Image, une notion à revisiter
étymologie, définitions



« Au sujet de l'image, le su et l'insu peuvent vouloir dire plusieurs 
choses : soit désigner ce que l'on sait de la nature de l'image elle même 
- et ce qu'on en  ignore -, soit ce que l'image nous fait savoir face à ce qu'elle engendre en ses effets d'erreur,  d'errance, d'illusion,  voire de méconnaissance, soit enfin ce qu'elle s'applique à nous faire croire - et même plus  à nous faire ignorer.  L'image est-elle,  pour un regard,  la fenêtre du savoir ou bien son angle mort ? Ou bien, inversement, ce qui se donne au savoir ne tient-il sa vie  que de cette collaboration  à la fois  illuminante et  douteuse avec les imageries ?  La vie recelée dans l'angle mort du savoir gît-elle,  surgit-elle dans l'image ? »

M.-J. Mondzain, 1995, p. 9
 

Contrairement à la langue anglaise qui différencie l'image matérielle picture de l'image mentale image, la langue française ne  dispose que d'un seul mot pour désigner l'une et l'autre.

Si l'on se réfère au fondement étymologique du latin imago, l'acception originaire  du mot image vise le trait de ressemblance qui marque une représentation et la relie à son modèle (imago a la même racine qu'imitor) . L'insuffisance de ces racines est à la fois masquée et trahie par l'opposition introduite par les psychologues du  début du  XXe siècle entre imagination reproductrice et imagination créatrice, la seconde recouvrant ce que nous entendons par imaginaire loin d'impliquer la copie d'un modèle, exclut  au contraire le déjà-vu et introduit des connections sémantiques qui « s'étendent de la sphère de la fiction res fictae à celles des prodiges portenta» . P. Kauffman, 1997, p. 312 

 Qu'il s'agisse de l'image objet matériel ou de l'image représentation psychique, de l'analogon d'un fragment de la réalité ou d'une production de l'activité créatrice ou fantasmatique,  chacune de ces catégories renvoie à un réseau de significations complexe et mouvant. De façon paradoxale,  à cette prolifération sémantique s'oppose l'apparente évidence et immédiateté du visuel.

Certains concepts proches dont l'emploi est censé éviter les ambiguïtés liées à la notion d'image, sont souvent la source de nouvelles confusions : ainsi les significations de termes tels qu'icône (ou icone), figure et forme varient considérablement en fonction de l'époque et du contexte. 


 
Image versus icône

L'acception originaire du mot image du latin imago qui a la même racine que le verbe imitor vise le trait de ressemblance qui marque une représentation et la relie à son modèle. « La tradition occidentale définit [ainsi] l'image dans les termes d'une relation problématique : l'imitation, en effet, suscite des interrogations d'autant plus complexes qu'elles concernent le statut du modèle peut-être bien davantage encore que celui de l'image ». Dans la conception platonicienne, la nature même de l'image la maintient à une distance infranchissable de l'original, distance responsable « des dégradations successives de la forme idéale dans ses imitations fallacieuses » et de la condamnation des arts de l'image. Cf. article « image » in Encyclopædia Universalis 1999

La pensée chrétienne modifie radicalement le statut de l'image et l'inscrit dans le champ du sacré : « L'origine de l'image est divine, parce que l'image originaire est divine. Image invisible, mais image suprême, modèle de toute image. L'image est au commencement, car au commencement était le verbe et le verbe est image de Dieu ». Le verbe est image du père, « le Fils et le Père ont de toute éternité une relation naturelle et réelle où se définit l'idée d'image naturelle. » M.-J. Mondzain, 1995, p. 103-104  L'image n'a pas ici fonction de signe référentiel, si le fils est l'image du père, ce n'est pas dans le sens de la relation de la copie à son modèle, l'écart entre tout modèle et sa représentation dans un signe ne la concerne pas. Le verbe est image du père dans le sens où il procède du père, par son incarnation il révèle la présence de l'invisible modèle « qui m'a vu a vu le père » (Jean , XIV, 9).  Cf. article « icône » in Encyclopædia Universalis 1999

