Les enjeux de l’accueil éducatif
Dominique Glasman, professeur de sociologie à l’université de Chambéry et chercheur au Centre National de Recherche Scientifique.

Faut-il parler d'enjeux de l'accueil éducatif ou plutôt d'enjeux de l'accompagnement scolaire ?

Personnellement, sans sous estimer l'impact de la seconde formulation, je préfère la première ; ceci pour deux raisons essentielles : je trouve les exigences de l'école trop envahissantes dans la vie quotidienne des enfants et des adolescents. De plus, l'école n'est pas le seul espace éducatif légitime. Les enfants ont besoin d'autres temps que le temps scolaire et d'autres acteurs que les enseignants.
Réfléchir aujourd'hui aux enjeux de l'accueil éducatif, cela revient à poser les jalons nécessaires pour éduquer à la fin du XXè siècle.

 

Les enjeux de l'accueil éducatif pour les enfants et adolescents

 

Le premier enjeu pour les enfants et les adolescents est celui de la socialisation. Cet enjeu est d'autant plus important que nous sommes passés d'une socialisation traditionnellement verticale (de l'adulte vers l'enfant) à une socialisation horizontale (des enfants vers les enfants). Les repères sont maintenant plus souvent que naguère définis par les pairs et moins par les adultes. On pourrait penser que l'intervention d'éducateurs n'est plus nécessaire, alors que ce n'est pas vrai du tout. Le deuxième enjeu est celui de la multiplication des lieux éducatifs et donc des adultes en capacité d'agir. La fréquentation par les jeunes d'autres lieux de vie que l'école ou la maison leur permet de bénéficier d'autres influences que celle des enseignants chargés d'instruire, mais aussi de noter, et que celle des parents, naturelle, indispensable, mais non suffisante.

Cette multiplication des lieux permet notamment de compléter et d'enrichir les repères des enfants, de leur faire découvrir d'autres systèmes de référence, et bien sûr l'existence d'autres valeurs. Se pose alors une question importante si l'on multiplie les lieux éducatifs : " Y a t-il nécessité de continuité, de complémentarité et de cohérence entre ceux-ci ? "

Je répondrai pour ma part, que cohérence ne veut pas dire ressemblance. Il y a de fait enrichissement des enfants et des jeunes par les différences, à condition toutefois que celles-ci leur soient lisibles.

Il me semble par conséquent essentiel sur le plan éducatif, donc pour le développement des enfants et des adolescents, de leur permettre de vivre des ruptures entre les lieux où les espaces. Ils devront s'adapter, dans la mesure, bien évidemment ou on leur aura fourni des clés de décodage ou des repères leur permettant de gérer efficacement ces ruptures. Ce sont ces adaptations qui sont primordiales dans le processus éducatif.

On rencontre a contrario, de plus en plus souvent, un souci compulsif de continuité entre les différents temps et espaces. On veut éviter tout traumatisme qui n'est évidemment jamais souhaitable ni fécond, mais pourquoi penser que l'absence de continuité puisse être traumatisante ? À mon sens, on sous estime totalement le rôle des ruptures dans les processus de développement, dans la maturation des enfants et des adolescents.

Ce souci récent de continuité devient même paradoxalement un risque de blocage dans la mise en place des actions ou des réflexions. Alors, qu'encore une fois, je le répète, la lisibilité des différences est sans doute plus positive que la continuité.

 

Les enjeux de l'accueil éducatif pour les parents

L'accompagnement éducatif a pour fonction de compléter l'éducation donnée par la famille. Cette complémentarité est d'autant plus nécessaire qu'aucune famille, de quelque milieu qu'elle soit, ne peut donner à ses enfants tout ce dont ils ont besoin pour grandir et se développer. Toute famille présente des "carences", variables cependant d'un domaine à l'autre. Il faut que les enfants rencontrent ailleurs d'autres espaces, d'autres valeurs, pour les découvrir, les appréhender, s'y confronter et, ce faisant, vérifier la validité des valeurs familiales à l'extérieur de leur cadre de référence. Les parents ne peuvent pas toujours définir une attente éducative précise et claire. Ce qu'ils souhaitent pour leurs enfants est à la fois précis et flou ; précis quant aux fréquentations souhaitées et à la protection recherchée, flou quant aux actions concrètes à proposer. Résultat logique de ce flou dans les attentes parentales : en matière éducative, il y a largement plus d'offres que de demandes.

