APPROCHE PSYCHOLOGIQUE
 
 

Retour au sommaire, approche psychologique


L'imagerie mentale
  La notion de représentation

  L'image mentale

 Imaginaire, imagination et inconscient

  Définitions


 

Les opérations psychiques qui mettent en jeu l'imagerie mentale mobilisent les structures neurales impliquées dans la perception visuelle, inversement la reconnaissance d'objet ou le traitement cognitif de scènes complexes implique le rappel de représentations visuo-spatiales et langagières stockées en mémoire à long terme. Il en découle le recouvrement partiel des théories permettant d'expliquer l'un et l'autre type de processus.
 

La notion de représentation

Avant de présenter les phénomènes d'imagerie mentale et afin d'éviter certaines ambigu•tés d'ordre sémantique, il est nécessaire de revenir sur la notion de représentation.

« Le concept de représentation, tel qu’il est utilisé dans la théorie de la connaissance, repose sur une double métaphore, celle de la représentation théâtrale et celle de la représentation diplomatique. La première suggère l’idée de la "mise en présence": la représentation expose devant le spectateur, sous une forme concrète, une situation signifiante, des figures évocatrices, des enchaînements d’actions exemplaires; et elle rend ainsi présents le destin, la vie, le cours du monde, dans ce qu’ils ont de visible, mais aussi dans leurs significations invisibles. La seconde métaphore suggère l’idée de "vicariance": la représentation est cette sorte de transfert d’attribution en vertu duquel une personne peut agir en nom et place d’une autre, servir de tenant lieu à la personne qu’elle représente. […] On comprend que la notion de représentation ait été invoquée pour rendre compte du phénomène de la connaissance. Connaître une chose, en effet, c’est se l’assimiler, se la rendre intérieure, la faire sienne, […] tout en lui laissant son statut de réalité extérieure, indifférente, en tant que telle, au processus par lequel elle devient objet de connaissance. Dans l’acte de connaissance, un fragment du monde est rendu intimement présent au sujet humain sans cesser pour autant de demeurer séparé de lui par une distance réelle que la connaissance ne peut abolir. La connaissance apparaît ainsi comme une sorte de redoublement du monde, dans lequel et par lequel le monde se produit pour la conscience, à la manière dont le destin tragique se produit pour les spectateurs, dans l’espace de la scène, sous les espèces d’une suite de gestes et de paroles en lesquels il est représenté. » J. Ladrière, 1999

Dans Image et cognition,M. Denis, (1989, pp. 31-37) reprend l'historique de l'investissement de la notion de représentation par la psychologie.  En psychologie sociale, l'introduction de cette notion  a permis de rendre compte de phénomènes que les notions trop étroites d'idéologie et de stéréotype ne recouvraient pas totalement. Dans ce domaine, la notion de représentation est étroitement associée aux valeurs, facteurs qui s'avèrent déterminants des conduites humaines. En psychologie cognitive, la notion est apparue au moment où cette discipline prenait ses distances avec les approches exclusivement centrées sur le comportement. Elle « s'est dégagée, entre autres, de la notion de stratégie, c'est-à-dire d'une construction théorique faisant elle-même la jonction entre le comportement et les structures mentales hypothétiques assurant la gestion de ce comportement ». Pour M. Denis, il convient pour le chercheur en psychologie cognitive d'adopter une double démarche : « à la fois, situer la question de la représentation cognitive à l'intérieur d'un cadre général d'étude de la représentation, comme activité humaine “primitive” des organismes qui traitent et conservent l'information, et engager dans le même temps une démarche opérationnelle visant à différencier les formes particulières que prend ce processus dans la cognition humaine, et à caractériser les produits issus des différents systèmes de représentation et leur utilisabilité dans la conduite».

