Le premier enjeu pour les enfants et les adolescents est celui
de la socialisation. Cet enjeu est d'autant plus important que
nous sommes passés d'une socialisation traditionnellement
verticale (de l'adulte vers l'enfant) à une socialisation
horizontale (des enfants vers les enfants). Les repères
sont maintenant plus souvent que naguère définis
par les pairs et moins par les adultes. On pourrait penser que
l'intervention d'éducateurs n'est plus nécessaire,
alors que ce n'est pas vrai du tout. Le deuxième enjeu
est celui de la multiplication des lieux éducatifs et
donc des adultes en capacité d'agir. La fréquentation
par les jeunes d'autres lieux de vie que l'école ou la
maison leur permet de bénéficier d'autres influences
que celle des enseignants chargés d'instruire, mais aussi
de noter, et que celle des parents, naturelle, indispensable,
mais non suffisante.
Cette multiplication des lieux permet notamment de compléter
et d'enrichir les repères des enfants, de leur faire découvrir
d'autres systèmes de référence, et bien
sûr l'existence d'autres valeurs. Se pose alors une question
importante si l'on multiplie les lieux éducatifs : "
Y a t-il nécessité de continuité, de complémentarité
et de cohérence entre ceux-ci ? "
Je répondrai pour ma part, que cohérence ne
veut pas dire ressemblance. Il y a de fait enrichissement des
enfants et des jeunes par les différences, à
condition toutefois que celles-ci leur soient lisibles.
Il me semble par conséquent essentiel sur le plan éducatif,
donc pour le développement des enfants et des adolescents,
de leur permettre de vivre des ruptures entre les lieux où
les espaces. Ils devront s'adapter, dans la mesure, bien évidemment
ou on leur aura fourni des clés de décodage ou
des repères leur permettant de gérer efficacement
ces ruptures. Ce sont ces adaptations qui sont primordiales dans
le processus éducatif.
On rencontre a contrario, de plus en plus souvent,
un souci compulsif de continuité entre les différents
temps et espaces. On veut éviter tout traumatisme
qui n'est évidemment jamais souhaitable ni fécond,
mais pourquoi penser que l'absence de continuité puisse
être traumatisante ? À mon sens, on sous estime
totalement le rôle des ruptures dans les processus de développement,
dans la maturation des enfants et des adolescents.
Ce souci récent de continuité devient même
paradoxalement un risque de blocage dans la mise en place des
actions ou des réflexions. Alors, qu'encore une fois,
je le répète, la lisibilité des différences
est sans doute plus positive que la continuité.
Les enjeux de l'accueil éducatif pour les parents
L'accompagnement éducatif a pour fonction de compléter
l'éducation donnée par la famille. Cette complémentarité
est d'autant plus nécessaire qu'aucune famille, de quelque
milieu qu'elle soit, ne peut donner à ses enfants tout
ce dont ils ont besoin pour grandir et se développer.
Toute famille présente des "carences", variables
cependant d'un domaine à l'autre. Il faut que les enfants
rencontrent ailleurs d'autres espaces, d'autres valeurs, pour
les découvrir, les appréhender, s'y confronter
et, ce faisant, vérifier la validité des valeurs
familiales à l'extérieur de leur cadre de référence.
Les parents ne peuvent pas toujours définir une attente
éducative précise et claire. Ce qu'ils souhaitent
pour leurs enfants est à la fois précis et flou ;
précis quant aux fréquentations souhaitées
et à la protection recherchée, flou quant aux actions
concrètes à proposer. Résultat logique de
ce flou dans les attentes parentales : en matière éducative,
il y a largement plus d'offres que de demandes.
Il faut encore considérer une demande très forte
de la part des acteurs sociaux concernant l'implication des parents.
Nous sommes souvent interpellés par des incantations du
type "les parents doivent s'impliquer". Mais que veut-on
aux parents quand on leur demande de s'impliquer ? À titre
personnel, j'enverrais "balader" les gens qui me demandent
de m'impliquer à l'école ou dans les loisirs familiaux.
La délégation c'est aussi une attitude parentale,
et ce n'est pas forcément une décharge de leur
part. Cela dit, cette question mérite sans doute d'être
posée. En réponse à cette demande d'implication
ne pourrait-on d'ailleurs pas imaginer que celle-ci existe sous
d'autres formes que la participation ? (faire confiance, déléguer...
).
