bannière

v

Vinet (Alexandre)

Alexandre Vinet est né à Ouchy-sous-Lausanne, le 17 juin 1797, et mort à Clarens le 4 mai 1847. Prédicateur original, moraliste profond, critique littéraire souvent exquis, Vinet est l'écrivain le plus distingué de la Suisse française au dix-neuvième siècle. Sans avoir atteint en France ce qui s'appelle la popularité, il y a longtemps cependant qu'il y a trouvé des lecteurs attentifs et des admirateurs. Destiné au ministère évangélique, il fit ses études théologiques à Lausanne, puis céda à son goût pour les lettres, et devint en 1817 professeur de langue et de littérature françaises au gymnase de Bâle. Le gouvernement vaudois le rappela à Lausanne en 1837, en le nommant, dans l'Académie de cette ville, à une chaire de théologie que Vinet échangea plus tard contre un enseignement littéraire. Ses travaux, d'accord avec cette double vocation, se partagent en deux classes d'écrits : ceux qui traitent de matières ecclésiastiques et religieuses, et ceux qui appartiennent aux lettres. Vinet était entré de bonne heure dans ce qu'on a appelé le « réveil protestant », mouvement de pieuse ferveur qui ne fut pas sans porter de beaux fruits de zèle, d'activité, de dévouement, mais qui amena bien des agitations et des divisions dans les églises où il se produisait, et qui, s'étant rattaché sans plus de réflexion aux doctrines de la Réformation, se trouva subitement paralysé lorsque la critique entama cet héritage du seizième siècle. Vinet, dont les études théologiques avaient été fort imparfaites, mais dont la piété pas plus que la raison ne s'accommodait de la scolastique calviniste, resta toute sa vie partagé, et quelque peu embarrassé de ce partage, entre une foi qui ne savait se passer du dogme traditionnel et une tradition dont il ne parvenait pas à s'assimiler toutes les données. De là, si je ne me trompe, dans ses discours religieux, le manque de sérénité et, pour ainsi dire, de pleine possession qui en altère le charme ; on dirait que l'auteur cherche à ressaisir dans des subtilités psychologiques la croyance qu'il sent lui échapper.

Nous rangerons parmi les écrits religieux de Vinet un grand nombre de brochures et d'articles relatifs aux controverses ecclésiastiques du canton de Vaud, ainsi que les ouvrages plus considérables qu'il a consacrés aux rapports de l'Eglise avec l'Etat. Cette question fut de tout temps pour lui un sujet favori de méditation. Il l'avait traitée, dès 1826, dans un Mémoire sur la liberté des cultes, couronné par la Société de la Morale chrétienne. Il y revint, en 1841, dans un volumineux Essai sur la manifestation des convictions religieuses. Il s'en occupait encore, bien peu de temps avant sa fin, dans son écrit Du socialisme considéré dans son principe. Ce dernier titre indique quelle était l'idée mère de la polémique de Vinet en ces discussions. Le danger, selon lui, était cette notion moderne de l'Etat qui personnalise, pour ainsi dire, la société, qui lui attribue une conscience, qui lui permet, par conséquent, ou plutôt qui lui enjoint, d'avoir des croyances, et lui reconnaît même plus ou moins le droit de les imposer. L'Etat considéré, non plus comme le garant des libertés individuelles, mais comme une personne morale, tel était, aux yeux de Vinet, le principe du socialisme. Vinet fut toute sa vie un partisan convaincu, opiniâtre de l'individualisme.

Les nombreux et précieux volumes d'études littéraires que nous devons aux soins des amis de Vinet se composent en partie des cours qu'il donnait à l'Académie de Lausanne, en partie des articles qu'il envoya pendant bien des années nu journal le Semeur. Cette publication hebdomadaire, qui, fondée peu après la révolution de Juillet, travailla trente ans, avec plus d'honneur que de succès, à ramener la France aux croyances chrétiennes, avait enrôlé les principales forces littéraires du protestantisme français, et dut le meilleur de son lustre à la plume du professeur de Lausanne.

Le Semeur exerça une influence considérable sur l'activité de Vinet, en le provoquant à exprimer des pensées pour lesquelles il avait sous la main un organe tout trouvé, et surtout en lui offrant l'occasion d'exercer cette critique littéraire que nous ne pouvons nous empêcher de tenir pour son oeuvre principale et sa vocation décidée. Ses articles, qui jugeaient au passage tous les ouvrages marquants d'une belle époque littéraire, faisaient franchir au journal les limites de son public spécial. « C'est un véritable diamant, disait Michelet de l'un de ces morceaux ; il ne se peut rien de plus pur. » Sainte-Beuve, en particulier, avait depuis longtemps et à diverses reprises attiré l'attention sur la personne de l'humble écrivain étranger.

On ne peut parler de Vinet sans dire que le caractère était chez lui encore plus beau que le talent. Une pureté morale exquise, une sensibilité sans abandon mais prompte au dévouement, une humilité si profonde qu'on avait peine à y croire, toutes les fidélités au devoir et toutes les délicatesses de la conscience, tels étaient les traits de cette douce et austère physionomie.

Ses oeuvres sont volumineuses. Nous avons déjà dit à quels genres divers elles appartiennent. On cherchera l'écrivain religieux dans les trois ou quatre volumes de ses discours ; le moraliste dans un recueil d'Essais de philosophie morale (1837), et, à vrai dire, un peu partout ; le pédagogue dans des articles recueillis sous le titre L'éducation, la famille et la société ; le maître de langue et de goût dans son admirable Chrestomathie française graduée pour l'enfance, la jeunesse et l'âge mûr ; le critique littéraire, enfin, dans ses Etudes sur Biaise Pascal., dans ses Moralistes des seizième et dix-septième siècles, dans ses Poètes du siècle de Louis XIV, dans son Histoire de la littérature française au dix-huitième siècle, un titre qui n'est pas entièrement justifié par le contenu, et enfin dans ses Etudes sur la littérature française au dix-neuvième siècle. Deux volumes de Correspondance ne renferment guère que des lettres de piété.

Celui des ouvrages de Vinet qui se recommande le plus directement à l'instituteur est incontestablement la Chrestomathie (en trois volumes), le meilleur recueil de ce genre, enrichi de notes grammaticales et littéraires d'un grand prix. Les deux premiers volumes sont, en outre, précédés d'introductions remplies de vues, et le troisième, d'un aperçu historique sur la littérature française qu'on peut dire un chef-d'oeuvre. « C'est la lecture la plus nourrie, a écrit Sainte-Beuve, la plus utile, la plus agréable même, aussi bien que la plus intense. On reste tout surpris et charmé. » La pédagogie réclame également, parmi les ouvrages de Vinet, le recueil de morceaux divers intitulé : L'éducation, la famille et la société. On y trouve des discussions sur l'éducation en général, sur celle de l'enfance et des femmes en particulier, sur l'instruction populaire, sur les études classiques : tout cela, quelque jugement que l'on porte sur les opinions de l'écrivain, très sérieux, très pensé et propre à faire penser.

Edmond Schérer