Je réfléchirai sur le partenariat et
la définition de ce que l'on met derrière accompagnement
scolaire, éducatif. Je centrerai ma réflexion sur
le constat d'une institutionnalisation de l'accompagnement scolaire
depuis 15 ans que l'on assiste à une progression quantitative
des financements, de la mobilisation de l'État, des villes,
des associations avec une volonté de cadrage de ce processus
de la part des institutions.
L'accompagnement scolaire a acquis une légitimité,
il est devenu incontournable. Il y a un droit nouveau à
l'accompagnement scolaire.
Qu'est-ce qui se joue dans cette institutionnalisation, dans
ce partenariat avec l'école ?
Cette légitimité gagnée par l'accompagnement
scolaire s'est faite grâce au respect des territoires et
des domaines historiques de l'école et du collège.
Du côté de l'école qui se définit
comme une institution d'éducation globale de l'enfant-élève,
l'accompagnement scolaire n'a été accepté
qu'à condition qu'il reste en dehors de l'école.
C'est-à-dire qu'il reste sur une classification socio-culturelle
qui ne touche pas à la question centrale de l'aide aux
devoirs, du soutien scolaire.
L'interdit du scolaire s'adresse de la part de professionnel
à " tout profane ". C'est ce qui se passe
actuellement autour des emplois jeunes : cette distinction entre
le domaine réservé du professionnel et la frontière
très forte avec le profane. Alors, l'école se paye
ici un sacré paradoxe : à travers les devoirs,
l'école suppose acquise l'intervention de profanes (les
parents, la famille), elle suppose acquis un accompagnement scolaire
domestique.
Du côté du collège, c'est un peu différent.
Il est beaucoup moins gêné par l'accompagnement
scolaire dans la mesure où il le définit comme
un substitut familial, c'est-à-dire une instance qui peut
être instrumentalisée dans le sens d'une division
du travail. L'accompagnement scolaire devient un lieu de contrôle,
"outil de maintenance de la production de l'élève
quand la fabrique (scolaire) est fermée ".
Le collège trouve utile que cette fabrication puisse
être continuée dans d'autres lieux. Il y a une limite
imposée par le collège : la conception du rôle
de l'accompagnement scolaire sur le mode de la sous-traitance,
la limite étant sa non-reconnaissance à intervenir,
à modifier le processus de fabrication de l'élève
dans son contenu organisationnel. Pourtant, l'accompagnement
scolaire, par la relation particulière instituée
avec les élèves, est un lieu unique original, d'écoute,
d'enregistrement de l'expérience scolaire, de la subjectivité
vécue par les élèves.
Ainsi, la légitimité acquise par l'accompagnement
scolaire est réelle mais elle s'est faite sur la base
de conditions posées par l'école dont il faudrait
examiner la pertinence.
Lorsqu'on réfléchit sur l'institutionnalisation
de l'accompagnement scolaire, on pourrait en déduire
que l'école délègue la remédiation
de la difficulté scolaire d'une partie des élèves
dans certains quartiers. On peut ainsi s'inquiéter d'un
possible développement du marché scolaire qui instituerait
une coupure entre des quartiers défavorisés et
les autres. Dans ces quartiers défavorisés s'organiserait,
à travers l'institutionnalisation de l'accompagnement
scolaire, une défausse de l'école. Et dans les
autres quartiers l'action de l'école serait complétée
par le recours aux familles et à des dispositifs marchands.
Je voudrais discuter ce point en disant d'abord que je suis
d'accord avec Dominique Glasman pour rappeler à l'école
toute l'étendue de sa mission. Mais à tenir un
tel point de vue, il me semble que l'on risque de conduire une
critique radicale de l'accompagnement scolaire. Je me demande
si cette critique ne pourrait pas conduire à une forme
d'immobilisme et de repli sur la nostalgie d'un monde perdu.
On peut bien sûr regretter, dénoncer les imperfections
de l'école mais on ne peut pas réduire l'accompagnement
scolaire à un rôle de pis-aller, on ne peut ignorer
que l'accompagnement scolaire crée des dynamiques nouvelles
propres.
Considérons plutôt qu'il se passe quelque chose
dans l'accompagnement scolaire qui ne peut être réduit
à ce que devrait faire l'école et qu'elle ne fait
pas.
L'accompagnement scolaire instaure un cadre qui a des propriétés
spécifiques :
- L'absence de sanctions scolaires ; pas de notes, pas
de conseils de classe, pas de diplômes, ni de décisions
d'orientation. L'accompagnement scolaire répond ici à
un besoin de sécurité de l'élève.
