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Universités

I. Les universités de l'ancien régime — C'est au commencement du douzième siècle que les écoles de Paris, où enseignaient Guillaume de Champeaux et Abélard, acquirent une réputation qui fit accourir en grand nombre les étudiants. Il y avait alors à Paris, outre l'école cathédrale de Notre-Dame, placée sous l'autorité immédiate de l'évêque, et dont l'enseignement était exclusivement théologique, les écoles de la Montagne Sainte-Geneviève, qui paraissent avoir été indépendantes de toute autorité ecclésiastique ou civile. On y enseignait le trivium et le quadrivium, et surtout la dialectique. « C'est de la réunion des écoles de logique, établies sur la Montagne, avec l'école de théologie, qui était dans le cloître Notre-Dame, que s'est formée l'université de Paris » (Thurot). Au commencement du treizième siècle, les maîtres et les étudiants de Paris s'organisèrent sous ce nom en une corporation, qui fut reconnue par deux bulles d'Innocent III, et qui en 1255 reçut d'Innocent IV le privilège d'avoir un sceau à elle. Cette corporation comprenait quatre facultés, celles de théologie, de droit canon, de médecine, et des arts ; la faculté des arts, dont les écoles étaient pour la plupart à la rue du Fouarre, se divisait elle-même en quatre « nations », française, normande, picarde et anglaise. Les grades universitaires, qu'on trouve établis dès le treizième siècle, sont la déterminance ou le baccalauréat ; la licence, conférée alors soit par le chancelier de Notre-Dame, soit par celui de Sainte Geneviève ; et la maîtrise ou le doctorat, c'est-à-dire l'admission du licencié dans la corporation des maîtres. La plupart des étudiants étaient pauvres, et n'avaient d'autres ressources que des bourses fondées à leur intention ; les boursiers, à partir du treizième siècle, vécurent en commun dans des maisons appelées collèges. L'une des plus anciennes de ces maisons fut fondée par Robert Sorbon à l'usage des étudiants de la Faculté de théologie ; elle prit bientôt une grande importance sous le nom de Sorbonne. Du treizième au quinzième siècle, cinquante collèges furent créés dans l'université de Paris : les principaux sont, outre celui de Sorbonne, les collèges de Navarre, du cardinal Lemoine, d'Harcourt, du Plessis, des Lombards, des Ecossais, etc. Outre les collèges, on créa, dans le courant du quinzième siècle, pour les élèves de la faculté des arts, plus jeunes que ceux des autres facultés, des pensionnats nommés pédagogies, qui peu à peu prirent la place des anciennes écoles de la rue du Fouarre. Les rois protégèrent l'université de Paris : Philippe Auguste accorda (1210) à ses écoliers le privilège d'être jugés au criminel par le tribunal de l'officialité diocésaine ; Philippe le Del s'appuya sur elle dans sa lutte contre la papauté ; Charles V lui donna le titre de fille aînée des rois de France. « La nécessité de maintenir les écoliers venus de province en rapport avec leurs familles fut cause que l'université de Paris eut de bonne heure des messagers et des messageries, bien avant que Louis XI eût établi (1464) la poste royale, qui ne fut pas mise tout de suite au service du public. Le transport des lettres et paquets était une source importante de revenus pour l'université, et elle la conserva jusqu'en 1719, époque où un édit royal ordonna la fusion de l'institution postale de l'université avec celle de l'Etat. » (Paul Dupuy.)

D'autres universités s'étaient fondées dans les provinces. Deux datent du treizième siècle : Toulouse (1223), Montpellier (1289) ; six du quatorzième siècle : Avignon (1303), Orléans (1305), Cahors (1332), Grenoble (1339 ; transférée à Valence en 1452), Angers (1364), Orange (1365) ; huit du quinzième siècle : Aix (1409), Dôle (1423 ; réunie à Besançon en 1691), Poitiers (1431), Caen (1436), Nantes (1460), Besançon (1464), Bourges (1469), Bordeaux (1472). Ajoutons-y, pour compléter la liste des universités provinciales, celles plus récentes de Reims (1548), de Douai (1572), de Pont-à-Mousson (1572), de Strasbourg (1621), de Pan (1672), de Nancy (1769).

Parmi les universités étrangères fondées, les unes à la même époque que celle de Paris, les autres un peu plus tard, nous mentionnerons celles de Bologne (1158) et de Padoue (1222) ; d'Oxford (commencement du treizième siècle) et de Cambridge (1257) ; de Salamanque (1239) : de Coïmbre (1279) ; de Prague (1348) ; de Cracovie(1400) ; d'Upsal (1476) ; de Heidelberg (1386), Leipzig (1409), Tübingen (1477), Wittenberg (1502).

Sous le règne de Charles VII eut lieu une réforme des anciens statuts de l'université de Paris ; ce fut le cardinal d'Estouteville, légat du pape, qui promulgua les nouveaux règlements (1452). Mais l'université n'en continua pas moins à n'enseigner que la vieille scolastique Voir Scolastique), et, lorsque François Ier voulut faire donner dans sa capitale un enseignement qui s'inspirât des idées de la Renaissance, il dut créer un établissement nouveau, le Collège royal (Collège de France). L'université vit de mauvais oeil cette création ; mais, n'ayant pu l'empêcher, elle trouva dans la concurrence qui lui était faite l'occasion d'améliorer quelque peu son propre enseignement. Un autre péril la menaça bientôt, la fondation de la Compagnie de Jésus. Les jésuites ouvrirent à Paris le collège de Clermont (1563), et demandèrent que leur maison fût incorporée à l'université ; celle-ci refusa énergiquement d'admettre les nouveau-venus dans son sein, et leur contesta même le droit d'enseigner ; il en résulta un procès où les jésuites obtinrent gain de cause, et l'université fut forcée de subir l'existence du collège de Clermont à côté des siens.

Une nouvelle réforme de l'université de Paris eut lieu en 1600, sous Henri IV ; elle était nécessitée par la décadence des études, suite des longues guerres civiles. L'enseignement des collèges de l'université resta néanmoins ce qu'il était autrefois, et parut de plus en plus gothique et barbare au milieu d'une société polie, où florissait une littérature nouvelle. Nous avons indiqué, dans les articles consacrés à l'enseignement secondaire (Voir Lycées et collèges, Jésuites, Oratoire, Port-Royal, Rollin, etc.), quelles modifications s'y introduisirent peu à peu. Quant aux facultés, elles demeurèrent, au dix-septième et au dix-huitième siècle comme au moyen âge, les forteresses de la scolastique et de la routine.