Un premier embranchement sémantique distingue, en effet,  la représentation comme processus, et la représentation comme produit du processus, ce dernier pouvant être un objet matériel, ou une production psychique. Un nouvel embranchement différencie le produit psychique lié à la présence physique de l'objet et à son interaction avec le système nerveux (représentation sensible), et la représentation psychique d'un objet qui n'est pas physiquement présent. Dans ce cas, il peut s'agir d'un objet perçu antérieurement,  d'un objet nouveau construit à partir de fragments du monde perçu (imagination reproductrice ou créative), ou d'un aspect particulier de l'objet isolé en tant que trait susceptible de se trouver dans d'autres objets (abstraction). L'information correspondant à ces trois derniers types de représentations, codée stockée en mémoire à long terme, donc disponible, peut ou non être actualisée. Enfin, dernière distinction, l'actualisation  est soit consciente, soit inconsciente.
 
 

Schéma 1 - Acceptions du terme représentation
(adapté de M. Denis, 1989)

Ce qui suit porte sur l'imagerie mentale, c'est-à-dire sur les mécanismes par lesquels l'individu construit, explore, transforme, actualise, des « représentations internes qui préservent les aspects figuraux des objets » . M. Denis, 1998, p. 201
 

L'Image mentale
 

Construction de l'image mentale

Pionniers dans le domaine, J. Piaget et B. Inhelder (1966) définissent les images mentales comme  des évocations figurales incluant des objets, des séquences d'objets ou des états d'objets connectés par des actions implicites et qui, pris ensemble constituent un tout, une structure . Réfutant l'hypothèse d'une image « copie dormante » de la réalité qui relèverait de la seule perception, ces auteurs rompent avec la tradition associationniste et développent l'hypothèse d'une « image-symbole », imitation intériorisée prolongeant les schèmes d'action, la construction de l'image mentale relèverait du niveau pré-opératoire ou opératoire.

La recherche sur l'imagerieconnaît un renouveau à partir des années soixante dix. A. Paivio (1971, 1975, 1986) contribue à donner à l'imagerie mentale une légitimité nouvelle en développant l'hypothèse du double codage: deux « systèmes de codage » ou « mode de représentation symbolique », dont chacun possède des propriétés structurales et fonctionnelles qui lui sont spécifiques régiraientt l'activité psychique :

- le système des représentations imagées dont le développement est lié à l'expérience perceptive de l'environnement concret ;

- le système des représentations verbales, lié à l'expérience que l'individu a du langage .

En opposition aux thèses de Paivio, les propositionnalistes, relèguent au second plan les propriétés phénoménales des images mentales et privilégient les structures représentationnelles langagières qui leur seraient sous-jacentes. Mais surtout, ils postulent   « l'existence d'une forme de représentation propositionnelle “amodale”, plus abstraite, non accessible en tant que telle à l'expérience introspective, et qui ne soit l'équivalent ni de représentations imagées, ni de représentations verbales ». M. Denis, 1989 p. 43

Certains chercheurs optent pour l'hypothèse de la compatibilité entre les formes de représentation modales (visuelle ou langagières) et les formes de représentations amodales. Le modèle élaboré par S. M. Kosslyn adopte cette position de compromis. Au centre du modèle, une structure qui traite les informations en provenance de la rétine tout en servant de support à des images évanescentes, lieu d'une articulation évolutive entre le percept et l'image mentale : le buffer visuel. Ce dernier contenant plus d'informations qu'il n'est possible d'en traiter à un moment donné, l'activation d'une fenêtre d'attention permettrait de sélectionner la région du bufferoù sont stockées les informations pertinentes. Cette structure est connectée d'une part au système d'encodage de la couleur, de la forme et de la texture de l'objet, et d'autre part aux données spatiales y afférentes, ce qui permet sa reconnaissance. Les informations issues de l'un et de l'autre convergent vers la mémoire associative où elles sont associées aux informations d'ordre sémantique et lexical; c'est à ce niveau que l'objet est identifié, c'est à dire nommable.  Deux autres systèmes, font retour vers le buffer et permettent de commander la fenêtre d'attention afin de confirmer ou d'infirmer le résultat du traitement perceptif. En situation d'imagerie mentale, le fonctionnement du système s'inverse.
 
