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Indochine

I. Aperçu historique. — Sur les cinq pays qui composent l'Etat colonial aujourd'hui appelé Indochine, on peut, en négligeant la très faible part qui revient à la civilisation malaise, en négligeant aussi la civilisation rudimentaire de quelques peuplades confinées dans certaines régions montagneuses, dire que deux d'entre eux, le Cambodge et le Laos, relèvent des civilisations venues de l'Inde, et que les trois autres, la Cochinchine, l'Annam et le Tonkin, procèdent directement de la civilisation chinoise. C'est donc de cette double source que découle l'enseignement que la France a trouvé installé en Indochine, et qu'elle a elle-même modifié de manière plus ou moins profonde.

Au Cambodge et au Laos, l'instruction publique n'était pas séparée du culte, qui était le bouddhisme orthodoxe, venu de Ceylan, et propagé à travers la Birmanie et le Siam. C est dans l'édifice cultuel, appelé pagode par les Européens, que les enfants venaient s'instruire dès l'âge de six à huit ans : ils y venaient à peu près tous. A partir de douze ans ils pouvaient être reçus disciples, et revêtir la robe jaune. A vingt ans enfin, après avoir subi un examen devant un chapitre de religieux, ils pouvaient être eux-mêmes admis parmi les religieux, dont ils observaient dès lors la règle, sans toutefois être engagés pour la vie dans leur ordre. Ces religieux, que nous avons appelés bonzes, constituaient une sorte de clergé, dont la hiérarchie comprenait les simples moines, Tes chefs de pagode, les supérieurs provinciaux, et deux dignitaires nommés au Cambodge par le roi, le bouddhisme étant d'ailleurs la religion officielle du royaume. Les bonzes étaient entourés de la plus grande considération. Ils étaient astreints à la pauvreté, à la sobriété, et menaient une vie surtout contemplative. Leur enseignement avait une valeur éducative réelle, parce que la morale bouddhique est pure et élevée, bien qu'un peu indolente, mais une valeur instructive très médiocre : l'instruction des bonzes était uniquement une instruction religieuse ; encore celle-ci même allait-elle s'affaiblissant à mesure qu'on s'éloignait des sanctuaires du culte, et au Laos, par exemple, la plupart des moines des pagodes ne comprenaient plus le sens des textes sacrés en pâli qu'ils continuaient de faire apprendre à leurs élèves.

Le peuple annamite, qui habitait la Cochinchine, l'Annam et le Tonkin, n'avait reçu de la Chine qu'un bouddhisme très adultéré, et qui n'exerçait aucune action sur la masse. En revanche la Chine avait importé chez lui sa propre philosophie, cette doctrine rationaliste élaborée, cinq cents ans avant l'ère chrétienne, par Confucius et son école, qui lui tient à elle-même lieu de religion, et constitue en quelque sorte son armature morale et sociale. En même temps que sa philosophie la Chine avait introduit en Annam son écriture, et, par là, doté les Annamites, qui n'avaient qu'une langue parlée, d'une langue écrite : ce sont les caractères, qui, à l'origine, ont pu vouloir symboliser des idées ou des images (d'où le nom qu'on leur donne parfois d'écriture idéographique), mais qui, en fait, sont composés de traits graphiques purement conventionnels. On évalue à trois ou quatre mille les caractères nécessaires à la langue écrite usuelle ; on n'en compterait pas moins de trente à quarante mille dans le dictionnaire de Kang-hi. Les Annamites prononçaient les caractères chinois dans leur propre langue avec une intonation particulière à celle-ci ; mais ils n'en modifiaient pas le sens chinois. L'enseignement des caractères était inséparable de l'enseignement confucianiste, et donnait donc à la fois l'instruction littéraire et l'éducation morale et civique. La valeur morale de cet enseignement, en ce qui concerne les devoirs envers la famille et envers l'Etat, ne saurait être contestée. Mais sa valeur littéraire est beaucoup plus faible, et sa valeur scientifique à peu près nulle. La science et la littérature chinoises étaient demeurées jusqu'à ces dernières années au point où en était restée notre scolastique du moyen âge : elles se bornaient à de perpétuels commentaires des livres canoniques, à l'étude des annales de la Chine, où l'histoire était confondue avec la légende, à des exercices de versification et de rédaction où la virtuosité d'ingénieux rhétoriciens pouvait se faire jour, mais où il n'y avait que peu de place pour un effort de pensée personnelle et, d'esprit critique.

