L'un d'eux est qualifié de sommeil lent profond en
raison des ondes lentes et de grande amplitude qui apparaissent
et se développent sur le tracé électrique
du cerveau (électroencéphalogramme). C'est ensuite
que se développe le sommeil paradoxal, ainsi qualifié
parce que le tracé électrique du cerveau est constitué
par des ondes rapides et désynchronisées, et ressemble
ainsi à celui de l'éveil, alors que, paradoxalement,
l'individu est plongé dans un sommeil profond. Le sommeil
paradoxal est repérable par les mouvements rapides des
globes oculaires sous les paupières (il est connu comme
le sommeil des mouvements oculaires rapides) et l'absence de
tonicité de la nuque (la tête d'un enfant s'affaisse
et paraît sans contrôle).
Ces deux phases, états ou stades sont jalonnés
par des phénomènes physiologiques, comportementaux
et psychiques qui sous-tendent des constructions et régulations
essentielles :
- C'est au cours du sommeil lent profond qu'on observe une
sécrétion maximale de l'hormone de croissance par
l'hypophyse, petite glande endocrine située à
la base du cerveau. Comme son nom l'indique, cette hormone
joue un rôle essentiel dans la croissance de l'organisme.
Elle a de façon générale des effets
anabolisants, c'est-à-dire qu'elle favorise la synthèse
des protéines, notamment celles qui sont utilisées
par l'organisme pour faire face à ses besoins, et qu'il
doit reconstituer pour des régulations essentielles, notamment
pour compenser les phénomènes de fatigue et d'épuisement
physique et physiologique. C'est pourquoi, certains qualifient
parfois le sommeil lent profond de "sommeil de récupération
physique" ou "physiologique".
- Le sommeil paradoxal se présente comme un moment
d'orages cérébraux si on se fonde sur la désynchronisation
de l'électroencéphalogramme. C'est alors que des
rêves "sans logique apparente" (farfelus, à
la fois érotiques et effrayants, horribles... ) ont une
forte probabilité de se développer, en même
temps qu'apparaissent des érections du pénis ou
du clitoris, ainsi que des bouffées d'hormones sexuelles.
On peut penser que le sommeil paradoxal joue un rôle
de soupape mentale et de régulation psychique en "autorisant"
toutes les combinaisons d'images fantasmatiques et de sécrétions
hormonales en relation avec la vie affective et sexuelle. C'est
aussi pendant le sommeil paradoxal que les apprentissages ont
une forte probabilité d'être consolidés.
Autrement dit, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal
jouent un rôle important dans la croissance, la "restauration"
de molécules nécessaires au bon fonctionnement
de l'organisme, les régulations de la vie affective et
sexuelle, et la consolidation des apprentissages. On ne peut
donc ignorer, négliger ou sous-estimer le sommeil chez
l'enfant, en relation notamment avec ce qu'il vit dans ses différents
lieux de vie, notamment à l'école. Les temps de
sommeil ne sont pas des moments perdus pour le développement
émotionnel, affectif, interactif, communicationnel, relationnel,
social et cognitif de " l'enfant élève".
Ils y contribuent. Un enfant qui dort bien et suffisamment longtemps
est plus qu'un autre en position de réaliser ses compétences
et d'assurer ses constructions.
B. La genèse et l'évolution temporelle du
rythme veille sommeil.
C'est autour de l'âge de 4 mois que la composante circadienne
du rythme veille sommeil se stabilise, c'est-à-dire qu'un
long épisode de sommeil se développe de plus en
plus souvent sans interruption au cours de la phase obscure du
nycthémère (ou alternance du jour et de la nuit).
L'endormissement et l'éveil spontané des bébés
suivent une période d'environ 24 heures. La durée
de l'épisode de sommeil nocturne, qui se situe entre 22-23
heures et 5-6 heures, est alors égale ou supérieure
à 400 minutes (elle varie le plus souvent entre 6 et 7
heures).
En nombre variable d'un enfant à l'autre au même
âge, les épisodes de sommeil diurne suivent chez
la plupart un rythme ultradien dont la période est d'environ
3 heures. Entre 5 et 15 mois, on observe ainsi que le premier
endormissement a une forte probabilité de survenir autour
de 9 heures, c'est-à-dire 3 heures environ après
l'éveil qui marque la fin de l'épisode de sommeil
nocturne et le premier "repas" de la journée.
Le deuxième endormissement apparaît généralement
autour de 12 heures. Alors qu'un ou deux endormissements peuvent
être observés chez certains enfants au cours de
l'après-midi avec une période plus variable mais
souvent peu différente de 2 à 3 heures, les indicateurs
et signes qui annoncent et préparent l'endormissement
nocturne se développent entre 20 et 22 heures, avec 21
heures comme "temps médian", c'est-à-dire
3 x 3 heures après 12 heures.
