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Villemain

Il y a des hommes que la politique seule a portés au ministère de l'instruction publique. On peut même dire que quelques-uns d'entre eux comptent parmi les meilleurs ministres qu'ait eus l'Université. D'autres, au contraire, sont sortis des rangs de l'Université elle-même pour la diriger. Villemain est de ce nombre. Avant de devenir ministre, il avait commencé par illustrer le corps auquel il appartenait.

Peu de destinées ont été aussi précoces que la sienne. Né à Paris, le 11 juin 1791, dès l'âge de douze ans il jouait la comédie en grec dans sa pension. Et telle était la force de sa mémoire que, bien des années plus tard, il récitait encore tout son rôle d'Ulysse de la tragédie de Philoctète. Pendant qu'il faisait sa classe de rhétorique, son professeur, le poète Luce de Lancival, dont la santé était chétive, le priait quelquefois de monter dans la chaire. Le jeune Villemain sortait des bancs et continuait tranquillement la leçon, à la grande admiration de ses camarades.

A peine sorti du lycée, au moment où il commençait ses études de droit, il fut distingué par Fontanes, alors grand-maître de l'Université, et nommé professeur de rhétorique au lycée Charlemagne. Il venait d'avoir vingt ans, lorsque, l'usage du discours latin à la distribution des prix du concours général ayant été rétabli, il fut chargé, le premier, de haranguer, en langue latine, le public universitaire. Son discours plein d'éclat témoignait d'une facilité extraordinaire. Il en donna bientôt après une nouvelle preuve. L'Académie française avait mis au concours l'éloge de Montaigne. Des écrivains connus, Victorin Fabre, Droz et Jay étaient parmi les concurrents. Le jeune Villemain improvisa, en huit jours, l'éloge qui obtint le prix. On retrouverait déjà dans cette oeuvre de début, qui a été conservée et publiée, la plupart des qualités brillantes de l'écrivain : l'élégance, la souplesse et le tour heureux de l'expression.

En 1812, pendant ce long silence que l'Empire imposait à la politique, un succès littéraire prenait l'importance d'un événement auprès d'une société à laquelle manquaient bien des sujets de conversation. La première victoire académique de Villemain lui ouvrit la porte des salons les plus recherchés. Chez Suard, chez le comte de Narbonne, chez la princesse de Vaudemont, on s'arrachait ce jeune homme qui, à l'âge où les autres sont encore sur les bancs de l'école, préludait déjà à une double renommée de professeur et d'écrivain.

Un discours sur Les avantages et les inconvénients de la critique, un éloge de Montesquieu, valurent à Villemain deux autres couronnes académiques. La seconde Restauration lui offrit une chaire d'éloquence à la faculté des lettres et le fit entrer au ministère, en qualité de chef de la division de l'imprimerie et de la librairie. L'Académie française l'appela, en 1821, quoiqu'il n'eût pas encore trente ans, à remplacer son premier protecteur Fontanes, auquel il devait son entrée dans l'Université.

