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Vie scolaire des établissements, éducation à la citoyenneté et prévention de la violence


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L’éducation civique,
colonne vertébrale de l’éducation à la citoyenneté

François AUDIGIER
Université de Genève

Sommaire

   Citoyenneté et éducation civique

   Éducation à la citoyenneté et éducation civique à l’École

   Éducation civique et vie scolaire

   Une discipline scolaire : l’éducation civique

   Indications bibliographiques

 

            L’éducation à la citoyenneté est aujourd’hui une priorité affirmée bien au-delà de nos frontières. La plupart des États démocratiques la mettent en avant ; elle est présentée comme un axe majeur de la contribution de l’École à la formation des jeunes générations, elle est aussi présentée comme une aide à la pacification des relations sociales que ce soit dans ou hors de l’École. Au-delà des façons différentes dont cette éducation à la citoyenneté se traduit selon les systèmes éducatifs, il existe un solide noyau commun : l’accent est mis d’une part sur l’expérience vécue à l’École, qu’elle soit organisée pour favoriser cette éducation ou qu’elle soit un réservoir d’exemples et de situations à étudier, d’autre part sur les collaborations pluridisciplinaires, et au-delà sur la collaboration de tous les adultes, notamment dans le cadre de projets mis en œuvre par et avec les élèves. L’existence d’une discipline spécifique est plus controversée ; en France, nous estimons que cette existence est nécessaire. L’éducation civique ne saurait à elle seule résumer toute l’éducation à la citoyenneté, mais sa contribution spécifique et la place qu’elle occupe ou devrait occuper en font la colonne vertébrale de cette éducation. Nous avons donc plusieurs manières de dessiner les contours de l’éducation à la citoyenneté, mais quels que soient les choix faits dans les établissements, par les équipes pédagogiques, il est important de rappeler que les adultes qui ont les jeunes en charge à l’école, au collège et au lycée, sont employés de la République et qu’à ce titre l’éducation à la citoyenneté fait intégralement partie de leur métier. Enfin, insistons sur le fait que cette éducation demande conviction et engagement de la part des adultes et des différents partenaires de l’École ; elle est sous leur responsabilité, même si, évidemment l’École ne saurait être le lieu magique de réparation de toutes les déchirures de la société.

 

   Citoyenneté et éducation civique

            Le citoyen peut se définir comme le titulaire de droits et d’obligations, ajoutons évidemment dans une société démocratique, c’est-à-dire une société où le premier droit du citoyen est de dire le droit, en particulier par l’intermédiaire de ses représentants, et la première obligation est d’agir et de mettre en œuvre ses libertés et ses capacités d’initiative dans le cadre défini par la loi. La citoyenneté démocratique ouvre ainsi immédiatement à des principes ou des valeurs comme celles de liberté et de responsabilité, tant il est vrai que l’avenir de cette démocratie est sous la responsabilité et la vigilance de tous les citoyens. Ainsi définie, la citoyenneté se réfère à plusieurs univers : le premier est celui de la cité, au sens politique du terme, c’est-à-dire des manières dont les pouvoirs politiques aux différents échelons de la société, du local au national, sont organisés, désignés, contrôlés, l’éducation à la citoyenneté implique obligatoirement une éducation au(x) pouvoir(s) ; le second est l’univers des relations entre les personnes, entre les personnes et les différentes institutions de quelque nature qu’elles soient, l’éducation à la citoyenneté est une éducation aux règles de vie commune, une éducation aux respects des droits de la personne dans tous les domaines de l’existence ; enfin, tout citoyen est, en principe, une personne capable de participer au débat public et d’y intervenir, l’éducation à la citoyenneté demande une initiation aux grands débats de société ainsi qu’une initiation à la pratique du débat démocratique et à l’argumentation. Ces trois univers ont en commun l’importance de la loi et du droit. Cette référence au Droit, associant la loi positive et les principes et valeurs qui la fondent en théorie et en pratique, est la colonne vertébrale de l’éducation civique et de l’éducation à la citoyenneté. Nous en précisons les arguments plus loin à propos de l’éducation civique comme discipline scolaire.

