RYTHME VEILLE - SOMMEIL

Hubert Montagner

A. Les particularités physiologiques et psychiques des cycles de sommeil.

La recherche scientifique a clairement "démonté" "l'architecture" des cycles qui constituent le sommeil nocturne de l'Homme (y compris chez le fœtus) et de nombreuses espèces animales. Sans entrer dans le détail des particularités et de la genèse de cette architecture, il est démontré qu'un cycle complet de sommeil nocturne chez les humains autres que les bébés, est constitué de 5 phases, états ou stades (selon les différentes terminologies). Deux phases, états ou stades retiennent particulièrement l'attention des chercheurs, médecins, parents, éducateurs et pédagogues.

L'un d'eux est qualifié de sommeil lent profond en raison des ondes lentes et de grande amplitude qui apparaissent et se développent sur le tracé électrique du cerveau (électroencéphalogramme). C'est ensuite que se développe le sommeil paradoxal, ainsi qualifié parce que le tracé électrique du cerveau est constitué par des ondes rapides et désynchronisées, et ressemble ainsi à celui de l'éveil, alors que, paradoxalement, l'individu est plongé dans un sommeil profond. Le sommeil paradoxal est repérable par les mouvements rapides des globes oculaires sous les paupières (il est connu comme le sommeil des mouvements oculaires rapides) et l'absence de tonicité de la nuque (la tête d'un enfant s'affaisse et paraît sans contrôle).

Ces deux phases, états ou stades sont jalonnés par des phénomènes physiologiques, comportementaux et psychiques qui sous-tendent des constructions et régulations essentielles :

  1. C'est au cours du sommeil lent profond qu'on observe une sécrétion maximale de l'hormone de croissance par l'hypophyse, petite glande endocrine située à la base du cerveau. Comme son nom l'indique, cette hormone joue un rôle essentiel dans la croissance de l'organisme. Elle a de façon générale des effets anabolisants, c'est-à-dire qu'elle favorise la synthèse des protéines, notamment celles qui sont utilisées par l'organisme pour faire face à ses besoins, et qu'il doit reconstituer pour des régulations essentielles, notamment pour compenser les phénomènes de fatigue et d'épuisement physique et physiologique. C'est pourquoi, certains qualifient parfois le sommeil lent profond de "sommeil de récupération physique" ou "physiologique".
  2. Le sommeil paradoxal se présente comme un moment d'orages cérébraux si on se fonde sur la désynchronisation de l'électroencéphalogramme. C'est alors que des rêves "sans logique apparente" (farfelus, à la fois érotiques et effrayants, horribles... ) ont une forte probabilité de se développer, en même temps qu'apparaissent des érections du pénis ou du clitoris, ainsi que des bouffées d'hormones sexuelles. On peut penser que le sommeil paradoxal joue un rôle de soupape mentale et de régulation psychique en "autorisant" toutes les combinaisons d'images fantasmatiques et de sécrétions hormonales en relation avec la vie affective et sexuelle. C'est aussi pendant le sommeil paradoxal que les apprentissages ont une forte probabilité d'être consolidés.

Autrement dit, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal jouent un rôle important dans la croissance, la "restauration" de molécules nécessaires au bon fonctionnement de l'organisme, les régulations de la vie affective et sexuelle, et la consolidation des apprentissages. On ne peut donc ignorer, négliger ou sous-estimer le sommeil chez l'enfant, en relation notamment avec ce qu'il vit dans ses différents lieux de vie, notamment à l'école. Les temps de sommeil ne sont pas des moments perdus pour le développement émotionnel, affectif, interactif, communicationnel, relationnel, social et cognitif de " l'enfant élève". Ils y contribuent. Un enfant qui dort bien et suffisamment longtemps est plus qu'un autre en position de réaliser ses compétences et d'assurer ses constructions.

 

B. La genèse et l'évolution temporelle du rythme veille sommeil.

C'est autour de l'âge de 4 mois que la composante circadienne du rythme veille sommeil se stabilise, c'est-à-dire qu'un long épisode de sommeil se développe de plus en plus souvent sans interruption au cours de la phase obscure du nycthémère (ou alternance du jour et de la nuit). L'endormissement et l'éveil spontané des bébés suivent une période d'environ 24 heures. La durée de l'épisode de sommeil nocturne, qui se situe entre 22-23 heures et 5-6 heures, est alors égale ou supérieure à 400 minutes (elle varie le plus souvent entre 6 et 7 heures).

