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Wilhem

Guillaume-Louis Bocquillon, dit Wilhem, l'un des premiers promoteurs de l'enseignement du chant dans les écoles primaires françaises et le fondateur de l'Orphéon (Voir Orphéon), né à Paris le 18 décembre 1781 et mort dans cette ville le 26 avril 1842, était le fils d'un brave officier qui fut, dans les dernières années de sa vie, commandant de la citadelle de Perpignan. Lui-même, dès dix ans, fut soldat, et à quatorze ans, en 1795, caporal-sapeur dans la demi-brigade de son père, avec lequel il fit la campagne de Hollande. On l'envoya de là (juillet 1795) à l'Ecole nationale de Liancourt. que dirigeait le citoyen Crouzet. Wilhem a raconté plus tard, dans une curieuse notice (« L'élève de Liancourt en 1795, histoire véritable racontée en 1834 pour les enfants des écoles primaires », in-8°), ses souvenirs personnels sur cette singulière école, où l'on mourait de faim et de froid, et où l'on apprenait un peu de tout, même à garder les troupeaux. Ce fut là, semble-t-il, que, d'après ses propres paroles, un grain de musique vint le frapper au front et un autre lui tomba sur le coeur. Crouzet composait à l'occasion des vers patriotiques ; Wilhem, qui ne s'appelait encore que Bocquillon (il ne prit le pseudonyme de Wilhem, traduction du premier de ses prénoms, que quelques années plus tard), mit en musique une de ses odes, et cette ode fut chantée devant Ginguené, qui était venu inspecter l'école. Sur le conseil de celui-ci, Crouzet envoya le jeune compositeur à Gossec, alors directeur du Conservatoire de musique à Paris. « Ce jeune homme, lui écrivait-il (16 brumaire an VIII), déjà recommandable par d'excellentes qualités et par ses progrès dans les sciences, a pris un goût tout particulier pour la musique, et ses heureuses dispositions pour cet art se développent d'une manière qui me surprend d'autant plus qu'il n'a d'autre maître que la nature, d'autres secours que quelques livres qu'il a trouvés dans la bibliothèque de l'école. C'est ainsi qu'il est parvenu sans conseil et sans guide à composer des morceaux qui, tout défectueux qu'ils peuvent être, annoncent une vocation expresse et peut-être l'ascendant irrésistible du génie. »

Wilhem fut nommé élève du Conservatoire ; mais, comme il était sans fortune, il dut rester encore à Liancourt et suivre même l'école à Compiègne, où il obtint le grade de capitaine, l'école, comme on le sait, étant organisée militairement ; ce ne fut que le 30 pluviôse an IX (19 lévrier 1801) qu'il obtint un congé absolu pour suivre à Paris les leçons du Conservatoire, avec une pension d'un an.

En 1802, il fut nommé répétiteur de mathématiques au Prytanée de Saint-Cyr. dont Crouzet était devenu directeur, et fut chargé d'y enseigner les principes de l'art musical. Quelques compositions de circonstance exécutées par ses élèves commencèrent à faire connaître son nom. En 1806, Jomard lui procura un emploi dépendant du ministère de l'intérieur, et ce fut alors qu'il se lia avec Béranger, Parny et quelques autres célébrités littéraires et musicales. De cette époque aussi datent un grand nombre de ses compositions, gracieuses et faciles, mais aujourd'hui un peu démodées, notamment la musique de quelques chansons ou romances de Béranger : Parny n'est plus, Charles VII (Je vais combattre, Agnès l'ordonne), Beaucoup d'amour, les Adieux de Marie Stuart, etc.

Le succès de ses productions lui valut en 1810 le titre de professeur de musique, maître de piano et d'harmonie au lycée Napoléon (plus tard collège Henri IV). Mais il était loin encore de songer à la grande oeuvre populaire qui lui a donné droit à une notice dans ce Dictionnaire.