 

   Éducation à la citoyenneté et éducation civique à l’École

            Compte-tenu de l’ampleur des attentes en matière d’éducation à la citoyenneté un grand risque, maintes fois souligné, est sa dilution. Puisqu’elle est partout, personne n’est vraiment responsable, puisqu’un enseignant en est spécifiquement chargé, au moins au niveau des collèges, ce n’est pas la peine de s’en occuper. Les frontières et les répartitions sont difficiles à tracer. Un autre risque est celui d’une réduction à la seule dimension comportementale ; l’urgence de nombreuses de situations explique et légitime ce souci, mais la référence à la citoyenneté porte en elle des exigences de formation qui ne saurait se limiter à ce seul aspect. L’éducation civique se déploie dans trois domaines à l’École, aucun de ces domaines ne saurait tenir lieu des deux autres ; il est évident qu’il est souhaitable de mettre en oeuvre l’éducation civique dans ces trois directions de travail, mais l’existence d’une seule est après tout préférable à une totale absence. Quoi qu’il en soit, n’oublions jamais que nos manières d’être adultes dans les établissements scolaires, de respecter les règles collectives, de résoudre les conflits, de prendre ou de ne pas prendre en considération la parole des élèves, de faire œuvre de justice, etc., sont des vecteurs essentiels de formation pour les élèves ; si nous voulons que cette formation soit effectivement civique et qu’elle s’appuie sur les valeurs des droits de l’homme et de la démocratie, il nous faut prendre en charge cette éducation de façon explicite et positive.

            Les trois domaines où se déploie l’éducation civique sont :
                        - La vie scolaire
                        - les collaborations pluri ou inter-disciplinaires,
                        - une discipline scolaire spécifique avec des horaires et des programmes.

            Dans le cadre de cette contribution nous insistons plus particulièrement sur le troisième domaine, mais avant d’entrer dans ce dernier, retenons quelques points importants sur celui fort délicat de la vie scolaire.

 

   Éducation civique et vie scolaire

            La vie scolaire est le cadre d’expériences de vie collective dans une institution qui se présente, du côté éducatif, sous un double aspect : elle demande à faire place à des pratiques qui permettent aux élèves de prendre des responsabilités et des initiatives, de participer de différentes manières à la vie collective ; elle est également un réservoir d’expériences de collaboration et de conflits, d’accords et de désaccords, d’incidents et d’événements, tous propices à l’indispensable travail de réflexion qui est au cœur de l’éducation civique.

            Il existe déjà dans les établissements secondaires des institutions réglementaires de participation ; des institutions de ce type existent également, à l’initiative des maîtres, dans l’enseignement primaire. Les enquêtes et études sur leur fonctionnement montrent une très grande variété de situations ; plusieurs exemples sont présentés dans la banque de données DIF-ACT. La position des adultes est toujours délicate dès lors qu’ils ne se placent pas en détenteur de pouvoir absolu : en effet, il leur faut à la fois, reconnaître pleinement la parole des élèves, lui accorder toute l’importance qu’elle mérite, et en même temps se placer en position d’éducateur, c’est-à-dire aider cette parole à advenir, à s’exprimer.

            Sur un plan général, il convient d’insister sur le fait que l’École n’est pas une image réduite, une métaphore de la société dans son ensemble. L’École est une Institution publique dont la finalité est la mise en œuvre d’un des droits les plus fondamentaux de l’homme, le droit à l’éducation et à l’instruction. Les personnes qui y travaillent ne sont pas en position d’égalité, il y a des adultes et des jeunes, mineurs pour la plupart sauf dans les lycées, des élèves et des enseignants. Il n’y ont ni les mêmes droits ni les mêmes obligations dès lors que ces différences sont justifiées par les finalités de l’École. Nous entendons dans des enquêtes auprès de jeunes collégiens les incompréhensions que créent chez eux l’analogie fréquente entre les institutions de participation à l’École et les institutions démocratiques du monde politique, notamment à l’occasion des votes. Les délégués des élèves ne sont pas des députés, et le fait de respecter quelques règles de secret du vote ou de publicité des candidatures ou encore du principe une personne-une voix, n’autorise pas à assimiler ce vote au suffrage dans l’univers politique. Il faut probablement diversifier nos comparaisons ; ainsi, le délégué élève intervient plus comme un délégué du personnel que comme un député, mais là encore comparaison n’est pas équivalence puisqu’il n’y a pas de relation salarié-employeur avec les élèves... En complément, tout travail sur la représentation, les mandats des élus, le retour vers les électeurs, etc., est fort utile. Ce temps est important, plus essentiel encore est le suivi de ces institutions et leur fonctionnement tout au long de l’année.