En nombre variable d'un enfant à l'autre au même âge, les épisodes de sommeil diurne suivent chez la plupart un rythme ultradien dont la période est d'environ 3 heures. Entre 5 et 15 mois, on observe ainsi que le premier endormissement a une forte probabilité de survenir autour de 9 heures, c'est-à-dire 3 heures environ après l'éveil qui marque la fin de l'épisode de sommeil nocturne et le premier "repas" de la journée. Le deuxième endormissement apparaît généralement autour de 12 heures. Alors qu'un ou deux endormissements peuvent être observés chez certains enfants au cours de l'après-midi avec une période plus variable mais souvent peu différente de 2 à 3 heures, les indicateurs et signes qui annoncent et préparent l'endormissement nocturne se développent entre 20 et 22 heures, avec 21 heures comme "temps médian", c'est-à-dire 3 x 3 heures après 12 heures.

On retrouve cette périodicité ultradienne entre 2 et 3 ans, soit avec 2 épisodes de sommeil diurne (autour de 9 heures et de 12 heures), soit avec un seul autour de 12 heures (la sieste). Lorsque les enfants ne s'endorment plus vers 9 heures, la plupart présentent à ce moment une fréquence relativement élevée (elle est significativement plus élevée qu'à 10 ou 11 heures) des comportements qui précèdent habituellement l'endormissement, c'est-à-dire des bâillements, étirements, affalements sur la table ou le sol, fermetures, clignements ou clignotements des yeux, comportements autocentrés (doigt dans la bouche, prise de l'oreille... ), regard fixe, comportements répétitifs, "compulsifs" ou stéréotypés, non-réponse aux stimulations sonores et sollicitations vocales, y compris lorsque le nom de l'enfant est prononcé et répété.

Les études effectuées avec des enfants plus âgés à l'école maternelle et à l'école élémentaire montrent que l'ensemble des indicateurs et signes de non-vigilance conservent chez la plupart des "enfants-élèves" une fréquence plus élevée entre 9h. et 9h30 qu'aux autres moments de la matinée.

On peut ainsi émettre l'hypothèse qu'il y a une certaine continuité entre la rythmicité ultradienne de la veille et du sommeil observé au cours de la matinée chez les jeunes enfants (un épisode de sommeil ou un état de non-vigilance autour de 9 heures, et un épisode de sommeil vers 12 heures), et les fluctuations de la vigilance au cours de la matinée scolaire chez les enfants plus âgés. Autour de 9 heures, les indicateurs de non-vigilance apparaissent particulièrement accentués, fréquents et durables chez certains enfants, dès l'âge de 2 ans et tout au long de leur "parcours scolaire". La plupart apparaissent déficitaires dans la durée et la qualité de leur sommeil (voir plus loin) et / ou particulièrement insécurisés par les événements qu'ils ont vécus et vivent au quotidien.

S'agissant du deuxième endormissement de la phase éclairée, il survient aussi vers 12 heures chez la majorité des enfants de 2 à 3 ans. Entre 3 et 6 ans, il tend ensuite à se décaler plus ou moins progressivement et régulièrement entre 12 et 13 heures, puis 13 et 14 heures. Les observations suggèrent qu'entre 2 et 4 ans, un nombre croissant d'enfants parviennent de plus en plus souvent à "dépasser" leur état de non-vigilance (ou de somnolence) à midi pour vivre des interactions sociales au sein du milieu familial au retour de l'école, ou avec leurs pairs et autres partenaires dans les situations de table et de convivialité du "restaurant" scolaire. Ils repoussent ainsi leur endormissement de la mi-journée vers 13 ou 14 heures. Lorsque les "enfants élèves" ne s'endorment plus au début de l'après-midi, le moment de 13 à 15 heures reste marqué par une fréquence plus ou moins élevée des indicateurs de non vigilance, selon les enfants et les jours. Le fléchissement de la vigilance au début de l'après-midi n'apparaît pas corrélé à la quantité et la qualité des entrées alimentaires du déjeuner. Beaucoup d'enfants s'endorment au début de l'après-midi les jours où ils ne sont pas sous la contrainte du temps scolaire, en particulier pendant les vacances.

Les mêmes phénomènes sont observés au collège, même s'ils sont moins marqués, fréquents et durables qu'à l'école élémentaire.

Les moments de moindre vigilance comportementale observés autour de 9 heures et au début de l'après-midi se retrouvent dans les études sur les performances des "enfants élèves" à différents tests de vigilance et d'attention (voir les études de F.TESTU).

Il paraît souhaitable d'aménager la journée scolaire, et plus généralement la journée dans sa globalité, en tenant compte de l'évolution du rythme veille sommeil et des endormissements chez les enfants accueillis à l'école maternelle, et des fluctuations journalières de la vigilance chez les "enfants-élèves" de tous âges.

