savoir est définie par Charlot et coll. comme un «rapport au monde, à l’autre et à soi-même d’un sujet confronté à la nécessité d’apprendre». Puis, en 1997, Charlot le définit comme un «ensemble (organisé) de relations qu’un sujet humain entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir». Parallèlement, dans le monde anglo-saxon — et principalement dans le domaine de la psychologie cognitive —, le rapport au savoir a été opérationnalisé autour du concept de croyances épistémologiques (epistemological beliefs) et est constitué de deux axes : 1) la nature des savoirs ; et 2) l’acte de connaître (i.e. le rapport à l’apprendre). En outre, bien que jusqu’ici les courants francophones et anglo-saxons aient régulièrement œuvrés en vase clos et selon des perspectives différentes (sociologique, constructiviste et didactique versus cognitiviste), nombre d’études aboutissent à des résultats analogues, notamment en ce qui a trait à la dimension épistémologique du rapport au savoir. De fait, alors que les études francophones indiquent que cette dimension aurait des impacts sur les conceptions que partage un enseignant quant à la manière de conduire des situations d’apprentissage, sur les types d’interventions qu’il mobilise, sur ses stratégies d’évaluation ainsi que sur la nature des apprentissages qu’il rend possible, les études anglo-saxonnes quant à elles établissent des relations entre le niveau de raffinement des conceptions épistémologiques des élèves et leurs compétences réflexives de même que leurs performances scolaires.

Dès lors, il appert que la cognition épistémique — la connaissance des critères, des limites et du degré de certitude des savoirs (Kitchener, 1983) —, représente l’un des points focaux sur lequel il est précieux de centrer les processus de professionnalisation enseignante. Ce type de cognition s’avère d’autant plus nécessaire qu’il est non seulement lié à la nature des interventions que posera l’enseignant, mais également en tant qu’il contribue au développement du jugement critique ainsi que de la pensée réflexive (Kitchener, 1983; Kuhn, 1999; Daniel et al, 2004; Auteur, 2010), lesquels constituent deux composantes fondamentales des compétences que doivent développer les enseignants et les élèves. En ce sens, la cognition épistémique des enseignants et futurs enseignants peut être dirigée vers l’examen de trois objets : 1) leurs conceptions des processus de construction ainsi que de la valeur de vérité des savoirs — qu’ils soient endogènes, savants et/ou scientifiques; 2) leurs conceptions des processus d’apprentissage (de même que les relations possibles entre ces conceptions et leur épistémologie personnelle); 3) leur compréhension des interventions éducatives contribuant au raffinement des croyances épistémologiques des apprenants.

Quoique fort bref, l’aperçu qui vient d’être dessiné sur l’importance de la cognition épistémique dans le travail de l’enseignant (en relation avec lui-même et avec l’activité des élèves) conduit tout de même à soulever des interrogations quant aux finalités épistémologiques poursuivies par les programmes de formation. En effet, dans la mesure où il apparaît souhaitable que les enseignants soient éveillés aux dimensions épistémologiques de leur travail, un tel regard porté sur les programmes de formation apparaît fondamental. Ainsi, nous pourrions nous demander comment les résultats issus des recherches sur les relations entre l’épistémologie personnelle et le travail enseignant se manifestent à l’intérieur de ces programmes? Quel espace est réservé à l’épistémologie et quelle place y occupe la cognition épistémique? De quelle manière, toujours à l’intérieur de ces programmes, la question de l’intervention pédagogique est examinée sous l’angle du raffinement des croyances épistémologiques des élèves? En somme, quel message se dégage des programmes de formation quant à la place que devraient occuper les considérations épistémologiques dans le travail de l’enseignant, notamment en relation avec l’activité de ses élèves.

La communication proposée entend examiner, par le biais d’une analyse documentaire, la place occupée par la cognition épistémique à l’intérieur de programmes québécois de formation à l’enseignement. Pour ce faire, nous aborderons plus particulièrement les aspects liés aux connaissances des critères, du degré de certitude et des limites des savoirs (Kitchener, 1983). Cette analyse s’inscrira dans le croisement de la didactique des disciplines et de la didactique professionnelle puisqu’elle portera, dans un premier temps, sur deux programmes de formation à l’enseignement offerts à notre université, à savoir le programme de formation à l’enseignement des sciences au secondaire et celui de la formation à l’enseignement professionnel. Dans un deuxième temps, cette réflexion sera dirigée vers le référentiel des compétences diffusé par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec (2001) et sur lequel doit s’arrimer tout programme québécois de formation à l’enseignement. Nous pourrons ainsi examiner la place de la cognition épistémique tant à l’intérieur de programmes particuliers qu’à l’intérieur de documents ministériels sur lesquels ils s’appuient. En outre, à la lumière des résultats des recherches sur le travail enseignant et sur l’épistémologie des enseignants, l’analyse documentaire permettra d’articuler une position plus critique sur les avantages et limites du référentiel ainsi que des programmes étudiés, et ce, en regard de la place que devraient occuper les interventions épistémiques dans le travail de l’enseignant.

RÉFÉRENCES

Beillerot, J. (1999). Savoirs. . In J. Houssaye (Ed.), Questions pédagogiques. Encyclopédie historique (pp. 520-531). Paris: Hachette.
Belenky, M. F., Blythe, M. C., Goldberger, N. R., & Tarule, J. M. (1985). Epistemological devlopment and the politics of talk in family life. Journal of education, 167(3), 9-27.
Caillot, M. (2001). Rapports aux savoirs et didactiques des sciences. In P. Jonnaert & S. Laurin (Eds.), Les didactiques des disciplines. Un débat contemporain. Québec: Presses de l'Université du Québec.
Charlot, B. (1997). Du rapport au savoir : éléments pour une théorie. Paris : Anthropos.
Charlot, B., Bautier, E., & Rochex, J.-Y. (1992). École et savoir dans les banlieues... et ailleurs. Paris : Armand Colin.
Hofer, B. (1999). Instructional context in the college mathematics classroom : Epistemological beliefs and student motivation. Journal of Staff, Program, and Organizational Development, 16, 73–82.
Kitchener, K. S. (1983). Cognition, Metacognition and Epistemic cognition : A three-level model of cognitive processing. Hum. Dev., 26(4), 222-232.
Kuhn, D. (1999). A developmental model of crtitical thinking. Eduactional Researcher, 28(2), 26 - 46.
Perry, W. G. (1970). Forms of Intellectual and Ethical Development in the College Years: A scheme. New York: Academic Press.