Approche sémiotique


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Image, réalité, vérité
   Le monde visible  et son imitation

   De la vraisemblance  au contrat de confiance

   L'image numérique

    Définitions

 

Le monde visible et son imitation

Étudier le rapport entre la réalité visible et ses imitations revient à s'interroger sur la différence entre le spectacle naturel (paysages, objets, êtres vivants…)  et le spectacle artificiel  (photo, dessin, peinture , …, figuration de fragments du monde visible). La distinction est difficile à établir si l'on ne prend en compte que les processus perceptifs, ceux-ci sont en effet mobilisés de la même manière par les deux types de spectacle. La célèbre anecdote selon laquelle la première projection cinématographique de l'entrée d'un train en gare de La Ciotat fit fuir les spectateurs en témoigne. Et notre expérience de téléspectateur nous prouve que l'on peut être aussi sensible à la qualité de la «présence médiatique» de tel ou tel homme politique qu'à sa présence physique. Mais il est possible de tirer des conclusions diverses, voire divergentes, de cette similitude sur le plan du fonctionnement perceptif  :

- On peut en déduire que tout spectacle artificiel, toute imitation visuelle, fonctionne comme un leurre et justifier ainsi le soupçon qui depuis Platon pèse sur l'image :  elle fait croire à la présence d'une réalité absente,  sa fonction première serait donc de tromper. Ce point de vue est en partie sous-tendu par un réalisme naif  qui attribue aux « objets » une existence indépendante du sujet qui les perçoit et par conséquent le pouvoir de déterminer les imitations qu'on en fait. Il faut souligner que la suspicion concerne ici le statut ontologique de l'image figurative et non les manipulations dont elle peut faire l'objet.

- On peut également suivre les sémioticiens pour lesquels un spectacle dit « naturel » n'est perçu qu'a condition d'être structuré par l'activité psychique du sujet qui le regarde. Sans pour autant opter pour une position idéaliste, il est légitime de penser avec U. Volli qu'« il n'y a pas d'objets dans le monde : c'est la perception qui est sémiotisante et qui transforme le monde en une collection d'objets .» Cité in Groupe m, 1992, p. 89. Ce que nous percevons visuellement ce n'est pas « le réel », mais la résultante d'une interaction entre le monde et l'activité psychique, interaction qui se manifeste par une transformation du référent et la vérification de la conformité du perçu avec le type correspondant à l'objet, deux opérations mentales dont nous savons qu'elles sont constitutives du signe iconique. C. Metz évoquant les ressemblances  de la perception filmique avec la perception de la vie quotidienne rappelle que ces « ressemblances ne tiennent pas à ce que la première est naturelle, mais à ce que la seconde ne l'est pas.» L'analogie « n'est pas entre l'effigie et son modèle, mais […] entre les deux situations perceptives, entre les modes de déchiffrement qui amènent la reconnaissance de l'objet en situation réelle et ceux qui amènent sa reconnaissance en situation iconique. » C. Metz, 1971, p. 208  Les recherches les plus récentes dans le domaine de la perception visuelle confirment la validité de cette position . S'il y a leurre ce n'est pas seulement au niveau de l'imitation des « objets »  de la réalité mais en amont, au niveau de la perception visuelle. Du fait des limites d'ordre neuro-physiologique  qui lui sont liés d'une part, son assujettissement partiel au langage verbal d'autre part ,  « le réel » reste inaccessible directement au regard. Nous ne pouvons en connaître que des « objets » reconstruits, dans cette optique les images figuratives font partie de ces « objets » concrets du monde extérieur qui sont à la fois moyens de connaissance et objets de connaissance. (Cf. traitement ascendant, et traitement descendant de l'information visuelle)

- Enfin, un même objet empirique peut tantôt avoir le statut de référent (envisageable en tant que spectacle « naturel ») ou de signifiant, constitutif d'un signe « artificiel ». Ainsi le costume porté par un homme de cour au XVIIIe siècle et présenté dans un musée peut être regardé comme une simple objet auquel correspond le concept « vêtement »,  pour l'historien il sera le symbole de la noblesse, en terme sémiotique il aura le statut signifiant visuel du signifié « noblesse ».Dans le second cas de figure, l'interprétation dépend moins de la perception que d'un savoir acquis préalablement, et la reproduction picturale fidèle ou la photo de ce costume aura la même fonction sémantique que l'original.