 


        Buffer visuel

Schéma 2 : Perception visuelle / imagerie mentale, modèle de Kosslyn
d'après J. Bideaud, Y. Courbois, 1998, pp. 159-160


S. M. Kosslyn postule l'existence de trois types d'images visuelles :

- une «imagerie spatiale » résultante de l'activation des relations spatiales stockées en mémoire à long terme (par exemple, se souvenir de la succession des changements de direction à effectuer au long d'un trajet particulier) ;

- une « imagerie figurale » mobilisée dans les représentations de formes d'objets et de leurs propriétés (couleur, texture) stockée en mémoire à long terme, ces représentations étant de faible résolution ;

- une  « imagerie dépictive » également liée à l'activation des formes et de leurs propriété stockées, mais correspondant à des représentations dont la résolution est plus élevée que celle des précédentes.


La capacité d'imagerie, le développement et la mobilisation de ses différentes composantes est étudiée à partir de deux méthodes qui font appel à l'introspection :

Les questionnaires : On présenter au sujet des énoncés verbaux décrivant des scènes plus ou moins complexes. Le sujet est invité à visualiser ces scènes et à estimer, sur une échelle, une ou plusieurs caractéristiques de l'image qu'il a formée : sa vivacité, sa netteté, sa richesse en détail.

Les inventaires :le sujet doit indiquer la fréquence avec laquelle ils utilisent l'imagerie dans des situations quotidiennes précises.

 Mais on préfère de plus en plus à ces méthodes trop dépendantes de la subjectivité, des épreuves objectives . Par exemple, on demande au sujet de prédire le résultat d'une transformation appliquée à une configuration spatiale ou d'identifier des figures partiellement camouflées par des tracés perturbateurs.

Approche différentielle

L'hypothèse  d'un partition des individus entre un type « visuel » et un type « auditif » souvent associée à l'existence de diverses formes d'intelligence n'est pas nouvelle : les premières tentatives pour mesurer les différences individuelles concernant les capacités d'imageries remontent en effet à la fin du siècle dernier. S'il est prouvé que ces différentes existent, leur origine est loin d'être élucidée : richesse des expériences perceptives au cours de la constitution du système de représentations visuo-spatiales ? facteurs socioculturels ? conscience du bénéfice cognitif lié à l'activité d'imagerie ?
On posséde également peu de données sur la possibilité et les moyen de développer les capacités individuelles d'imagerie.

De nombreux travaux portent sur l'incidence de l'activité d'imagerie sur les autres activités cognitives, notamment sur
les bénéfices qu'en tirent les sujets « les plus imageants » :

- production de représentations mentales qui constituent de bons équivalents cognitifs des situations perceptives,

- bonne mémorisation de données figuratives,

- rapidité dans la discrimination et l'identification perceptive ,

- facilitation de la traduction de l'information linguistique sous forme visuelle,

- bonnes performances aux tâches de rotation mentale,

- tendance à développer de stratégies visuelles lorsqu'ils sont confrontés à des énoncés langagiers,

- bonne mémorisation  des énoncés verbaux concrets ou narratifs,

- facilitation dans la résolution de problèmes.

Cf. M. Denis, 1990, pp. 91 à115
 

Mémorisation

Quelle que soit la nature des représentations (visuo-spatiales ou langagières ou amodales) trois aspects du fonctionnement de la mémoire peuvent être identifiés :

- Un système mnémonique qui, pendant quelques dixièmes de seconde, conserve une image détaillée de l'information sensorielle (image visuelle, auditive, tactile…). S'y trouve stockée plus d'information qu'on en peut traiter : il retient tout pendant une très courte durée, laissant ainsi le temps aux deux autres types de fonctionnement de procéder à une sélection.

- La mémoire à court terme ou mémoire de travail (MT) conserve pendant quelques minutes l'information utile pour réaliser une tâche ou la stocker ultérieurement de façon durable.

- La mémoire à long terme (MLT), qui a une capacité illimitée, implique une organisation de l'information et la mise en œuvre d'opérations de recherche pour recouvrer cette information.

On sait actuellement que la qualité de l'apprentissage, c'est-à-dire la capacité d'organisation et de recouvrement de l'information stockée MLT ne dépend pas essentiellement du temps durant lequel l'information est conservée en MT ou de la durée de son autorépétition. Le facteur déterminant  semble se situer dans la profondeur du traitement (sémantique et lexical) des éléments mémorisés.