Jusqu'en 1815, on ne s'était guère imaginé que le chant dût jamais faire partie de l'enseignement des écoles primaires. La première idée en vint à Wilhem lorsqu'il eut connaissance des essais d'enseignement mutuel tentés par les fondateurs de la Société pour l'instruction élémentaire. Un des créateurs de cet enseignement, a écrit Jomard, — c'est assez vraisemblablement Jomard lui-même, — « lui fit voir le nouvel essai déjà transporté d'une modeste chambre sur un grand théâtre ; c'était l'école normale élémentaire de Saint-Jean-de-Beauvais, ouverte pour 325 élèves et presque remplie en peu de jours. L'esprit juste de Wilhem fut frappé du spectacle, jusque-là inconnu en France, de trois cents enfants observant le plus grand silence, s'instruisant mutuellement entre eux, sans la participation directe du maître, étudiant sur des tableaux, faisant tout à un signal donné, et tous dans un mouvement continuel, semblable au travail de la ruche, mais réglé par l'ordre le plus parfait. Dans les premiers temps, on ne pouvait songer qu'aux éléments les plus indispensables de l'instruction : la lecture, l'écriture et le calcul ; mais peut-être, dès ce moment, il eut avec nous l'espoir d'y voir associer un jour son art de prédilection. Ce qui est certain, c'est que dès lors son esprit travailla sur un nouveau thème d'une grande difficulté, se pénétrant peu à peu du système nouveau, surtout du principe de classification ; il apprit de l'enseignement mutuel qu'il était nécessaire d'isoler les difficultés, de subdiviser beaucoup les degrés, les leçons, les tableaux ; qu'il serait même avantageux d'établir autant de classes pour la musique vocale qu'il y en avait pour les autres facultés. En attendant qu'il lui fût permis d'expérimenter dans une école publique, il établit à ses frais, dans son domicile, rue Saint-Denis, n° 374, une petite classe préparatoire, et une autre à la pension Guillet-Lepitre, rue Saint-Louis-au-Marais ; bientôt, avec l'autorisation de M. le comte de Chabrol, préfet de la Seine, M. Delahaye, instituteur communal (île Saint-Louis), lui ouvrit son école.

« Que ne puis-je, continue Jomard, vous reporter, au moins par la pensée, à l'année 1818 et vous transporter à l'île Saint-Louis ? Qu'on s'imagine des tableaux de musique faits à la main, péniblement élaborés par notre infatigable Wilhem ; des individus de plusieurs âges, jeunes gens, ' adolescents et enfants, commençant à épeler et à lire la note d'une manière satisfaisante, et déjà faisant entendre des accents harmonieux! Combien les spectateurs étaient étonnés, ravis de ce premier concert sans instruments! Aucun des témoins du temps ne peut avoir oublié ces effets si nouveaux, ces chants si doux et si purs qui ont fait retentir le modeste logement de la rue Saint-Denis et l'humble rez-de-chaussée de l'île Saint-Louis : tel fut le premier berceau de ce qu'on admire aujourd'hui. »

Le 23 juin 1819, sous l'impression de ces premiers débuts, poussé aussi par le souvenir de ce qu'il avait vu en Allemagne, le baron De Gérando soumit à la Société pour l'instruction élémentaire la question de savoir s'il ne serait pas convenable d'ajouter aux écoles d'enseignement mutuel quelques exercices de chant et de musique, et, dans ce cas, quelle étendue, quelle méthode, quelle forme, quels instants on devrait donner à ces exercices. Une commission fut immédiatement nommée pour examiner ces questions, et, au mois d'août suivant, Jomard obtint de ses collègues qu'il serait fait un essai en grand de l'enseignement nouveau, sous la direction de Wilhem. Cet essai eut lieu d'abord à l'école de la rue Saint-Ambroise, puis, avec l'agrément du préfet, à l'école normale élémentaire de la rue Saint-Jean-de-Beauvais. En principe, la question posée par De Gérando était dès lors résolue : le chant pouvait être enseigné à l'école primaire. Mais de graves difficultés se présentèrent. Il en vint du dehors : « Il ne manquait pas de gens alors pour prédire qu'avec le chant les écoles ne serviraient qu'à faire des pépinières de théâtre, comme la gymnastique des saltimbanques et pis encore ; que l'on avait assez d'artistes, de chanteurs et de cantatrices. » Il en vint aussi de l'enseignement même. « Ce n'est pas du premier coup qu'une machine compliquée peut être mise en mouvement ; et ici, que de ressorts, que de rouages! Tout est dans la tête de l'inventeur ; comment fera-t-il arriver sa pensée partout à la fois? comment faire comprendre à tous les moniteurs, et, par ceux-ci, à tous les exécutants, un thème musical donné, une idée unique, soumise au mode, au temps, à l'intonation? Et ces choristes, que sont-ils? Des enfants de huit à neuf ans, sans aucune étude musicale, et presque sans aucune culture. Isoler ['intonation de la durée fut la première idée lumineuse qui saisit M. Wilhem ; ensuite il inventa l'escalier vocal et une nouvelle main harmonique. Bientôt une autre conception non moins heureuse lui vint à l'esprit : diviser la méthode de chant en autant de degrés que les autres facultés de l'école était une condition ; il la remplit parfaitement, en prenant ces degrés dans les intervalles mêmes de l'échelle diatonique, nombre pour nombre. La tonalité et la connaissance des clefs musicales étaient d'autres points d'une haute difficulté pour nos écoles ; il imagina l'indicateur vocal, procédé ingénieux si bien en harmonie avec nos exercices, qui fait toucher au doigt l'explication des clefs, et qui apprend aux simples enfants à transposer sans peine, à distinguer tous les tons d'espèces différentes. » (Jomard.)