La gloire vint surtout à Villemain de ses leçons dans la chaire de la Sorbonne, qu'il avait occupée dès 1816. Il ne commença point cependant par le succès éclatant et retentissant qui faisait dire au Globe, dans les dernières années de la Restauration, que ses leçons étaient un des événements intellectuels les plus importants de l'époque. Pendant dix ans, il étudia l'histoire littéraire du quinzième, du seizième et du dix-septième siècle, au milieu d'une jeunesse charmée et entraînée par le feu du professeur. Mais ces premiers succès ne dépassaient pas encore les limites du quartier des écoles et du monde littéraire. Ce furent les leçons sur le dix-huitième siècle qui enflammèrent les imaginations et qui attirèrent au pied de la chaire de Villemain l'élite de la société française. Il m'est arrivé souvent, dans le cours de ma carrière, de rencontrer soit en France, soit à l'étranger, des auditeurs qui avaient entendu les leçons de cette époque. Aucun n'en parlait froidement. L'éloquence ardente du professeur avait laissé dans les mémoire* un profond et émouvant souvenir. Les uns se rappelaient que la grandeur de Shakespeare leur avait été alors révélée pour la première fois. L'auteur de Macbecth, de Hamlet, d'Othello n'était plus ce poète barbare dont Voltaire se croyait le droit de se moquer : Villemain avait montré par de saisissantes citations que nulle part la passion tragique ne rencontrait des accents plus vrais que dans la tragédie anglaise. La comparaison de Zaïre et d'Othello ne laissait aucun doute sur la supériorité de Shakespeare : l'art délicat de Voltaire et sa science dramatique n'atteignaient point les effets puissants que le prétendu barbare savait tirer de l'amour involontaire de Desdémone, de la perfidie d'Iago et de la passion confiante du Maure si facilement empoisonnée par le démon de la jalousie. D'autres auditeurs des cours de Villemain se rappelaient surtout les passages politiques, les belles leçons sur la tribune anglaise qui émouvaient alors, avec la jeunesse libérale, tous les amis de la liberté, les admirables portraits de Chatham, de Burke, de Pitt, de Fox, de Mirabeau. Il y avait chez le professeur, lorsqu'il traitait ces questions, un sentiment très vif de la nécessité et de la force des institutions libérales. Eloigné par tempérament de tous les excès, il n'avait assurément rien d'un révolutionnaire. Mais il ne comprenait le pouvoir que limité par le contrôle du parlement et par la liberté de la presse. Il parlait de l'Angleterre, non en dilettante, mais avec la conviction que cet heureux pays réalisait les meilleures conditions de gouvernement, la stabilité par l'hérédité dynastique et la liberté par l'action qu'exercent sur la direction des affaires les représentants élus du pays.

Il appartenait à cette classe de bons citoyens, plus nombreux alors qu'on ne le supposait, qui se seraient accommodés de la dynastie légitime si celle-ci avait voulu rester libérale. Plus on étudie l'histoire des dernières années de la Restauration, plus on voit combien était petit le nombre de ceux qui travaillaient à une révolution. Parmi les esprits les plus hardis, bien peu la voulaient. Elle fut faite, comme presque toujours en France, non par le travail de l'opposition, mais par la faute du gouvernement : Villemain, qui ne l'avait ni provoquée, ni même souhaitée, qui croyait encore, le 30 juillet 1830, à la possibilité de conserver la dynastie, fut obligé de convenir, huit jours après, que le trône était vacant en fait et en droit. Elu député de l'Eure au commencement de l'année 1830, il avait fait partie des 221 ; dès qu'il vit le trône de Charles X définitivement renversé, il s'inspira des souvenirs de l'histoire d'Angleterre qu'il connaissait si bien, et il crut recommencer la révolution anglaise de 1688 en offrant la couronne à la branche cadette de la maison de Bourbon.

Cette dynastie nouvelle ne pouvait manquer, suivant lui, d'être libérale ; il espérait réaliser avec elle cette conciliation de la liberté et de l'ordre qui a été si souvent cherchée en France et si rarement rencontrée. Il faut dire à l'honneur de Villemain que, si dévoué qu'il fût à la monarchie de Juillet et quelque reconnaissance qu'il eût pour le régime qui le lit pair de France (1832), il ne fléchit pas sur les principes qu'il avait soutenus pendant les années les plus difficiles de la Restauration.

Lorsque, après l'attentat de Fieschi, le cabinet du 11 octobre 1832 proposa (septembre 1835) de modifier la législation sur la presse et de restreindre les attributions du jury, Villemain attaqua le projet du gouvernement dans un de ses discours les meilleurs et les plus courageux. Il soutint, comme le duc Victor de Broglie l'avait soutenu avant lui, que les délits de presse, étant de simples délits d'opinion, ne sont justiciables que d'un tribunal d'opinion, c'est-à-dire du jury. Il alla jusqu'à affirmer que la loi proposée était plus restrictive de la constitution que les lois les plus mauvaises de la Restauration, et il repoussa le dangereux cadeau que le gouvernement voulait faire à la Chambre des pairs, en lui attribuant une juridiction qui ne pouvait appartenir à une assemblée politique sans exposer celle-ci à la tentation de frapper des ennemis, au lieu de rendre impartialement la justice.