En ce qui concerne l'information visuelle, l'information sauvegardée en MT est encodée et classée grâce aux mécanismes de reconnaissance de formes. Pour Logie La mémoire de travail peut être considérée  « comme un ensemble de systèmes cognitifs dont chacune des composantes remplit une fonction spécialisée […]. Une des composantes de l'ensemble, le calepin visuo-spatial, est un système temporaire de stockage pour les informations visuelles. Une seconde composante, la boucle phonologique, offre un stockage temporaire au matériel verbal, les deux mécanismes de stockage étant coordonnés par une troisième composante conçue comme un processeur central exécutif. Ce processeur central est impliqué dans la planification, la prise de décision, la résolution de problèmes, et certains aspects de la compréhension du langage. » G. Pearson, R. H. Logie, 1998, p.140. Dans l'article cité, les auteurs présentent - avec prudence dans la mesure où il s'agit d'un domaine qui commence seulement à être exploré - les résultats d'investigations menées auprès d'enfants et de jeunes adultes :

- Dès l'âge de cinq ans, la mémoire temporaire visuo-spatiale des enfants est fonctionnellement séparable à la fois du système de la boucle phonologique et de celui du processeur central.

- Dès sept ans, on observe une dissociation entre l'aspects visuels et l'aspect spatial de la mémoire de travail.

Ces données se retrouvent chez les jeunes adultes.
- Dans les tâches de mémoire de reconnaissance, les plus jeunes enfants utilisent spontanément le code visuel, tandis que les plus âgés utilisent davantage la répétition subvocale des noms des dessins. On peut en déduire que le codage verbal des objets dessinés se développe plus tard que le codage visuel.

- La mémoire visuelle se développe plus rapidement que celle des mouvements cibles vers un but.

- Dès cinq ans les enfants peuvent utiliser des stratégies de codage sémantique.

Les expériences menées par M. A. Foley (1998) montreraient que, dès l'âge de six ans, la capacité des enfants à juger si la source du souvenir imagé est réelle ou imaginaire ne diffère pas de façon significative de celle des adultes. Par ailleurs, l'échec  des enfants à tirer bénéfice sur le plan de la mémorisation, d'une incitation à générer des images mentales tiendraient principalement au fait que les images censées aider l'enfant sont provoquées par l'adulte. Si l'enfant suscite ses propres images les performances sont nettement améliorées. Enfin, le développement progressif de la propension à la mobilisation de l'imagerie mentale, serait liée  à la nécessité pour l'enfant de prendre conscience que l'imagerie peut-être utilisée au service de la mémorisation, et non à une incapacité à générer des images « sur demande ».

Inspection de l'image mentale

 « Selon Kosslyn, […] l'inspection d'une image mentale est analogue à l'exploration visuelle d'une scène. le point de focalisation, ou “fenêtre d'attention”[…]  se déplace en continu sur l'image générée au sein du buffer visuel de la même façon que le regard lorsqu'il parcourt l'environnement visuel. » Y. Courbois, M. Lejeune, 1998, p.80

Les expériences montrent que pour les enfants de cinq ans le processus d'inspection mentale est fragile et sa mobilisation n'est possible que si elle est précédée d'une inspection visuelle directe. Dès huit ans et tout au long de la vie  cette condition n'est pas nécessaire et le processus reste stable.

Intériorisation des « événements spatiaux »

Par événement spatial on entend tout changement de forme ou de position des objets se produisant en deux ou trois dimensions et qui par une séquences d'étapes intermédiaires font évoluer  l'objet ou la scène d'un état de départ X à un état final Y.

Dans ce domaine, l'expérience princeps de Schepard et Metzler (1971) fait référence. Elle met en évidence que l'image mentale d'un objet tridimensionnel peut donner lieu à une rotation mentale qui suit les mêmes lois que celle d'un objet physique (temps de rotation proportionnel à l'angle de rotation). Des travaux ultérieurs  conduisent à postuler l'existence de deux formes distinctes de rotation mentale :

- rotation subordonnée à l'identification et à la comparaison d'un objet perçu sous des angles de vue différents,  (précoce : environ cinq ans),

- rotation impliquant la simulation des déplacements dans l'espace (plus tardive).