            Ces différences précisées, l’École n’en est pas moins, ou n’en devrait pas moins être, une société de droit, c’est-à-dire une société où les droits des personnes, de toutes les personnes, jeunes et adultes, sont effectivement respectés. Les exigences qui découlent de cette affirmation sont d’autant plus fortes que l’École a une mission éducative de citoyenneté. Ainsi, nous entendons dans les paroles des élèves et dans celles des enseignants de grandes différences, voire une quasi-opposition : pour les premiers, l’École est un lieu de contraintes et d’obligations, lieu de non-droit, lieu de non-réciprocité entre élèves et enseignants sur des règles comme celle du retard ; pour les seconds, l’École est un lieu où les élèves n’ont plus ni respect, ni maîtrise de leurs comportements, un lieu où ils se croient tout permis... Des différences qui appellent d’abord un dialogue, après-tout, tous ne réclament-ils pas en premier lieu d’être respectés ?

            Deux thèmes sont particulièrement concernés par ce respect des droits : les travaux sur les règlements et la résolution des conflits.

                        Les règles et règlements

            Les travaux sur les règlements de classe ou d’établissement sont un mode fréquent pour, à la fois, faire connaître aux élèves les règles collectives et les faire réfléchir sur ce qu’elles signifient. A nouveau, plusieurs précautions demandent à être prises pour éviter des confusions. Ainsi, les règles de vie collective et plus encore les règlements en bonne et due forme, ne sortent pas spontanément de la tête des élèves ;b il y a quelque mystification à leur faire croire qu’ils peuvent être des ‘législateurs’ ; nul n’élabore la loi de lui-même, indépendamment de toute référence qui lui est extérieur, nul n’arrive dans un monde vierge de règles, de normes, de principes et de valeurs. Certes ces principes ne dictent pas concrètement les mesures à prendre, il reste donc une marge de discussion. Il est bon de rappeler aussi que ce qui régit l’école, le collège ou le lycée n’est pas non plus élaboré de façon totalement autonome par les adultes présents, eux-mêmes travaillent dans un cadre délimité par des lois et règlements. Cette force de principes supérieurs aux règles locales susceptibles d’être collectivement élaborées, demande à être explicitée et travaillée, en faisant place aux valeurs de protection, de sauvegarde, de responsabilité, de liberté et d’égalité qui les fondent. Ainsi, le travail sur les règles, appelés aussi chartes, etc., gagne à distinguer ce qui peut être soumis à discussion et à changement ou initiative et ce qui s’impose au nom de principes et valeurs qui lui sont supérieurs. Tout ce qui concerne la protection des personnes et des biens, ainsi que ce qui est lié aux finalités éducatives de l’instruction s’impose aux uns et aux autres : respect des horaires, assiduité, respect des personnes que ce soit par la parole ou le geste, etc. ne se discutent pas.

            Ces précisions faites, de nombreux travaux sur les règlements et chartes se placent comme un support très pertinent pour étudier ce que sont les règles de droit, les lois dans une société démocratique. Mais quelle que soit cette pertinence, une fois ces textes élaborés il reste à les ‘faire vivre’, c’est-à-dire à en faire effectivement usage. Diverses enquêtes recueillent des paroles de collégiens qui racontent leur vie scolaire, les incidents qui s’y produisent, sans jamais faire référence au règlement de l’établissement ; la cour de récréation ou les moments de vie scolaire non encadrés dans les salles de classe sont pour eux des espaces et des moments de non-droit où il faut que chacun se débrouille pour vivre comme il peut, et s’efforce d’échapper à la règle du plus fort ; ce ne sont ni des lieux ni des temps où les personnes, notamment les plus jeunes, sont effectivement protégées en cas de conflit.

            Le travail sur les règles de vie est sans doute souvent important voire nécessaire pour établir un minimum de respect entre les personnes et de pacification dans les relations. Distinguons ici ce qui relève de la civilité, des règles de politesse, des comportements quotidiens, nécessaires dans toute société, toute collectivité. Dire bonjour, éviter les bousculades et plus encore les violences, attendre que l’autre ait fini de parler pour parler soi-même, ne pas détériorer le matériel, et bien d’autres choses, sont indispensables à toute vie ensemble ; il n’est pas question d’en négliger le rappel ou l’apprentissage, mais nous avons dit les réserves et les méfiances que suscite leur appellation trop systématique d’‘éducation civique’. Il y a une dizaine d’années, dans une étude non publiée, faite par ses étudiants de maîtrise, sur les façons d’enseigner l’éducation civique, Madame Isambert-Jamati, sociologue, observait que les enseignants adaptaient spontanément leur enseignement civique à leurs élèves selon une tendance simple, plutôt une éducation à l’obéissance et au respect des règles dans les quartiers ‘populaires’, plutôt une éducation à la responsabilité et à l’initiative dans les quartiers ‘bourgeois’. L’éducation civique forme des citoyens, certes des personnes respectueuses des règles, mais également des personnes formées à l’esprit critique et donc capables de participer à l’évolution constante de nos sociétés et à l’invention permanente de la culture dans le respect des droits de l’homme. L’éducation civique porte en elle le risque du désaccord comme elle porte l’apprentissage de la négociation, du dialogue, du débat, de l’arrangement positif.