 

C. Les différences entre enfants

Il existe entre enfants de grandes différences dans les différentes variables qui constituent le rythme veille sommeil :

  • Le nombre des épisodes de sommeil au cours des 24 heures, et donc des alternances veille sommeil, est variable à un âge donné. Par exemple, il peut être de 6 ou 7 chez certains enfants de 4 à 5 mois, c'est-à-dire de 5 ou 6 épisodes diurnes et d'un épisode nocturne, alors qu'il est de 3 ou 4 chez d'autres. Ou encore, de 3 ou 4 chez la majorité des enfants de 12 mois, mais seulement de 2 chez quelques-uns (une sieste diurne et un épisode nocturne). Entre 2 et 6 ans, la majorité des enfants s'endort encore au début de l'après-midi dès qu'on leur en donne la possibilité.
  • La durée de l'épisode nocturne varie entre 8 et 14 heures chez la plupart des enfants de 4 à 5 ans, entre 7 et 12 heures chez la majorité des enfants de 10 à 11 ans, selon les individus, les jours et les alternances entre temps scolaires et temps de vacances. Elle est également variable chez les collégiens, les lycéens et les adultes de tous âges. On dit communément qu'il y a des petits et des grands dormeurs. Les grands dormeurs qui développent des déficits de sommeil en raison d'horaires familiaux, scolaires et sociaux en décalage de leur rythme veille-sommeil, peuvent compenser au moins partiellement leurs déficits s'ils ont la possibilité de prolonger certains épisodes de sommeil nocturne et / ou de faire la sieste (par exemple, dans la nuit du mardi au mercredi lorsque ce dernier jour est non scolaire, ou dans celle du vendredi au samedi dès lors que ce dernier jour est hors temps scolaire, ou encore pendant les jours fériés et les vacances). En revanche, les enfants qui n'ont pas cette possibilité cumulent les déficits de sommeil, avec pour conséquence des épisodes de somnolence ou de non-vigilance plus accentuées, fréquentes et durables que chez les autres enfants du même âge et de la même classe, non seulement aux moments habituels de moindre vigilance, mais aussi à d'autres moments de la journée.
  • La durée des épisodes de sommeil diurne est aussi très variable d'un enfant à l'autre. Entre 2 et 5 ans, elle peut être de 20 ou 30 minutes chez certains, de 2 à 3 heures chez d'autres, soit régulièrement, soit occasionnellement. Il paraît souhaitable que l'école maternelle organise ses journées pour que chaque enfant puisse vivre le temps de sieste qui le caractérise. En effet, J. PATY et ses collaborateurs viennent de montrer que les phénomènes physiologiques qui jalonnent un cycle complet de sommeil nocturne, se développent aussi chez les enfants d'école maternelle au cours des épisodes de sommeil diurne non interrompus.
  • Les indicateurs et signes qui annoncent et préparent le sommeil nocturne apparaissent et se développent à des heures variables d'un enfant à l'autre et d'un jour à l'autre. Certains enfants apparaissent prêts à s'endormir, et s'endorment, à 20 heures, et parfois plus tôt, alors que pour d'autres, c'est entre 22 et 23 heures. Il en est de même pour l'heure d'éveil "spontané" le matin : certains s'éveillent régulièrement à 5 heures, d'autres à 8 heures. On dit communément qu'il y a des "couche-tôt", "couche-tard", "lève tôt", "lève-tard"... En outre, il faut à chaque "enfant élève" un temps qui lui est propre pour qu'à la sortie du sommeil, sa vigilance cérébrale atteigne un niveau suffisant pour "nourrir" sa vigilance comportementale, son activation corporelle et son activation intellectuelle, et pour qu'il puisse "être en phase" avec les actes pédagogiques du maître. Certains s'ajustent rapidement. A d'autres, il faut plus de 2 heures.

Toutes ces différences peuvent être observées entre frères et sœurs que l'on compare entre eux aux même âges.

C'est au fil de la semaine, au cours des jours fériés et des vacances, que les conditions de vie familiale et les temps scolaires aménagés au cours de la journée et de la semaine, peuvent permettre aux différents enfants dont le rythme veille sommeil est "à contretemps" des temps sociaux, de compenser les ruptures de rythme et les déficits de sommeil induits ou renforcés par l'environnement. S'agissant de l'école, il paraît hautement souhaitable, voire nécessaire, que des temps, lieux et stratégies d'accueil appropriés soient organisés au début de chaque matinée scolaire pour permettre à chaque enfant de terminer sa nuit de sommeil si cela est nécessaire (la durée du dernier cycle est courte), de finir de se réveiller et de s'activer, de développer une vigilance et une capacité d'attention suffisantes pour être en mesure de mobiliser ses ressources intellectuelles. Le temps chrono biologique et chrono psychologique de moindre vigilance du début de la matinée peut ainsi être inclus dans le temps et la stratégie d'accueil.

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