Contrairement au processus d'inspection, les performances relatives au processus de transformation varient avec l'âge d'où l'hypothèse d'un développement indépendant des deux types de phénomènes.

Ces données redonnent toute son importance à la motricité. La prise en compte de cette dernière dans l'explication de l'imagerie mentale n'est pas nouvelle : elle est, nous l'avons vu ci-dessus, au centre de la théorie de Piaget concernant la genèse et du développement des images mentales; elle joue également un rôle déterminant dans les analyses d' H. Wallon (1970). Pour ce dernier, la fonction posturale et ses différentes étapes est à l'origine des différentes attitudes mentales.  D'abord confondues et intégrées dans l'acte utilitaire, les attitudes perceptives et motrices s'élaborent par un « modelage postural » lié aux afférences extéroceptives issues des propriétés visuelles des objets et des données topographiques des lieux. Une nouvelle orientation de l'activité liée à l'imitation, entraîne la suspension des mouvements cinétiques, seule l'attitude subsiste et « au lieu de préparer les mouvements d'appropriation de l'objet ou de participation au spectacle, elle tend à les copier, à les intérioriser pour ensuite les reproduire et les exprimer ». Tran Thong, 1979, p. 237

Les études récentes présentées par  J. Bideaud, Y. Courbois (1998 ) et portant, d'une part sur les phénomènes électrophysiologiques, et d'autre part sur les mouvements oculaires liés à l'activation de l'imagerie motrice conduisent à formuler les hypothèses suivantes :

- La représentation motrice et la représentation visuelle interagiraient de façon étroite dans de nombreuses tâches.

- La préparation motrice d'un mouvement deviendrait image motrice lorsque le mouvement est inhibé (thèse proche de celle de Wallon).

- La préparation motrice, l'imagerie motrice et l'imagerie visuelle puiseraient dans les mêmes ressources spatiales.

- la programmation motrice elle-même pourrait être destinée à guider les images mentales de transformation.

A. Dean  resitue l'étude de l'imagerie mentale dans le cadre du développement de l'intériorisation d'évènement, au sens le plus général qui recouvre tout processus « par lequel les interactions survenant au plan extérieur sont reconstituées au plan interne sous une nouvelle forme ». S'appuyant sur les perspectives de Piaget, de Vygotsky et du psychanalyste Loewad, elle développe la thèse selon laquelle « les symboles les plus privés, les images mentales se développent dans un contexte social, facilitées par les interprétations imprégnées d'empathie des adultes. […] les deux partenaires, l'enfant et l'adulte, sont motivés dans leur participation conjointe à un processus créateur de sens par le besoin, toujours présent dans l'existence humaine, de se déplacer à mi-chemin entre deux pôles : l'un qui tire les deux partenaires vers l'unité indifférenciée, l'autre qui les tire vers la séparation et l'individualisation […]». A. Dean, 1998, p. 35  La problématique ainsi introduite ouvre la réflexion sur les rapports étroits existant entre l'imagerie mentale et la dynamique et les représentations inconscientes qui sous-tendent le développement du psychique.
 

Imaginaire, imagination et inconscient
 

Du fait de sa prématuration biologique, le petit d'homme dépend totalement de l'adulte pour la satisfaction des besoins vitaux. Freud, en introduisant la notion de pulsion, désigne le lieu d'intersection entre l'excitation corporelle liée à un état de manque, la faim principalement, et l'activité psychique. Celle-ci, étayée sur le plaisir d'organe, s'origine dans la production hallucinatoire de l'objet de la pulsion orale lorsque le besoin est impérieux et impossible à satisfaire dans l'immédiat. Il apparaît ainsi que l'aube de la pensée prend forme d'image psychique.