Les enjeux pour les éducateurs
Je précise que dans le terme "éducateur",
j'entends aussi bien les personnes que les mouvements d'éducation.
La fonction première de l'accueil éducatif oblige
les éducateurs à avoir le souci de définir
qui ils sont, au nom de quoi ils souhaitent éduquer, et
comment ils souhaitent le faire. En effet, penser l'éducation
des jeunes, c'est penser corrélativement à la définition
de soi. Le questionnement central qui en résulte, à
mon sens, pour les mouvements de pensée est alors le suivant
: "que doit-on transmettre ?" donc, "qu'est-ce
qui vaut le coup d'être transmis ?" et, ce faisant,
"comment le transmettre ? ".
Au fil des ans, après une centration très forte
des mouvements d'éducation sur les valeurs, est apparue
progressivement une centration sur les besoins. Il s'agit là
d'un retournement de perspective. La prise en charge des enfants
et des adolescents qui s'établissait primitivement au
nom d'idées, de réflexions, de philosophies politiques
définies, a été peu à peu supplantée
par une autre logique : celle des besoins.
Les associations, les structures font assaut d'inventivité
pour trouver de nouveaux services à proposer, et ce faisant,
on ne sait plus très bien où sont l'éducation
et le projet éducatif. Pourtant, ils existent, mais leur
lisibilité est devenue difficile. Trois termes permettent
cependant de retrouver du sens dans les actions, mais ils sont
souvent confondus :
- la citoyenneté, très souvent affichée
comme mot d'ordre ou principe,
- le civisme, qui recoupe un certain nombre de règles
de comportement collectif,
- la civilité (cf Jean-Paul Payet, sociologue) qui recoupe
le mode d'entrée en relation avec l'autre, la façon
de se parler et de s'écouter.
J'ajoute que l'accueil éducatif est devenu un véritable
enjeu de marché. L'offre est énorme tant dans le
cadre de l'accompagnement scolaire que dans l'aménagement
des temps de l'enfant. Les acteurs potentiels disponibles pour
intervenir dans le champ éducatif sont actuellement en
très grand nombre. D'autant que ce type d'action génère
d'importantes et de multiples possibilités de subventions
pour les acteurs qui se situent dans ce champ. Lorsque de plus
les enjeux de la réussite scolaire deviennent envahissants,
une clientèle se développe simultanément
à l'apparition de l'offre. Il y a donc depuis quelques
temps une concurrence qui s'est installée, aussi bien
sur les valeurs que sur les subventions.
Les enjeux de l'accueil éducatif pour l'école
Autrefois, l'école était un espace intermédiaire
où les enfants apprenaient, généralement
à l'abri de la pression et des attentes familiales. Les
conséquences sociales de la non réussite scolaire
sont devenues telles que les enfants et les jeunes sont maintenant
soumis, à l'école, à cette pression et à
ces attentes familiales, auxquelles s'ajoutent de plus les attentes
de l'institution et la pression de la sanction scolaire.
L'école n'est donc plus un espace intermédiaire,
protégé, mais un lieu où l'on apprend, un
temps qu'il ne faut surtout pas sous-estimer et qui a acquis
sa spécificité.
Il est donc indispensable qu'existent d'autres lieux où
les enfants soient à l'abri de ces multiples pressions
et où ils puissent s'y construire sereinement.
En guise de conclusion, je veux résumer les enjeux
de l'accompagnement éducatif tel que je viens de les exposer,
en les synthétisant.
Pour les enfants et les adolescents ;
les enjeux concernent d'une part la socialisation et le "contrebalancement
de l'action de l'interéducation", d'autre part la
multiplication des lieux et espaces permettant lors des ruptures,
par des différences lisibles, un enrichissement des processus
de développement dans la maturation.
Pour les parents ;
les enjeux se situent d'une part au niveau de la complémentarité
de leur action éducative, et d'autre part, au niveau des
modalités de leur implication liées à l'éclaircissement
de leurs attentes éducatives.
Pour les éducateurs ;
les enjeux concement leur recentrage sur les valeurs et le
projet éducatif, ainsi que les conséquences du
développement d'une concurrence, voire d'une course à
la clientèle dans le champ de l'éducation.
Pour l'école ;
L'enjeu est la reconnaissance de sa spécificité,
ainsi que l'existence d'autres lieux intermédiaires où
enfants et adolescents pourront se construire à l'abri
des pressions. |