Un jour vint où Villemain fut naturellement appelé au ministère de l'instruction publique. Après y avoir fait (12 mai 1839) une première apparition fort courte, il y entra pour un temps plus long, lorsque le cabinet Soult-Guizot remplaça aux affaires, le 29 octobre 1840, celui de Thiers. L'Université a eu rarement à sa tête un ministre aussi digne de la représenter par l'autorité de la parole et par l'éclat du talent. On ne peut dire cependant que son ministère ait laissé dans l'enseignement une trace profonde. Villemain n'était pas un de ces novateurs hardis qui touchent aux institutions consacrées par l'expérience et qui se flattent de renouveler le domaine où ils règnent. Prudent par caractère, il essaya d'améliorer ce qui existait, lentement, peu à peu, sans secousses et sans bouleversement. Ce n'est pas, du reste, un mince mérite d'avoir fait honorer et respecter partout, pendant plusieurs années, le corps enseignant. A aucun moment de leur histoire, les professeurs de l'enseignement secondaire, particulièrement, ne se sont sentis plus entourés de la faveur publique.

Peut-être manquait-il à Villemain, pour laisser la réputation d'un ministre de premier ordre, la fermeté et la décision du caractère. Il lui arrivait ce qui arrive souvent aux esprits fins et habitués à l'analyse critique : il voyait en même temps les aspects les plus différents des choses, il saisissait avec une merveilleuse sagacité les nuances les plus délicates des questions, et, sollicité en sens divers par des motifs plausibles, mais contradictoires, il hésitait à conclure.

Déjà dans sa critique littéraire, si pénétrante et si étendue, la même réserve était sensible. Il excellait dans les exposés historiques, il faisait valoir avec un art infini ce qu'il y avait de meilleur dans chaque ouvrage ou dans chaque système ; mais, en général, il ne se prononçait pas, il laissait le lecteur choisir et décider lui-même.

Il y avait en lui, malgré tout son esprit et toute l'assurance qu'aurait dû lui donner l'habitude du succès, un fond de timidité. Les responsabilités l'effrayaient. De cruels soucis domestiques lui ôtaient aussi quelquefois une partie de sa liberté d'esprit. Dans la lutte que soutenait alors l'Université contre les partisans de l'enseignement libre (Voir Liberté de l'enseignement, pages 1035-1036, et Louis-Philippe, pages 1122-1123), on abusa de l'extrême sensibilité de Villemain, on essaya de troubler son repos et l'on y réussit en lui inspirant des frayeurs imaginaires. Chaque matin des lettres anonymes lui annonçaient que, déjà frappé dans sa femme, il le serait bientôt dans ses enfants. On finit par assombrir cet esprit si brillant et par le plonger dans un désespoir qui touchait à la folie. Le ravage moral était si visible et si effrayant que le roi Louis-Philippe demanda un jour à un des collègues de Villemain si la réputation d'esprit qu'on avait faite au ministre de l'instruction publique n'était pas surfaite. Le roi ne se doutait guère que, même pendant les séances du conseil, l'imagination de son malheureux ministre était assiégée par les plus affreux cauchemars. Sous l'impression de menaces multipliées, ce pauvre père croyait qu'on en voulait à la vie de ses filles, et se figurait même quelquefois qu'on les brûlait à petit feu dans une chambre voisine de la sienne. Il lui fallut enfin quitter le ministère (décembre 1844) ; mais les idées sombres ne se dissipèrent pas aussi facilement que le portefeuille s'évanouissait. Bien des mois plus tard, j'ai été le témoin des douloureuses angoisses du père de famille toujours agité, toujours tremblant. La présence d'amis dévoués auprès de ses filles ne le rassurait même pas. Il voulait assister à tous leurs repas et manger le premier de tous les plats qu'on leur offrait, dans la crainte qu'elles ne fussent empoisonnées.

