L’ACCOMPAGNEMENT SCOLAIRE
ET EDUCATIF

Jean-Paul PAYET, Chercheur à l'Université Lumière Lyon 2

D'un point de vue pragmatique, l'accompagnement scolaire possède des propriétés spécifiques par rapport à l'école, quand bien même il se situerait dans le cadre strict de la remédiation ou de l'aide aux devoirs.

Le point de vue du sociologue est désenchanteur puisqu'on est amené à voir les écarts entre le discours, la théorie et la pratique, d'une compréhension des processus.

Je réfléchirai sur le partenariat et la définition de ce que l'on met derrière accompagnement scolaire, éducatif. Je centrerai ma réflexion sur le constat d'une institutionnalisation de l'accompagnement scolaire depuis 15 ans que l'on assiste à une progression quantitative des financements, de la mobilisation de l'État, des villes, des associations avec une volonté de cadrage de ce processus de la part des institutions.

L'accompagnement scolaire a acquis une légitimité, il est devenu incontournable. Il y a un droit nouveau à l'accompagnement scolaire.

Qu'est-ce qui se joue dans cette institutionnalisation, dans ce partenariat avec l'école ?

Cette légitimité gagnée par l'accompagnement scolaire s'est faite grâce au respect des territoires et des domaines historiques de l'école et du collège.

Du côté de l'école qui se définit comme une institution d'éducation globale de l'enfant-élève, l'accompagnement scolaire n'a été accepté qu'à condition qu'il reste en dehors de l'école. C'est-à-dire qu'il reste sur une classification socio-culturelle qui ne touche pas à la question centrale de l'aide aux devoirs, du soutien scolaire.

L'interdit du scolaire s'adresse de la part de professionnel à " tout profane ". C'est ce qui se passe actuellement autour des emplois jeunes : cette distinction entre le domaine réservé du professionnel et la frontière très forte avec le profane. Alors, l'école se paye ici un sacré paradoxe : à travers les devoirs, l'école suppose acquise l'intervention de profanes (les parents, la famille), elle suppose acquis un accompagnement scolaire domestique.

Du côté du collège, c'est un peu différent. Il est beaucoup moins gêné par l'accompagnement scolaire dans la mesure où il le définit comme un substitut familial, c'est-à-dire une instance qui peut être instrumentalisée dans le sens d'une division du travail. L'accompagnement scolaire devient un lieu de contrôle, "outil de maintenance de la production de l'élève quand la fabrique (scolaire) est fermée ".

Le collège trouve utile que cette fabrication puisse être continuée dans d'autres lieux. Il y a une limite imposée par le collège : la conception du rôle de l'accompagnement scolaire sur le mode de la sous-traitance, la limite étant sa non-reconnaissance à intervenir, à modifier le processus de fabrication de l'élève dans son contenu organisationnel. Pourtant, l'accompagnement scolaire, par la relation particulière instituée avec les élèves, est un lieu unique original, d'écoute, d'enregistrement de l'expérience scolaire, de la subjectivité vécue par les élèves.

Ainsi, la légitimité acquise par l'accompagnement scolaire est réelle mais elle s'est faite sur la base de conditions posées par l'école dont il faudrait examiner la pertinence.

Lorsqu'on réfléchit sur l'institutionnalisation de l'accompagnement scolaire, on pourrait en déduire que l'école délègue la remédiation de la difficulté scolaire d'une partie des élèves dans certains quartiers. On peut ainsi s'inquiéter d'un possible développement du marché scolaire qui instituerait une coupure entre des quartiers défavorisés et les autres. Dans ces quartiers défavorisés s'organiserait, à travers l'institutionnalisation de l'accompagnement scolaire, une défausse de l'école. Et dans les autres quartiers l'action de l'école serait complétée par le recours aux familles et à des dispositifs marchands.

Je voudrais discuter ce point en disant d'abord que je suis d'accord avec Dominique Glasman pour rappeler à l'école toute l'étendue de sa mission. Mais à tenir un tel point de vue, il me semble que l'on risque de conduire une critique radicale de l'accompagnement scolaire. Je me demande si cette critique ne pourrait pas conduire à une forme d'immobilisme et de repli sur la nostalgie d'un monde perdu. On peut bien sûr regretter, dénoncer les imperfections de l'école mais on ne peut pas réduire l'accompagnement scolaire à un rôle de pis-aller, on ne peut ignorer que l'accompagnement scolaire crée des dynamiques nouvelles propres.

Considérons plutôt qu'il se passe quelque chose dans l'accompagnement scolaire qui ne peut être réduit à ce que devrait faire l'école et qu'elle ne fait pas.