La Révolution, voulant réorganiser l'instruction publique, dut supprimer les universités. Le projet du Comité d'instruction publique de l'Assemblée législative (projet Condorcet) instituait, pour les remplacer, neuf « lycées » qui devaient « enseigner toutes les sciences dans toute leur étendue » ; l'enseignement devait y être partagé en quatre classes : sciences mathématiques et physiques ; sciences morales et politiques ; application des sciences aux arts ; littérature et beaux-arts. Le 15 septembre 1793, un décret ordonna qu'il serait établi dans la République, indépendamment des écoles primaires, trois degrés progressifs d'instruction, correspondant aux écoles secondaires, aux instituts et aux lycées du plan de Condorcet ; l'article 3 disait que les nouveaux établissements dont la Convention venait de décréter la création seraient mis en activité au 1er novembre suivant, et que, « en conséquence, les collèges de plein exercice et les facultés de théologie, de médecine, des arts et de droit étaient supprimés sur toute la surface de la République ». Mais ce décret fut suspendu le lendemain 16 septembre. Il est difficile de marquer d'une façon précise le moment où les facultés cessèrent d'exister. Celles de médecine furent officiellement remplacées par les Ecoles de santé, que créa le décret du 14 frimaire an III ; quant à celles de théologie et de droit, on ne les remplaça pas, non plus que celles des arts. Le décret du 7 ventôse an III, qui créa les écoles centrales, dit en son article 3 : « En conséquence de la présente loi, tous l'es anciens établissements consacrés à l'instruction publique sous le nom de collèges, et salariés par la nation, sont et demeurent supprimés dans toute l'étendue de la République ». La loi du 3 brumaire an IV créa, pour le haut enseignement, des « écoles spéciales » (astronomie ; géométrie et mécanique ; histoire naturelle: médecine ; art vétérinaire ; économie rurale ; antiquités ; sciences politiques ; peinture, sculpture et architecture ; musique). Dans le rapport qu'il présenta à l'appui de ce décret, le 23 vendémiaire an IV, Daunou s'était exprimé ainsi à l'égard des institutions de l'ancien régime : « Comme si le fléau de l'inégalité eût frappé inévitablement toutes les parties de l'édifice social ; comme si le despotisme eût voulu se venger de l'audace de la pensée et de la révolte des lumières, il s'étudiait sans cesse à les arrêter, à les entraver dans leur cours. Ce n'est pas que plusieurs universités, plusieurs collèges, ne fussent justement renommés pour l'habileté des maîtres et pour l'émulation des disciples ; mais le plan que les uns et les autres étaient condamnés à suivre égarait les talents et trompait leur activité. L'instruction publique était liée par trop de chaînes aux abus que vous avez renversés, pour qu'elle pût résister aux chocs de la Révolution. Les établissements inférieurs devaient céder bientôt aux progrès de la raison publique. Les institutions intermédiaires [collèges et universités], frappées des mêmes coups, ont disparu peu à peu avec les corporations qui les régissaient ; et, à l'égard des établissements supérieurs [académies, sociétés, théâtres], ils étaient entraînés aussi par leur propre corruption, par cette immoralité aristocratique dont ils renfermaient les funestes germes. » — La loi du 11 floréal an X ajouta, aux écoles spéciales du décret du 3 brumaire an IV (dont quelques-unes seulement avaient été organisées), des écoles de droit. Napoléon, en 1808, remit en vigueur l'ancienne appellation de facultés (Voir Facultés) dans le décret du 17 mars qui organisait l'Université impériale : il y eut cinq ordres de facultés: 1° des facultés de théologie ; 2° des facultés de droit ; 3° des facultés de médecine ; 4° des facultés des sciences mathématiques et physiques ; 5° des facultés des lettres.

A consulter : EGASSE DU BOULAY, Historia Universitatis Parisiensis, Paris, 1665-1670, 5 vol. in-folio. — CREVIER, Histoire de l'université de Paris depuis son origine jusqu'en Vannée 1602, Paris, 1761, 7 vol. in-12. — E. DUBARLE, Histoire de l'université depuis son origine jusqu'à nos jours, Paris, 1829, 2 vol. in-8°. — VALLET DE VIRIVILLE, Histoire de l'instruction publique en Europe, et principalement en France, depuis le christianisme jusqu'à nos jours, Paris, 1849, 1 vol in-4°. — CH. THUROT, De l'organisation de l'enseignement dans l'université de Paris au moyen âge, Paris, 1850, 1 vol. in-8°. — CH. JOURDAIN, Histoire de l'université de Paris au XVIIe et au XVIIIe siècle, Paris, 1862, 3 vol. in-folio. — H. LANTOINE, Histoire de l'enseignement secondaire en France au XVIIe siècle, Paris, 1874. 1 vol. in-8°. — J. GUILLAUME, Procès-verbaux du Comité d'instruction publique de l'Assemblée législative, 1 vol. grand in-8°, Imprimerie nationale, 1889 ; Procès-verbaux du Comité d'instruction publique de la Convention, 6 vol. grand in-8°, Imprimerie nationale, 1891-1907.

[J. GUILLAUME.]

II. Les modernes universités françaises. — Une loi du 10 juillet 1896 a constitué les facultés françaises en universités. (Voir France, pages 673, 677-678).

Cette loi est une date dans l'histoire de notre haut enseignement ; elle y marque la fin d'une étape et le commencement d'une autre. Pour la pleinement comprendre, il faut donc la rapprocher de ce qui l'a précédée et déterminée. Les quatre articles dont elle se compose, et qui lui donnent une apparence des plus modestes, sont en réalité l'achèvement d'une longue évolution, dont les vrais commencements se trouvent dans les travaux des assemblées révolutionnaires.

A la place des universités de l'ancien régime, tuées par leurs abus, par leur hostilité contre la philosophie du dix-huitième siècle, la Révolution, née précisément de cette philosophie, voulut avoir, pour l'enseignement et pour la culture des sciences, des établissements conçus et organisés d'après le type même de la science et des sciences. Elle produisit de l'enseignement supérieur une théorie qui n'a été dépassée nulle part, qui n'est encore pleinement réalisée en aucun lieu, sauf peut-être en quelques universités des Etats-Unis. Dès le premier jour, elle le conçut comme un vrai organisme, un et multiple à la fois, ouvert à tout ce qui peut être sujet d'études et de recherches, avec autant de compartiments qu'il y a de divisions naturelles dans les choses, compartiments distincts, mais non séparés, dans lesquels circulerait une même vie, un même esprit. C'était l'Encyclopédie mise en acte. Que telle ait été la conception propre de la Révolution française en matière d'enseignement supérieur, on ne saurait en douter. Les premiers linéaments en apparaissent dans un écrit de Mirabeau, publié en 1791 ; elle se trouve plus visible dans le rapport de Talleyrand à la Constituante ; elle éclate dans celui de Condorcet à la Législative ; elle se retrouve dans des rapports plus obscurs, sous la Convention, sous le Directoire, comme une production naturelle de l'esprit de la Révolution.

Pourtant, en fait, ce que la Révolution a créé, dans cet ordre, ce ne sont pas, l'Institut mis à part, de ces vastes établissements ouverts à toutes les sciences, où elles eussent été groupées selon leurs affinités et leurs liaisons ; ce furent des écoles spéciales, c'est-à-dire des établissements particuliers, limités chacun à l'étude d'une science déterminée ou d'un groupe déterminé de sciences : écoles de mathématiques, écoles de médecine, école d'histoire naturelle, école de langues orientales, censées se suffire chacune à soi-même, fragments séparés et incoordonnés de l'ensemble rêvé. Pourquoi le fait fut-il en désaccord avec la conception? On n'a pas à le rechercher ici. il suffit de constater qu'avec le fait la Révolution a laissé la conception.

La conception, c'étaient les universités, au sens moderne du mot. Le fait, ce furent les écoles spéciales. Pendant près d'un siècle le fait prévalut sur la conception.

Aux écoles spéciales créées par la Convention, le Consulat en ajouta d'autres, les écoles de droit. Des écoles de médecine et des écoles de droit, l'Empire fit des facultés ; à côté de ces facultés, obtenues par un simple changement de nom, il créa des facultés des lettres et des facultés des sciences. Mais, sous un vocable nouveau ou plutôt renouvelé de l'ancien temps, ce furent toujours des écoles spéciales pour la médecine, pour le droit, pour les lettres, pour les sciences. Elles n'eurent ni l'ampleur ni le développement que comporte un enseignement savant, à visées générales. Elles furent avant tout des jurys d'examen en vue de la collation des grades que l'Etat exigeait désormais pour l'exercice de certaines professions. Enfin, bien qu'incorporées à l'Université impériale, bien que placées trois par trois, quatre par quatre, dans les mêmes villes, elles furent étrangères les unes aux autres, sans vie commune, sans unité. Dénuées à peu près complètement des ressources indispensables aux recherches savantes, médiocre fut leur existence, médiocres furent leurs résultats. De temps à autre, quelques-unes d'entre elles reçurent de professeurs éloquents un éclat factice et passager. De temps à autre, il sortit de leurs pauvres laboratoires quelque grande découverte. Au total, elles n'eurent pas dans la vie de la nation et dans la science française un rôle comparable à celui des universités allemandes dans les pays allemands.

