Les stratégies d'accueil des enfants à l'école

Hubert Montagner, directeur de l’INSERM

A. Est-il nécessaire d'élaborer des stratégies d'accueil des enfants à l'école ?

On peut, en partant de l'une des définitions du Larousse, définir l'accueil à l'école comme "l'art" de combiner et coordonner les actions de l'équipe éducative et pédagogique pour recevoir les enfants dès leur arrivée, avec pour objectif de faciliter l'ensemble des fonctions, processus et conduites ensuite nécessaires aux acquisitions et apprentissages scolaires. L'objectif est de créer les conditions pour que chaque "enfant - élève" puisse :

  • Dépasser l'insécurité, les peurs, l'inquiétude, l'anxiété et l'angoisse qu'il (elle) a développées en relation avec ses difficultés à apprendre et s'ajuster aux exigences de l'école, ses difficultés personnelles dans le milieu familial (non-attachement ou détachement avec son (ou ses) parent(s), maltraitance, non-reconnaissance de ses particularités et capacité...) et / ou des difficultés de ses parents (perte d'emploi effective ou redoutée ; conditions et rythmes de travail éprouvants ; rupture et cassure entre les parents, avec la fratrie... ; maladie, accident ou décès d'un parent. En effet, l'insécurité, l'inquiétude, l'anxiété, l'angoisse, "l'enfermement" dans des peurs se traduisent par des conduites qui ne permettent pas à "l'enfant - élève" de mobiliser et développer ses processus cognitifs et ses ressources intellectuelles et qui se traduisent par :
  • des conduites autocentrées (repli sur soi-même) ;
  • des conduites de crainte (sursauts, gestes d'auto - protection comme pour se défendre contre une agression, pleurs... ) ;
  • des conduites de fuite ;
  • des conduites "d'hyperactivité" (le mouvement pour le mouvement", l'instabilité comportementale... ) ;
  • des conduites d'agression - destruction.

Ces différents "registres" de conduites (qui sont les " indicateurs" d'insécurité les plus lisibles et fréquents) contrarient ou empêchent chez "l'enfant-élève" la mobilisation et le développement d'une vigilance suffisante et de capacités d'attention suffisantes pour capter le message du maître et lui donner toute sa signification et tout son sens. On dit alors communément qu'il n'écoute pas, qu'il est dans sa bulle ou sur son nuage, fuyant ou évitant, turbulent ou instable, non structuré ou déstructuré, insupportable... En d'autres termes, il n'apparaît pas disponible pour recevoir utilement et vraiment un message pédagogique dans sa réalité et son intégrité.

  • Finir de se réveiller et de s’activer cérébralement, et avoir ainsi une vigilance cérébrale et comportementale suffisante pour être réceptif et attentif à l'environnement, notamment aux actes et discours du pédagogue, à un "moment chrono biologique" (vers 9 heures) habituellement marqué par une faible vigilance. "L'enfant - élève" ne peut accéder aux apprentissages que s'il peut mobiliser une attention soutenue et non interrompue.
  • Finir de s'activer corporellement, et retrouver ainsi des repères sur les espaces et les partenaires scolaires, en particulier les maîtres et les pairs. Il ne peut se situer par rapport aux uns et aux autres que s'il dispose d'un temps suffisant pour organiser son comportement et développer avec eux des interactions structurantes et non in-sécurisantes

L'absence d'accueil individualisé est particulièrement préjudiciable pour les "enfants - élèves" qui présentent tous les jours des indicateurs d'insécurité accentués et fréquents, et qui ont besoin de plus de temps que la plupart des autres pour " s'activer " cérébralement, comportementalement et psychologiquement.

B. Comment organiser l'accueil des différents "enfants-élèves? "

 

  • Les lieux et personnes pour rassurer et sécuriser
  • Les "enfants élèves’’ devraient pouvoir se rendre individuellement dans des lieux intérieurs et extérieurs qui sont intermédiaires entre "le dehors et le dedans", c'est-à-dire entre l'ensemble des lieux où chacun a évolué depuis son éveil ("niche familiale", rue, "véhicule" de transport, autres lieux non familiaux) et l'entrée dans l'enceinte de l'école.
  • N'ayant pas de fonction pédagogique, les "lieux intermédiaires" comprennent des mobiliers et aménagements qui ont une forte probabilité d'être anxiolytiques, et "sources" d'apaisement :
    • ils autorisent le blottissement et la détente corporelle ;
    • ils permettent l'isolement ou l'interaction avec un ou des partenaires choisis, à l'écart de ceux qui sont craints ou évités ;
    • ils réduisent les effets physiologiques et psychiques des événements et situations de stress vécus au cours des temps précédents ;
    • ils "épongent" les émotions et affects déstabilisants ou déstructurants des temps familiaux, de transport... ;
    • ils remobilisent les émotions et affects stabilisants et structurants ;
    • ils libèrent la pensée de l'appréhension des moments d'apprentissage scolaire ;
    • ils facilitent de façon personnalisée le retour à la vigilance cérébrale et comportementale.

