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Vocabulaire

Au cours d'autres articles sur la langue maternelle, nous avons eu l'occasion de montrer l'importance de l'étude du vocabulaire à l'école primaire. L'enfant qui arrive à l'âge scolaire possède déjà un certain nombre de moyens d'expression, mais il ne les emploie pas toujours de façon correcte ; en outre, suivant le milieu où il vit, son vocabulaire est plus ou moins restreint, plus ou moins localisé. Il est donc du devoir du maître de rectifier le vocabulaire acquis par les élèves et de l'étendre.

Le travail de rectification est très variable selon les milieux scolaires. Les élèves des villes connaissent plus de mots que les élèves des campagnes, parce qu'ils ont vu plus de choses ; mais ils les emploient souvent mal à propos ou les entremêlent de termes d'argot. Les élèves des écoles rurales ont en général un vocabulaire assez pauvre ; en outre leur prononciation est quelquefois vicieuse, déformée par un accent régional ; parfois aussi les termes sont empruntés au patois. Ce doit être la première tâche de l'instituteur de redresser la prononciation, de corriger l'accent, de faire employer le terme vraiment français à la place de l'expression locale, tâche souvent difficile, dans laquelle l'instituteur, s'il est du même pays que ses élèves, doit être constamment en garde contre ses propres habitudes. Il y réussira surtout en veillant avec beaucoup de soin à la correction de la lecture, et aussi en exerçant ses élèves à reproduire de vive voix un morceau lu précédemment.

Les moyens d'étendre et de préciser le vocabulaire sont nombreux ; on s'est efforcé dans ces dernières années de les varier le plus possible et de les rendre fructueux en même temps qu'intéressants. Reconnaissons d'abord qu'ils offrent un attrait particulier pour l'élève, à cause sans doute de la part d'inconnu qu'ils renferment et de la satisfaction que procure toujours à l'élève la découverte d'une solution exacte. Nous ne citerons ici que ceux qui donnent les meilleurs résultats.

Plaçons en première ligne les familles de mots. Des exercices préliminaires bien conduits amènent facilement l'élève à découvrir le sens et l'emploi des principaux suffixes et préfixes. On fait trouver, par exemple, des diminutifs en et, ou elle : livre, livret, table, tablette ; en eau : chèvre, chevreau. Dans un autre exercice, on demandera des noms de professions en er, ou en ier : vache, vacher ; ferme, fermier ; en eur : labourer, laboureur ; sonner, sonneur ; etc. Le sens des préfixes pourra s'acquérir par des moyens analogues ; des mots bissac, biscornu, bisannuel, on peut dégager aisément le sens du préfixe bis ; les mois défaire, démancher, décoller, montreront le sens du préfixe dé. Le sens des affixes une fois connu, on peut passer à l'étude des familles de mots, en demandant aux élèves de trouver les dérivés et composés d'un radical donné. Un mot racine, terre, étant proposé, l'élève sera invité à trouver 1° les mots qui en proviennent par dérivation, comme : terrain, terreau, terrestre, terrier, terrer, territoire, terroir, terrien ; 2° les mots qui en proviennent par composition : enterrer, enterrement, déterrer, souterrain. Il est bon d'exercer l'élève soit à les définir, soit, ce qui est plus facile, à les faire entrer dans une courte phrase, dans laquelle le sens apparaîtra clairement.

Ces premiers exercices habituent l'enfant à grouper des mots, d'après leur forme, autour d'un mot racine. Avec des élèves avancés, on pourra s'exercer à l'étude des familles dans lesquelles un mot racine a donné plusieurs radicaux comme chair (char, charn, carn) ; mouvoir (mouv, mot, mobil, meubl, meu, mut). On réservera pour les divisions supérieures les familles de mots qui empruntent leurs éléments au langage scientifique, avec des composants d'origine latine, grecque ou mixte : démocratie, aristocratie ; homicide, parricide, etc. ; amphithéâtre, amphibie, etc.

A ce premier mode de groupement des mots d'après leur origine, on peut avec grand profit joindre celui qui consiste à les rapprocher d'après les analogies de sens qu'ils présentent. Prenons comme exemple le mot chasse ; on propose aux élèves de chercher les mots français qui se rapportent à l'idée de chasse. Ils en trouveront aisément un grand nombre : chasseur, chasser, fusil, gibecière, gibier, poudre, plomb, piège, lapin, faisan, affût, panneau. On comprend combien un tel exercice est précieux pour la préparation à la composition française : l'élève qui aura à traiter un sujet se rapportant à la chasse et qui s'y sera préparé par un exercice analogique de ce genre ne sera plus embarrassé pour chercher ses termes, pour varier ses expressions, pour employer le mot propre. Il n'aura qu'à puiser dans le vocabulaire technique qui vient de lui être fourni : il pourra apporter à son travail plus de richesse d'expression, plus de variété et de précision dans les termes employés.