L'instruction publique avait cependant atteint en pays annamite un développement remarquable. Il convient d'en faire honneur à la vive intelligence de la race, qui est l'une des plus curieuses d'instruction qui soient au inonde. Mais il importe d'ajouter que la constitution politique du pays formait, à tous ses degrés, un ensemble permanent de primes à l'étude. L'empire d'Annam, en dehors de l'empereur, « mandataire du ciel », mais aussi premier lettré de son empire, avait une organisation rigoureusement démocratique. Toutes les faveurs et tous les honneurs de l'Etat, depuis la dispense du service militaire et l'exemption de l'impôt jusqu'aux charges de ministres, étaient subordonnés à l'obtention de grades littéraires délivrés dans une série d'examens de capacité, et l'Etat lui-même n'était autre chose qu'une vaste hiérarchie, répartie en neuf degrés, subdivisés à leur tour chacun en deux classes, de fonctionnaires lettrés que nous avons appelés mandarins. On comprend que, dans ces conditions, l'intervention gouvernementale n'ait pas eu beaucoup à se dépenser pour encourager l'instruction. Celle-ci n'était pas obligatoire, et le gouvernement annamite se désintéressait même complètement de l'enseignement primaire : il était laissé dans chaque village à un maître d'école, qui était en général un homme marié, âgé, rétribue par quelques cadeaux de ses élèves et les maigres gains que lui valaient ses bons offices d'écrivain public. Il enseignait aux enfants à tracer leurs premiers caractères, qu'il empruntait aux sentences de quelque livre classique comme le tam-tu kinh. L'enfant, en apprenant à lire et à écrire, apprenait donc ses devoirs moraux et sociaux : mais il était rare que le seul enseignement de l'école du village lui permît de savoir assez de caractères pour se passer de l'écrivain public. Si sa famille désirait l'instruire davantage, elle devait, ou lui donner un instituteur privé, ce qui était fréquent, ou le mener au siège du huyên (que l'on traduit par arrondissement), où professait un huân-dao, mandarin du 7e degré en possession du grade littéraire de tû-tài (traduction approximative : bachelier). Au siège du phu (département) professait un gido-thu, mandarin du 6e degré, titulaire du grade de cu-nhân (licencié). Enfin au siège du tinh (province) professait et dirigeait les études un mandarin considérable, du 4e degré, titulaire du grade de tân-si (docteur) et qu'on appelait le dôc-hoc (recteur) : il avait pour élèves les hoc-sanh, lauréats des examens provinciaux nourris par l'Etat et dispensés de la milice et de la corvée, et des élèves libres en nombre illimité. Ces fonctionnaires universitaires étaient subordonnés aux fonctionnaires administratifs et pouvaient entrer eux-mêmes dans l'administration, le dôc-hôc en qualité de quan-ân (procureur général?) et les gido-thu et huân-dao en qualité de quan-phû (préfet?) et quan-huyên (sous-préfet?). D'ailleurs il n'y avait pas de bureau spécial de l'instruction publique parmi les cinq bureaux du quan-tông-dôc (intendant?) de la province, ni parmi les six ministères de Hué.