A la fin du second Empire, cette médiocrité commença à être vivement sentie et dénoncée. Misère des bâtiments, insuffisance des 'crédits, détresse des laboratoires, absence des premiers instruments de travail, torpeur des institutions, devinrent chez les savants une plainte à peu près générale. Après la guerre de 1870, à la plainte des savants se joignit celle des patriotes. Il apparut que l'insuffisance de notre enseignement supérieur avait bien pu être une des causes de la défaite, et dès lors la réforme de cet enseignement s'imposa comme un mode du relèvement national.

On avait jugé à ses fruits le système des écoles et des facultés spéciales. Il en fallait un autre. Un seul parut possible, celui-là même qui en Allemagne avait produit des fruits si différents, celui que la Révolu-lion, impuissante à le réaliser, avait laissé comme un héritage à reprendre et à faire valoir.

Pour vouloir des universités, quelle vertu leur attribuait-on? Une grande vertu : celle d'un organisme adapté à sa fonction. Pendant trois quarts de siècle, on s'était moins préoccupé du rôle scientifique que du rôle professionnel des facultés. Avec la République, le point de vue change La science, longtemps suspecte, parce qu'elle est liberté, apparaît aux hommes d'Etat comme investie d'un triple office.

D'abord, un office intellectuel. Des oeuvres de la troisième République, une des plus considérables aura été sans contredit le développement de l'instruction publique. Son premier devoir était l'instruction populaire. Le danger était d'avoir pour elle une prédilection exclusive. Il n'en a rien été. La République a compris que l'enseignement populaire est une canalisation et qu'il doit s'alimenter à la source vive des découvertes et des idées nouvelles, c'est-à-dire à renseignement supérieur. « Fermez les laboratoires et les bibliothèques, a dit Berthelot, arrêtez les recherches originales, et nous retournerons à la scolastique. » Un second office des sciences est d'être, soit directement, soit indirectement, des facteurs de richesse. De plus en plus, la science donne aux choses, à la matière brute, à la matière vivante, des formes et des valeurs nouvelles, et c'est vraiment à sa force que se mesure dans un pays la puissance de l'industrie. Dans la lutte économique des peuples, au plus savant sera la victoire. D'où la nécessité, sous peine de déchéance et de ruine, d'avoir un enseignement supérieur armé pour la découverte, apte à la production. De la science, on attendait encore d'autres services. On se disait que par elle s'établirait dans l'élite, puis, par infiltration, clans la masse, un esprit public conscient et ferme, et que par elle se maintiendrait dans la démocratie un idéal capable de provoquer de puissants essors. C'est un moine, le P. Didon, qui écrivait dans ce temps : « L'organisation de notre haut enseignement est vicieuse. Elle produit fatalement la division dans l'ordre intellectuel, et, par voie de conséquence, dans l'ordre politique et social. Tant que cette organisation ne sera pas réformée, nul progrès, nul essor puissant n'entraînera le pays dans des voies nouvelles et meilleures. »

Avec une telle conception du rôle de la science, on ne pouvait que chercher à donner à l'enseignement supérieur l'organisme par lequel il aurait le plus de vie et de fécondité. La forme dispersée dans laquelle il avait vécu jusqu'alors était jugée a ses résultats et condamnée. Restait la forme concentrée. On savait quelles moissons elle avait données en d'autres pays. Pourquoi, en France, serait-elle moins féconde? Pourquoi n'amènerait-elle pas professeurs et étudiants à travailler ensemble comme maîtres et compagnons Pourquoi ne provoquerait elle pas dans les facultés une vie à vivre en commun? Pourquoi ne hausserait-elle pas leurs visées au-dessus du terre-à-terre des disciplines strictement professionnelles ou des vanités d'un enseignement frivole? Pourquoi ne leur inspirerait-elle pas un souci plus haut et plus général de la science?

Ces idées, aujourd'hui claires et bien dépouillées, étaient encore dans le trouble de la fermentation, lorsque, en 1876, le ministre de l'instruction publique, W.-H. Waddington, crut le moment venu de faire des universités. La loi de 1875 sur la liberté de l'enseignement supérieur avait enjoint au gouvernement de présenter, dans le délai d'un an, un projet introduisant dans l'enseignement supérieur de l'Etat les améliorations reconnues nécessaires. Waddington pensa que, pour l'améliorer, la vraie méthode était de le reconstituer, et que pour le reconstituer, la meilleur moyen était de le constituer en universités.

Ces universités se fussent appelées nationales par opposition aux universités libres, que désormais la loi permettait de créer, et aussi pour marquer leur rapport à l'Etat et prévenir jusqu'à l'apparence d'un démembrement de l'enseignement supérieur en districts indépendants. Il n'y en aurait eu qu'un petit nombre, sept au plus, dans de grandes villes, riches en ressources, et choisies sur la carte comme les noeuds d'un réseau régulier, Paris au centre et, à la périphérie, Bordeaux, Montpellier, Lyon, Nancy, Lille et Rennes. C'eût été parfait, si par université Waddington avait entendu le corps des facultés d'une même ville. Mais, pour lui, les universités devaient être moins des corps que des circonscriptions. Appréhension des résistances locales, souci politique de ne supprimer aucun des établissements existants, même le plus inutile et le moins vivant, ou bien espérance qu'ils finiraient tous par se développer, il conservait toutes les facultés, toutes les écoles. Seulement il les groupait autrement. Les anciennes académies eussent subsisté pour l'enseignement secondaire et pour l'enseignement primaire. Pour l'enseignement supérieur, il leur superposait des circonscriptions plus étendues. Ainsi, l'université de Paris eût compris, comme satellites, les facultés de Caen, les écoles de médecine de Rouen et de Reims, la faculté de théologie catholique de Rouen. L'université de Lyon aurait lié aux facultés de Lyon celles de Grenoble, celles de Clermont, celles de Dijon, et l'école préparatoire de Chambéry. L'université de Montpellier se fût ramifiée à Toulouse, à Marseille, à Aix, et, par delà la Méditerranée, à Alger. Il y eût eu, dans chaque université, des facultés métropolitaines et des facultés suffragantes.

Les vices de ce projet sautent aux yeux. D'abord le caractère artificiel et arbitraire des groupements. Pourquoi Nancy rattaché à Paris, non à Lyon? Toulouse à Montpellier, non à Bordeaux? En second lieu, la violence faite à des sentiments fort naturels et respectables, les facultés de Grenoble, de Dijon, de Clermont, entièrement soustraites aux autorités de Grenoble, de Dijon, de Clermont et relevant d'une autorité lointaine, placée à Lyon, celles de Toulouse vassales de Montpellier. Si le groupement s'était fait, immédiatement il eût tendu à se disloquer. Enfin la contradiction à l'idée même d'université. L'université, 'l'est la vie en commun. Quelle vie commune aurait pu s'établir entre établissements éloignés les uns des autres, inconnus les uns aux autres? Sans doute, deux ou trois fois par an, des hommes venus des divers points de la région universitaire se fussent réunis au centre, dans la même salle, sous la présidence d'un même chef. Moyen insuffisant pour les animer d'un même esprit, pour les coordonner vers un même but, pour faire d'eux les organes d'un même corps. De telles universités n'eussent été qu'une affiche. Au lieu de forces d'attraction, elles n'eussent eu en elles que des forces centrifuges.