Le terme « icône », du grec eikwn qui signifie image ou ressemblance est retenu par la tradition byzantine pour désigner l'image artificielle des « images naturelles » que sont le christ,  la vierge et les saints. L'icône n'est pas copie mais symbole,  transfiguration  de la relation entre Dieu et le verbe, entre Dieu et ceux qui sont « à son image » et non l'imitation d'un modèle. Ces icônes se multiplient aux VIe et VIIe siècles. À Byzance, aux VIIIe et IXe siècle, les empereurs iconoclastes vont s'élever contre le culte excessif dont elles sont l'objet et ordonner leur destruction et leur interdiction. Leurs raison sont politiques et sociales autant que religieuses, mais ainsi que le souligne M. Mondzain, l'accusation d'idolâtrie portée contre le culte de l'icône privilégient la fonction de signe des images religieuses, c'est-à-dire de représentations donnant l'illusion de la présence au dépens de leur fonction de symbole de l'invisible.

« Tandis que l'icône s'efface pour révéler la présence du modèle divin, l'image, en revanche, témoigne tout autant de la présence et de l'absence de l'original. » Cf. article « image » in Encyclopædia Universalis

Actuellement, on utilise couramment le terme icône ou (icone) pour désigner toute représentation concrète figurative (image objet), son emploi en informatique (icones des écrans d'ordinateur), les usages de l'adjectif iconique (par exemple dans l'expression signe iconique) relèvent de ce sens élargi qui prend en compte le critère ressemblance délesté de toute signification religieuse.
 

Image versus figure

Le terme figure « déploie ses infinies variations dans le langage courant, celui de la rhétorique, de la danse, des mathématiques, des arts plastiques et de l'esthétique. » F. Aubral, 1999, p. 198

En latin figura partage la racine (fig-) avec les mots fingere (modeler), fictor (modeleur, sculpteur), figulus (potier). Apparenté à l'idée d'un faire manuel, le mot implique l'idée d'une forme mais en tant que trace inscrite dans la matière. « Un des axes constants et structurateur de l'évolution sémantique du mot réside évidemment dans le rapport subtil et variable qu'entretiennent, au fil des textes et du temps, les termes de Forme (Forma) et de Figure (figura)Ph. Dubois, 1999, p.14

Ph. Dubois, remontant textes latins, montre que le champ sémantique du terme figura se structureen trois directions : le domaine de l'art , le domaine du corps et celui du langage.  Quel que soit le domaine concerné le terme figura est porteur de traits doubles et paradoxaux induisant donc une structure conceptuelle de type dialectique. Quatre paradoxes dialectisent la notion de Figura et tendent les significations de la notion de figura entre 

-  la trace matérielle et l'image ressemblante, l'empreinte physique et l'idée mimétique ;

- l'idée de mouvance, de variation infinie, de forme dynamique et l'idée opposée d'essence inaltérable, 

- un principe d'invention, de nouveauté et un principe de copie, d'imitation servile ;

- la valeur de (faux) semblant, de leurre, d'illusion et le principe de vérité, de modèle ou d'archétype.

L'usage contemporain du terme figure et celui des mots qui en sont dérivés figuré,figuratif, figural, figuration restent porteurs des mêmes tensions. La notion figure  géométrique peut renvoyer soit à un concept : le cercle, le triangle par exemple, soit sa concrétisation sous une forme particulière : le tracé d'un cercle, d'un triangle. Le terme se rapproche de la notion d'empreinte si l'on y voit la manifestation visible extérieure d'un corps (au sens de visage par exemple),  alors que dans l'expression figure humaine il devient synonyme d'icône(image ressemblante) ou d'archétype (modèle idéal).La figure de style est une forme de l'expression destinée soit à donner plus de force à un énoncé verbal ou plastique (répétition par exemple),  soit à en changer le sens (métaphore, litote…). En forgeant le concept de figural, le philosophe J.-F. Lyotard convoque les pôles dynamiques et créatifs présents dans la notion de figura « Le figural […] produit la définition paradoxale d'une figure-défigurante et défigurée : pour autant que ce qu'elle donne à voir n'est pas le produit fini d'un processus de mise en forme […], mais l'espace ouvert au processus en œuvre, à sa dynamique et à son devenir. » O. Scheffer, 1999, p. 919