Ces diverses études étaient sanctionnées par trois sortes d'examens et de concours : 1° Les examens provinciaux (khôa), qui étaient semestriels, où les compositions étaient corrigées d'abord par les gido-thu et les huân-dao, puis par le dôc-hôc. L'obtention d'une des trois bonnes notes conférait l'exemption, pour un an, de l'impôt des corvées et de la milice : aussi, pour renouveler cette exemption pendant tout le cours de leur vie, voyait-on se présenter des candidats de tout âge ; le grand nombre des exemptés ne laissait pas de mettre ensuite les villages dans l'embarras ; — Les examens régionaux (hûong-thi), qui avaient lieu le huitième mois tous les trois ans à Thanh-hoa, Hué, Binh-dinh, et Nam-dinh. C'était dans la vie annamite un événement d'une telle importance que, lorsqu'il voulait marquer son extrême satisfaction à son peuple, l'empereur ne pouvait mieux faire que de lui accorder des examens supplémentaires, appelés ân-thi. Les examens triennaux se trouvaient en fait transformés en concours par l'affluence des candidats. Une première sélection parmi ces derniers était obtenue à la suite d'une épreuve appelée hach, qui, au Tonkin seulement, retenait environ 10 000 admissibles sur 40 000 candidats présentés ; ces 10 000 admissibles ne donnaient à leur tour que, 200 reçus, dont les 50 premiers étaient proclamés cu-nhân et les 150 autres tû-tài. Ces licenciés et bacheliers étaient dispensés à l'avenir du service militaire et de la corvée. Ils n'avaient donc plus besoin de se représenter aux examens semestriels : mais si, s'étant volontairement présentés à ces examens ou à quelque autre, ils venaient à obtenir la note mal, ils perdaient leur titre et les privilèges qui y étaient attachés. Les concours triennaux étaient entourés d'une grande solennité. La commission d'examen, nommée par le ministère des rites (bô-lè), les inaugurait en costume de cour, escortée des mandarins provinciaux et de troupes. Les candidats étaient enfermés dans un vaste enclos dépendant du collège du dôc-hoc et que nous avons appelé le camp des lettrés, et ils y étaient contrôlés par des surveillants et gardés par des sentinelles ; — 3° Enfin les examens nationaux, auxquels étaient seuls admis les licenciés et bacheliers, et qui conféraient le gradé de tân-si (docteur). Ils avaient lieu tous les trois ans à Hué, où le jury et parfois même les sujets étaient désignés par l'empereur d'Annam. Les matières à traiter dans ces diverses séries d'examens et de concours étaient identiques, et seule la difficulté des épreuves allait croissant. Elles comprenaient : 1° une interprétation d'un passage des Ngû-kinh, ou des « quatre livres » ; 2° deux compositions en vers .(bài-thô et bài-phû) ; 3° un développement sur un sujet tiré des «quatre livres» ; 4° une composition sur trois sujets administratifs (cette dernière épreuve avait été introduite sous le règne de l'empereur Tu-Duc).

Ce sont les concours régionaux et nationaux qui ouvraient l'accès de toutes les fonctions publiques.

L'occupation française a détruit en Cochinchine cette organisation universitaire et administrative. Les mandarins, qui avaient disparu au lendemain de la conquête, n'ont été ni rappelés ni remplacés, ou plutôt ils ont été remplacés par une administration française directe, qui ne demandait plus au recrutement indigène qu'un personnel auxiliaire. L'enseignement des caractères chinois, ne conduisant plus aux honneurs officiels, a donc décliné rapidement. Le gouvernement colonial français, malgré les avertissements qui lui étaient donnés par l'un des hommes les plus versés en politique indigène asiatique qu'il ait jamais connus, Luro, montrait d'ailleurs peu de sympathie pour la langue écrite chinoise. Il se flattait d'abord, en effet, de pouvoir lui substituer l'enseignement généralisé de la langue française, et d'arriver ainsi à une assimilation totale des indigènes. Il héritait d'autre part, dans une certaine mesure, des idées que les missions catholiques, qui l'avaient immédiatement précédé en pays annamite, avaient eues sur la politique indigène : or ces idées étaient nettement hostiles à l'enseignement des caractères, indissolublement lié à celui de la morale laïque chinoise, et où les missionnaires voyaient avec raison l'adversaire le mieux outillé pour résister à leur propagande confessionnelle. Afin de réduire, jusqu'à le rendre inutile, l'emploi des caractères chinois en Annam, les missionnaires furent amenés à écrire la langue, jusque-là seulement parlée, des Annamites, au moyen d'un système de transcription des sons en lettres latines, diversement accentuées pour marquer les diverses intonations. Cette invention, jugée remarquable par de savants orientalistes, était d'ailleurs appelée à une grande fortune, puisque les réformes contemporaines ne tendraient à rien de moins qu'à en faire l'écriture annamite nationale. C'est cette écriture, appelée quôc-ngü (prononciation approximative : cocnieu), qui, depuis notre occupation, a été enseignée avec le français dans les écoles officielles de Cochinchine ; c'est celle que nous employons dans le présent article pour la transcription des mots annamites.