Préparé dans l'année qui suivit la loi de 1875, le projet Waddington ne fut pas soumis aux Chambres. La politique en fut cause. Le gouvernement du Seize-Mai eut d'autres soucis. Et quand, après cette crise, le pouvoir revint aux républicains, on eut quelque hésitation, non sur les fins à réaliser, mais sur les moyens à employer. Les esprits étaient-ils suffisamment prêts, dans les facultés et hors d'elles, à une réforme d'ensemble ? N'allait-on pas troubler l'air en soulevant de tous côtés les objections? Ne valait-il pas mieux s'acheminer vers le but à pas lents, par étapes successives et réglées? En voulant tracer d'un seul coup toutes les lignes de l'édifice, alors que manquaient encore tant de matériaux pour le construire, ne courait-on pas risque d'en mal assurer les assises? La méthode la plus sage n'était-elle pas celle des progrès continus? Le plus sûr n'était — il pas d'amener peu à peu les choses à ce point que la loi, au lieu d'avoir à constituer les universités, n'aurait qu'à en consacrer la formation progressive? La méthode était nouvelle en France, où d'ordinaire les lois précèdent les faits ; c'était la méthode expérimentale. Ce fut celle qu'on adopta, et l'on se mit à l'oeuvre, sur tous les points à la fois, par le dehors, par le dedans.

Et pendant ces années de préparation, toujours on eut devant les yeux le but à atteindre. On s'efforça, en provoquant, en favorisant dans les facultés la vie et les moeurs universitaires, d'amener les choses au point où la création des universités apparaîtrait comme la conséquence naturelle et nécessaire des progrès réalisés.

En 1883, la question fut officiellement posée devant les facultés par une circulaire de Jules Ferry. « Il est facile de voir, disait le ministre, dans les diverses mesures que j'ai prises depuis cinq ans relativement aux facultés, que j'attachais la plus grande importance à tout ce qui pouvait développer dans l'enseignement supérieur le sentiment de la responsabilité, l'habitude de s'administrer soi-même. Nous aurions obtenu un grand résultat s'il nous était possible de constituer un jour des universités rapprochant les enseignements les plus variés pour qu'ils se prêtent un mutuel concours., gérant elles-mêmes leurs affaires, pénétrées de leurs devoirs et de leur valeur, s'inspirant des idées propres à chaque partie de la France dans la variété que comporte l'unité du pays. Je ne me dissimule pas que le temps est nécessaire pour un tel succès ; que dans ces sortes d'entreprises, quelque légitimes que soient les ambitions, il ne faut rien précipiter, rien hasarder. Il me semble cependant, après les résultats obtenus jusqu'ici, que la question peut être tout au moins mise à l'élude. Dans ce grave sujet, comme dans tous les autres, c'est surtout de l'opinion du corps enseignant, de ses lumières et de son dévouement, qu'il faut espérer de sérieux progrès. Je crois donc devoir l'appeler à me faire connaître ses vues. »

L'enquête fut concluante. La plupart des facultés, celles du moins qu'animait le plus l'esprit de la science, s'accordèrent à proclamer la supériorité de la constitution universitaire, et à la réclamer comme un bienfait et un progrès. Le gouvernement ne crut pas cependant que le moment fût encore venu de déférer à ce voeu. Suivant la parole plus haut citée, il ne fallait rien hasarder. Ni les moeurs des facultés, ni l'opinion publique ne parurent assez préparées à ce changement. Avant de le proposer aux Chambres, on voulut instituer une expérience décisive qui permît de juger en pleine connaissance de cause si, oui ou non, les facultés étaient mûres pour cette vie universitaire dont elles paraissent sentir si vivement la dignité et les avantages. De là les décrets de 1885.

Les universités auxquelles on voulait aboutir devaient être des personnes morales. Mais la matière dont elles seraient composées était donnée : c'étaient les facultés. On ne pouvait songer à faire table rase du passé, du présent, et à construire sur un plan idéal ; on ne pouvait songer davantage à fondre ensemble les facultés différentes en effaçant entre elles toute distinction personnelle. Les universités ne pourraient donc être que des unions de facultés, des personnes collectives faites d'autres personnes.

Un premier décret, du 25 juillet 1885, contresigné par René Goblet, restaura la personnalité civile des facultés, tombée en désuétude, et leur reconnut l'aptitude à posséder et à recevoir.

Partant de là, un autre décret du même jour, sans donner encore aux facultés un budget propre, leur rendait possible, sous la forme des fonds de concours, l'emploi des subventions que leur attribueraient les départements, les communes et les particuliers, et décidait qu'elles pourraient en faire usage pour la création de nouveaux enseignements, les dépenses des laboratoires et des bibliothèques, et l'institution de bourses en faveur des étudiants. Gomme il était à prévoir que des libéralités seraient faites indivises à plusieurs facultés d'une même ville, pour en régler la répartition le même décret établissait, dans chaque académie, un « conseil chargé des intérêts communs des divers établissements d'enseignement supérieur du ressort ». Il l'appelait « conseil général des facultés », et le composait « du recteur président, des doyens et directeurs, et de deux délégués de chaque établissement, élus par leurs collègues». C'était la première ébauche de l'organe indispensable à l'existence des universités futures.

Introduit incidemment par un document d'ordre financier, et pour une fonction très limitée de même ordre, cet organe naissant allait bientôt se développer et prendre des fonctions plus nombreuses au milieu des facultés rapprochées. Le décret du 28 décembre 1885, rendu sur la proposition de René Goblet, a été vraiment une charte provisoire des universités, avant les universités.

Les dispositions en sont relatives, les unes à chaque faculté isolément, les autres à l'ensemble des facultés d'un même ressort.

La plus grande nouveauté était l'organisation du conseil général des facultés. Là était l'expérience, l'expérience décisive qui devait faire apparaître, pat les faits, si, oui ou non, les facultés de France avaient en elles l'esprit nécessaire à des universités. Par un décret, on ne pouvait faire d'elles des corps, des personnes morales ; mais on pouvait les rapprocher, leur permettre de manifester elles-mêmes leur solidarité scientifique. Pour tenter l'expérience, on avait sous la main l'organe commun que venait de leur donner, pour une fonction très particulière, le décret du '25 juillet 188b, ce conseil général où toutes étaient représentées, il suffirait d'en étendre les attributions dans la limite des lois.

Par destination, le conseil général était un organe de vie commune entre les facultés d'une même ville. Il fallait donc lui donner, comme attributions, tout ce qui, dans les limites légales, pouvait susciter et alimenter cette vie. A côté des intérêts particuliers de chaque enseignement et de chaque faculté, on distingua des intérêts communs à l'enseignement tout entier, et l'on confia la charge d'y veiller au conseil général. Ce n'étaient pas les universités, mais c'en était une première ébauche. Le temps et l'expérience décideraient de la forme définitive.

Le pouvoir règlementaire avait suffi pour cette première organisation, et l'on avait jugé prudent de s'en tenir, pour commencer, à ce qu'il permettait. Pour aller plus loin, il fallait la loi. Aller plus loin, c'était, pour les facultés, obtenir un budget propre alimenté par l'Etat ; pour la réunion des facultés, c'était devenir un corps, investi lui-même de la personnalité civile, et n'être plus seulement une juxtaposition de personnes.