L'imitation visuelle de la réalité matérielle nécessite le recours à l'expression plastique : couleur, forme, texture . Ces éléments sont le plus souvent considérés comme le signifiant,  le plan de l'expression  d'un énoncé visuel dont le type serait le signifié ou plan du contenu. Limitée à cette fonction, la prise en compte de cette dimension plastique ne change en rien le rapport de l'image figurative à la réalité. Mais la peinture abstraite en témoigne, et les dernières avancées dans le domaine de la sémiotique visuelle le confirment, les éléments plastiques, leur organisation dans l'espace sont en eux-mêmes porteurs d'une signification qui excède la signification liée à la dimension iconique de l'image.  Délesté de sa contribution à la ressemblance, le signe plastique acquiert le statut d'indice au sens peircien du terme, c'est à dire « un objet d’expérience directe qui dirige l’attention sur un autre objet avec lequel il est en connexion réelle » C.Marty et R. Marty 92, q. 48. Il peut y avoir connexion d’une chose perçue avec une chose non perçue, la seconde étant la cause de la première. Le graphisme, la touche du peintre relève de ce type de sémiosis. Mais toute peinture figurative, toute photographie, toute représentation visuelle d'un objet, a pour origine première  la trace de la lumière réfléchie ou émise par cet objet et imprimée sur la rétinien du peintre,  la pellicule d'un appareil photo ou  tout autre support sensible à la lumière. Cette trace, visible sous forme d'un ensemble structuré de lignes, de couleurs et de formes constitue un indice (au sens quasi policier) de l'existence de l'objet qui a émis la lumière. Contrairement à ce qui est généralement avancé, plus qu'à l'iconicité, c'est à sa nature indiciaire que l'image doit la force de la croyance dont elle est l'objet et la sévérité des soupçons qui portent sur elle.
 

Degré de vraisemblance et contrat de confiance

Le point de vue  qui stigmatise l'image ou énoncé icono-plastique comme leurre, la désigne dans le même temps comme ennemie de la vérité, mêlant ainsi réflexion sur la spécificité d'un langage et jugement de valeur sur ce langage. L'approche sémiotique conduit à une position à la fois moins radicale et plus rigoureuse :  elle permet en effet de  différencier deux niveaux d'analyse, celui de la vraisemblance et celui du respect du contrat de confiance entre l'énonciateur et l'énonciataire.

Dans le cas d'un énoncé iconoplastique, on entend par degré de vraisemblance l'écart perceptif existant entre le signifiant et le référent d'une part et la plus ou moins grande conformité du signifiant au type. Sachant que le type renvoie à un ensemble de traits abstraits, la vraisemblance maximum résultera donc d'un ajustement optimum de l'iconicité (degré de ressemblance)au niveau d'abstraction exigé par le type. Comme pour tout autre mode de représentation, il est de la nature même de la représentation visuelle d'atteindre le degré maximum de vraisemblance compte tenu des contraintes sémiotiques qui lui sont spécifiques. A ce niveau d'analyse, le jugement ne porte pas sur l'authenticité de l'image ou sur la fiabilité de son auteur, mais sur l'adéquation existant entre la forme de l'expression et la forme du contenu. La seule question qui se pose est celle-ci : est-il pertinent d'avoir recours à l'image pour représenter telle ou telle réalité  ? La réponse à cette question relève d'une compétence en matière d'écriture (plastique et/ou langagière).

Dans le cas de représentations visuo-spatiales relevant de la graphique ou de la modélisation graphique, la question de la vraisemblance ne se pose pas, elle est supplantée par celle du degré d'isomorphisme entre, d'unet part les lois qui sous-tendent la distribution des données chiffrées ou abstraites , et d'autre part la structuration des éléments iconoplastiques les représentant.

Mais quel que soit le système de représentation (iconoplastique ou verbal) et la nature des données représentées,  l'énonciateur peut, de façon délibérée ou non, soit introduire dans son énoncé  des éléments de nature à tromper le récepteur, soit présenter cet énoncé dans un contexte qui induit une interprétation erronée. Nous sommes ici confrontés à la question suivante : comment s'assurer que l'auteur de l'image ou l'instance qui l'exploite celle-ci à telle ou telle fin méritent la confiance du lecteur ou du spectateur? La réponse relève ici de la compétence de spécialistes, l'historien faisant partie de ceux pour qui cette recherche d'authenticité et de fiabilité se trouve au centre même de leur démarche.
 
 

L'image numérique

Sous ses deux formes — traitement d'«images » préexistantes et de spectacles naturels  ou image de synthèse intégralement calculée — l'image numérique, en ce qui concerne son rapport à la réalité et la vérité, renvoie aux questions qui viennent d'être évoquées, mais elle en amplifie les enjeux. En effet,  la sophistication des capteurs électroniques et la complexification des programmes de numérisation accroît l'illusion référentielle dans une mesure telle que nous nous trouvons devant des mondes virtuels qui tendent de façon asymptotique vers une identification perceptive avec la réalité, tandis que les puissants moyens de calculs qui sous-tendent l'image de synthèse en font un d'outil puissant pour la recherche et la construction des connaissance. Autant de potentialités qui impliquent une vigilance accrue sur le plan du contrat de confiance.