Cette agitation se calma peu à peu. Il resta toujours néanmoins dans l'esprit de Villemain, depuis cette époque, une sorte de tristesse morose qui n'était que trop expliquée par de nouveaux soucis domestiques et par la dureté des temps. Il avait vu disparaître la monarchie constitutionnelle qu'il avait servie avec dévouement et qu'il aimait ; il voyait revenir avec le second empire le règne de la force, dont il avait cru la France délivrée pour jamais. Voilà donc où l'on aboutissait : après trente-six ans de régime parlementaire, il fallait faire son deuil de la liberté! Tant d'efforts généreux tentés par les plus nobles esprits, tant d'espérances conservées au milieu des luttes de tous les jours, tout ce patrimoine de la France libérale était encore une fois livré à un maître! Et quel était celui que la folie populaire avait choisi, celui que beaucoup de conservateurs eux-mêmes avaient appelé comme un sauveur? c'était le héros de Strasbourg et de Boulogne. Il n'était connu que par ses conspirations et par ses aventures. Villemain subit cette domination, mais il ne s'y résigna jamais. Il ne tarissait pas en épigrammes sur la sottise de ce peuple qui s'était plaint de la tyrannie de Louis-Philippe et qui se donnait pour maître un second Napoléon. Il fit alors ce qu'ont fait si souvent, dans notre pays, les politique: ; désabusés ou tombés du pouvoir : il se réfugia dans l'étude de ces lettres qui avaient été la nourriture de sa jeunesse, le charme et le véritable honneur de sa vie. Membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, secrétaire perpétuel de l'Académie française, il trouvait dans ses relations avec ses confrères et dans ses travaux académiques le meilleur emploi de son temps. Sa vie se concentra alors presque tout entière dans son cabinet de l'Institut, d'où il ne sortait plus que fort rarement. C'est là qu'à toute heure du jour, et souvent aussi dans la soirée, quelques personnes amies étaient admises ; c'est là que j'ai eu, pendant dix ans, la bonne fortune de recevoir presque chaque semaine une double leçon de libéralisme et de haute littérature.

Le premier abord de Villemain était, comme l'aspect de son appartement, plutôt attristé qu'aimable. Il portait lourdement le poids de grands chagrins domestiques et de pénibles souffrances du corps. Il commençait presque toujours la conversation par une plainte brusque et morose ; mais, après s'être, en quelque sorte, soulagé par cet aveu involontaire d'une lassitude physique et morale qu'il ne pouvait dominer, il saisissait la première parole de son interlocuteur comme une occasion heureuse de secouer ses soucis, de retrouver la plénitude de la vie intellectuelle qui n'était jamais que momentanément suspendue dans son si vif et si curieux esprit. A mesure qu'il parlait, toute trace de fatigue disparaissait ; sa physionomie si mobile s'éclairait d'un sourire plein de malice ou s'animait de l'expression dédaigneuse d'une pensée hardie. Sa voix, d'abord sourde, s'élevait par degré à des notes graves et puissantes qui rappelaient le professeur, l'orateur éloquent. A entendre ce vieillard déjà fatigué parler avec tant de force, on comprenait l'action irrésistible qu'avait dû exercer sa parole, trente années auparavant, sur le public de la Sorbonne. Il animait tous les sujets ; quelle que fût la question littéraire soulevée devant lui, sa merveilleuse mémoire lui fournissait d'heureuses citations des grands écrivains. Nous revenions souvent ensemble sur cette riche littérature anglaise qu'il connaissait si bien et dont il avait d'abord inspiré l'amour à mon père, avant de me l'inspirer à moi-même ; il s'excusait de bonne grâce de ne pas savoir prononcer l'anglais ; malgré cet obstacle, il avait retenu et récitait des passages entiers de Shakespeare et de Milton. La littérature ancienne lui était si familière qu'il suffisait de prononcer devant lui le nom d'un auteur grec ou latin pour amener sur ses lèvres un flot de souvenirs classiques.

