Ce résumé est issu d'un travail de thèse en sciences de l'éducation, entrepris actuellement à Lyon 2 sous la direction de Michel Develay.
  L'EPS passe en 1981 du ministère de la Jeunesse et des Sports au ministère de l'Éducation Nationale. L'anoblissement de son statut par les attributs institutionnels et la naissance d'une discipline universitaire d'appui, les STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) vont susciter la modification du fonctionnement du système EPS-STAPS. Le curriculum de l'EPS devient un enjeu considérable en termes de promotion des conceptions de la culture corporelle et de positions symboliques dans le champ. Ce changement implique une modification des normes et des valeurs dans les contenus d'enseignement, leur organisation et l'intervention pédagogique en général.
  Dans cette optique, il s'agit d'interroger le parcours de la discipline scolaire EPS en dépassant l'étude du produit (comment est structurée la discipline ?) pour étudier le processus (comment s'est structurée la discipline ?). Nous nous situons dans le cadre théorique général de la sociologie des sciences. A l'intérieur de ce paradigme, nous optons pour le postulat de la sociologie de la connaissance qui veut mettre en évidence les liens des connaissances disciplinaires avec la société globale, par l'intermédiaire des idéologies, des conceptions du monde ou des intérêts sociaux de différents groupes d'influence.
  La préoccupation est de savoir si les conditions d'émergence de l'EPS comme discipline scolaire procèdent de la confrontation théorique ou si elles résultent de la rhétorique et du jeu des acteurs dans le système EPS. L'hypothèse est de penser que les différentes conceptions en EPS représentent autant de tribus du système EPS, lesquelles vont essayer d'asseoir d'abord leur influence par leur idéologie et leurs stratégies plus que par la validité de leurs théories.
  Le curriculum représente un espace social négocié dans lequel se déroulent des jeux de pouvoir et d'influence, des luttes de territoire et de positionnement symbolique, révélant plus fondamentalement des idées sur les modèles d'autorité et de contrôle, sur la culture et ses rapports avec l'école. Ainsi le travail de recherche repose sur la mise en évidence de l'existence de tribus en EPS, par la mise à jour des moyens de filiation qui s'opèrent entre acteurs et les stratégies mises en œuvre pour légitimer les idées. La tribalité se caractérise par l'adhésion à des valeurs, des normes étayées par les idéologies et théories autour desquelles se bâtissent non seulement les conceptions sur la discipline mais également sur l'individu, la société et la culture. Elle se construit aussi par des mécanismes d'adoubement et d'exclusion.
  Pour ce faire, la méthodologie employée consiste à engager à la fois un recueil de données sur ces moyens de filiation en recoupant les informations sur les acteurs à partir des colloques, des publications, des maisons d'édition, des thèse, des jurys de concours et les entretiens de personnalités représentatives, et une observation participante sur le plan local (académique) mettant en évidence ces luttes d'idées et de pouvoir. De cette étude, émergent des modèles d'analyse de la discipline scolaire à la fois en tant que système et sur le plan épistémologique.
  Quels résultats ? La "modélisation didactique" (priorité aux contenus) représente le "paradigme" actuel de l'EPS car cette conception est dominante et reprise par une majorité d'acteurs bien placés dans le champ de l'EPS. Les raisons principales de cette domination sont les suivantes : l'existence d'organismes, de mobilisation et de diffusion, puissants, la volonté de suivre au plus prés l'orthodoxie scolaire, l'appui pour l'essentiel sur les pratiques sportives. Pourtant, les tribus sont toutes porteuses d'une part de vérité ce qui peut faire accroire à un phénomène de paupérisation de l'EPS par l'éviction, ou la marginalisation, de certaines conceptions et supports culturels. Les tribus avancent dans le champ de l'EPS en s'emparant de concepts, notions et domaines emblématiques. L'absence d'une communauté de chercheurs en EPS ne permet pas le débat théorique argumenté.
  Pour l'instant, l'EPS se construit par la communication d'acteurs à la marge des tribus, sur la base de thèmes mobilisateurs et fédérateurs dépassant le cadre de la seule discipline, au risque d'y perdre le débat sur son identité. L'EPS prend la direction de la dimension spécifique d'une discipline scolaire (réponse à la demande sociale) et non de la dimension "méta" (principes transversaux), mouvement contraire à celui engagé dans les autres disciplines. Enfin, cette analyse peut contribuer à aider le praticien dans le sens où il nous paraît souhaitable que chaque enseignant s'empare des problématiques concernant sa discipline de manière claire et lisible pour ne pas dépendre uniquement par délégation de l'Inspection, de groupes académiques, de l'IUFM ou de l'université.