On retrouve cette périodicité ultradienne entre
2 et 3 ans, soit avec 2 épisodes de sommeil diurne (autour
de 9 heures et de 12 heures), soit avec un seul autour de 12
heures (la sieste). Lorsque les enfants ne s'endorment plus vers
9 heures, la plupart présentent à ce moment une
fréquence relativement élevée (elle est
significativement plus élevée qu'à 10 ou
11 heures) des comportements qui précèdent habituellement
l'endormissement, c'est-à-dire des bâillements,
étirements, affalements sur la table ou le sol, fermetures,
clignements ou clignotements des yeux, comportements autocentrés
(doigt dans la bouche, prise de l'oreille... ), regard fixe,
comportements répétitifs, "compulsifs"
ou stéréotypés, non-réponse aux stimulations
sonores et sollicitations vocales, y compris lorsque le nom de
l'enfant est prononcé et répété.
Les études effectuées avec des enfants plus
âgés à l'école maternelle et à
l'école élémentaire montrent que l'ensemble
des indicateurs et signes de non-vigilance conservent chez la
plupart des "enfants-élèves" une fréquence
plus élevée entre 9h. et 9h30 qu'aux autres moments
de la matinée.
On peut ainsi émettre l'hypothèse qu'il y a
une certaine continuité entre la rythmicité ultradienne
de la veille et du sommeil observé au cours de la matinée
chez les jeunes enfants (un épisode de sommeil ou un état
de non-vigilance autour de 9 heures, et un épisode de
sommeil vers 12 heures), et les fluctuations de la vigilance
au cours de la matinée scolaire chez les enfants plus
âgés. Autour de 9 heures, les indicateurs de non-vigilance
apparaissent particulièrement accentués, fréquents
et durables chez certains enfants, dès l'âge de
2 ans et tout au long de leur "parcours scolaire".
La plupart apparaissent déficitaires dans la durée
et la qualité de leur sommeil (voir plus loin) et / ou
particulièrement insécurisés par les événements
qu'ils ont vécus et vivent au quotidien.
S'agissant du deuxième endormissement de la phase éclairée,
il survient aussi vers 12 heures chez la majorité des
enfants de 2 à 3 ans. Entre 3 et 6 ans, il tend ensuite
à se décaler plus ou moins progressivement et régulièrement
entre 12 et 13 heures, puis 13 et 14 heures. Les observations
suggèrent qu'entre 2 et 4 ans, un nombre croissant d'enfants
parviennent de plus en plus souvent à "dépasser"
leur état de non-vigilance (ou de somnolence) à
midi pour vivre des interactions sociales au sein du milieu familial
au retour de l'école, ou avec leurs pairs et autres partenaires
dans les situations de table et de convivialité du "restaurant"
scolaire. Ils repoussent ainsi leur endormissement de la mi-journée
vers 13 ou 14 heures. Lorsque les "enfants élèves"
ne s'endorment plus au début de l'après-midi, le
moment de 13 à 15 heures reste marqué par une fréquence
plus ou moins élevée des indicateurs de non vigilance,
selon les enfants et les jours. Le fléchissement de la
vigilance au début de l'après-midi n'apparaît
pas corrélé à la quantité et la qualité
des entrées alimentaires du déjeuner. Beaucoup
d'enfants s'endorment au début de l'après-midi
les jours où ils ne sont pas sous la contrainte du temps
scolaire, en particulier pendant les vacances.
Les mêmes phénomènes sont observés
au collège, même s'ils sont moins marqués,
fréquents et durables qu'à l'école élémentaire.
Les moments de moindre vigilance comportementale observés
autour de 9 heures et au début de l'après-midi
se retrouvent dans les études sur les performances des
"enfants élèves" à différents
tests de vigilance et d'attention (voir les études de
F.TESTU).
Il paraît souhaitable d'aménager la journée
scolaire, et plus généralement la journée
dans sa globalité, en tenant compte de l'évolution
du rythme veille sommeil et des endormissements chez les enfants
accueillis à l'école maternelle, et des fluctuations
journalières de la vigilance chez les "enfants-élèves"
de tous âges.