                        Règlements des conflits

            Le second élément important de la vie scolaire au regard de l’éducation civique est le règlement des conflits. Que ce soient les conflits entre élèves, les conflits entre élèves et adultes, ou encore les conflits entre adultes, il importe, là encore, de respecter des principes de justice. Appel à un tiers et débat contradictoire sont deux principes fondamentaux de toute résolution démocratique des conflits ; chacun en déduit clairement les conséquences dans nos établissements. Ce rappel des principes démocratiques de base ne signifie pas qu’il faut enfermer toute résolution de conflit dans un système procédural complexe ; il existe d’autres modes de résolution faisant appel à la médiation et cherchant non pas une décision au nom de règles supérieures mais un accord entre les parties. C’est à chacun de trouver selon les cas les modes de résolution les mieux adapter. Mais, ici encore, pour que ces actes soient ‘éducatifs’ du point de vue de la citoyenneté, il est nécessaire d’en faire aussi des objets de travail et de réflexion avec et pour les élèves.

 

   Une discipline scolaire : l’éducation civique

            L’éducation civique est aussi une discipline, c’est-à-dire qu’elle doit faire l’objet d’un enseignement systématique, du cours préparatoire à la fin du collège à raison d’une heure hebdomadaire et en fonction d’un programme établi. Cette présence ne devrait pas désigner un moment coupé de la vie qu’elle soit scolaire ou non. Expériences de la vie scolaire, expériences et moments de vie sociale, sont les principaux objets de travail en éducation civique.

            Les programmes d’éducation civique des collèges ainsi que les documents d’accompagnement ont été conçus et rédigés dans cette perspective. Selon la définition que nous avons donné du citoyen, l’initiation au Droit et aux droits est le fil directeur des quatre années de collège à travers les concepts de droits de la personne et de droits du citoyen. Faire du droit la colonne vertébrale de l’éducation civique au collège n’a pas pour objet de faire des juristes, pas plus que les mathématiques ne font des mathématiciens ou la géographie des géographes. Faire du droit la colonne vertébrale de l’éducation civique, c’est introduire les élèves dans un monde théorique et pratique avec lequel tout citoyen a à faire. Mettre la construction de quelques concepts au cœur des apprentissages, c’est désigner que notre objectif est d’aider les élèves à maîtriser quelques outils pour penser les règles de vie collective, les modes de résolution des conflits, pour se situer et participer dans nos sociétés démocratiques. Les concepts de droit ne sont pas plus abstraits que n’importe quels autres concepts dans d’autres disciplines scolaires. L’expérience, les études de cas sont l’ancrage indispensable de cet enseignement. Là encore il convient de préciser : la pensée ne va pas du concret à l’abstrait comme un chemin à parcourir en sens unique, après tout, le vécu se pense autant qu’il s’éprouve et se juge. La relation est réciproque, nous devons aider nos élèves à ‘sortir’ d’un concret dans lequel l’individu s’englue et les aider à construire cet abstrait qui permet de penser l’expérience, leur expérience, d’autres expériences, toutes nourrissant les concepts de réalités, de vie.

            On peut préciser l’intérêt du droit autour de trois usages :

                        - en premier lieu, le droit délimite un espace de liberté. Il est essentiel de travailler avec les élèves sur cette idée que le droit n’est pas une somme d’interdictions et de limitations mais un cadre nécessaire à l’exercice de nos libertés et de nos capacités d’initiatives ; l’absence de droit c’est la jungle et la première place donnée à la force brute,

                        - en second lieu, le droit définit des règles obligatoires lorsque l’on effectue certains actes : passer un permis de conduire ou stationner sur la voie publique, contracter assurance ou mariage, acheter par correspondance, se déplacer à vélomoteur ou fréquenter les débits de boisson, etc.