- La citoyenneté du lieu : le jeune a le droit dans
cet espace de contester le cadre, de l'aménager, de le
modifier, de l'approprier. Il a le droit à la parole et
le droit à lécoute.
- L'humanité : dans ce lieu, les erreurs du jeune sont
possibles, elles n'entraînent pas de jugement dévalorisant,
de jugement global sur l'identité de l'enfant. La diversité
des caractères culturels est acceptée et valorisée.
Il y a des adultes qui s'engagent en tant que personnes, c'est-à-dire
qui se montrent en tant que personnes, dans leurs failles et
leurs capacités à s'investir dans une relation
interpersonnelle.
- La réciprocité : les relations animateurs /
élèves, la relation d'aide ne sont pas simples,
ni transparentes. Elles ne sont pas dénuées d'une
instrumentalisation par l'élève. C'est le débat
sur la crainte que les élèves cherchent à
faire faire leurs devoirs. Cette crainte est-elle condamnable
a priori ? N'est-elle pas à replacer dans une réflexion
pédagogique sur la relation d'aide qui suppose une confiance
entre l'adulte et le jeune, une relation construite dans le temps.
L'instrumentalisation de la relation par le jeune peut être
posée comme un passage obligé, une étape
de la relation, un désir de normalité, voire une
demande de modèle.
L'accompagnement scolaire propose un cadre qui n'est pas seulement
un cadre à finalité scolaire mais un cadre éducatif.
C'est peut être le sens de ce terme "accompagnement
scolaire et éducatif" : l'enfant est acteur, ses
manières de faire et d'être ont droit de cité
et on confronte des exigences de l'école mais qui sont
présentées par des acteurs qui ne disposent pas
de la contrainte institutionnelle de l'école.
L'accompagnement scolaire a des qualités citoyennes
et propose à l'élève de reconstruire un
rapport à l'école à travers des relations
inter-individuelles qui sont différentes de celles qui
se passent à l'école.
Pour conclure, j'ai donc essayé de définir un
modèle positif de l'accompagnement scolaire, ce qui me
permet de répondre à la question : " Où
va t-on et quel est le rôle de l'accompagnement scolaire,
quelles en sont les dérives ? " Les dérives
se produisent chaque fois que le cadre de liberté, de
réciprocité, de justice ainsi que l'identité
de l'enfant et de l'intervenant sont menacés par une tendance
à la production d'un cadre reproduisant la contrainte
scolaire.
La difficulté est le malentendu possible entre une
forme non scolaire et ce que l'on pourrait entendre sur le plan
du contenu. C'est l'idée qu'un cadre non scolaire n'implique
pas un contenu non scolaire : la raison d'être de l'accompagnement
scolaire c'est vraiment de s'occuper de l'apprentissage des leçons
et de la réalisation des devoirs requis par l'école,
être l'équivalent de l'accompagnement scolaire domestique.
Ce qui ne signifie pas qu'il faille prendre la place des familles,
c'est aussi redonner un rôle aux familles dans cet accompagnement
scolaire.
Au niveau de l'école élémentaire, l'accompagnement
scolaire serait vraiment dans son rôle s'il remplissait
cette mission de l'accompagnement scolaire domestique. Il faut
réfléchir sur cet interdit de l'aide aux devoirs
lorsque l'on connaît l'importance de l'aide familiale dans
la réussite scolaire des enfants de tous milieux. En effet,
je comprends que du point de vue institutionnel il y ait
nécessité de clarifier les positions et les domaines,
mais ne pas répondre à cette demande d'aide aux
devoirs, c'est ne pas considérer l'expérience scolaire
des enfants, ne pas prendre en compte l'humiliation de l'échec.
L'idée serait de rapprocher des fonctionnements institutionnels
qui se situent dans un jeu politique et puis une prise en compte
du point de vue du jeune.
Au niveau du collège, l'accompagnement scolaire remplirait
son rôle s'il était reconnu et intégré
par l'établissement comme un vrai partenaire susceptible
de renvoyer à l'institution scolaire cette expérience
subjective des enfants en difficulté, donner du sens à
la plainte des élèves, sans quoi ces rancurs
nourrissent les incivilités au sein de l'école.
C'est autour de ce rôle de médiation, d'une parole
légitime, mais non exprimée dans les termes attendus
des enfants, que pourrait émerger un rôle nouveau
de l'accompagnement scolaire. |