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Universelle (langue)

L'idée d'une langue universelle pouvant servir indistinctement à tous les hommes pour échanger leurs pensées a, depuis longtemps, hanté les plus grands esprits. Descartes a émis sur ce sujet des vues d'une justesse et d'une précision admirables. En demandant à la langue universelle d'être « régulière, pratique, compréhensible partout à l'aide du seul dictionnaire », il a tracé d'avance le programme qu'on a cherché a remplir de nos jours. Leibnitz, pendant toute sa vie, s'est préoccupé de la question d'une langue universelle, dont les hommes les plus éminents de notre époque (Ampère, Max Müller, Renouvier, Bréal, E. Naville, Berthelot, Tolstoï, etc.) ont continué à affirmer la possibilité et la nécessité. Voltaire considérait déjà la diversité des langues comme « un des plus grands fléaux de la vie », et Montesquieu écrivait : « La communication des peuples est si grande qu'ils ont absolument besoin d'une langue commune ». Et le dix-huitième siècle ne connaissait ni la vapeur, ni le télégraphe et le téléphone, ni l'automobile, ni l'aéroplane ! La nécessité d'une langue internationale résulte, avec une éclatante évidence, du développement merveilleux des moyens de transport et de communications, qui entraîne la communauté d'intérêts et d'idées, le besoin toujours croissant de coopération et d'entente entre tous les peuples. A quoi bon pouvoir se transporter en quelques heures dans un pays étranger si l’on ne peut s'y faire comprendre ? A quoi bon pouvoir télégraphier d'un bout du monde à l'autre si les deux correspondants n'ont pas de langue commune? La barrière formée par la diversité des langues est aujourd'hui le principal obstacle au progrès de la science, du commerce et de la civilisation.

L'idée d'une langue internationale a cependant des ennemis. Il est vrai que ces ennemis ne sont autres que l'amour-propre, l'égoïsme ou un intérêt mal entendu, « égoïsme aristocratique du lettré dilettante et polyglotte qui, fier de posséder plusieurs langues, s'inquiète peu de savoir si d'autres, moins privilégiés, ont la faculté ou le loisir d'acquérir ce luxe coûteux ; égoïsme professionnel du spécialiste qui, cantonné dans son domaine étroit, ne comprend pas les besoins matériels et moraux des travailleurs d'une autre classe » ; patriotisme à vues étroites enfin qui ne s'aperçoit pas qu'une langue internationale, loin d'étouffer les nationalités, ne ferait que les fortifier, puisqu'elle permettrait à toutes les nations, les petites aussi bien que les grandes, de conserver leur propre idiome, en leur fournissant un moyen facile, commode et simple de communiquer avec les autres pays. Elle permettrait en particulier « à la France de se faire mieux connaître, et serait pour elle un véhicule nouveau et puissant pour répandre dans le monde sa pensée bienfaitrice » (Appell).

I. Certains préconisent l'emploi du latin comme langue universelle, en rappelant qu'il a autrefois joué ce rôle. Mais la meilleure preuve qu'il n'y est plus apte, c'est que les savants eux-mêmes ont dû renoncer a s'en servir, tant à cause de la difficulté de son acquisition et de son maniement qu'en raison de son incapacité à exprimer les idées pratiques et modernes.

D'autres ont proposé d'adopter, comme langue internationale, une langue vivante. Mais, si l'on y réfléchit, on s'aperçoit vite que cette solution est irréalisable. La préférence accordée à une langue quelconque soulèverait immédiatement les protestations irréductibles de tous les autres peuples. L'amour-propre national, assez puissant encore pour provoquer chaque jour de sanglants conflits, ne consentirait jamais à s'incliner. Le français a joui longtemps, comme langue diplomatique", d'un certain caractère d'internationalité : ne le voyons-nous pas perdre de plus en plus ce privilège et être obligé de céder la place aux autres langues? Il y a cent ans, tout diplomate étranger devait savoir le français. Aujourd'hui on refuse, dans les congrès diplomatiques, de reconnaître le français comme langue internationale officielle. On entend des diplomates russes soutenir que le russe est la langue internationale de l'avenir ; ils ont sans doute de bonnes raisons à faire valoir, mais cela n'empêche pas que tous ceux qui ne sont pas Russes ne voient là qu'une insoutenable prétention.

D'ailleurs la langue d'un peuple n'est pas seulement l'incarnation de son génie et le symbole de l'unité et de la vie nationales, elle est aussi le véhicule de ses idées et de ses goûts et l'instrument de son commerce ; elle constitue ainsi un ressort d'influence politique, économique et sociale d'une incomparable puissance. Les Anglais, dont la langue s'est répandue dans tout l'univers en même temps que leur commerce, auraient assurément quelques droits à proposer l'adoption de leur langue comme langue internationale. Mais croit-on que les Allemands, les Français, les Russes pourraient accepter de conclure un marche de dupes qui conférerait à la nation anglaise un avantage énorme sur ses rivales et lui attribuerait une sorte d'hégémonie non seulement intellectuelle, morale et sociale, mais aussi industrielle et commerciale ? Et en admettant même que, par impossible, tous les peuples civilisés, dans un bel élan de fraternité, se missent d'accord sur le choix de la langue de l'un d'eux, le problème ne serait pas encore résolu, car toutes les langues vivantes, hérissées d'irrégularités et de complications tout comme le latin, sont fort longues, fort difficiles et fort coûteuses à apprendre.

