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Zwingli

Ulrich Zwingli, le réformateur de Zurich, naquit en 1484 à Wildhaus dans le Toggenbourg (canton actuel de Saint-Gall). Il appartenait à une famille aisée, qui lui fit faire ses premières études à Bâle et à Berne ; il se rendit ensuite à l'université de Vienne, où l'humanisme était particulièrement en honneur, et en 1502 il devint maître à l'école latine de Bâle. Le jeune humaniste se destinait à la théologie: il fut bientôt après ordonné prêtre, puis nommé curé de Glaris (1506). Il occupa dix ans ces fonctions, et à deux reprises, durant cette première période de sa carrière, accompagna en Italie comme chapelain militaire une troupe de mercenaires glaronnais (en 1513 et 1515). En 1516 il devint prédicateur à Einsiedeln ; trois ans plus tard, la réputation qu'il avait acquise le lit appeler en cette même qualité à Zurich. C'est là qu'il commença, en 1522, son oeuvre de réformateur à la fois sur le terrain religieux et sur le terrain politique. Il la poursuivit avec un zèle infatigable et un courage héroïque jusqu'au moment où la mort vint le frapper sur le champ de bataille de Cappel, le 11 octobre 1531.

La Réformation zuricoise a fait sentir ses effets sur l'école ; là encore c'est à Zwingli qu'appartint l'initiative : ce fut lui qui, à partir de 1525, dirigea personnellement les affaires scolaires de l'Etat zuricois en qualité de « premier magistrat des écoles» (erster Schulherr).

L'idéal de Zwingli est une organisation sociale dans laquelle la décision dernière, en religion comme en politique, doit être laissée à la souveraineté des citoyens, et où la communauté religieuse et la communauté politique sont identiques l'une à l'autre. L'Eglise et l'Etat, en conséquence, ne font qu'un ; l'autorité politique suprême de l'Etat zuricois, le Conseil des Deux-Cents, est en même temps l'autorité suprême en matière ecclésiastique. Il en résulte que les biens de l'Eglise deviennent la propriété de l'Etat ; et comme ces biens constituent le fonds duquel les écoles tirent leurs ressources financières, la direction des écoles passe aussi entre les mains de l'Etat. Mais cet Etat zwinglien est essentiellement le représentant et le champion de certaines tendances religieuses ; les institutions politiques sont mises au service de la religion ; la réalisation de l'idéal chrétien est la mission de l'Etat ; et ainsi l'éducation religieuse, et tout particulièrement la préparation théologique des futurs ecclésiastiques, devient le but essentiel des institutions scolaires.

Le premier acte de Zwingli sur le terrain scolaire fut la réforme du chapitre du Grossmünster, auquel il appartenait lui-même (1523). Les prébendes devenues successivement vacantes durent être attribuées à des professeurs. Ainsi se forma graduellement une école de théologie, le Lectorium, entretenue par les revenus du chapitre ; Zwingli lui-même y enseigna.

Au-dessous de cette école supérieure se trouvaient les écoles latines du Grossmünster et du Fraumünster, dans chacune desquelles l'enseignement était donné par un directeur (ludimoderator) et un ou plusieurs auxiliaires (provisor, collaborator). Réorganisées par Zwingli et pourvues de maîtres capables, ces écoles donnèrent l'enseignement préparatoire, depuis les éléments jusqu'au grec ; à côté de la Bible, on lisait les classiques ; nous ne savons pas si d'autres branches, calcul, géométrie, sciences naturelles, etc., occupèrent une place dans le programme.

En principe, toute rétribution scolaire avait été abolie, tant pour le Lectorium que pour les écoles latines ; mais en même temps il avait été interdit aux étudiants de mendier comme par le passé. Les élèves, qu'ils fussent bourgeois de la ville ou qu'ils vinssent de la campagne, pouvaient recevoir des bourses, sur la proposition des autorités scolaires et la décision du Conseil des Deux Cents : le talent, l'application et la bonne conduite déterminaient les choix du Conseil, ainsi que l'engagement pris de se consacrer au ministère ecclésiastique. Les ressources qui permettaient d'allouer ces bourses, et d'accorder aussi des suppléments de traitement à certains professeurs, provenaient des biens de divers couvents supprimés.

