Biennale 5
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Le rôle des tribus dans la constitution de l'éducation physique et sportive (EPS) entre 1981 et 2000.

Auteur(s) : LORCA Pierre

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bull2.gif (117 octets)   Thème : l'action et l'environnement. Groupe : la politique, les politiques éducatives et la gestion.
bull2.gif (117 octets)  Notre intérêt porte sur les enjeux et valeurs que véhiculent les contenus disciplinaires en EPS et sur les éléments qui ont influencé leur détermination.
bull2.gif (117 octets)  Nous nous interrogeons alors sur les conditions d'émergence de l'EPS comme discipline scolaire : procèdent-elles de la confrontation théorique ou résultent-elles de la rhétorique et du jeu des acteurs dans le système EPS-STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives)? Notre hypothèse est de penser que les différentes conceptions de l'EPS représentent autant de "tribus" du système EPS-STAPS, lesquelles vont essayer d'asseoir d'abord leur influence par leurs idéologies et leurs stratégies plus que par la validité de leurs théories.
bull2.gif (117 octets)  Pour saisir la constitution scolaire de la discipline, nous pourrions nous ancrer dans le seul postulat de l'épistémologie. Il est vrai que l'EPS peut être analysée à partir de certains modèles éducatifs et pédagogiques (Bertrand, 1993 ; Altet, 1997) pour cerner les conceptions en EPS et examiner les tensions qui la préoccupent.
bull2.gif (117 octets)  Traditionnellement, se pose la question de la nature des contenus d'enseignement: à partir de quoi sont-ils construits ? L'élaboration des contenus d'enseignement en EPS peut privilégier des pôles ou des interactions entre les pôles suivants: individu (dimension fonctionnelle), APS (dimension culturelle), finalités (dimension axiologique), représentations sociales du groupe (dimensions psycho-sociologique et anthropologique). Le questionnement épistémologique s'opérationnalise alors dans le fonctionnement de la "situation d'enseignement": sur quel pôle ou interaction se centre-t-elle? L'élève, le savoir, l'enseignant ou la classe, en tant que groupe social ?
bull2.gif (117 octets)  Les deux axes d'analyse précédents font osciller l'EPS entre des visées d'enseignement, de développement ou d'épanouissement voire de "vie scolaire". Le souci d'acculturation est toujours présent, le problème résidant en amont dans les choix à effectuer au niveau des objets culturels et la place à leur accorder au sein de l'école. On est passé progressivement des préoccupations sur un pôle (exemples de la "psychomotricité" sur le sujet ou du "courant sportif" sur les APS) à un intérêt pour les interactions entre deux pôles (exemple de la "didactique" entre le sujet, les APS et les exigences de la mise en forme scolaire).
bull2.gif (117 octets)  A partir de la modélisation de Develay (1994) concernant les différentes approches de l'apprentissage, il est possible de retrouver les tendances de l'EPS: les approches didactique (centrée sur les savoirs disciplinaires), méthodologique (centré sur le "apprendre à apprendre"), psychanalytique (centrée sur les désirs du sujet), éthique (centrée sur les valeurs), pédagogique (centrée sur la relation) et sociologique (centrée sur le fonctionnement institutionnel de la classe).
bull2.gif (117 octets)  On peut considérer qu'il y a globalement quatre grandes tendances à travers lesquelles s'expriment les conceptions les plus déterminantes de l'EPS en regroupant ou en disséquant les modèles cités précédemment. Les deux premières conceptions répondent à une logique d'ordre scientifico-technique de la discipline scolaire, les deux autres sont à la recherche de l'épanouissement de l'élève, autre facette de la discipline scolaire (Forquin, 1997). Les deux premières veulent mettre l'accent sur les savoirs fondamentaux issus soit des APS soit de la motricité du sujet. La troisième s'oriente vers l'épanouissement de l'élève par l'introspection et la prise de conscience de soi. Le développement corporel sert de support à l'éducation globale de l'être. La quatrième veut atteindre l'épanouissement de l'élève par la qualité des relations et la variété des expériences motrices proposées, en dehors de toute logique liée aux APS. Deux pôles se combinent : celui des finalités et celui de la logique de la classe.