Quoique la politique eût été pour Villemain une source de déboires et qu'il conseillât à ses jeunes amis de n'y jamais prendre une part active, il y était sans cesse ramené par les tendances libérales de son esprit. En Grèce, à Rome, en Angleterre, il retrouvait cette liberté politique qu'il avait connue en France pendant trente-six ans, et qu'il ne se consolait pas d'avoir perdue. L'histoire des littératures lui offrait ainsi avec le temps présent des occasions de rapprochement ou plutôt de contrastes, qu'il saisissait au vol. Il se dédommageait, dans ces échappées rapides, du silence humiliant auquel il était condamné avec tous les Français par la dureté du régime impérial. Si d'autres se résignèrent, il ne consentit jamais à reconnaître la légitimité d'un gouvernement qui avait violé la loi. Il ne pouvait contenir son indignation lorsqu'il se représentait une assemblée sans tribune, un ministère sans responsabilité, un pouvoir sans contrôle. Un éclair de colère passait dans ses yeux au souvenir de tant de luttes entreprises pour la liberté et terminées par sa défaite. Il comparait avec une tristesse patriotique la longue et heureuse fortune de la libre Angleterre aux douloureuses destinées de sa patrie.

Tel nous avons connu Villernain jusqu'à sa mort ; tel nous le retrouvons dans l'ouvrage posthume qui a pour titre La tribune moderne et que Mme Allain-Targé a publié en 1882 pour honorer la mémoire d'un père dont elle avait gardé le culte.

La première partie du volume est consacrée à la tribune anglaise. Deux orateurs qui ont aimé et défendu la France, Fox et lord Grey, inspirent à l'écrivain de nobles pages dans lesquelles il revient plus d'une fois et, en quelque sorte, involontairement, à ce parallèle douloureux qu'il instituait si souvent dans sa pensée entre le régime libéral de l'Angleterre et les épreuves que traversait en France la liberté. Il trouve du moins une consolation dans le souvenir du temps de sa jeunesse, des années où la tribune française était libre et brillante. Il a entendu les plus grands orateurs du commencement du dix-neuvième siècle, et il parle d'eux, non seulement avec l'admiration qu'ils méritent, mais avec l'intention bien arrêtée d'opposer leur gloire aux débats sans grandeur du parlement impérial. Deux hommes surtout paraissent avoir laissé une trace profonde dans les souvenirs de Villemain, M. de Serre et Royer-Collard. Il refait leur biographie avec le plaisir qu'on éprouve à repasser par les émotions les plus pures et les plus élevées de sa jeunesse. On dirait qu'il les revoit encore et qu'il entend sortir de leur bouche ces paroles qui enseignaient à la France, à peine échappée au premier Empire, la doctrine de la liberté. La mâle physionomie de Royer-Collard était particulièrement intéressante pour Villemain. Ce n'était pas seulement le libéral qu'il honorait en lui, c'était le chef de l'Université. Ancien ministre de l'instruction publique, profondément universitaire, Villemain reconnaissait chez un de ceux qui l'avaient précédé, sous un titre plus modeste, à la tête de conseils de l'Université, des sentiments qui étaient les siens, auxquels il resta fidèle jusqu'à la fin de sa vie.

Si l'on ne relevait ce trait de caractère, il manquerait quelque chose au portrait des dernières années de Villemain. Il aimait l'Université et, plus spécialement, dans ce grand corps, les deux établissements sur lesquels sa forte parole avait jeté tant d'éclat, l'Ecole normale et la Sorbonne. Il accueillait les membres de la famille universitaire avec une affectueuse sollicitude, il leur savait gré de conserver dans la société française }es saines traditions de la critique et du goût. Il se plaisait aussi à reconnaître générale ment en eux des mérites plus rares encore que la pro bité intellectuelle, dans les temps difficiles où il finissait sa vie : la dignité des moeurs, l'indépendance du caractère. Il faisait remarquer, non sans fierté, que beaucoup de ses anciens élèves avaient donné leur démission au coup d'Etat, malgré la modicité de leur fortune, et que, parmi ceux qui n'avaient pas cru de voir abandonner leur carrière, le second Empire rencontrait peu de partisans, encore moins de flatteurs.

Villemain mourut en 1870, un peu avant nos désastres. Les douleurs que nous avons traversées et qu'il eût ressenties vivement furent épargnées à son âme patriotique.

Alfred Mézières