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Vincent de Beauvais

Vincent, dit de Beauvais, moine dominicain, vivait dans la première moitié du treizième siècle. On ignore la date exacte de sa naissance et de sa mort, et l'on ne sait que fort peu de choses de sa biographie. Il paraît avoir vécu dans la familiarité de saint Louis, car il se donne quelque part le titre de lecteur du roi. Ce fut sur le désir de ce prince qu'il entreprit son grand ouvrage, le Speculum majus, sorte d'encyclopédie divisée en plusieurs parties, intitulées Speculum historiale (Miroir historique), Speculum naturale (Miroir de la nature), et Speculum doctrinale (Miroir de la doctrine). Une quatrième partie, le Speculum morale, paraît être l'oeuvre d'un continuateur. La première édition complète du Speculum majus ou quadruplex est celle de Mentelin, Strasbourg, 1473-1476 ; une autre édition a été faite à Douai en 1624. Vincent de Beauvais écrivit en outre, sur la demande de la reine Marguerite, un traité d'éducation intitulé De eruditione filiorum regalium (De l'instruction des enfants royaux). Ce traité a été imprimé pour la première fois en 1477, sous le titre De liberali ingenuorum institutione pariter ac educationc, sans indication de lieu ; une autre édition en a été faite vers la même époque à Rostock en un volume qui comprend trois ouvrages de Vincent, De morali principis institutione, De nobilium puerorum institutione, et De consolationibus specialibus super morte filii ; enfin on trouve aussi cet ouvrage dans la collection des Opuscula de Vincent de Beauvais imprimée en 1481 à Bâle chez Jean d'Amerbach. Malheureusement l'exemplaire des Opuscula que possède la Bibliothèque nationale de Paris est incomplet, et il y manque précisément le traité De eruditione filiorum regalium. D'après Daunou (Histoire littéraire de la France, t. XVIII, article Vincent de Beauvais), « une traduction française, restée manuscrite, de cette production, est comprise dans l'inventaire des livres de Charles V : De informatione principum, translaté en françoys par Jehan Goulein ». Il en existe en outre une traduction allemande, due à Fr.-Chr. Schlosser, imprimée à Francfort en 1819, dont un exemplaire peut être consulté à la bibliothèque du Musée pédagogique. M. Parisot, auteur de l'article Vincent de Beauvais dans la Biographie Michaud, prétend que l'ouvrage publié par Schlosser consiste simplement dans « la traduction de cinquante et un chapitres du livre VI du Speculum doctrinale », Nous avons vérifié, et constaté que les cinquante et un chapitres dont se compose le traité traduit par Schlosser ne se retrouvent point dans le Speculum doctrinale, en sorte que le De eruditione filiorum regalium, forme bien un ouvrage distinct. Voici la table des principaux chapitres de ce traité : 1. De l'éducation des enfants de noble famille ; 2. Du choix d'un maître ; 3. De l'exposition ; 4. Des obstacles à l'étude ; 5. Des trois conditions essentielles de l'élude ; 6. Des cinq moyens auxiliaires de l'étude ; 11. De l'ordre et de la suite des matières d'étude ; 15. Comment toute science doit être rapportée à la théologie, c'est-à-dire à la connaissance de Dieu ; 16. De la lecture des livres païens, et pourquoi un chrétien ne peut se dispenser de les connaître ; 23. De l'éducation des enfants dans les bonnes moeurs ; 25. De la discipline et des châtiments ; 28. Pourquoi on doit enseigner aux enfants l'obéissance ; 35. De la conduite et de la discipline de l'adolescence ; 37. De l'entrée dans l'état de mariage ; 42. Comment il faut élever les jeunes filles pour une vie retirée et les éloigner des grandes sociétés ; 47. Comment il faut marier les jeunes filles ; 50. De l'état de veuve ; 51. Des avantages de la virginité perpétuelle. — Ces brèves indications suffiront pour donner une idée du caractère de l'ouvrage. Quant au procédé de composition de Vincent de Beauvais, il consiste en général à mettre bout à bout des citations empruntées à toute sorte d'auteurs sacrés et profanes, le plus souvent sans aucun commentaire. Nous traduisons, à titre de spécimen, quelques lignes du chapitre XI, De l'ordre et de la suite des matières d'étude :

« Sur l'ordre des matières d'étude, Altorabi dit dans son livre sur l'origine des sciences : La première de toutes les sciences est la connaissance du langage, c'est-à-dire des noms des choses, substances ou accidents. La seconde est la grammaire, c'est-à-dire la science d'ordonner les noms attribués aux choses, et d'en faire un discours suivi. La troisième est la logique, c'est-à-dire l'art de disposer des propositions affirmatives ou négatives pour en tirer des conclusions. La quatrième est la poétique, l'art de faire des vers, de réduire les propositions à la mesure du langage rythmé. C'est pourquoi il est dit ailleurs, au livre de la division des sciences : La première science est la connaissance du langage lui-même ; la seconde est la logique ; la troisième, la morale ; la quatrième, l'histoire naturelle ; la cinquième, la science de Dieu et des choses divines ; la sixième, celle des relations civiles. Ici, la connaissance du langage comprend par conséquent aussi la grammaire, et, à côté de celle-ci ou de la logique, la rhétorique. Un autre ordre est donné par Richard de Saint-Victor ; il prescrit en effet l'ordre suivant : Avant tout, dit-il, il faut acquérir l'éloquence, et, en vue de celle-ci, étudier la logique ; ensuite il faut éclairer l'oeil de l'âme par la morale ; puis passer à l'étude de la science contemplative. La grammaire est donc le fondement de toutes les sciences. Il est vrai qu'aujourd'hui les hommes méprisent la grammaire comme une chose trop basse ; c'est pour cela qu'ils ne font pas de progrès dans les autres sciences. Quintilien dit à ce sujet, au premier livre de ses Institutions oratoires : Il est intolérable d'entendre parler avec dédain de la grammaire comme d'une chose méprisable et basse ; car si ce fondement n'a pas été sûrement posé, tout ce qu'on voudra édifier ensuite croulera. » Etc., etc.

On rencontre cependant quelques rares chapitres où l'auteur parle en son propre nom et donne des préceptes empruntés à son expérience personnelle ou aux usages de la société de son temps. Ce sont les seules parties du livre qui offrent quelque intérêt. Nous citerons, par exemple, le chapitre XXXI, où Vin cent donne des conseils sur la démarche, l'attitude à observer en parlant et en écoutant, la façon de se comporter à table, etc.

James Guillaume