bull2.gif (117 octets)  L'approche épistémologique montre cependant ses limites car elle ne nous aide pas à comprendre le processus de structuration de la discipline. Elle permet cependant d'exprimer les tensions qui peuvent prévaloir aux plans éducatifs et pédagogiques.
bull2.gif (117 octets)  Envisageons alors la "sociologie du curriculum". Nous pourrions apprécier les conceptions en EPS à l'aune de l'analyse des "sociologues britanniques" (Forquin, 1991, 1997) selon lesquels les enjeux d'une discipline scolaire reposent sur des visions différentes de la culture et de sa traduction dans les curricula. En effet, deux courants de pensée s'opposent, l'un "objectiviste" avançant que des éléments de culture sont incontournables et transcendent le contexte dans lequel ils sont immergés ; l'autre "relativiste" soutenant l'idée selon laquelle les savoirs de l'école ne sont que le reflet du contexte qui les entourent et sont changeants au gré de l'évolution de la société.
bull2.gif (117 octets)  L'autre axe de réflexion concernant l'organisation du curriculum repose sur la dialectique entre subjectivisation et rationalisation (Gleyse, 1995), c'est-à-dire opter soit pour des apprentissages laissant une plus grande part à l'épanouissement de l'élève, soit en recherchant l'inculcation de savoirs par une organisation rigoureuse du curriculum. Les axes principaux de discussion concernent alors le rapport entre "école et société" celui entre "nature et culture" qui terminent les théories sur l'éducation et sur la discipline.
bull2.gif (117 octets)  La discipline EPS est traversée par trois types d'influence qu'elle doit amalgamer dans son curriculum : le pôle "nature" qui concerne les différents types de potentialité que l'on veut développer chez le sujet (approche fonctionnelle); le pôle "culture" qui représente les objets culturels sur lesquels est fondée une éducation (approche technique et technologique); le pôle de "l'école" qui se manifeste par la sélection et l'adaptation des objets culturels et savoirs dans un souci d'équilibrer universalisme, utilitarisme et particularisme (Prairat, 1996).
bull2.gif (117 octets)  Cette seconde approche permet de faire émerger les enjeux de la discipline, mais ne dit rien encore sur la manière dont s'articulent les conceptions, les valeurs et les différents groupes de pression sur la discipline.
bull2.gif (117 octets)  Nous nous orientons enfin vers la démarche anthropologique, à l'instar de Callon et Latour dans le domaine des sciences, pour montrer comment le curriculum d'une discipline scolaire ne s'appuie pas uniquement sur des idées mais se construit de manière aléatoire et "au jour le jour" par le jeu des acteurs, des fondements idéologiques, des conceptions sur la discipline et des "tribus" qui les défendent. En introduisant le concept de "tribu", nous voulons marquer l'importance des acteurs et des valeurs en cimentant la réflexion sur les concepts clefs de l'anthropologie : le pouvoir et la culture.
bull2.gif (117 octets)  Les conceptions en EPS sont surplombées par des choix axiologiques orchestrant ensuite l'ensemble de la démarche dans le domaine de l'EPS. En effet, le triptyque républicain "liberté, égalité, fraternité" représente un axe original d'analyse par lequel on peut retrouver les différentes orientations en EPS.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi plusieurs "tribus" s'affrontent, défendant plus fondamentalement des options philosophiques, politiques et éducatives mais également des intérêts statutaires et la territorialisation symbolique ou géographique d'organes de diffusion .
bull2.gif (117 octets)  Quelles sont les tribus comment les identifier ? Comment s'organisent-elles ?
bull2.gif (117 octets)  La méthodologie de recherche consiste à décrire mettre en relation les lieux d'appartenance institutionnels, politiques ou syndicaux des acteurs, leurs outils privilégiés de diffusion, les participations à des groupes de travail et colloques, l'intégration dans les jurys de concours, les idées défendues, les concepts et démarches récurrents, les thèses et les directeurs de recherche, les auteurs utilisés comme appuis bibliographiques... (Charles, 1998) mais également les épisodes de tensions, de conflits et d'exclusion que certains textes et entretiens révèlent.