Il faut encore considérer une demande très forte de la part des acteurs sociaux concernant l'implication des parents. Nous sommes souvent interpellés par des incantations du type "les parents doivent s'impliquer". Mais que veut-on aux parents quand on leur demande de s'impliquer ? À titre personnel, j'enverrais "balader" les gens qui me demandent de m'impliquer à l'école ou dans les loisirs familiaux. La délégation c'est aussi une attitude parentale, et ce n'est pas forcément une décharge de leur part. Cela dit, cette question mérite sans doute d'être posée. En réponse à cette demande d'implication ne pourrait-on d'ailleurs pas imaginer que celle-ci existe sous d'autres formes que la participation ? (faire confiance, déléguer... ).

 

Les enjeux pour les éducateurs

Je précise que dans le terme "éducateur", j'entends aussi bien les personnes que les mouvements d'éducation. La fonction première de l'accueil éducatif oblige les éducateurs à avoir le souci de définir qui ils sont, au nom de quoi ils souhaitent éduquer, et comment ils souhaitent le faire. En effet, penser l'éducation des jeunes, c'est penser corrélativement à la définition de soi. Le questionnement central qui en résulte, à mon sens, pour les mouvements de pensée est alors le suivant : "que doit-on transmettre ?" donc, "qu'est-ce qui vaut le coup d'être transmis ?" et, ce faisant, "comment le transmettre ? ".

Au fil des ans, après une centration très forte des mouvements d'éducation sur les valeurs, est apparue progressivement une centration sur les besoins. Il s'agit là d'un retournement de perspective. La prise en charge des enfants et des adolescents qui s'établissait primitivement au nom d'idées, de réflexions, de philosophies politiques définies, a été peu à peu supplantée par une autre logique : celle des besoins.

Les associations, les structures font assaut d'inventivité pour trouver de nouveaux services à proposer, et ce faisant, on ne sait plus très bien où sont l'éducation et le projet éducatif. Pourtant, ils existent, mais leur lisibilité est devenue difficile. Trois termes permettent cependant de retrouver du sens dans les actions, mais ils sont souvent confondus :

  • la citoyenneté, très souvent affichée comme mot d'ordre ou principe,
  • le civisme, qui recoupe un certain nombre de règles de comportement collectif,
  • la civilité (cf Jean-Paul Payet, sociologue) qui recoupe le mode d'entrée en relation avec l'autre, la façon de se parler et de s'écouter.

J'ajoute que l'accueil éducatif est devenu un véritable enjeu de marché. L'offre est énorme tant dans le cadre de l'accompagnement scolaire que dans l'aménagement des temps de l'enfant. Les acteurs potentiels disponibles pour intervenir dans le champ éducatif sont actuellement en très grand nombre. D'autant que ce type d'action génère d'importantes et de multiples possibilités de subventions pour les acteurs qui se situent dans ce champ. Lorsque de plus les enjeux de la réussite scolaire deviennent envahissants, une clientèle se développe simultanément à l'apparition de l'offre. Il y a donc depuis quelques temps une concurrence qui s'est installée, aussi bien sur les valeurs que sur les subventions.

 

Les enjeux de l'accueil éducatif pour l'école

Autrefois, l'école était un espace intermédiaire où les enfants apprenaient, généralement à l'abri de la pression et des attentes familiales. Les conséquences sociales de la non réussite scolaire sont devenues telles que les enfants et les jeunes sont maintenant soumis, à l'école, à cette pression et à ces attentes familiales, auxquelles s'ajoutent de plus les attentes de l'institution et la pression de la sanction scolaire.

L'école n'est donc plus un espace intermédiaire, protégé, mais un lieu où l'on apprend, un temps qu'il ne faut surtout pas sous-estimer et qui a acquis sa spécificité.

Il est donc indispensable qu'existent d'autres lieux où les enfants soient à l'abri de ces multiples pressions et où ils puissent s'y construire sereinement.

En guise de conclusion, je veux résumer les enjeux de l'accompagnement éducatif tel que je viens de les exposer, en les synthétisant.

 

Pour les enfants et les adolescents ;

les enjeux concernent d'une part la socialisation et le "contrebalancement de l'action de l'interéducation", d'autre part la multiplication des lieux et espaces permettant lors des ruptures, par des différences lisibles, un enrichissement des processus de développement dans la maturation.

 

Pour les parents ;

les enjeux se situent d'une part au niveau de la complémentarité de leur action éducative, et d'autre part, au niveau des modalités de leur implication liées à l'éclaircissement de leurs attentes éducatives.

 

Pour les éducateurs ;

les enjeux concement leur recentrage sur les valeurs et le projet éducatif, ainsi que les conséquences du développement d'une concurrence, voire d'une course à la clientèle dans le champ de l'éducation.

 

Pour l'école ;

L'enjeu est la reconnaissance de sa spécificité, ainsi que l'existence d'autres lieux intermédiaires où enfants et adolescents pourront se construire à l'abri des pressions.

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