Mais la disparition dans ce pays de l'enseignement des caractères avait entraîné la disparition de l'enseignement moral traditionnel, et « déraciné » en quelque sorte du sol asiatique les élèves cochinchinois. Cet inconvénient fut très vivement senti par l'administration française, et, comme les progrès de son éducation coloniale la dégageaient peu à peu des idées de l'assimilation pure et simple, elle s'imposa, par compensation, lorsque le Tonkin et l'Annam eurent été conquis à leur tour, un respect rigoureux de l'organisation locale de l'enseignement indigène, jusqu'au jour où les indigènes eux-mêmes en vinrent à protester contre un respect de la tradition qu'ils finissaient par trouver excessif. En dehors de la courte mais brillante impulsion donnée par le résident général Paul Bert, qui, pendant les sept mois de son administration en 1886, aborda, avec l'intelligente collaboration de Dumontier, toutes les questions pédagogiques de l'Annam et du Tonkin, et alla même jusqu'à susciter l'apparition éphémère d'une Académie tonkinoise (Bac-kt-hàn-lâm), il n'y a guère à signaler dans l'instruction publique que des interventions très discrètes de l'autorité française. Même M. Doumer, qui, pendant les cinq années (1897-1902) de son actif gouvernement général, remania l'Indochine de fond en comble, et lui donna sa constitution moderne d'Etat colonial, crut devoir s'arrêter devant la perspective d'une réorganisation de l'enseignement indigène traditionnel, parce que la réforme ne lui paraissait pas mûre. En attendant qu'elle le devînt, il laissait toutefois à l'Indochine, à défaut de l'oeuvre, l'ouvrier de sa réorganisation pédagogique, l'Ecole française d'Extrême-Orient. Dans la pensée de ses fondateurs, le gouverneur général et l'Académie des inscriptions et belles-lettres, — pensée à laquelle elle s'est montrée scrupuleusement fidèle, — l'Ecole française devrait être non seulement un établissement d'enseignement supérieur analogue aux écoles françaises d'archéologie d Athènes, de Rome et du Caire, chargé de servir les hautes éludes asiatiques en restaurant leur tradition dans un pays « où la science semblait avoir perdu droit de cité », mais encore, par sa savante et vivante érudition même, le conseiller le plus autorisé de notre politique indigène à une époque où l'orientation de cette politique devenait particulièrement délicate. Les événements se chargeaient en effet de hâter la maturité, de la réforme des études. J/exécution du programme de grand outillage économique conçu par M. Doumer était, pour la vive et intelligente curiosité des indigènes, une quotidienne démonstration pratique de la supériorité de la science occidentale. Le respect de la vieille culture chinoise, avec laquelle l'occupation française rendait d'ailleurs plus difficiles les échanges intellectuels, en était ébranlé d'autant. Mais la Chine acheva d'ébranler ce respect dans l'esprit de ses disciples annamites, en introduisant à son tour des connaissances modernes dans ses programmes traditionnels universitaires, dont elle reconnaissait ainsi de manière éclatante l'insuffisance scientifique. Enfin la guerre russo-japonaise, en révélant au monde la puissance d'un peuple de race jaune instruit par des maîtres occidentaux, eut dans l'Extrême-Orient tout entier un retentissement auquel l'Indochine ne pouvait demeurer étrangère. De fait, une poussée générale et très vive se fit dans l'opinion indigène éclairée, qui, rejetant avec dédain les méthodes séculaires de l'éducation chinoise classique, réclama passionnément l'enseignement des sciences occidentales. — C'est dans ces conditions que M. le gouverneur général Beau entreprit la réorganisation de l'instruction publique, et, pour s'entourer de toutes les garanties de prudence et de compétence, en confia l'étude à un Conseil de perfectionnement de l'enseignement indigène, où entrèrent des universitaires et administrateurs français, des ministres, administrateurs et universitaires annamites et cambodgiens, et dont le président et le rapporteur général furent les deux derniers