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Vatimesnil

Antoine-François-Henri Lefebvre de Vatimesnil, né à Rouen en 1789, fils d'un conseiller au Parlement, étudia le droit et fit ses débuts dans la magistrature sous le premier Empire. Il servit ensuite la Restauration, figura comme organe du ministère public dans plusieurs procès politiques, se distingua par son zèle royaliste et religieux, devint en 1822 secrétaire général du ministère de la justice dans le cabinet Villèle, puis en 1824 avocat général à la Cour de cassation. Lorsque le cabinet Martignac arriva aux affaires en 1828 pour essayer de faire une politique de juste-milieu, il y entra comme représentant de la droite, et y reçut le portefeuille de l'instruction publique (10 février 1828), qui fut, à cette occasion, séparé de celui des affaires ecclésiastiques. Mais le nouveau ministre de l'instruction publique eut une attitude très différente de celle sur laquelle avait compté la cour. Tout en demeurant fidèle à la cause de la religion et de la royauté, il s'associa franchement aux mesures libérales proposées par ses collègues, parce qu'il y voyait le seul moyen de sauver la monarchie ébranlée. Son premier acte fut d'abroger l'ordonnance du 8 avril 1824 (Voir Frayssinous), qui avait placé les écoles primaires sous l'autorité directe des évêques, et de remettre en vigueur les ordonnances des 29 février 1816 et 2 août 1820, dont l'esprit était plus libéral. Mais, dans le rapport au roi qui contient l'exposé des motifs de cette mesure (21 avril 1828), il la présenta, sans doute pour la faire plus facilement accepter de Charles X, plutôt comme un acte destiné à corriger l'ordonnance de 1816, qui était mal vue de la cour, que comme un retour aux principes qui l'avaient inspirée.

« J'ai l'honneur, disait Vatimesnil dans ce rapport, de proposer à Votre Majesté d'établir pour les écoles primaires catholiques des comités de surveillance composés de neuf membres, dont trois, y compris le président, seront choisis par l'évêque diocésain. Tout ce qui concerne la nomination des instituteurs, leur révocation et la discipline de l'enseignement primaire, sera soumis à la délibération de ces comités. Leurs avis seront adressés à l'autorité universitaire, chargée de prononcer. »

Faisons remarquer en passant que l'ordonnance du 8 avril 1824 attribuait à l'évêque la nomination de la moitié des membres du comité ; que ce comité n'était pas un simple comité de surveillance, mais que c'était lui qui délivrait aux instituteurs l'autorisation d'exercer ; et enfin que, pour les écoles dotées par les communes ou par des associations et dans lesquelles étaient admis cinquante élèves gratuits, l'autorisation d'exercer était délivrée exclusivement par l'évêque. C'était là l'état de choses qu'il s'agissait de faire cesser et de remplacer par un régime nouveau, restituant à l'autorité civile le pouvoir dont elle avait été dépouillée.

« Ce régime, continue le ministre, se rapproche beaucoup de celui qui avait été établi par les ordonnances du 29 février 1816 et du 2 août 1820, et qui a été changé par celle du 8 avril 1824. Mais les ordonnances de 1816 et de 1820 m'ont paru susceptibles de diverses améliorations.

« Les intérêts de la religion n'étaient pas suffisamment représentés dans les comités de surveillance, sous l'empire des ordonnances de 1816 et de 1820, d'après lesquelles un seul des membres de ces comités appartenait au clergé. Votre Majesté, en déférant à l'évêque diocésain la nomination du président et de deux notables, assurera la salutaire influence des ministres des autels.

« Jusqu'ici les règlements n'avaient exigé des candidats qui se présentaient pour obtenir des brevets de capacité aucune attestation relative à leur instruction religieuse. J'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté d'établir cette importante garantie.

« L'ordonnance de 1816 avait établi un comité par canton. Cette disposition, trop absolue, présentait des inconvénients. L'expérience a prouvé que, dans quelques cantons, il était difficile de composer ces comités d'une manière convenable. D'ailleurs, s'il importe que l'autorité surveillante ne soit pas placée loin des personnes surveillées, il ne faut pas non plus qu'elle en soit assez rapprochée pour subir l'influence des préventions locales. D'un autre côté, il est des arrondissements trop étendus et trop peuplés pour qu'un seul comité y soit suffisant. Votre Majesté jugera peut-être qu'il est sage d'adopter un moyen terme, en posant comme règle générale qu'il y aura un comité par arrondissement, mais en admettant comme exception la faculté d'en établir plusieurs, selon les besoins et les circonstances, et en décidant que le comité pourra nommer un ou plusieurs inspecteurs gratuits.

« L'ordonnance de 1816 n'offrait pas aux instituteurs des garanties assez certaines de la stabilité de leur profession. Une décision du recteur suffisait pour leur enlever, non seulement l'autorisation actuelle d'exercer, mais encore le brevet de capacité. Ce brevet forme leur titre : il établit leur aptitude, et par conséquent il constitue véritablement leur état. N'est-il pas conforme à l'équité et à la raison de décider qu'ils ne pourront en être privés que par un arrêté du Conseil académique, précédé d'une instruction qui sera faite par le comité de surveillance et dans laquelle l'inculpé sera entendu? Ne convient-il pas, en outre, d'ouvrir à ces instituteurs la voie du recours devant le Conseil royal de l'instruction publique?