 
Image versus forme
 
 

L'usage courant du terme renvoie  à la figure constituée par les contours d'un objet. Au sens philosophique la notion forme est opposée à celle de matière.  Si l'on se réfère à la Gestalt-théorie , et s'agissant d'un forme visuelle donnée dans l'espace extérieur, elle en occupe une certaine portion, un « corps spatial » limité par un bord, et qui « doit l'être d'un façon telle que l'extension ainsi qualifiée manifeste une certaine saillance phénoménologique permettant à la forme d'être appréhendée et saisie perceptivement ». J. Petitot, 1999  Pour la Gestalt-theorie, en effet, tout champ perceptif se différencie en un fond  et en une forme dont l'ensemble détermine les caractéristiques phénoménales des parties et réciproquement.

Selon que l'on privilégie l'une ou l'autre de ces trois acceptions, le rapport entre les deux notions d'image et de forme diffère. Dans le sens courant la forme renvoie à ce qui, du modèle sera reproduit dans l'image figurative et  permettra de le reconnaître . Au sens philosophique du terme,  la forme indissociable de la matière apparaît comme constitutive de l'image, c'est à cette acception que renvoie à son usage en sémiotique lorsque l'on parle de forme de l'expression ou de forme du contenu l'une et l'autre étant respectivement inséparable d'une substance de l'expression et d'une substance du contenu. Enfin, la peinture non figurative en témoigne, points, lignes, surfaces et couleurs organisés en  espace pictural « font image » et ce, indépendamment de toute référence à un modèle, la perception de cette image mobilisant tous les jeux

- entre le fond et la figure (ou forme) qui s'en détache (Gestalt-théorie),

- entre les différents constituants du signe plastique formalisés par les sémioticiens.

Image numérique, image virtuelle
 
 

L'image numérique, sous ses deux modes, traitement numérique d'images existantes et des spectacles naturels ou image de synthèse intégralement calculée, implique l'intervention de capteurs qui « saisissent des données et non de la forme, celle-ci ne pouvant exister que sous l'autorité d'algorithmes de saisie et de traitement. »  Savoir si l'image, matrice composée de valeurs numériques déterminant tous ses aspects (spatialité, couleur, texture, dynamiques…), mérite le nom d'image tant qu'un écran terminal ne lui procure pas une visibilité importe moins que de comprendre que ce qui est introduit par le numérique c'est « l'émergence d'un nouveau modèle, anoptique, cérébral de l'image ». Le choix épistémologique de la « pensée digitale » qui consiste à explorer le « clavier du sensible » à partir de la double alliance nombre/image, Nombre/Sensible est paradoxal ;  s'y joue « la construction d'une autre image, modulaire, figurale (pas nécessairement figurative) opératoire et automatique de la pensée. » Cf. A. Renaud, 1998, pp. 18-36

 

Nous terminerons en rappellant que les termes d'image, de figure, de forme ont en commun de ne pas renvoyer de façon univoque à la perception visuelle : on peut parler d'image sonore, de figure de style, de forme verbale, etc. . Par ailleurs, si l'on circonscrit la réflexion au visuel, on se trouve confronté à son intrication intime, inéluctable avec la spatialité. Par souci de précision, et dans le sillage de nombreux chercheurs, nous prenons donc le parti de parler en terme d'inscription visuo-spatiale (image objet) et de représentation visuo-spatiale (image perceptive et image mentale) plutôt qu'en terme d'image. Lorsque, pour alléger le propos, nous utiliserons le mot image ce sera en le plaçant entre guillemets afin d'en rappeler la polysémie.