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Wherli

 Jean-Jacques Wehrli, né le 6 novembre 1790 à Eschikofen (Thurgovie), doit sa célébrité au rôle qu'il a joué à Hofwyl comme collaborateur de Fellenberg, qui l'avait placé à la tête de son école de pauvres. Le jeune Wehrli, fils d'un instituteur de village, fut destiné par son père à la carrière de l'enseignement. A l'âge de quatorze ans, il fut envoyé à l'école municipale de Frauenfeld. A dix-sept ans, le Conseil cantonal d'éducation lui confia la direction d'une petite école rurale, qu'il conserva jusqu'au printemps de 1810. C'est alors, à l'âge de vingt ans, qu'il se rendit auprès de Fellenberg dans l'intention de se perfectionner. Il croyait ne devoir rester à Hofwyl que quelques mois ; mais Fellenberg, ayant trouvé en lui l'étoffe d'un instituteur d'élite, résolut de se l'attacher : depuis longtemps il songeait à la création d'une école de pauvres ; Wehrli lui parut l'homme dont il avait besoin pour réaliser ce projet. Wehrli ayant accepté la proposition, Fellenberg réunit à Hofwyl quelques enfants recrutés dans la classe des mendiants et des vagabonds. Une demi-douzaine de jeunes garçons, hâves et déguenillés, couverts de vermine et de scrofules, vicieux, habitués au désordre et à la fainéantise, et complètement illettrés, tels furent les premiers élèves de Wehrli. Il se donna à eux tout entier, avec la même abnégation et le même courage qu'avait montrés Pestalozzi dans l'orphelinat de Stanz. «J'étais leur père, dit-il. J'étais avec eux toute la journée sans interruption, et, si je me mettais au lit plus tard qu'eux, je n'en restais pas moins dans le dortoir, et le matin je me levais en même temps qu'eux. Des vingt-quatre heures de la journée, neuf ou dix étaient consacrées au sommeil ; des quatorze ou quinze heures restantes, cinq ou six étaient réservées pour les repas, les recréations ou l'enseignement ; le reste du temps était employé aux travaux agricoles. » Grâce aux influences combinées du travail manuel, d'une stricte discipline, d'un enseignement approprié à ces intelligences incultes, et surtout grâce à la sollicitude bienveillante dont Wehrli entourait ses élèves, l'école de pauvres donna d'heureux résultats : les enfants s'améliorèrent, prirent des habitudes d'ordre et d'activité, profitèrent de l'instruction qu'ils recevaient. Le nombre des élèves s'accrut progressivement : il fut de treize en 1811, de vingt-six en 1813, de quarante en 1820 ; il devait même approcher plus tard de la centaine.

Fellenberg voulait, en créant son école de pauvres, démontrer qu'il était possible de supprimer la misère et la mendicité en donnant aux enfants indigents ou abandonnés une éducation qui les mît en état de gagner leur vie par le travail de leurs mains ; il voulait démontrer en outre que les établissements nécessaires pour recueillir et élever ces enfants pouvaient être entretenus sans frais, et qu'une école de ce genre pouvait se suffire à elle-même sans exiger de subvention de l'Etat. D'après ses calculs, la dépense s'élevait à 83 francs par enfant durant les trois premières années : et cette dépense ne devait constituer qu'une simple avance, que l'élève rembourserait plus tard par son travail, en s'engageant à rester dans l'établissement jusqu'à l'âge de vingt ans sans recevoir de salaire. Cette partie du programme de Fellenberg, toutefois, ne put jamais être complètement réalisée, pas plus à Hofwyl que dans les autres établissements qui, à l'exemple de l'école de Wehrli, se fondèrent sur le principe de la Selbsterhaltung.

Wehrli a défini de la manière suivante, dans une lettre adressée à son père, le but que l'école de pauvres s'efforçait d'atteindre : « Si tu donnes aux pauvres du pain, de l'argent, des vêtements, ta charité n'a d'effet que jusqu'au moment où le pain est mangé, l'argent dépensé, les vêtements déchirés. Mais donne-leur l'éducation, apprends-leur à travailler, apprends-leur à se rendre des membres utiles de la société humaine : alors tu les auras enrichis d'une façon durable, et ton bienfait les rendra heureux pour toute la vie. Pour être heureux, il faut qu'ils apprennent à travailler ; en travaillant, ils diminuent d'autant les dépenses que nécessite leur éducation, et l'on peut ainsi, à peu de frais, réaliser un très grand bienfait ; ce qui est plus méritoire, me semble-t-il, que de réaliser à grands frais un très petit bienfait. »

Les succès obtenus à Hofwyl attirèrent bientôt l'attention sur Wehrli et son école. Les nombreux visiteurs des établissements de Fellenberg ne tarissaient pas d'éloges sur les mérites du vaillant instituteur. On lui envoya de toutes parts des élèves, non plus des vagabonds qu'il s'agissait de ramener au bien et de former au travail, mais de jeunes instituteurs qui désiraient étudier sa méthode sous sa direction, pour se vouer à leur tour à l'enseignement des pauvres. Il se fonda ainsi, à côté de l'école de pauvres, un cours normal, auquel l'école de pauvres servait d'école d'application. La pensée de Wehrli finit par se porter de préférence sur celle nouvelle partie de sa tâche, et il désira pouvoir se consacrer entièrement à cette oeuvre : former des instituteurs. Il s'était marié en 1829, et il songeait à créer quelque part, à ses frais, un institut d'éducation qui lui appartînt en propre, lorsqu'un appel du gouvernement de son canton natal vint lui fournir l'occasion qu'il souhaitait.

Le gouvernement thurgovien venait de décider la fondation d'une école normale : il en offrit la direction à Wehrli, qui accepta. L'école s'ouvrit à Kreuzlingen, sur les bords du lac de Constance, en 1833. Wehrli eu fut le directeur pendant dix-neuf ans. Il s'appliquait surtout à donner aux futurs instituteurs le goût des travaux agricoles et une piété solide ; il les habituait à savoir vivre de peu, et leur faisait considérer leur future carrière comme un apostolat que seuls l'esprit de sacrifice et un profond sentiment religieux pouvaient rendre fructueux. En 1852, un changement politique amena au pouvoir des hommes nouveaux ; Scherr fut placé à la tête du Conseil d'éducation thurgovien, et une réorganisation de l'école normale de Kreuzlingen fut décidée. Le programme de l'enseignement de cette école, tel que Wehrli l'avait élaboré et appliqué, laissait en effet à désirer ; il ne répondait plus aux besoins nouveaux, et il était nécessaire d'y faire une part plus large aux notions scientifiques et positives. Wehrli sentit qu'il n'était plus l'homme de la situation : il se retira, non sans tristesse, au printemps de 1853. Il fonda alors au Guggenbuhl une école d'agriculture, et occupa ses heures de loisir à écrire son autobiographie. Il mourut le 15 mars 1855, des suites d'une pneumonie, dans sa soixante-cinquième année.