« Les écoles primaires des filles ont été jusqu'à présent soumises à une législation particulière. La direction de ces écoles est uniquement confiée aux préfets. Elles ne participent ni aux avantages de la surveillance religieuse, ni à ceux du régime universitaire. Votre Majesté ne jugera-t-elle pas utile de leur appliquer les mêmes règles qu'aux écoles primaires de garçons? »

On le voit, tout ce qui peut atténuer la portée de la mesure réformatrice, tout ce qui offre le caractère d'une garantie donnée au clergé, est soigneusement mis en relief ; mais, malgré tous ces ménagements, le fait capital subsiste : l'ordonnance du 21 avril 1828 abroge celle du 8 avril 1824 ; elle enlève a l'évêque l'autorité qui lui avait été donnée sur les instituteurs, pour replacer cette autorité entre les mains du pouvoir universitaire.

Bientôt après parurent les célèbres ordonnances du 16 juin 1828, qui portèrent un coup plus sensible encore au « parti prêtre. » Il avait été constaté, à la tribune de la Chambre (Voir Frayssinous), que, dans certains petits séminaires ou écoles secondaires ecclésiastiques, l'enseignement était donné par des jésuites. Le cabinet Martignac ne voulut pas tolérer la présence, dans ces établissements, de membres d'une congrégation non légalement établie en France. Le roi prit d'abord la défense des jésuites ; on lui fit observer que leur présence était contraire aux lois de l'Etat, et qu'il fallait, ou abroger ces lois, ou tenir la main à leur exécution. Devant l'unanimité de ses ministres, Charles X céda ; mais quand Mgr Feutrier, évêque de Beauvais, ministre des affaires ecclésiastiques, présenta à sa signature les ordonnances qu'avait rédigées Portalis, ministre de la justice, le roi lui dit : « Mon cher évêque, je ne dois pas vous dissimuler que c'est la chose qui me coûte le plus dans la vie que cette signature ; je me mets ici en opposition avec mes plus fidèles serviteurs, ceux que j'aime et que j'estime, ». La première des deux ordonnances du 16 juin était rendue sur le rapport du ministre de la justice : elle soumettait au régime de l'Université les huit écoles secondaires ecclésiastiques où se trouvaient des jésuites, et retirait le droit d'enseigner aux membres des congrégations non autorisées. La seconde, rendue sur le rapport du ministre des affaires ecclésiastiques, réglait pour l'avenir les conditions d'existence des écoles secondaires ecclésiastiques, les ramenait à leur caractère primitif de séminaires, limitait le nombre de leurs élèves et prescrivait à ceux-ci le port de l'habit ecclésiastique. (Voir le texte de ces deux ordonnances à l'article Université de France, p. 2012.)

M. de Vatimesnil n'avait pas été directement mêlé à la confection des ordonnances du 16 juin, puisque, bien qu'il s'agît d'une question d'instruction publique, c'étaient ses collègues les ministres de la justice et des affaires ecclésiastiques qui avaient mis leur nom au bas de ces deux documents. Mais il en accepta pleinement la responsabilité, et les défendit avec énergie devant la Chambre ; aussi sa conduite fut-elle regardée par ses anciens amis comme une apostasie.

Parmi les autres mesures qui ont signalé le ministère de Vatimesnil, mentionnons la réouverture du cours de Guizot à la Sorbonne, fermé depuis 1822, le rétablissement de la chaire de droit administratif créée en 1819 près la faculté de droit de Paris ; et un ensemble de réformes de détail touchant à tous les ordres de l'enseignement, et contenues dans une ordonnance en date du 26 mars 1829. Cette ordonnance créa des chaires nouvelles dans les facultés de droit et de médecine, elle améliora la position matérielle des professeurs des collèges royaux, en leur attribuant, pour augmenter le chiffre de leurs traitements, une part dans les excédents des recettes des collèges ; elle créa un commencement d'enseignement professionnel, par son article 19, ainsi conçu : « Tout chef d'institution ou maître de pension pourra joindre à l'enseignement ordinaire le genre d'instruction qui conviendra plus particulièrement aux professions industrielles et manufacturières ; les élèves qui suivront les cours spécialement destinés aux professions industrielles et manufacturières seront dispensés de suivre tes classes des collèges, soit royaux, soit communaux » ; enfin elle disposa que pour les écoles primaires protestantes il y aurait au moins un comité de surveillance par arrondissement d'église consistoriale. (Voir le texte de cette ordonnance aux articles Université de France, p. 2013, et Lois scolaires, p. 1076.)

Vatimesnil quitta le ministère de l'instruction publique à l'avènement du cabinet Polignac (8 août 1829). Après la révolution de Juillet, il continua à faire partie de la Chambre jusqu'en 1834. Plus tard, il prit une part active a la lutte entreprise par le parti catholique contre l'Université au nom de la liberté d'enseignement ; mais cette fois, au lieu de défendre les droits du pouvoir civil, il se plaça au premier rang des champions de l'Eglise, qu'il regrettait d'avoir « contristée » lors de son ministère, et dont il était redevenu l'avocat et le conseil. En 1849, il fut élu membre de la Législative. Après le coup d'Etat du 2 décembre, il rentra dans la vie privée. Il est mort à Paris en 1860.

James Guillaume