Quelle marge d'initiative pour les acteurs de terrain ?

Auteur(s) :
JOUBERT, Michel (Collège Edouard Herriot, Maisons-Alfort, Académie de Créteil)

Télécharger la contribution
Mots clés :

acteurs de terrain
collège
pratiques quotidiennes
Atelier(s) :

3C
Thèmes :

Axe 1 : Le travail enseignant au quotidien
Public : collège
Démarche : autre

Résumé :

L’émergence du « praticiens réflexifs » a été, et reste sans doute, un objectif central de la formation initiale. Mais qu’en est-il de cette pratique réflexive des années plus tard, une fois l’expérience acquise, une fois l’ « habitus » installé ? Que sait-on de ces pratiques de longue durée qui ne font pas l’objet d’un accompagnement spécifique par des équipes de recherche ? Les acteurs de terrains prennent-ils la peine de communiquer sur leurs activités quotidiennes, au delà des témoignages d’humeur, par delà les revendications de circonstance ? Et à supposer qu’ils aient quelque chose à dire, quel est le médium adéquat ? Mais si rien ne se dit, ne faut-il pas en conclure que rien ne se fait ?

Dans un gros collège de la banlieue parisienne, bénéficiant d’un environnement protégé, depuis vingt ans, un certain nombre d’initiatives, collectives et individuelles, ont vu le jour au gré des propositions, des encouragements mais aussi des silences des autorités de tutelle. Ces initiatives ont investi en priorité des dispositifs, une forme d’organisation spécifique, car les acteurs concernés avaient pu constater que le cadre constituait un puissant levier pour déplacer les pratiques, pour transformer les représentations, pour surmonter les inhibitions. C’est à travers trois de ces initiatives, que l’auteur se propose de montrer en quoi la conjugaison de circonstances et de volonté, d’incitations et de tolérance, de dynamiques collectives et de désir individuel, a permis l’instauration durable, mais non pérenne, d’un travail enseignant original quoique ordinaire.

La première de ces initiatives a vu le jour quelques années après l’implantation dans notre établissement sans histoire d’une classe de CPA, devenue troisième d’Insertion en 1992 . Face aux réticences individuelles d’assumer la responsabilité de cette structure, l’habitude avait été prise de la faire prendre en charge par les nouveaux arrivants. Deux d’entre eux, au début des années 90, prirent la décision de s’y maintenir et tentèrent de créer un groupe stable de volontaires. Une quinzaine d’années plus tard, en 2004, lorsque la suppression de la structure est annoncée, la dizaine d’acteurs engagé dans l’aventure a eu le sentiment de perdre beaucoup. La prise en charge collective d’élèves en grandes difficultés, en rupture scolaire et nourris d’un fort ressentiment à l’égard de l’institution avait contribué à donner un sens à leur pratique quotidienne. Ils avaient fait l’expérience, pour eux même d’abord mais aussi pour la collectivité, qu’une contrainte qui se présentait de prime abord comme insurmontable, et donc insupportable, pouvait être un solide moteur à une dynamique collective. Une analyse détaillée de l’organisation et des conséquences en terme de fonctionnement quotidien et d’orientation viendra étayer le ressenti des acteurs. On évoquera le document rédigé par quatre d’entre eux au début des années 2000 et transmis à l’Inspection générale.

La deuxième concerne la co-présence en classe de sixième. À la fin des années 90, profitant de la marge d’autonomie laissée aux établissements pour la répartition des horaires, des enseignants ont mis en place dans quelques classes de sixièmes, d’abord, une pratique régulière d’intervention conjointe devant la classe. Le principe retenu consistait à apporter l’aide aux élèves qui en avaient besoin in situ. L’un des professeurs avait en responsabilité la matière et le contenu, l’autre était « l’assistant ». L’assistant pouvait être « expert » dans un premier temps, mais par la suite, le dispositif a privilégié l’assistant « novice », mais en charge de la classe dans une autre discipline. Cette organisation est montée en puissance pour concerner au moins deux enseignants dans chaque sixième, et jusqu’à 4 heures hebdomadaires dans certaines classes, au plus fort de sa mise en place au début des années 2000. Lorsque le dispositif a été interrompu, près d’une vingtaine d’enseignants avaient été concernés. Il avait fallu surmonter l’un des principaux tabous de la profession : la présence d’un « étranger » dans la classe. Mais cette co-présence avait permis de rendre visible les difficultés, rencontrées au quotidien par des élèves, concernant l’organisation de l’espace de travail, la compréhension des consignes, le soutien de l’attention, l’engagement dans l’activité, l’inhibition dans la prise de parole. Et ce qui était, dans le meilleur des cas, pris en charge de manière différée, pendant les aides au travail personnel, études dirigées et autres dispositifs de soutien, l’était ici en temps réel. Il faudra analyser en détail ce qu’a permis cette alternance entre la position de « l’expert » et celle du « novice » en terme de déplacement des représentations et prise de conscience de l’implicite des pré-requis.

La troisième porte sur la mise en place des accompagnements éducatifs. Il s’agit cette fois d’une initiative individuelle puisqu’elle a nécessité le préalable d’un temps partiel. Cette initiative, actuelle, est sous tendue par une analyse des conditions de pérennisation des dispositifs précédents. Cette analyse a fait naître, en 2007, une proposition collective pour construire une alternative à la situation présente autour d’un nouveau statut du professeur au collège. Cette proposition distingue, pour l’essentiel un horaire A, consacré à un enseignement qui concourt à l’acquisition du socle commun, d’un autre horaire B, qui permet d’assurer des fonctions éducatives complémentaires. Cette proposition avait été rendue publique par sa diffusion auprès des candidats à l’élection présidentielle de l’époque, ainsi qu’à la presse et aux organisations syndicales. Elle a fait aussi l’objet d’une communication en colloque. En se saisissant de l’opportunité de la mise en place des accompagnements éducatifs, l’auteur a donc mis en application cette proposition en obtenant la fabrication d’un emploi du temps avec quinze heures pour l’horaire A et neuf heures pour l’horaire B, dont cinq ont fait l’objet d’une organisation spécifique, à l’année, pour la mise en place de PPRE, d’aide au travail personnel et d’accompagnements éducatifs au sens propre. Il conviendra d’établir un bilan détaillé de la fréquentation et de ce qu’a permis ce dispositif sur l’année scolaire 2009-2010.

En conclusion, il s’agira de montrer que chaque fois que l’initiative a été encouragée par l’institution, un nombre significatif d’enseignants s’est saisi pleinement des opportunité pour mettre en place des dispositifs, certes neutre du point de vue des contenus, mais ayant permis des modifications substantielles des pratiques individuelles et collectives. Cependant, il faudra aussi constater que l’abandon de telles initiatives n’a jamais résulté d’un bilan de leur efficacité mais a toujours été de circonstance, liée aux nouvelles directives des autorités de tutelle. Il faudra alors s’interroger sur les conditions de leur pérennité.