Mais ce travail de recherche, tel qu'il est présenté plus haut, est encore imparfait : les mots y sont présentés sans ordre, tels qu'ils jaillissent des interrogations au cours de l'exercice oral. Il importe de le perfectionner par un travail de classement méthodique qui lui donnera une valeur beaucoup plus grande. On demandera donc aux élèves de grouper ces mots, d'après leur nature, en plusieurs catégories :

1° Mots désignant des êtres ou des choses :

Chasseur, rabatteur, braconnier. ;

lapin, lièvre, faisan, perdrix. ;

terrier, garenne, gîte, bauge. ;

fusil, cartouche, plomb. ;

2° Mots exprimant des qualités :

Le chasseur adroit, matinal, infatigable. ;

le gibier abondant, rare. ;

3° Mots exprimant des actions :

Marcher, grimper, viser, tirer, rabattre, guetter, poursuivre, forcer, laisser courre ;

4° Expressions usuelles :

Rentrer bredouille, avoir du nez, prendre le change, mettre en défaut, prendre le contre-pied, être aux abois, faire tète.

Assurément il y aura des degrés à observer dans les exercices de ce genre, et le maître devra souvent intervenir pour suggérer ou pour fournir les expressions cherchées ; mais il est facile de voir combien le vocabulaire pourra s'enrichir et se préciser, surtout si le groupement des mots est présente de façon claire et méthodique.

Auprès de ces deux premiers genres d'exercices, qui paraissent fondamentaux, les autres semblent de valeur moyenne ou médiocre. Nous ne parlerons que pour mémoire des exercices sur les homonymes, qui dégénèrent facilement en jeux de mots et ne laissent rien dans l'esprit. Les exercices sur les synonymes ont plus d'importance, mais ils sont difficiles à présenter : demander à l'élève de remplacer un mot par son synonyme dans un texte bien écrit est d'une piètre pédagogie ; cela revient en somme à proposer de remplacer un terme exact par un terme approché ou inexact, car il n'existe pas en français deux mots exactement synonymes et susceptibles d'être toujours employés l'un pour l'autre. Le meilleur parti qu'on en puisse tirer consiste, pensons-nous, à composer des phrases dans lesquelles on demanderait de remplacer un mot laissé en blanc par un mot pris dans une liste de synonymes. La valeur de cet exercice consiste ici dans l'obligation de choisir le terme propre, mais il implique un certain degré de difficulté dont le maître doit tenir compte.

Les exercices sur les contraires, très en vogue il y a quelques années, sont encore assez fréquemment employés : c'est justice, car ils peuvent rendre de réels services avec les élèves du cours élémentaire ou moyen. Ils consistent à faire trouver le contraire d'un mot dans une expression donnée. Exemple : un temps pluvieux, un temps sec ; bâtir une maison, démolir une maison. Par leur nature, ils ne peuvent guère porter que sur des mots exprimant la qualité, (noms ou adjectifs, et par suite adverbes) ou l'action (verbes). Mais pour qu'ils soient vraiment fructueux, ils doivent être choisis avec soin, et ne porter que sur des termes employés dans un texte avec un sens bien précis. Dans ce cas, ils permettent de voir si l'élève a bien saisi la valeur exacte du mot dont on demande le contraire. Un même mot, doux par exemple, peut en effet s'opposer à beaucoup d'autres : dur, froid, amer, âcre, emporté, violent. C'est le sens du mot doux dans le texte qui déterminera le terme contraire. Ainsi l'exercice des contraires peut amener l'enfant à comprendre le sens exact d'un mot qu'on ne pourrait quelquefois lui expliquer que difficilement par un autre moyen. Un autre exercice qui se rattache à l'étude du vocabulaire consiste à étudier les différents sens d'un mot. Partant du sens propre, on peut, à l'aide d'exemples, faire saisir à l'élève la dégradation ou la dérivation de sens qu'il présente dans différents cas. Cet exercice, dira-t-on, est tout préparé dans le dictionnaire, où les sens des mots sont classés d'après leur parenté plus ou moins proche avec le sens propre. Il y a cependant intérêt à appeler l'attention des enfants sur la multiplicité des significations que peut recevoir un même mot, comme jour, main, prendre, et à leur faire expliquer le sens d'une expression comme prendre jour, donner le jour, mettre à jour, finir ses jours, etc. Cet exercice peut notamment rendre de grands services à ceux de nos élèves qui auront à traduire leur pensée dans une autre langue.

Ainsi entendus, ces exercices permettent au maître de rectifier et d'élargir le vocabulaire de l'élève ; ils permettent à l'élève de mieux comprendre ce qu'il lit ; ils l'habituent à apporter dans ce qu'il écrit plus de précision, plus de variété, plus d'agrément. Ils ne sont donc pas moins utiles à la saine intelligence des textes qu'à l'apprentissage de la composition française.

Léon Flot