L'article 51 de la loi de finances du 17 juillet 1889 créa les budgets des facultés et décida que les crédits ouverts au ministère de l'instruction publique pour le matériel de ces établissements seraient versés à ces budgets sous forme de subventions. En exécution de ces dispositions, un règlement d'administration publique du 22 février 1890 organisa le budget et la comptabilité des facultés. C'était pour elles une nouvelle indépendance et de nouvelles possibilités d'initiative.

Quant à la réunion des facultés, on savait que leur forme définitive n'allait pas surgir rapidement comme un cristal dans la liqueur qui le contient dissous. Mais on espérait que peu à peu elle se dessinerait d'elle-même, comme s'organise une matière vivante. L'organisation de 1885 était une expérience. On laissa cette expérience se poursuivre plusieurs années de suite. Puis, quand les résultats en furent certains, quand, à des signes manifestes, il fut avéré que les facultés, celles du moins où les forces étaient plus vives et les volontés plus actives, s'acclimataient à la vie commune ; quand il se fut opéré des rapprochements entre les professeurs, entre les étudiants ; quand des circonstances solennelles, comme l'inauguration de la nouvelle Sorbonne et les fêtes du sixième centenaire de l'université de Montpellier, eurent fait voir que ce mot d'université ne passionnait pas seulement les écoles, mais qu'il disait quelque chose à l'opinion publique, le moment parut venu de faire reconnaître par la loi l'oeuvre accomplie, de la consacrer et de l'achever.

A cet effet un projet de loi fut déposé sur le bureau du Sénat par M. Léon Bourgeois, alors ministre de l'instruction publique.

Ce projet débutait par une définition : « Les universités sont des établissements publics d'enseignement supérieur, ayant pour objet l'enseignement et la culture de l'ensemble des sciences ». De cette définition découlait tout le projet. Par elle se trouvaient déterminés : l'état légal des universités : elles seraient des établissements d'Etat, et non des établissements libres ; des agents d'un service public, et non, comme les universités de l'ancien régime, des corporations indépendantes ; — leur destination scientifique: elles auraient pour objet, non pas une science particulière, mais toutes les sciences, organiquement unies et coordonnées ; — leur situation civile : elles seraient, non pas une simple administration, comme celle des postes ou celle des ponts et chaussées, mais des personnes morales, capables de posséder, gérant elles-mêmes leurs biens, sous le contrôle et la tutelle du pouvoir central ; — leur composition : puisqu'elles devaient être composées avec des matériaux préexistants les facultés, elles comprendraient au moins les quatre facultés classiques, droit, médecine, lettres et sciences, et il ne pourrait en être fait là où manquerait une d'elles ; — leur organisation générale : elles auraient un conseil élu par elles, mais à la tête de ce conseil serait placé le recteur de l'académie, représentant direct de l'Etat ; — leurs attributions scientifiques : elles assureraient les enseignements nécessaires aux grades établis par la loi ; mais, hors de là, elles auraient toute liberté d'enseignement et de recherche ; — enfin leur organisation financière : elles auraient chacune son budget propre, alimenté par le produit des dons et legs, les allocations de l'Etat, les subventions des particuliers, des communes et des départements, et les droits d'études et d'examens versés par les étudiants.

Il y eût donc eu des universités, mais il n'y en eût pas eu partout où il y avait des facultés. Il avait semblé qu'en faire d'incomplètes et de boiteuses serait oeuvre verbale, vaine et compromettante, et que mieux valait, comme l'avaient demandé Guizot, Cousin et tant d'autres, n'en avoir d'abord que quelques-unes, là où elles étaient déjà des réalités, et laisser au temps le soin d'en former de nouvelles, si plus tard les éléments devaient s'en rencontrer sur d'autres points. C'est par là surtout que le projet allait être attaqué. Le gouvernement avait déposé son projet au Sénat, espérant que les raisons d'intérêt général et d'ordre scientifique dont s'inspirait la loi y seraient comprises et acceptées, et que, contre elles, ne prévaudraient pas les intérêts d'arrondissement. En quoi il se trompait.

La commission chargée d'examiner le projet fut lente en son travail. Composée en nombre à peu près égal de partisans et d'adversaires des universités, elle en accepta le principe, mais, sur des points essentiels, elle en altéra assez profondément l'organisation.

Tout d'abord, une définition théorique des universités lui parut inutile en tête de la loi. Elle biffa donc celle que proposait le gouvernement. C'était se donner du champ pour d'autres changements dans le dispositif. Le gouvernement voulait qu'il ne pût y avoir d'universités que là où seraient les quatre facultés. La commission acceptait la formule, mais avec un correctif, imposé par des intérêts particuliers dont le projet faisait peut-être trop bon marché. A ce moment il n'y avait que sept centres académiques à quatre facultés, Paris, Lille, Nancy, Lyon, Montpellier, Toulouse et Bordeaux. Il n'y eût donc eu de possibles que sept universités. L'Ouest en eût été dépourvu. Pour qu'il pût en avoir une, la commission proposa que là où il n'y aurait pas de faculté de médecine, il suffirait d'une école de plein exercice. En même temps, c'était donner l'espoir aux groupes de trois facultés, Caen, Dijon, Grenoble, Poitiers, que le jour où leur école préparatoire de médecine deviendrait de plein exercice, eux aussi pourraient devenir des universités.

Du sort réservé aux facultés qui ne seraient pas réunies en universités, le gouvernement ne disait rien. Implicitement, cependant, il les déclarait maintenues, puisqu'il proposait que leurs conseils généraux fussent investis, en matière disciplinaire, des attributions conférées par le projet aux conseils des universités. Mais, en subsistant, garderaient-elles toutes les attributions des facultés? On s'effrayait du silence du gouvernement à cet égard. Sans leur prêter une valeur officielle, on s'effrayait plus encore de certains projets mis en avant, et d'après lesquels seules les universités eussent eu le droit de conférer les grades supérieurs, doctorat en médecine, doctorat en droit, doctorat ès sciences, doctorat ès lettres Pour couper court à ces alarmes, la commission crut bon de déclarer, en un article spécial de la loi, que « rien n'était innové, au point de vue des attributions, dans les académies où les facultés ne seraient pas constituées en universités ». Par là elle laissait toutes les facultés sur un pied d'égalité légale, sans tenir compte des différences qu'établirait entre elles la constitution des universités. Nouvelle concession aux intérêts particuliers et locaux.

Une disposition essentielle du projet était le régime financier des universités. Ne sont vraiment indépendants que les établissements qui ont un budget et en disposent, sous des garanties et des contrôles déterminés par la loi. Sur ce point, le projet du gouvernement était très large. Il constituait un budget aux universités et il proposait d'y verser, avec le produit des dons, legs, revenus et subventions des particuliers, une subvention de l'Etat et la totalité des droits d'études et d'examens acquittés par les étudiants. Sur ces ressources, les universités eussent été tenues de payer toutes leurs dépenses, toutes celles de leurs facultés, personnel et matériel, et les excédents de recettes leur eussent appartenu. La commission repoussa ces dispositions si larges.

Elle consentit à donner un budget aux universités, et c'était une conséquence presque nécessaire de leur personnalité civile ; mais elle refusa d'y verser sous forme de subvention les crédits ouverts au budget de l'instruction publique pour les dépenses des facultés ; elle refusa également d'abandonner aux universités les droits d'études et d'examens. Comprenant cependant que réduits au produit des dons et legs et aux subventions des départements, des communes et des particuliers, les budgets des universités seraient trop pauvres pour faire oeuvre utile, la commission proposa qu'en fin d'exercice le ministre de l'instruction publique y versât les sommes non employées sur les crédits ouverts au budget de son département pour le personnel de chaque université, ce qui était une prime aux vacances d'emploi prolongées. Elle proposa encore que les universités pussent être autorisées par la loi de finances à percevoir des droits spéciaux à l'occasion des certificats d'études, distincts des grades d'Etat, et des diplômes honorifiques qu'elles pourraient établir.