directeurs successifs de l'Ecole française d'Extrême-Orient, MM. Foucher et Maître. Après d'intéressants débats (avril 1906), que l'empereur d'Annam avait inaugurés avec le gouverneur général, le Conseil adopta une série de propositions qui ont reçu et recevront une application progressive par voie d'arrêtés locaux ou d'ordonnances des souverains indigènes. Afin de concilier avec le progrès moderne la tradition asiatique, l'ancien cadre des études annamites est maintenu, d'après ce programme, dans ses lignes essentielles. L'enseignement est divisé en trois degrés, entre lesquels il y a désormais progression. L'enseignement du premier degré (au-hok) est laissé à la commune, qui devra toutefois entretenir au moins une école pour soixante enfants, et il sera sanctionné par un examen (tuyen). Celui du second degré (tieu-hok), donné dans les huyen et es phu, sera sanctionné par l'examen provincial traditionnel, qui ne conférera toutefois pas d'exemption pour une durée de plus de trois ans, non renouvelable. L'examen du troisième degré (trung-hok) est maintenu avec sa sanction ordinaire, les concours triennaux. Enfin la réforme du doctorat est ajournée à une date ultérieure. — A tous les degrés d'enseignement, des éléments des sciences mathématiques, physiques, et naturelles sont introduits, avec la langue annamite écrite (quôc-ngû) pour véhicule : cette nouveauté entraînera sans doute un enrichissement de la langue annamite, et aussi son passage, qui commence déjà à se dessiner, du mono-syllabisme au disyllabisme et au polysyllabisme. — Les caractères chinois sont conservés pour l'enseignement de la morale et des sciences morales et politiques, législation, administration, etc., mais on allège les épreuves en étant tout ce qui, dans les études chinoises, était pure chinoiserie » (Maître). — Enfin, l'enseignement du français, considéré comme inutile aux écoles de village, devient facultatif dès l'enseignement du second degré, et obligatoire avec celui du troisième degré. — Le Conseil émettait en outre le voeu que l'enseignement donné à la pagode par les bonzes du Cambodge et du Laos fût conservé dans sa partie morale et religieuse, mais rénové par l'adjonction de quelques connaissances modernes. Il suggérait diverses mesures pour assurer le bon recrutement des maîtres. Il proposait dans l'enseignement franco-annamite des réformes dont l'une était le rétablissement de l'étude des caractères chinois même dans les écoles de Cochinchine. — Le couronnement de ses travaux était la demande de constitution d'une université indochinoise, qui a en effet ouvert ses cours en 1907. Elle admet les élèves indigènes pourvus des diplômes du collège Chasseloup-Laubat ou de fin d'études complémentaires, les cû-nhân et tû-tài connaissant le français et les autres candidats agréés par son conseil. Elle est divisée en trois sections : la section littéraire, la section juridique, la section scientifique, dont les professeurs sont empruntés au personnel de l'université, de l'administration, de la magistrature, et du corps de santé des troupes coloniales. L'adaptation à des circonstances et à des fins nouvelles d une aussi ancienne tradition pédagogique est d'origine trop récente pour qu'on puisse encore en apprécier la valeur et en mesurer la portée. Cette portée sera toutefois considérable, surtout en pays annamite, où l'enseignement a toujours été le facteur principal de la vie sociale et politique. La réforme actuellement proposée, si généreuse en son inspiration et si prudente en son exécution qu'elle puisse être, sera donc incomplète tant qu'elle laissera les études indigènes dépourvues de sanction, et tant qu'elle n'aura pas pour contrepartie d'assurer aux indigènes appelés au « nouveau savoir » soit des satisfactions politiques sous forme de participation raisonnable à leur propre gouvernement, soit des avantages d'ordre économique sous forme de richesse obtenue par l'application qu'ils feraient aux ressources naturelles de leur pays des méthodes occidentales applicables à la production et aux échanges.