Le succès de Wilhem fut complet. Choron, à qui on avait eu la pensée de s'adresser d'abord, et qui n'avait pas cru que l'enseignement du chant fût compatible avec le système des écoles mutuelles, déclara publiquement, avec une honnêteté dont on ne saurait trop lui tenir compte, qu'il s'était trompe. Francoeur, dans un rapport du 29 mars 1820, affirma hautement l'efficacité des résultats obtenus par le maître. Vers cette même époque, Wilhem avait été nommé maître de chant à l'Ecole polytechnique. En 1820, M. de Chabrol l'attacha, de son côté, à la préfecture de la Seine en le nommant professeur titulaire et en proposant au ministère de l'intérieur l'organisation d'une école modèle de chant élémentaire qui devait être placée sous la direction de Wilhem, mais qui, malheureusement, était encore à l'état de projet en 1842. La Société pour l'instruction élémentaire reconnut aussi les efforts de Wilhem en lui décernant, en 1821, une médaille d'argent, suivie, peu d'années après, de la grande médaille d'or. En 1826, Wilhem fut chargé de diriger l'enseignement du chant dans les écoles élémentaires de Paris. En 1830, le chant était introduit dans dix écoles gratuites, et des dispositions étaient prises pour douze autres.

En octobre 1833, Wilhem complète et généralise son oeuvre par la création de l'Orphéon, c'est-à-dire en constituant des réunions périodiques des enfants des différentes écoles pour le chant en commun. L'idée ne tarda pas à être appliquée aux cours du soir destinés aux apprentis et aux adultes ouvriers ; des classes spéciales de chant furent ainsi créées non seulement dans les divers quartiers de Paris, mais dans les départements, et la France entière, on peut le dire, fut conquise à l'étude de la musique vocale.

Aussi voyons-nous depuis cette époque les mesures les plus larges et les plus décisives adoptées par l'administration en faveur de l'institution, et les distinctions les plus honorables successivement accordées à son auteur.

Le 1er novembre 1834, le ministre de l'instruction publique, sur le rapport d'Orfila, fait distribuer deux cents exemplaires des tableaux Wilhem dans les écoles primaires de France, aux frais de l'Université.

Le 6 mars 1835, le conseil municipal de Paris arrête que le chant sera enseigné dans trente écoles nouvelles, et Wilhem est nommé directeur inspecteur général du chant dans les écoles primaires de la ville de Paris. Le 30 avril de la même année, Wilhem reçoit la croix de la Légion d'honneur ; en même temps, le Comité central des écoles primaires de Paris délibère un règlement pour la tenue de l'Orphéon, et le ministre de l'instruction publique approuve ce règlement en Conseil royal.

Le 18 juin 1836, l'autorité approuve de même l'ouverture des cours de chant gratuits en faveur des adultes dans trois des arrondissements de Paris. Une partie est confiée à J. Hubert, le plus ancien élève de Wilhem, l'autre partie à un non moins fidèle disciple, Pauraux. Wilhem lui-même est nommé membre de la commission des examens du brevet de capacité.

Le 18 février 1839, il est nommé délégué général pour l'inspection de l'enseignement universitaire du chant, et, en 1840, délégué pour l'inspection du chant à l'école normale de Versailles.

Enfin, dans les années 1841 et 1842, la méthode de chant, sous sa direction, est introduite dans les écoles de frères, ainsi que dans une bonne partie des écoles de soeurs, conquête inespérée pour une innovation dérivant de l'enseignement mutuel.