C. Les différences entre enfants
Il existe entre enfants de grandes différences dans
les différentes variables qui constituent le rythme veille
sommeil :
- Le nombre des épisodes de sommeil au cours des 24
heures, et donc des alternances veille sommeil, est variable
à un âge donné. Par exemple, il peut être
de 6 ou 7 chez certains enfants de 4 à 5 mois, c'est-à-dire
de 5 ou 6 épisodes diurnes et d'un épisode nocturne,
alors qu'il est de 3 ou 4 chez d'autres. Ou encore, de 3 ou 4
chez la majorité des enfants de 12 mois, mais seulement
de 2 chez quelques-uns (une sieste diurne et un épisode
nocturne). Entre 2 et 6 ans, la majorité des enfants s'endort
encore au début de l'après-midi dès qu'on
leur en donne la possibilité.
- La durée de l'épisode nocturne varie entre
8 et 14 heures chez la plupart des enfants de 4 à 5 ans,
entre 7 et 12 heures chez la majorité des enfants de 10
à 11 ans, selon les individus, les jours et les alternances
entre temps scolaires et temps de vacances. Elle est également
variable chez les collégiens, les lycéens et les
adultes de tous âges. On dit communément qu'il y
a des petits et des grands dormeurs. Les grands dormeurs qui
développent des déficits de sommeil en raison d'horaires
familiaux, scolaires et sociaux en décalage de leur rythme
veille-sommeil, peuvent compenser au moins partiellement leurs
déficits s'ils ont la possibilité de prolonger
certains épisodes de sommeil nocturne et / ou de faire
la sieste (par exemple, dans la nuit du mardi au mercredi lorsque
ce dernier jour est non scolaire, ou dans celle du vendredi au
samedi dès lors que ce dernier jour est hors temps scolaire,
ou encore pendant les jours fériés et les vacances).
En revanche, les enfants qui n'ont pas cette possibilité
cumulent les déficits de sommeil, avec pour conséquence
des épisodes de somnolence ou de non-vigilance plus accentuées,
fréquentes et durables que chez les autres enfants du
même âge et de la même classe, non seulement
aux moments habituels de moindre vigilance, mais aussi à
d'autres moments de la journée.
- La durée des épisodes de sommeil diurne est
aussi très variable d'un enfant à l'autre. Entre
2 et 5 ans, elle peut être de 20 ou 30 minutes chez certains,
de 2 à 3 heures chez d'autres, soit régulièrement,
soit occasionnellement. Il paraît souhaitable que l'école
maternelle organise ses journées pour que chaque enfant
puisse vivre le temps de sieste qui le caractérise. En
effet, J. PATY et ses collaborateurs viennent de montrer que
les phénomènes physiologiques qui jalonnent un
cycle complet de sommeil nocturne, se développent aussi
chez les enfants d'école maternelle au cours des épisodes
de sommeil diurne non interrompus.
- Les indicateurs et signes qui annoncent et préparent
le sommeil nocturne apparaissent et se développent à
des heures variables d'un enfant à l'autre et d'un jour
à l'autre. Certains enfants apparaissent prêts à
s'endormir, et s'endorment, à 20 heures, et parfois plus
tôt, alors que pour d'autres, c'est entre 22 et 23 heures.
Il en est de même pour l'heure d'éveil "spontané"
le matin : certains s'éveillent régulièrement
à 5 heures, d'autres à 8 heures. On dit communément
qu'il y a des "couche-tôt", "couche-tard",
"lève tôt", "lève-tard"...
En outre, il faut à chaque "enfant élève"
un temps qui lui est propre pour qu'à la sortie du sommeil,
sa vigilance cérébrale atteigne un niveau suffisant
pour "nourrir" sa vigilance comportementale, son activation
corporelle et son activation intellectuelle, et pour qu'il puisse
"être en phase" avec les actes pédagogiques
du maître. Certains s'ajustent rapidement. A d'autres,
il faut plus de 2 heures.
Toutes ces différences peuvent être observées
entre frères et surs que l'on compare entre eux
aux même âges.
C'est au fil de la semaine, au cours des jours fériés
et des vacances, que les conditions de vie familiale et les temps
scolaires aménagés au cours de la journée
et de la semaine, peuvent permettre aux différents enfants
dont le rythme veille sommeil est "à contretemps"
des temps sociaux, de compenser les ruptures de rythme et les
déficits de sommeil induits ou renforcés par l'environnement.
S'agissant de l'école, il paraît hautement souhaitable,
voire nécessaire, que des temps, lieux et stratégies
d'accueil appropriés soient organisés au début
de chaque matinée scolaire pour permettre à chaque
enfant de terminer sa nuit de sommeil si cela est nécessaire
(la durée du dernier cycle est courte), de finir de se
réveiller et de s'activer, de développer une vigilance
et une capacité d'attention suffisantes pour être
en mesure de mobiliser ses ressources intellectuelles.
Le temps chrono biologique et chrono psychologique de moindre
vigilance du début de la matinée peut ainsi être
inclus dans le temps et la stratégie d'accueil. |