On a proposé aussi d'adopter, pour les relations internationales, l'emploi parallèle de deux, trois ou quatre langues vivantes qui seraient considérées également et concurremment comme internationales. Mais qui ne voit que cette solution est encore moins satisfaisante que la précédente? Elle laisserait subsister des langues des nations privilégiées devant lesquelles les autres nations, à coup sûr lésées, refuseraient d'abdiquer leurs droits. D'autre part, nous serions condamnés à apprendre plusieurs langues dont chacune demande de longues années d'étude et d'exercice. L'enseignement devrait être réduit presque exclusivement aux langues vivantes déjà si absorbantes, et l'on aurait encore plus de peine à trouver dans les programmes la place nécessaire pour les connaissances positives et scientifiques et pour la culture morale et littéraire. On ne voit pas où serait l'avantage d'une solution qui n'aboutirait en somme qu'à perpétuer l'actuel et fâcheux état de choses.

Il ne reste donc qu'à recourir à une langue artificielle et neutre, qui, seule, pourra ménager les susceptibilités patriotiques de toutes les nationalités et concilier leurs intérêts en les mettant toutes sur le pied d'égalité.

Et il faut bien remarquer que l'existence d'une langue internationale artificielle et neutre ne nuirait en rien à l'étude des langues nationales : elle leur permettrait au contraire de sauvegarder leur intégrité et de conserver intactes leurs qualités propres, qu'affaiblirait le rôle de truchement international. Elle permettrait en particulier à la langue française de conserver toute sa valeur classique et de rester la langue de la bonne société et des élites.

II. De nombreux projets de langue artificielle ont été proposés depuis le dix-septième siècle. On en trouvera la liste fort longue, encore qu'incomplète, dans l'Histoire de la langue universelle, par COUTURAT et LEAU, Hachette, 1907. Les premiers en date sont ceux de deux Anglais, Dalgarno (1661) et Wilkins (1668). Sous l'influence de la philosophie un peu présomptueuse de l'époque, qui se berçait de l'illusion d'arriver sans difficulté à la connaissance totale et définitive de la nature, ces projets, de même que tous ceux qui essaient de résoudre le problème au moyen d'une langue philosophique inventée a priori et reposant sur une classification logique, considérée comme complète et parfaite, des idées primitives, étaient voués à un échec fatal. Plus tard, renonçant aux ambitions philosophiques, d'autres inventeurs se bornèrent à numéroter les idées d'une façon purement empirique et pratique, tout en continuant à attribuer aux diverses combinaisons phonétiques une signification arbitraire sans se soucier de rappeler en rien les éléments des langues existantes. C'est ainsi que Sudre composa, vers le milieu du dix-neuvième siècle, une langue dont les seuls éléments étaient les sept notes musicales diversement combinées. Malgré les plus hauts encouragements, cette tentative échoua, comme doivent inévitablement échouer tous les essais de langues inventées arbitrairement qui, ne s'appuyant point sur nos habitudes linguistiques, délient les mémoires les plus sûres et ne peuvent devenir de véritables langues vivantes. C'est dans cette catégorie que rentrent les projets récents dits Spokil, Langue Bleue, Dilpok, etc., dont la seule chose que l'on puisse dire est que personne, pas même leurs auteurs, n'a été capable de les apprendre et de s'en servir. On doit également considérer comme une langue de ce genre le Volapük (1879), inventé par Mgr Schleier, qui, malgré sa prétention d'emprunter ses radicaux aux langues existantes, les déforme tellement, en vertu de principes arbitraires, qu'il les rend méconnaissables. Qui reconnaîtrait, par exemple, dans le mot même de volapük, les racines world, monde, et speak, parler?

III. La solution du problème ne peut donc se trouver que dans une langue a posteriori, n'inventant pas ses éléments, mais les empruntant aux langues européennes. La première idée d'une langue de ce genre se trouve dans ['Encyclopédie du dix-huitième siècle. Elle a été reprise par le profond penseur Renouvier, qui écrivait, en 1855, que la langue internationale devait être philosophique, c'est-à-dire logique, régulière,

fixe et définitive par sa grammaire, mais, au contraire empirique, c'est-à-dire empruntée, malléable, indéfiniment enrichissable et perfectible, par son vocabulaire. Nous ne nous arrêterons pas sur la Communicationsprache, l'Universalsprache, la langue néo-latine, la Pasilingua (1885), etc., dont les noms seuls subsistent. Il nous faut arriver à l'Esperanto pour trouver une langue qui nous fasse sortir du domaine des hypothèses et des projets pour entrer dans le monde des faits et des réalités vivantes et agissantes.