Ainsi mitigé, le projet vint en discussion au mois de mars 1892, près de deux ans après qu'il avait été déposé. Le débat fut brillant. Mais, dès le premier jour, il apparut clairement que la conception des universités, même avec les tempéraments introduits par la commission, rencontrerait peu de faveur auprès du Sénat. Elle avait contre elle les alarmes de l'esprit de centralisation, qui se réclamait faussement de l'esprit même de la Révolution ; celles des écoles spéciales, qui se croyaient menacées, un jour ou l'autre, d'incorporation violente à l'université de Paris ; celles des régions dont les facultés n'étaient pas destinées à devenir des universités, et qui voyaient dans ce fait une déchéance ; celles enfin de la plupart des professeurs de ces mêmes facultés, qui craignaient de décroître quand les autres grandiraient. Toutes firent bloc, et ce fut contre le projet un assaut des arguments les plus divers, parfois même les plus contradictoires.

En vain le ministre, M. Léon Bourgeois, le rapporteur, Bardoux, d'anciens ministres de l'instruction publique, René Goblet, M. Combes, s'efforcèrent-ils de calmer les alarmes, et de montrer à quelles réalités, à quelles idées, à quels besoins répondait le projet. Les intérêts particuliers étaient trop en émoi ; les exigences locales avaient parlé trop haut. Il était certain que, malgré toute l'éloquence de ses défenseurs, le projet serait repoussé. Il fallait éviter un échec irréparable. Le gouvernement accepta le renvoi à la commission d'un contre-projet déposé au cours de la discussion. Renvoyé dans les cartons de la commission, ce contre-projet s'y endormit.

Il parut prudent de ne pas le réveiller. Mais on ne demeura pas inactif. Dans la discussion publique, adversaires et partisans du projet du gouvernement étaient tombés d'accord que le rapprochement des facultés était une oeuvre à conserver et à mettre à l'abri des hasards. Or, le décret de 1885 n'avait pu que ce que peut un décret. Il avait, dans chaque ressort académique, rapproché les facultés, mais il n'en avait pas fait un corps. Chacune d'elles était personne civile ; leur ensemble ne l'était pas. Chacune d'elles avait son budget ; leur composé n'en avait pas. L'existence même de ce composé, sortie d'un décret, était précaire. Puisqu'on n'avait pu franchir le pas décisif, au lieu de s'arrêter devant cet insuccès, n'était-il pas sage de revenir à la méthode des progrès lents? Et ne serait-ce pas un progrès véritable d'obtenir que les facultés, rapprochées mais non unies en un seul et même être par le décret de 1885, devinssent enfin des corps, que ces corps eussent les attributions des personnes civiles, et que les conseils généraux des facultés, dont les preuves étaient faites, fussent reconnus et consacrés par la loi? Au fond, et on ne se le dissimulait pas, c'était l'abandon du système des grandes universités, et l'on savait bien que sur cette voie nouvelle on aboutirait à un plus grand nombre d'universités qu'on n'avait voulu tout d'abord. Mais, sans parler de la nécessité de couvrir la retraite et de se donner du temps pour préparer un projet nouveau, il parut qu'il y aurait sagesse à ne pas sceller l'avenir par une conclusion définitive, et à remettre la question en expérience, tout en réalisant un progrès décisif.

Il n'y eut d'opposition sérieuse ni à la Chambre, ni au Sénat, lorsque, quelques mois plus tard, le successeur de M. Léon Bourgeois, M. Ch. Dupuy, proposa d'insérer dans la loi de finances un article ainsi conçu : « Le corps formé par la réunion de plusieurs facultés de l'Etat dans un même ressort académique est investi de la personnalité civile. Il est représenté par le conseil général des facultés. Il sera soumis, en ce qui concerne ses recettes, ses dépenses et sa comptabilité, aux prescriptions qui seront déterminées par un règlement d'administration publique. » — Ce n'étaient pas des universités. Mais, à la place des groupes de facultés, sans existence légale, sans liens légaux, c'étaient des corps légalement institués, des établissements publics, capables d'une vie indépendante, et l'importance de cette transformation n'était pas contestable.

Cet article, inséré dans la loi du 28 avril 1893, fut bientôt complété par deux décrets, l'un du 9, l'autre du 10 août 1893. Par le premier, les attributions du conseil général des facultés étaient élargies et mises en harmonie avec l'état légal des nouveaux corps : par le second était constitué leur organisme financier.

Un an à peine après la loi et les décrets de 1893, pendant que les corps de facultés commençaient à fonctionner, un député, M. Vigné d'Octon, usant de l'initiative parlementaire, déposa à la Chambre une proposition de loi qui reproduisait le texte du projet de 1890. Son dessein était de rouvrir la discussion devant une autre assemblée. Le gouvernement n'était pas pris au dépourvu. Il savait quelle solution nouvelle il proposerait le jour où se poserait de nouveau la question. La Chambre ayant décidé de prendre en considération la proposition de M. Vigné d'Octon, le gouvernement ne pouvait la laisser s'engager plus avant, sans présenter de solution. Le 18 juin 1895, un décret retirait du Sénat le projet de loi de 1890. Le même jour, un nouveau projet était déposé à la Chambre par M. Raymond Poincaré, ministre de l'instruction publique.

Aux termes de ce projet, tous les corps de facultés devenaient des universités. « Un précédent cabinet, est-il dit dans l'exposé des motifs, avait pensé, avec d'anciennes et hautes autorités, que, pour répondre à leur véritable destination, les universités devaient être d'abord peu nombreuses. Vous savez quels obstacles cette conception a rencontrés devant elle. Nous ne la reprenons pas. D'ailleurs, depuis cinq ans, les faits se sont modifiés. En particulier est intervenue la loi du 28 avril 1893. Nous estimons qu'après avoir constitué dans chaque ressort académique un corps de facultés, après avoir donné à ces corps mêmes organes et mêmes attributions, il convient de les transformer tous en universités. »

En se résignant à cette solution, le gouvernement cédait devant les faits. Après l'attitude du Sénat, la chose ne faisait plus doute : ou il y aurait des universités dans tous les centres académiques, ou il n'y en aurait dans aucun. A tout prendre, mieux valait encore en avoir trop que de n'en avoir pas. Mais en consentant à constituer des universités fort inégales, et qui étaient loin de répondre toutes à son idéal, le gouvernement entendait qu'en elles fût déposé un principe de concurrence et d'émulation. Il était résolu à les traiter toutes avec équité, à leur distribuer à toutes, comme par le passé et suivant les mêmes mesures, les crédits mis à sa disposition par les Chambres. Mais il ne l'était pas moins à obtenir pour elles d'autres ressources variables avec leur importance. Sur ce point, il était décidé à n'admettre ni amendement, ni transaction.