La "carte d'identité" d'une tribu va se caractériser par des points de repère historiques, les acteurs et leurs organismes d'appui ( statut, trajectoire, spécialité), les références bibliographiques, les idées marquantes, les moyens de production, de diffusion et de légitimation des idées (processus "d'autonomisation"), les "alliances" (réseaux de communication et de filiation), les "liens et liants" (les concepts tribaux emblématiques), les valeurs et fondements éducatifs.
bull2.gif (117 octets)  En reprenant les axes d'analyse précédents, nous distinguons deux tribus dans la "sphère didactique":
- la tribu des "matérialistes didactiques" : ils privilégient l'interaction sujet-APS avec la dominante de la société (APS) et de l'école; l'EPS est la "didactique des APS". Les thèmes et théories défendues sont la culture, les savoirs fondamentaux à partir des APS, avec une approche épistémologique des APS. Cette tribu est plus sensible au pôle universitaire traitant des questions anthropo-sociales et culturelles sur le sport. La tendance syndicale majoritaire est issue du courant Unité et Action. La prise en compte de la spécificité culturelle de chaque APS oriente la discipline vers la demande sociale, c'est-à-dire la prise en compte du contexte social sur les APS. L'EPS est revendiquée comme discipline d'enseignement.
- la tribu des "idéalistes didactiques" : ils privilégient l'interaction sujet-école en présentant un modèle de développement de la conduite motrice à partir de savoirs fondamentaux et tranversaux issus du sujet. La discipline est la "didactique de l'EPS". Les thèmes et théories défendus sont le domaine de l'apprentissage moteur et la transversalité inter-groupe d'APS. Cette tribu est plus sensible au pôle universitaire traitant des questions d'apprentissage, de psychologie cognitive et neurosciences. Plusieurs obédiences se croisent ou se côtoient : sphère officielle et institutionnelle, tendance syndicale UID. La quête d'harmonisation, voire de standardisation disciplinaire amène cette tribu vers une orientation universaliste. L'EPS est revendiquée comme discipline d'enseignement.
bull2.gif (117 octets)  Ensuite, transparaît la tribu des "psys" regroupant les "psychomotriciens, psychanalystes et méthodologues": leur point commun, même si les sources théoriques diffèrent, repose sur le souci de développer l'élève indépendamment de contenus d'enseignement s'appuyant sur la logique de l'école ou celle de pratiques sociales. On y retrouve la tendance des méthodologues de l'éducabilité cognitive dont est issue la pédagogie médiationnelle. La préoccupation est de développer et améliorer les procédures d'apprentissage du sujet par la qualité des relations et la prise de conscience des moyens utilisés. Les contenus d'enseignement résident dans la maîtrise de ces procédures et il n'y a pas à proprement parler de savoirs et de connaissances dépendant d'une matière particulière.
bull2.gif (117 octets)  On distingue également la tendance psychanalytique qui propose une approche clinique des situations d'enseignement dont l'objectif est le développement du sujet par la maîtrise en évidence de ses pulsions, désirs et intérêts. L'éducation physique est dans ce cas une recherche de compréhension et de maîtrise progressive des affects par la pratique motrice.
bull2.gif (117 octets)  On y trouve enfin un amalgame d'idées et d'acteurs qui ont été prépondérants au cours des années soixante et soixante-dix et qui, devant les difficultés qu'éprouve l'EPS à satisfaire l'ensemble des demandes et des besoins, sont de nouveau considérées comme la psychocinétique et le courant de l'expression corporelle. La tendance syndicale SGEN-CFDT y apparaît plus nettement ; le courant de l'Ecole Emancipée se manifeste également. L'orientation de la discipline se tourne à la fois vers l'universalisme puisque les supports culturels n'ont pas vraiment d'importance mais aussi vers le particularisme (voire le personnalisme), car c'est l'individu en priorité qui est privilégié. L'EPS est une discipline de développement et d'épanouissement.