                        - en troisième lieu, le droit définit un mode de résolution des conflits dont nous avons énoncé les principes en traitant de la vie scolaire.

            Cet univers donne un sens particulier à de nombreux mots que nous utilisons dans le langage courant. C’est dans cette différence que se glisse le travail de conceptualisation qui consiste à comprendre que le sens usuel, commun, de mots, tels que liberté, égalité, identité, loi, pouvoir, personne, etc. n’est pas le même lorsque l’on se place dans l’univers juridique. Le sens commun nous est transmis dans notre expérience courante, par nos fréquentations, nos relations, nos cultures, le sens ‘spécialisé’, voire ‘scientifique’ est construit dans un univers particulier, ici celui du droit ; ce sens demande alors à être mis à distance du sens commun. Dans la vie courante, il est parfaitement normal et légitime que nous nous situions dans le sens commun, que nous utilisions des ‘concepts spontanés’ ; mais à certains moments, pour certains actes de la vie, ceux que nous avons placés dans l’univers du droit, il convient alors de conférer à ces mots un sens spécifique. Dans cet univers les mots, les concepts, fonctionnent en réseau, en relations les uns aux autres, cela contribue à leur donner leur signification.

            Cet univers du droit est aussi un univers de pratiques sociales nombreuses et diversifiées, avec des institutions dont la Justice est la plus emblématique. Nous entrons alors dans le monde des rapports de force, des négociations, dans le monde de l’élaboration et de l’application de la loi, monde fait d’hommes et de femmes avec leurs opinions, leurs interprétations, leurs accords et leurs désaccords. Cela signifie notamment que la loi n’est pas nécessairement juste et qu’elle est toujours provisoire.

            A ce stade, opérons un autre mouvement. Si la loi n’est pas nécessairement juste, si elle peut toujours être modifiée, elle se réfère, dans nos sociétés démocratiques, à des principes, des normes, des valeurs qui lui sont supérieurs. Ne pas verser dans une instrumentalisation de la loi, c’est-à-dire ne pas un faire un outil permettant à chaque personne de tirer le maximum de bénéfices de la société et des autres personnes, demande de se référer à ces principes et valeurs, de leur faire une place dans l’enseignement, de les expliciter, de montrer comment ils s’appuient et comment ils rentrent en tension ; par exemple, chacun sait qu’entre liberté et égalité, les équilibres sont complexes et instables dès que l’on se place dans la vie sociale.

            Enfin, n’oublions pas non plus qu’en classe et dans les établissements, on ne peut mener à bien que des réalisations modestes et limitées. En classe, on n’étudie pas ‘la’ justice, ‘la’ loi, ou ‘les’ libertés, mais deux ou trois textes, une ou deux images, un ou deux cas, mais qu’avec cela et grâce à cela, on introduit des mots plus amples, des concepts, des mots-valeurs qui vont donner sens à tous ces matériaux, à toutes ces traces de vie, en s’efforçant de permettre à chaque élève de construire des liens entre ces mots et concepts et l’expérience qu’il a de la vie.

            Ainsi conçue et pratiquée, les moments d’éducation civique sont aussi des moments de débat, de prise de parole, des élèves le disent là où ces orientations sont prises au sérieux, des moments de liberté, des moments où ils peuvent dire ce qu’ils pensent et où il sont écoutés. Il ne s’agit évidemment pas de transformer la classe en café du commerce, mais d’apprendre à argumenter, en distinguant des arguments pour emporter la conviction et des arguments pour tendre vers une vérité, à confronter des paroles, à écouter, bref à s’initier à ce que devrait être un débat démocratique.

            Cette combinaison de pratiques et d’orientations pédagogiques privilégiant la construction de concepts et le fil directeur du droit est une assurance pour que l’éducation civique soit aussi cette éducation critique que nous mettons au cœur de la formation d’un citoyen libre et responsable.

   Indications bibliographiques

- Audigier, F. et Lagelée, G. (1996). Education civique et initiation juridique. Paris : INRP.
- Crémieux, C. (1998). La citoyenneté à l’école. Paris : Syros.
- Cahiers Pédagogiques : N° 319 La démocratie à l’école. Décembre 1993
- N°340 L’éducation à la citoyenneté. Janvier 1996
- N°364 Le droit à l’école. Mars 1998
- Educations : N°16 L’éducation à la citoyenneté