Les représentations théâtrales jouaient un rôle important dans les solennités scolaires. Le poète était ordinairement un professeur, les acteurs des élèves et de jeunes bourgeois. Contrairement à l'ancienne coutume, le sujet des pièces n'était pas emprunté exclusivement à la Bible ; le plus souvent on jouait des oeuvres de l'antiquité classique, dans le texte original : car on cherchait, par la déclamation théâtrale, à exercer les élèves à prononcer correctement le grec et le latin. C'est ainsi qu'à l'occasion du dernier anniversaire de la naissance de Zwingli, le 1er janvier 1531, fut représenté le Plutus d'Aristophane ; Zwingli avait composé lui-même la musique qui devait accompagner le texte.

Vivant à une époque où toute culture supérieure reposait sur la connaissance du latin, Zwingli voulut créer aussi des écoles latines dans les campagnes ; et c'est au moyen de la fortune et du personnel des couvents qu'il chercha à réaliser son dessein. Trois de ces écoles furent fondées dans les couvents de Cappel, de Stein, et de Rüti. Mais une seule prospéra, celle de Cappel ; et encore ne dura-t-elle que peu de temps : vers le milieu du siècle elle fut supprimée, parce que les villes s'attribuèrent alors le monopole de l'enseignement classique.

Le traitement des professeurs était relativement peu élevé, lorsque le titulaire ne jouissait pas d'une prébende et d'un logement. L'Etat n'y contribuait pas directement : c'étaient les fonds des indigents qui en supportaient la charge. Le traitement du professeur Georges Binder, qui se montait à 80 florins (1600 francs de notre monnaie), était l'un des plus élevés. Aussi beaucoup de professeurs étaient-ils obliges, pour l'entretien de leur famille, de chercher des ressources supplémentaires dans l'exercice d'un métier. Rodolphe Collinus, qui enseignait le grec, s'était fait cordonnier ; Léo Judae, pasteur de l'église Saint-Pierre, avait un si mince revenu que sa femme était forcée de tisser jour et nuit. L'insuffisance de ces traitements n'avait pas seulement pour cause la pénurie des ressources financières : le sentiment démocratique de Zwingli était opposé à la constitution d'une caste aristocratique de lettrés ; il souhaitait que les savants ne s'affranchissent pas de l'obligation du travail manuel. Thomas Platter raconte que Zwingli voulait que tous les enfants travaillassent de leurs mains : « Maître Ulrich disait qu'il fallait enseigner un métier à tous les garçons, que sans cela il y aurait trop de prêtres ».

C'est ainsi que Zwingli, avec des ressources relativement minimes, et sans imposer aucune charge à l'Etat, créa un enseignement savant, qui, grâce au concours d'hommes distingués qu'il avait appelés et qui lui étaient unis par les liens de l'amitié et d'une doctrine commune, — Léo Judoe, Mykonius, Pellicanus, Rellinus, Ceporinus. Collinus, etc., — fit de Zurich un centre de haute culture. Les écoles de Zürich reçurent des élèves de partout à la ronde, même de pays qui étaient fermement attachés à la vieille croyance ; elles servirent de modèle aux écoles de Bâle, de Strasbourg, d'Ulm ; le duc de Liegnitz, en Silésie, demanda qu'on lui envoyât un professeur zuricois pour réformer son gymnase. C'est peut-être la plus haute marque de la valeur personnelle de Zwingli, que d'avoir réussi à obtenir de si grands résultats avec des moyens si limités, et d'avoir, malgré les conditions d'existence plus que modestes qu'il imposait à ses amis aussi bien qu'à lui-même, su exercer sur eux cet ascendant qui les retenait près de lui et les fixait à Zurich.

Mais tandis que Zwingli exerçait efficacement son action pour la création d'un enseignement latin, il paraît ne s'être en aucune façon occupé des écoles allemandes, c'est-à-dire de l'instruction populaire.

Le seul écrit pédagogique laissé par Zwingli n'était pas à l'origine destiné à la publicité. Il fut d'abord composé en latin, sous ce litre : Quo pacto ingenui adolescentes formandi sint praeceptiones pauculae. Ceporinus en donna une traduction allemande intitulée Herrn Ulrich Zwingli's Lehrbüchlein ; Zwingli en fit lui-même une traduction un peu plus tard, et l'intitula : Wie man die Jugend in guten Sitten und christlicher Zucht auferziehen und lehren soll.