II. Situation actuelle. — L'organisation de l'instruction publique en Indochine étant en voie de transformation, il suffira de donner la nomenclature des établissements d'enseignement. — Il y a trois catégories d'enseignement : l'enseignement indigène, qui vient d'être étudié, l'enseignement dit franco-indigène, et enfin l'enseignement français, ce dernier destiné à la population française ou assimilée. L'enseignement franco-indigène se subdivise lui-même en écoles préparatoires, qui n'existent qu'en certaines régions, écoles primaires, écoles complémentaires, écoles spéciales, écoles professionnelles. L'enseignement français comporte des cours primaires, primaires supérieurs et secondaires. — A cet enseignement des élèves il faut ajouter celui des maîtres, qui est donné dans un certain nombre d'écoles normales. — Les programmes sont, pour l'enseignement français, ceux de la métropole avec adjonction de la langue annamite, rendue obligatoire dans certains établissements ; pour l'enseignement franco-indigène, les programmes de l'enseignement primaire et primaire supérieur français adaptés aux besoins du pays et enseignés en quôc-ngû, avec adjonction de l'étude des caractères chinois, et, éventuellement, de la langue française.

La Cochinchine compte, d après les dernières statistiques, qui remontent à 1906, 132 écoles dites préparatoires, ou cantonales, de garçons, avec 7024 élèves, 6 écoles de filles avec 331 élèves, 2 écoles professionnelles provinciales fort prospères à Thudaumôt et Bienhoa, où elles ont notamment restauré les arts indigènes, avec 226 élèves, une école municipale de garçons (306 élèves annamites et 101 chinois) et deux écoles maternelles municipales à Cholon (149 et 86 élèves annamites ou chinois, garçons et filles).— Elle a, dans les chefs-lieux de provinces, 18 écoles primaires franco-annamites, comptant 4566 élèves, 19 professeurs et institutrices français, et 75 maîtres indigènes. Ses écoles complémentaires sont : la section indigène, à Mytho, du collège Chasseloup-Laubat (138 élèves) et le collège annexe de Mytho (89 élèves). Il faut y ajouter l'école professionnelle (69 élèves) et l'école de mécaniciens asiatiques (20 élèves) de Saïgon, et enfin l'école normale de Giadinh (96 élèves). — L'enseignement français est représenté par la section européenne du collège Chasseloup-Laubat (128 élèves, dont 46 internes), qui donne l'enseignement primaire, primaire supérieur, et secondaire jusqu'au premier cycle (sections A et B), et par l'institution de jeunes filles et l'école maternelle de Saïgon. — Le personnel enseignant comprend 83 unités pour le personnel français, soit 69 instituteurs et 14 institutrices. Il est placé sous la direction pédagogique du directeur de l'enseignement en Cochinchine, mais relève hiérarchiquement en partie de l'autorité administrative.

Le Tonkin, où il a été décidé dans la récente réforme que chaque chef-lieu de province aurait son école franco-annamite, en compte 19 primaires en 1906, dont 4 à Hanoï, avec 2779 élèves, 2 professeurs français et 73 indigènes. Cette liste ne comprend pas les 32 écoles récemment installées dans les territoires militaires, et où l'enseignement primaire est donné aux 732 élèves par 24 soldats et sous-officiers français et 38 instituteurs indigènes. — Les écoles complémentaires sont : le collège des interprètes à Hanoï (132 élèves) ; le collège Jules Ferry à Namdinh (101 élèves), qui prépare des agents indigènes pour les administrations techniques : cadastre, travaux publics, chemins de fer, postes et télégraphes ; l'école normale à Hanoï (121 élèves), l'école professionnelle à Hanoï (200 élèves), dépendant de la Chambre de commerce, et où le laquage et le modelage sont enseignés par 2 professeurs japonais.— Le Tonkin a, en outre, 2 écoles spéciales, celle des lettrés de Namdinh (99 élèves), qui reçoit des candidats aux concours triennaux et quelques gradués désireux de s'initier aux sciences modernes, et l'école Pavie, destinée aux fils des mandarins de la province chinoise limitrophe du Yunnan, où, sur la demande des élèves (21), on a dû adjoindre aux cours scientifiques et pratiques un cours d'art militaire enseigné par deux officiers d'état-major. — L'enseignement français est représenté à Hanoï par le collège Paul Bert (114 élèves), qui donne l'enseignement secondaire jusqu'à la classe de troisième, et un collège de jeunes filles (104 élèves) ; à Haïphong par une institution de jeunes filles (61 élèves) et une école de garçons (96 élèves), et par 5 écoles mixtes (en tout 64 élèves) dans certaines provinces. — Le personnel français enseignant au Tonkin est de 62 unités, dont 31 professeurs et 31 institutrices. — Toutes les écoles précédemment énumérées, sauf l'école professionnelle, relèvent du directeur local de renseignement.