Il parait souhaitable que les "enfants-élèves" soient accueillis dans ces "lieux intermédiaires" par une personne-ressource acceptée et reconnue comme un partenaire dont les fonctions et missions sont d'être disponible, d'écouter et entendre, de dialoguer et communiquer, de faire émerger et "mettre en forme" un projet, ou en proposer, d'admettre sans jugement les représentations et interprétations de tous, d'apporter des réponses aux demandes et questionnements de "l'enfant-élève" et de lui permettre de développer auto-estime et confiance en soi, sans le renvoyer à des difficultés personnelles, familiales. sociales ou scolaires. Les personnels composant les RASED, les médecins de P.M.I. (écoles maternelles) et les médecins scolaires (écoles élémentaires) ne sauraient être oubliés.

  1. Des lieux et des personnes pour finir de se réveiller et de s’activer cérébralement

A l'abri du bruit et du "mouvement pour le mouvement", il peut s'agir de lieux aménagés pour autoriser le blottissement et la détente corporelle, la rêverie et la somnolence (voire l'endormissement pour les plus jeunes et ceux qui sont "en dette de sommeil", la durée du dernier cycle de sommeil est courte), et le retour, au "rythme" de chacun, à une vigilance cérébrale et comportementale qui soit suffisante pour se situer par rapport aux repères et partenaires habituels, et accepter l'idée des temps pédagogiques à vivre et des apprentissages à construire.

  • Il peut s'agir de lieux d'immersion dans des bains de signes qui sollicitent l'imaginaire sans contraintes, c'est-à-dire de lieux où, à l'abri du bruit et du "mouvement pour le mouvement", chacun puisse vivre une histoire racontée ou lue, "s’immerger" dans des images, des mélodies, des bruits et chants de la nature, etc.
  • Il peut s'agir de lieux d'activités ludiques solitaires (jeux de construction, puzzles, peintures, sculptures, émaux...), d'activités ludiques à deux ou en petit groupe (jeux de dames ou d'échecs, jeux interactifs de construction) et / ou d'activités sans enjeu scolaire mais fondées sur la coopération et l'entraide (confection de posters ou de fresques, réalisation d'un journal de classe ou d'école, danses... ).

Les personnes ressources sont des personnes d'accompagnement et d'aide sollicitée (par les enfants) et non imposée. Elles n'imposent ni les activités, ni les règles. Elles ne jugent pas et ne prennent pas parti. Elles sont des intermédiaires et des médiateurs. Elles apaisent et désamorcent les conflits. Elles favorisent les transactions et négociations. Elles valorisent chacun et lui permettent de formuler un projet. Il peut s'agir d'enseignants, d'éducateurs, de personnes des RASED, de médecins de P.M.I. et scolaires, d'aides éducateurs, de parents, d'enfants plus âgés, de personnes des milieux associatifs...

Des lieux et des personnes pour finir de s'activer corporellement

La cour de récréation, la salle polyvalente, les terrains de jeux ou de sports intégrés à l'école ou annexes, et d'autres lieux peuvent être aménagés pour autoriser les évolutions dans les différentes dimensions de l'espace (longueur, largeur, hauteur, profondeur), soit individuellement, soit en groupe. Les lieux sont conçus pour que chacun puisse s'activer à son rythme, seul ou avec un ou plusieurs autres, croiser, dépasser, partager, coopérer... en prenant soin de son équilibre corporel et de celui de l'autre, en se situant à la fois par rapport aux individus et au groupe. C'est à la fois l'éveil et la vigilance dans la perception, la motricité, l'interaction, la relation, les comportements sociaux et les processus cognitifs qui peuvent se développer sur l’initiative de chacun. C'est l'agressivité qui se trouve canalisée. Ce sont des interactions structurantes ou non destructurantes qui peuvent s'organiser avec les personnes d'accompagnement et les pairs.

C'est l’insécurité et les peurs nées ailleurs qui peuvent alors être dépassées.
Les personnes ressources sont des personnes d'accompagnement et d'aide sollicitée (par les enfants) et non imposée.

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