La circonstance qui donna naissance à ce petit livre est la suivante. Le beau-fils de Zwingli, Gerold Meyer von Knonau. fit en 1523 un séjour aux bains de Baden, près de Zürich. Il était d'usage de faire à ceux qui se rendaient à Baden un présent, qu'on appelait « Badenschenke ». Ce fut pour se conformer à cette coutume que Zwingli, voulant offrir à Gerold Meyer le cadeau traditionnel, écrivit pour lui son Lehrbüchlein. C'est un guide moral pour la conduite de la vie, un avis sur la manière de travailler à l'éducation de soi-même. Cette origine du livre indique déjà qu'il n'a rien à faire avec les controverses théologiques. Sans doute les opinions religieuses de Zwingli y sont clairement exprimées ; mais on pourrait presque dire qu'elles n'ont point de couleur confessionnelle. Nous nous trouvons ici sur un terrain neutre ; d'ailleurs, en 1523, la rupture avec les partisans des anciennes croyances n'était pas encore entièrement consommée, et c'est avec une respectueuse affection que Zwingli parle dans cet écrit de l'humaniste Glaréanus, qui était resté attaché au catholicisme ; aussi ce traité peut-il encore aujourd'hui être goûté de tous ceux auxquels un idéal élevé inspire une généreuse sympathie.

L'ouvrage se compose d'une série d'aphorismes détachés, et se divise en trois parties : les devoirs de l'homme envers Dieu, envers lui-même, et envers ses semblables. Les limites dans lesquelles reste enfermé l'horizon intellectuel de Zwingli y sont très nettement marquées. La première des autorités sur lesquelles il s'appuie, c'est celle du fondateur du christianisme, dont l'exemple doit servir de modèle à suivre : ainsi, s'il est permis de prendre part aux fêtes et aux réjouissances, ce n'est pas parce que la nature en a fait pour l'homme un besoin, c'est parce que Jésus a assisté aux noces de Cana ; si nous devons vivre pour nos semblables, c'est parce que Jésus a vécu pour nous. A côté des exemples donnés par le Christ viennent — placés naïvement sur le même rang — ceux qu'offrent l'antiquité classique et l'histoire des anciens Suisses. L'auteur, par exemple, recommande les exercices du corps parce qu'ils ont été en usage chez presque tous les peuples, « et surtout chez nos aïeux, les anciens Confédérés ». Au premier rang il place la course, le saut, la lutte, l'escrime, qui sont des plus utiles en beaucoup de circonstances ; la natation ne vient qu'après : « Je n'ai jamais vu qu'il fût d'une grande ressource de savoir nager, bien qu'il soit agréable de temps en temps d'étendre ses membres dans l'eau et de se transformer en poisson. Toutefois, la natation a été utile dans certains cas, par exemple lorsque l'envoyé des assiégés du Capitole traversa le Tibre à la nage pour aller annoncer à Camille la détresse de la ville de Rome, et lorsque Clélie revint à la nage parmi les siens. » L'exemple de l'antiquité classique, on le voit, est assez puissant pour que Zwingli rende justice aux exercices corporels, en dépit de certaines maximes contraires de la Bible ; mais quand la Bible et le paganisme sont d'accord, il ne faut pas s'attendre à voir Zwingli s'élever à un point de vue plus moderne. Tel le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit de juger le sexe féminin. « Le plus bel ornement de la femme est le silence », dira-t-il avec l'apôtre Paul ; et ailleurs il s'exprime d'une façon moins galante encore. Il faut noter d'autre part la valeur que Zwingli attache au travail manuel ; il motive son opinion en s'appuyant sur l'ancienne législation de Massilia, qui contraignait tous les citoyens d'apprendre un métier. Il ne pouvait ignorer cependant qu'en général l'antiquité païenne dédaignait le travail manuel comme une occupation servile ; mais ici il a cru pouvoir montrer une certaine indépendance, parce qu'à l'appui de son propre sentiment il pouvait invoquer l'exemple offert par le peuple suisse, et le précepte biblique : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage ! »

Mais tout en reconnaissant les différences qui séparent les idées de Zwingli de celles de notre temps, on ne pourra, croyons-nous, s'empêcher de dire après avoir fermé son livre : « Celui qui a écrit cela était un théologien, mais c'était surtout un honnête homme ». Et nous pouvons répéter après lui cette maxime qui résume son enseignement moral : « Ne crois pas que tu t'appartiennes ; rappelle-toi que tu te dois aux autres ».

Otto Hunziker