L'accompagnement scolaire instaure un cadre qui a des propriétés spécifiques :

  • L'absence de sanctions scolaires ; pas de notes, pas de conseils de classe, pas de diplômes, ni de décisions d'orientation. L'accompagnement scolaire répond ici à un besoin de sécurité de l'élève.
  • La citoyenneté du lieu : le jeune a le droit dans cet espace de contester le cadre, de l'aménager, de le modifier, de l'approprier. Il a le droit à la parole et le droit à l’écoute.
  • L'humanité : dans ce lieu, les erreurs du jeune sont possibles, elles n'entraînent pas de jugement dévalorisant, de jugement global sur l'identité de l'enfant. La diversité des caractères culturels est acceptée et valorisée. Il y a des adultes qui s'engagent en tant que personnes, c'est-à-dire qui se montrent en tant que personnes, dans leurs failles et leurs capacités à s'investir dans une relation interpersonnelle.
  • La réciprocité : les relations animateurs / élèves, la relation d'aide ne sont pas simples, ni transparentes. Elles ne sont pas dénuées d'une instrumentalisation par l'élève. C'est le débat sur la crainte que les élèves cherchent à faire faire leurs devoirs. Cette crainte est-elle condamnable a priori ? N'est-elle pas à replacer dans une réflexion pédagogique sur la relation d'aide qui suppose une confiance entre l'adulte et le jeune, une relation construite dans le temps. L'instrumentalisation de la relation par le jeune peut être posée comme un passage obligé, une étape de la relation, un désir de normalité, voire une demande de modèle.

L'accompagnement scolaire propose un cadre qui n'est pas seulement un cadre à finalité scolaire mais un cadre éducatif. C'est peut être le sens de ce terme "accompagnement scolaire et éducatif" : l'enfant est acteur, ses manières de faire et d'être ont droit de cité et on confronte des exigences de l'école mais qui sont présentées par des acteurs qui ne disposent pas de la contrainte institutionnelle de l'école.

L'accompagnement scolaire a des qualités citoyennes et propose à l'élève de reconstruire un rapport à l'école à travers des relations inter-individuelles qui sont différentes de celles qui se passent à l'école.

Pour conclure, j'ai donc essayé de définir un modèle positif de l'accompagnement scolaire, ce qui me permet de répondre à la question : " Où va t-on et quel est le rôle de l'accompagnement scolaire, quelles en sont les dérives ? " Les dérives se produisent chaque fois que le cadre de liberté, de réciprocité, de justice ainsi que l'identité de l'enfant et de l'intervenant sont menacés par une tendance à la production d'un cadre reproduisant la contrainte scolaire.

La difficulté est le malentendu possible entre une forme non scolaire et ce que l'on pourrait entendre sur le plan du contenu. C'est l'idée qu'un cadre non scolaire n'implique pas un contenu non scolaire : la raison d'être de l'accompagnement scolaire c'est vraiment de s'occuper de l'apprentissage des leçons et de la réalisation des devoirs requis par l'école, être l'équivalent de l'accompagnement scolaire domestique. Ce qui ne signifie pas qu'il faille prendre la place des familles, c'est aussi redonner un rôle aux familles dans cet accompagnement scolaire.

Au niveau de l'école élémentaire, l'accompagnement scolaire serait vraiment dans son rôle s'il remplissait cette mission de l'accompagnement scolaire domestique. Il faut réfléchir sur cet interdit de l'aide aux devoirs lorsque l'on connaît l'importance de l'aide familiale dans la réussite scolaire des enfants de tous milieux. En effet, je comprends que du point de vue institutionnel il y ait nécessité de clarifier les positions et les domaines, mais ne pas répondre à cette demande d'aide aux devoirs, c'est ne pas considérer l'expérience scolaire des enfants, ne pas prendre en compte l'humiliation de l'échec. L'idée serait de rapprocher des fonctionnements institutionnels qui se situent dans un jeu politique et puis une prise en compte du point de vue du jeune.

Au niveau du collège, l'accompagnement scolaire remplirait son rôle s'il était reconnu et intégré par l'établissement comme un vrai partenaire susceptible de renvoyer à l'institution scolaire cette expérience subjective des enfants en difficulté, donner du sens à la plainte des élèves, sans quoi ces rancœurs nourrissent les incivilités au sein de l'école. C'est autour de ce rôle de médiation, d'une parole légitime, mais non exprimée dans les termes attendus des enfants, que pourrait émerger un rôle nouveau de l'accompagnement scolaire.

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