Voici quel système il proposa. Les droits payés par les étudiants sont de deux sortes : droits d'études et droits d'examens. Les uns et les autres étaient versés au Trésor. Qu'il en soit ainsi des droits d'examens, on le comprend ; les grades étant grades d'Etat, il est légitime que les droits dont ils sont frappés profitent à l'Etal ; c'est comme une recette régalienne. On le comprend moins des droits d'études. Il sembla légitime que le produit en fût appliqué au perfectionnement des études, aux instruments du travail scientifique. Dès lors, ce n'était plus par l'Etat qu'ils devaient être perçus, mais par les universités elles-mêmes et à leur profit. Ce surcroît de ressources leur étant assuré, la libre disposition leur en étant donnée, on pouvait espérer qu'elles rivaliseraient entre elles pour attirer et retenir les étudiants, et que cette émulation tournerait au bien des études, de la science et du pays.

Le projet de loi fut voté, à la Chambre des députés, le 5 mars 1896, à l'unanimité des 518 votants. Il le fut au Sénat, le 7 juillet suivant, par 223 voix contre 29.

La loi fut promulguée le 10 juillet. Elle était brève, simple et d'apparence modeste. Elle se composait seulement de quatre articles. À dessein on n'y avait mis que l'indispensable, ce qui ne pouvait être décidé que par la loi. L'article 1er disposait que « les corps de facultés institués par la loi du 28 avril 1893 prennent le nom d'universités ». — C'était un état-civil authentique aux universités de fait, encore innomées, qui existaient déjà. Par l'article 2, le conseil général des facultés était légalement reconnu et recevait le nom de conseil de l'université. L'article 3 transférait aux conseils des universités la connaissance des affaires contentieuses et disciplinaires relatives à l'enseignement supérieur public, jusqu'alors dévolue aux conseils académiques. Enfin l'article 4, la pièce essentielle de la loi, décidait qu'à dater du 1er janvier 1898, il serait « fait recette au budget de chaque université des droits d'études, d'inscription, de bibliothèque et de travaux pratiques acquittés par les étudiants, conformément aux règlements », et que « les droits d'examens, de certificats d'aptitude et de visa, acquittés par les aspirants aux grades et titres prévus par les lois, ainsi que les droits de dispenses et d'équivalences, continueraient d'être perçus au profit du Trésor ». Il disposait enfin que les droits perçus par les universités ne pourraient être affectés par elles qu'aux objets suivants : « dépenses des laboratoires, bibliothèques et collections et entretien de nouveaux bâtiments, création de nouveaux enseignements, oeuvres dans l'intérêt des étudiants ».

En regard de l'ample projet de 1890, c'était peu, ce semble, que ces quatre articles. Mais il faut se souvenir que, depuis 1890, avaient été constitués les corps des facultés, investis de la personnalité civile ; que ces corps avaient été dotés d'un budget ; que les règles de leur comptabilité avaient été fixées par un règlement d'administration publique ; que les attributions des conseils généraux, leurs représentants légaux, avaient été singulièrement élargies. D'ailleurs, il y avait tout avantage à ne pas enlever au pouvoir réglementaire du ministre les matières qui sont de sa compétence. Théoriquement, il faut ne demander à la loi que ce qui ne peut être fait que par elle. Pratiquement, en faisant régler par elle des questions qui peuvent l'être par des décrets, on s'interdit les changements qui sont une conséquence et une condition de la vie. La loi scelle pour longtemps ce qu'elle touche. Un décret, au contraire, est chose plus malléable et se modifie aisément. A cet égard, la loi de 1896, en sa brève teneur, valait mieux que le projet de 1890. Celui-ci avait eu le tort, peut-être inévitable à ce moment, de comprendre dans son texte nombre de dispositions d'ordre règlementaire, par exemple la composition des conseils des universités et leurs attributions. La loi de 1896, en laissant toutes ces matières au pouvoir qui a qualité pour les régler, se conformait aux principes généraux et n'enfermait pas dans un moule rigide l'organisation qui allait être faite des universités.

Dans les larges et souples lignes de cet organisme, quelle fut leur organisation administrative? Elle devait résulter à la fois de leur situation légale et des fins qu'on leur avait assignées.

Légalement, on avait fait d'elles des établissements publics. Cette expression a dans la législation française deux sens fort différents, mais non exclusifs. Elle signifie d'abord des établissements fondés et entretenus par l'Etat, les départements et les communes, par opposition aux établissements privés, fondés et entretenus par des particuliers ou des associations. Elle signifie aussi des services d'un intérêt collectif, à caractère tantôt général, tantôt local, rattachés à l'Etat ou aux subdivisions de l'Etat, départements ou communes. Ces services sont doués de la personnalité civile, c'est-à-dire de la capacité d'acquérir à titre onéreux ou gratuit, parce que l'Etat, sans s'interdire à lui-même, sans interdire aux pouvoirs locaux, de contribuer à la réalisation des intérêts dont ces-services ont charge, a voulu leur attribuer des ressources propres, pour une réalisation plus complète et plus assurée de ces intérêts. Les établissements publics sont donc des personnes morales, dont la personnalité ne se confond pas avec celles de l'Etat, des départements ou des communes, et qui sont chargées, par la loi, de services publics déterminés. Deux traits leur sont essentiels : être des organes de services publics ; pouvoir acquérir, posséder, recevoir.

Dans chaque ressort académique, le conseil général des facultés devenait conseil de l'université. La composition n'en fut pas modifiée. Le recteur de l'académie, nommé par le président de la République, en resta le président. A sa charge de délégué de l'Etat, il joignit désormais celle de pouvoir exécutif et de représentant légal de l'université.

Quelles sont maintenant les attributions des universités? Envisagées dans leur forme, elles sont distribuées en quatre degrés. Le propre des assemblées est de voter. Mais quand elles ne représentent pas des personnes souveraines, leurs votes n'ont pas tous les mêmes effets. Il en est qui peuvent emporter exécution par eux-mêmes, quand ils ne sont pas contraires aux lois et à certaines règles tracées par le pouvoir chargé d'assurer l'exécution des lois ; il en est qui ne peuvent être exécutés qu'après approbation de l’autorité supérieure ; il en est qui ne sont que des avis donnés à l'autorité qui décide ; il en est enfin qui ne sont que des voeux. Empruntée à deux lois libérales, la loi de 1871 sur l'organisation départementale et la loi de 1884 sur l'organisation communale, cette distribution, qui avait pour elle son libéralisme même et l'épreuve d'une assez longue durée, fut appliquée, en 1893, à l'organisation des corps de facultés. On la confirma en organisant les conseils des universités. Il leur fut donné pouvoir de statuer sur certains objets limitativement énumérés ; ces décisions sont définitives, si, dans le délai d'un mois, elles n'ont pas été annulées pour excès de pouvoir ou pour violation d'une disposition légale ou règlementaire, par arrêté du ministre, après avis de la section permanente du Conseil supérieur de l'instruction publique ; — pouvoir de délibérer sur certains autres objets, également énumérés ; ces délibérations ne sont mises à exécution qu'après approbation du ministre ; — pouvoir de donner des avis sur d'autres objets, toujours énumérés, au sujet desquels la décision est réservée au ministre ; — enfin, pouvoir d'émettre des voeux sur tout ce qui concerne l'enseignement supérieur.

Envisagées dans leur matière, les attributions des conseils peuvent être groupées sous trois chefs : la vie civile, la vie scientifique et la juridiction disciplinaire.

La vie civile résulte de la personnalité morale. Elle est un moyen pour la vie scientifique, en fait, elle l'accompagne ; logiquement, elle la précède. Représentant légal d'une personne civile organe de l'Etat, et comme telle soumise à la tutelle de l'Etat, le conseil statue sur tous les actes d'administration des biens de l'université ; il discute, sans statuer, sur les actes de disposition, acquisitions, aliénations, échanges, relatifs à ces biens ; il ne fait également que discuter, sans statuer, sur les emprunts, sur l'acceptation des dons et legs, quand ils donnent lieu à réclamation et aussi quand ils sont soumis à des charges et conditions ; il ne peut que discuter, sans statuer, sur les offres de subventions : ces subventions pouvant avoir en vue la création d'enseignements contraires à l'ordre public, il parut nécessaire d'en subordonner l'acceptation à l'approbation du ministre responsable devant les Chambres ; enfin, il donne son avis sur le budget de l'université, dont les recettes •et les dépenses sont arrêtées par le ministre.