Ce fut le temps de la grande renommée de Wilhem. En 1841, à la suite de la séance de clôture de l'Orphéon, Béranger lui écrivit sa lettre célèbre :

Mon vieil ami, ta gloire est grande :

Grâce à tes merveilleux efforts,

Des travailleurs la voix s'amende

Et se plie aux savants accords.

D'une fée as-tu la baguette

Pour rendre ainsi l'art familier?

Il purifiera la guinguette ;

Il sanctifiera l'atelier.

La musique, source féconde,

Epandant ses flots jusqu'en bas,

Nous verrons ivres de son onde

Artisans, laboureurs, soldats.

Ce concert, puisses-tu l'étendre

A tout un monde divisé !

Les coeurs sont bien près de s'entendre

Quand les voix ont fraternisé.

Mais le maître ne devait pas jouir longtemps de sa gloire ; atteint au printemps de 18V2 d'une fluxion de poitrine, il succomba en quelques jours, à peine âgé de soixante ans. Béranger lui disait à la dernière strophe de sa lettre :

Sur ta tombe, tu peux m'en croire,

Ceux dont tu charmes les douleurs

Offriront un jour à ta gloire

Des chants, des larmes et des fleurs.

Il avait, à trop peu de distance, prophétisé vrai : rien ne fut plus touchant que les obsèques de cet homme de bien.

Wilhem a publié de nombreux ouvrages pour l'enseignement du chant dans les écoles : Méthode élémentaire et analytique de musique et de chant, conforme aux principes et aux procédés de l'enseignement mutuel, adoptée par la Société pour l'instruction élémentaire (160 tableaux in-fol.) ; diverses séries de Tableaux de lecture musicale et de chant élémentaire ; Guide de la méthode élémentaire et analytique de musique et de chant (in-8°, 1821) ; Guide complet, on Instructions pour l'emploi simultané de tableaux de lecture musicale et de chant élémentaire (in-8°, 1839, 4e édition) ; Manuel musical à l'usage des collèges, des institutions, des écoles et des cours de chant (1839 et 1840) ; Orphéon, répertoire de musique vocale en choeur sans accompagnement d'instruments (5 vol. in-8°, 1840) ; il a aussi publié, à la demande de l'Eglise réformée de Paris, Douze leçons hebdomadaires à l'usage des jeunes élèves qui suivent le cours de chant sacré institué par le Consistoire, et un Choix de psaumes et de mélodies à l'usage des églises protestantes.

Les ouvrages de Wilhem, qui ont été longtemps classiques, sont aujourd'hui un peu oubliés dans les écoles. L'oeuvre de Wilhem a subsisté, moins complète assurément et moins rationnelle qu'il ne l'avait rêvée ; les travaux personnels du maître, qui se sentaient trop peut-être de leur origine première, ont peu à peu disparu avec l'école mutuelle elle-même, et ont été remplacés par d'autres méthodes. D'autre part, le système de la notation chiffrée s'est élevé contre l'ancienne notation, dont Wilhem ne s'était jamais départi, et que maintiennent encore les directions officielles ; ce ne serait pas ici le lieu d'étaler les pièces de ce procès, encore moins de prendre parti pour l'un ou l'autre système (Voir les articles Galin, Paris, et Chevé). Enfin les sociétés populaires instrumentales ont fait, sur bien des points, une concurrence tant soit peu bruyante, que certains esprits ont pu regretter, à l'influence plus paisible, plus discrète, plus véritablement éducative dans le sens élevé du mot, des créations chorales de Wilhem et de la Société pour l'instruction élémentaire. Pour toutes ces raisons et beaucoup d'autres encore, le voeu patriotique et humanitaire de la lettre de Béranger ne paraît pas encore près de se réaliser, et Wilhem a quelque peu perdu de sa gloire. Il n'en a pas moins été la personnification d'un effort puissant, dont il avait lui-même pris en très grande partie l'initiative, et il mérite qu'on lui rende justice. — Voir Orphéon.

A consulter : Bulletin de la Société pour l'instruction élémentaire, année 1842, passim, notamment le rapport de Jomard lu à l'assemblée générale de la Société ; — article Wilhem, dans le Dictionnaire Larousse.

Charles Defodon