Les recherches récentes sur le nouveau-né conduisent à resituer les besoins et les satisfactions alimentaires dans un ensemble plus large  associé au confort et à la chaleur de la période gestatoire puis aux contacts privilégiés avec la mère.  Dans ce cadre, plusieurs auteurs postulent l'existence représentations très précoces (antérieures à la fantasmatisation de l'objet pulsionnel). Ces représentations, qui impliquent la mobilisation de schèmes de réaction génétiquement programmés (mimiques de sourire, réflexe de fouissement, d'agrippement …), résulteraient de l'interaction de trois séries de facteurs : les éprouvés corporels, les possibilités de communication de l'enfant, les réponses maternelles. Il s'agirait de « représentations inconscientes de configuration du corps et des objets dans l'espace, ainsi que de leurs mouvements » D. Anzieu, 1987.

Enfin, l'image visuelle intervient de façon décisive dans la construction d'une représentation unifiée de soi. Lacan (1966), s'inspirant des travaux de Wallon  parle de stade du miroir et il le place à la naissance même du moi imaginaire. Ce dernier « est lié à l'image du corps propre. L'enfant voit son image totale reflétée par le miroir, mais il existe une discordance entre cette vision globale de la forme de son corps, qui précipite la formation du moi, et l'état de dépendance et d'impuissance motrice dans lequel il se trouve […], alors qu'il s'éprouvait auparavant comme corps morcelé, il se trouve capté, fasciné par cette image du miroir et il jubile.» J.-D. Nasio, 1992, p. 82  Mais en s'identifiant à l'image du miroir, image idéale qu'il ne pourra jamais rejoindre, l'enfant se fige, s'aliène dans une « stature ». En fait l'autre représente également un miroir et  si l'image de soi dans le miroir est reconnue et identifiée comme telle qu'à partir de douze à seize mois,  la fonction spéculaire est mise en jeu bien avant dans l'échange de regard. Ainsi pour Winnicot,  le premier et véritable miroir du nourrisson, c'est le visage de la mère. Lorsque l'infans — celui qui ne parle pas encore — voit le visage de la mère, « il se voit dedans »  et c'est par là que la réflexivité psychique peut être assurée. Le miroir maternel est ensuite intériorisé puis oublié. Ultérieurement, toute « image »  mentale ou concrète portera la trace du « miroir maternel », c'est en ce sens que l'on pourra dire que toute image « nous regarde » et mobilise en nous, dans le même temps, fascination narcissique et agressivité à l'encontre de l'image qui nous est renvoyé de nous-même et qui nous aliène.

Dans Psychanalyse de l'image, S. Tisseron (1995, p. 157-171, p. 189 et sq.)  met en lumière que l'image, qu'elle soit psychique ou matérielle, assume trois fonctions inégalement reconnues. La fonction de représentation la plus familière, la plus abondamment commentée, renvoie  au sens  diplomatique du terme représentation qui implique l'idée de vicariance; fondant moins la ressemblance de l'objet à son modèle que son pouvoir de l'évoquer, elle introduit la dimension de la métaphore. La fonction de transformation  correspond au pouvoir des images à induire soit un mouvement simple (une flèche invitant à prendre telle direction par exemple) ou des opérations beaucoup plus complexes. Cette fonction s'origine dans le fait que les premières images psychiques sont liées à la sensori-motricité. Par ce pouvoir de transformation, les images « projettent le sujet dans un monde de transformation permanente, fascinant mais également angoissant ». Enfin, les fonctions d'enveloppe font de l'image le premier contenant pour les pensées (constitution des premières images), elles sont également à l'origine de l'illusion de l'existence d'une enveloppe intersubjective : illusion d'une perception partagée liée à « la découverte partagée avec un autre de l'image de soi dans le miroir. Par ce double pouvoir, « les images ressourcent (le sujet) dans son identité».Toute image  organise ses pouvoirs autour de l'unité et de la dualité, de la confusion et de la défusion, de la contenance et de la transformation. Invitant à se dégager d'une conception de l'image organisée uniquement autour de sa fonction de représentation et à prendre en compte ses enjeux de transformation et les jeux de contenance, l'auteur souligne souligne que,  tant sur les chemins de la connaissance que sur ceux de l'imagination, les premiers  font des images notre aiguillon ; les seconds en font nos amies, chacune de ces deux voies étant porteuses de leur risque propre .