Après la vie civile, la vie scientifique. Dans chaque faculté elle est l'oeuvre des maîtres. Sa condition première est la liberté scientifique. Dans les limites résultant du titre de son enseignement, le maître doit être maître de son programme. Aussi avait-on promptement aboli l'obligation où il était autrefois de soumettre, chaque année, le programme de son cours à l'administration centrale, qui le lui renvoyait contrôlé, parfois remanié, toujours estampillé. Mais un maître n'est pas seul dans sa faculté ; une faculté n'est pas seule dans une université. Il importe « au bien des études et à l'intérêt des étudiants », suivant la formule inscrite dans le décret de 1885, que, dans chaque faculté d'abord, puis dans les facultés d'une même université, tous les enseignements soient coordonnés en vue de ce bien et de cet intérêt. Seul le conseil de l'université a compétence pour établir cette coordination. On lui remit donc le pouvoir de statuer souverainement sur « l'organisation générale des cours, conférences et exercices pratiques proposés pour chaque année scolaire par les facultés et écoles de l'université ». — Une seule obligation règlementaire lui fut imposée, celle de comprendre dans cette organisation générale les enseignements nécessaires à l'obtention des grades établis par l'Etat. La « collation des grades » est une des fonctions pour lesquelles, à l'origine, la puissance publique a créé les facultés. En constituant les facultés en universités, la loi n'avait pas supprimé cette fonction, et l'Etat continuait de pourvoir aux dépenses qu'elle entraîne. Il était donc nécessaire que l'exercice en fût assuré. Mais, si importante qu'elle soit, cette fonction ne marque pas la limite de la vie scientifique des universités, pas plus que le grade d'Etat n'est la limite de la science. Aussi, en dehors, ou, si l'on veut, au delà des études par lesquelles l'étudiant peut parvenir aux •grades, les universités furent-elles libres de pourvoir au reste, avec leurs ressources propres et avec le concours de l'Etat lui-même.

Une des raisons invoquées en faveur de la création des universités avait été l'existence des rapports chaque jour plus nombreux et plus profonds entre les différentes sciences, et l'apparition de sciences nouvelles, naissant indécises aux confins de sciences plus anciennes ; d'où l'on concluait à la nécessité, pour suivre le mouvement même de la science, d'établir dans l'organisme du haut enseignement des contacts et des anastomoses par où se feraient une circulation et des échanges. Conformément à ces vues, le décret du 1 juillet 1897 donna pouvoir au conseil d'université de statuer sur « l'organisation et la réglementation des cours, conférences et exercices pratiques communs à plusieurs facultés ». Dans l'intérêt même de la science, on remit aussi à ce conseil le pouvoir de statuer sur la règlementation des cours libres.

Ce fut toujours dans le même intérêt qu'on lui attribua, sous réserve de l'approbation ministérielle, le droit d'instituer « des titres d'ordre exclusivement scientifique ».

La question n'était pas nouvelle. Elle avait été posée en termes très explicites dans l'exposé des motifs présenté au Sénat, en 1890, à l'appui du premier projet de loi sur les universités :

« En France, les grades conférés par les facultés sont des grades d'Etat. Ils ne donnent pas seulement un titre, mais un droit ; celui qui les reçoit, les reçoit pour en jouir avec tous les droits et privilèges qui y sont attachés par les lois et règlements. Aussi les «preuves en sont-elles les mêmes devant toutes les facultés. Qu'il y ait là une gêne à la liberté scientifique des universités, nous ne le contestons pas. Mais serait-il possible, à l'heure présente, alors que nous n'avons encore des universités que des espérances, et non des certitudes, de changer de fond en comble notre système de grades d'Etat si profondément enraciné dans nos moeurs ? D'ailleurs, pour le faire, il faudrait remettre en question quelques-uns des principes sur lesquels les lois de 1875 et de 1880 ont établi la liberté de l'enseignement supérieur. On a, en effet, astreint les étudiants des facultés libres aux mêmes études, aux mêmes examens, aux mêmes programmes que ceux des facultés de l'Etat. En retour, on leur a garanti des diplômes conférant les mêmes droits. Ce sera aux universités elles-mêmes d'atténuer les effets de cette restriction nécessaire par une entente vraiment scientifique de l'ensemble de leurs enseignements.

« Pour cela, toute latitude est donnée à leurs conseils. Ils pourront créer des certificats d'études et des diplômes distincts des grades d'Etat, certificats et diplômes dépourvus de sanction légale, possédant seulement une valeur scientifique, mais qui seront des preuves d'un savoir acquis en pleine liberté d'études, et qui vaudront d'autant plus en France, et surtout à l'étranger, que la science sera portée plus haut dans l'université qui les délivrera. »

Depuis lors, on s'était efforcé de mettre plus de science dans les grades, et parlant plus de liberté dans les études. Le vieux système s'était assoupli ; les programmes avaient perdu de leur rigidité ; l'initiative des maîtres avait un plus vaste champ ; celle des étudiants, nulle autrefois, était devenue possible. Pourtant les grades restant les grades, c'est-à-dire des garanties d'ordre professionnel, ils ne comportent pas l'étude en pleine et absolue liberté. Il faut que le. médecin, à qui son diplôme donnera le droit d'exercer la médecine, justifie de certaines connaissances ; sinon, il est un péril public, et justement les grades ont été institués à un moment où, dans la société française, il y avait beaucoup de ces périls, et pour les conjurer.

Dans d'autres pays, des garanties sont également exigées pour l'exercice de professions où la science est requise ; mais la preuve du savoir demandé s'y fait devant des jurys d'Etat, et les universités vaquent en pleine liberté à leur tâche scientifique.

Il eût été impossible d'introduire et d'acclimater pareil système en Fiance. La loi y eût fait obstacle, et des moeurs quasi séculaires auraient fait obstacle au changement de la loi. Dès lors, les grades d'Etat n'étant pas toute la science, comme il importait de ne pas arrêter à leurs limites l'oeuvre des universités, le plus simple et le plus efficace parut être d'autoriser les universités à délivrer, en dehors des grades d'Etat, des titres scientifiques dont elles détermineraient elles-mêmes les conditions et le contenu. Toutefois, il y avait des précautions à prendre. Entre les grades d'Etat et les titres universitaires, il fallait prévenir toute confusion, et même établir une ligne de démarcation infranchissable. Aussi fut-il décidé que, les grades d'Etat conservant leurs privilèges et leurs droits, les litres universitaires seraient d'ordre purement scientifique, et ne vaudraient que comme preuve scientifique ; qu'ils ne conféreraient aucun des droits et privilèges attachés aux grades ; qu'en aucun cas ils ne pourraient être déclarés équivalents aux grades ; enfin, que les diplômes en faisant foi seraient délivrés par le recteur agissant, non comme agent du gouvernement, mais comme président du conseil de l'université, et en une forme de nature à prévenir toute confusion avec les parchemins d'Etat délivrés par le ministre de l'instruction publique.

Ainsi furent constituées les universités françaises.

Les universités sont au nombre de seize : Paris, Aix-Marseille, Besançon, Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Nancy, Poitiers, Rennes, Toulouse et Alger.

Louis Liard