Au Cambodge, l'enseignement primaire franco-cambodgien comprend une école primaire de plein exercice à Pnompenh (565 élèves), 9 écoles préparatoires et une école enfantine dans les provinces. — Une école professionnelle compte 70 élèves. L'école complémentaire, ou école primaire supérieure, de Pnompenh a 84 élèves. Enfin, dans le palais même du roi, fonctionne une école fondée par l'ancien roi Norodom, entretenue sur la cassette royale, et qui est destinée aux princes et princesses de la famille royale et aux enfants de quelques hauts fonctionnaires indigènes. — L'enseignement français est représenté par une école primaire mixte (16 élèves) installée à Pnompenh. — Le personnel français enseignant comprend 9 unités, dont 6 professeurs et 3 institutrices. — L'enseignement purement indigène est donné dans environ 1600 pagodes.

Il y a en Annam 14 écoles primaires franco-annamites, fréquentées par 944 élèves. — L'enseignement complémentaire a 2 écoles à Hué : le collège quoc-hoc (248 élèves), qui reçoit outre ses élèves ordinaires, des lettrés indigènes désireux de s'initier aux sciences occidentales, et l'école professionnelle. — L'enseignement français est représenté par 4 écoles mixtes, dont la population est de 5 à 15 élèves. — Le personnel français enseignant se compose de 5 professeurs et 3 institutrices. Enfin l'enseignement indigène public traditionnel comprenait en 1906 approximativement 94 écoles, 2700 élèves et 95 professeurs.

Le Laos compte à Vientiane une école franco laotienne ayant à peu près le programme des écoles franco-indigènes du Tonkin, mais remplaçant l'étude des caractères par celle du siamois ; et, dans chaque chef-lieu de commissariat, une école complémentaire. L'organisation de l'enseignement franco-indigène au Laos est à ses débuts.

Enfin à ces organisations locales se superpose une organisation générale, dont l'expression toute récente est la direction générale de l'instruction publique (décret du 20 juin 1905), qui, sans être comprise au nombre des services généraux, exerce néanmoins sa juridiction sur l'Indochine entière. — C'est également dans l'Indochine entière que se recrutent les élèves des établissements d'enseignement public d'un caractère général, tels que l'Université indochinoise et ses dépendances : l'Ecole de médecine et d'art vétérinaire, l'Ecole d'administration indigène dite des hau-bo, l'Ecole des travaux publics et l'Ecole des postes et télégraphes.

D'après les statistiques officielles de 1906, la population scolaire pour l'enseignement français et franco-indigène en Indochine est évaluée à 29 997 élèves, dont 20423 pour l'enseignement officiel laïque et 9574 pour l'enseignement privé religieux. Le nombre des écoles serait de 538, dont 284 officielles et 254 privées. — Il convient de signaler en terminant un certain nombre de cours du soir, dus à l'initiative d'indigènes curieux de s'instruire, et notamment de très intéressantes mutualités d'enseignement entre fonctionnaires annamites.

Bibliographie. — Luro, Cours d'administration annamite. — LE MEME, L'empire d'Annam. — SILVESTRE, L'empire d'Annam et le peuple annamite. — AYMONNIER, Le Cambodge. — DE REINACH, Le Laos. — Paul DOUMER, Situation de l'Indo-Chine (1897-1902). — Cl.-E. MAITRE, L'enseignement indigène dans l'Indochine annamite. Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient (depuis l'origine). — Divers.

Louis Salaun