bull2.gif (117 octets)  Enfin, se dessine la tribu des approches éthique, pédagogique et sociologique. Leur préoccupation commune est d'accorder la plus grande place à la logique de la classe et aux relations, en ayant en ligne de mire les finalités. Ce sont des groupes minoritaires dont certains représentants peuvent avoir de l'influence auprès des décideurs de la discipline.
bull2.gif (117 octets)  Ce qui importe c'est de répondre à un développement de capacités et d'acquisitions de compétences correspondant à des finalités explicites et justifiées. Les savoirs et connaissances, dans leur acception didactique, sont secondaires.
bull2.gif (117 octets)  On peut également ajouter l'approche pédagogique qui privilégie l'interaction entre personnes dans la situation d'enseignement.
bull2.gif (117 octets)  L'approche sociologique, elle, exprime une critique radicale des courants didactiques et du support privilégié que représente le sport.
bull2.gif (117 octets)  Les "historiens épistémologues", acteurs universitaires bien placés, servent de vigilance disciplinaire sur les éventuels dérapages des décideurs et autres acteurs de terrain. Ce courant, qui n'a pas de lien direct avec l'enseignement, possède cependant une certaine influence.
bull2.gif (117 octets)  Les secteurs universitaires sollicités sont les sciences de l'éducation, la psychologie sociale, l'anthropologie, la sociologie et la philosophie. Les tendances syndicales sont plutôt du côté du SGEN- CFDT et de l'Ecole Emancipée. L'orientation donnée à l'EPS tourne autour du particularisme, étant donné que les logiques de la classe et des relations prédominent. L'EPS est envisagée comme une discipline d'épanouissement et de relation.
bull2.gif (117 octets)  La "sociologie de la traduction" de Callon et Latour peut montrer l'effort consenti par les acteurs pour trouver un accord, mais toujours avec l'intention de préserver leurs intérêts ou d'affaiblir les autres parties; ainsi il est possible d'interpréter le fonctionnement et le rôle du GTD comme un "centre de traduction", c'est-à-dire une instance qui réunit en un même lieu les représentants de chaque conception et qui essaie de les amener à conjuguer leurs efforts à partir de concepts mobilisateurs, chacun y trouvant l'expression de sa rhétorique particulière: programme, connaissances, compétences, savoirs...
bull2.gif (117 octets)  Le paradigme de l'EPS est défini par la "modélisation didactique"A l'intérieur, l'option matérialiste paraît prédominante car elle emporte l'adhésion des décideurs politiques qui se disent que, tant qu'à donner de l'EPS aux élèves et mettre en oeuvre des personnels enseignants, autant s'appuyer sur des pratiques sociales répandues répondant à un mythe social et faire ainsi d'une pierre deux coups, sans pour cela s'apercevoir de l'aporie certaine créée entre les finalités sociales de ces pratiques, les objectifs de l'école et les besoins des élèves.
bull2.gif (117 octets)  On retrouve aussi, en considérant ces deux grandes tribus, deux approches différentes de la constitution d'une discipline scolaire, dans sa fonction de matière d'enseignement (Sachot, 1993) c'est-à-dire, soit une option "spécifique" proche des pratiques sociales, soit une approche "méta" plus transversale et abstraite.
bull2.gif (117 octets)  Les atermoiements curriculaires de l'EPS ne sont pas le résultat d'une évolution linéaire et déterministe sur le plan des idées mais semblent reposer davantage sur un consensus bancal établi en amont entre représentants tribaux. Dans cette optique, l'orientation de l'EPS depuis 1981 promeut une conception dominante qui voudrait s'ériger en paradigme. Rien cependant ne permet de dire qu'elle puisse prétendre au statut de théorie voire de paradigme, cet état étant dû notamment au manque de confrontation à la réfutation et à l'expérience. Cette hégémonie, due à une quête de légitimité, s'effectue au détriment des autres conceptions qui pourraient apporter leur contribution à l'éducation physique scolaire par leur différence et complémentarité.