IV. L'Esperanto est l'oeuvre du Dr Zamenhof, né le 15 décembre 1859, à Bielostok (Pologne Pusse). Après de longues années de réflexion, de travail et d'incessants et multiples essais pratiques, il édita lui-même sa première brochure en 1887. Les premiers progrès se firent avec une extrême lenteur, car Zamenhof ne possédait ni fortune ni relations, ni rien de ce qui permet de « lancer » une idée. Si la langue esperanto a pris plus lard un si étonnant développement, elle ne l'a pas dû à des appuis extérieurs, mais seulement à ses qualités intrinsèques. Elle se propagea d'abord en Russie, puis en Allemagne, où fut fondé, en 1889, le premier journal espérantiste. X)es Anglais, des Américains, des Scandinaves, des Tchèques, des Italiens, des Espagnols, des Portugais, etc., la firent peu à peu connaître dans leurs pays respectifs. Le premier manuel français ne fut publié qu'en 1892, et l'Esperanto ne commença à se répandre en France qu'en 1896. Mais, depuis lors, les progrès sont rapides et l'Esperanto pénètre dans tous les milieux. On trouve l'historique de ce mouvement dans l'ouvrage de M. E. Archdeacon, publié chez Fayard : Pourquoi je suis devenu espérantiste, avec préface de Henri Farman. Actuellement, d'après les évaluations les plus modestes, il existe au moins 600 000 espérantistes répandus sur toute la surface du globe. Le nombre des sociétés espérantistes, qui était de 200 en 1904, est monté à plus de 1500 en 1910. Ces sociétés, fort actives, se rencontrent non seulement dans tous les pays d'Europe et d'Amérique, mais aussi dans les contrées les plus lointaines, les Indes, la Chine, le Japon, la Sibérie, Madagascar, le Natal, le Transvaal, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Malaisie, etc. Le groupe de Paris, fondé en 1900, comprend aujourd'hui plus d'un millier d'adhérents. On compte près de cent périodiques paraissant dans trente-quatre pays différents et jusqu'en Chine, au Japon, en Arménie, etc. La littérature espérantiste, tant oeuvres originales que traductions, comprend plus de 2000 ouvrages et s'enrichit tous les jours. Les grandes collections de guides polyglottes éditées en Allemagne et en Angleterre ont déjà admis l'Esperanto sur le même pied que les autres langues vivantes. De même l'Espéranto est accepté officiellement dans plusieurs congrès scientifiques. De grandes maisons de commerce l'emploient. Un grand nombre de chambres de commerce, particulièrement en Allemagne, lui ont accordé leur appui. L'Association espérantiste universelle (U. E. A.), admirablement organisée et qui a son centre à Genève, possède des agences dans toutes les villes du monde et permet à ceux mêmes qui ne connaissent pas l'Espéranto d'en tirer des avantages pratiques et commerciaux. L'enseignement de l'Espéranto est déjà officiel et même parfois obligatoire dans un certain nombre d'écoles de différents pays. En France, MM. Cornet et Godart, députés, ont déposé des projets de loi tendant à comprendre son étude dans les programmes universitaires. Tous les ans ont lieu des congrès espérantistes (Boulogne-sur-Mer, 1905 ; Genève, 1906 ; Cambridge, 1907 ; Dresde, 1908 ; Barcelone, 1909 ; Washington, 1910), dont chacun, marquant un nouveau succès et attirant sur l'Espéranto l'attention et la bienveillance des gouvernements et des plus hautes personnalités, accélère singulièrement la propagande.

Ces succès s'expliquent facilement : la grammaire de l'Esperanto, réduite à 16 courtes règles qui ne souffrent aucune exception, est si simple et si logique qu'on l'apprend en moins d'une heure. Le vocabulaire, fonde sur le principe de l'internationalité des racines, est composé de telle sorte que l'Esperanto est pour chaque Européen ou Américain la langue la plus voisine de la sienne. Le principe de l'invariabilité des éléments lexicologiques, et la possibilité de décomposer tous les mots en racines indépendantes possédant chacune son sens propre, concourent à rendre l'Esperanto extrêmement facile à comprendre et à manier. Leur application permet de traduire un texte esperanto sans connaître un mot de la langue, uniquement à l'aide du dictionnaire, ce qui n'est possible dans aucune autre langue. « Cette propriété agglutinante sert de base à un système de dérivation régulier et autonome qui soulage la mémoire en permettant de former avec un minimum de racines à apprendre le maximum de mots utiles » (Couturat). « J'ai pu arriver au bout de deux petites heures, écrit Tolstoï, à lire couramment la langue. »

Une autre qualité remarquable de l'Esperanto, et celle peut-être qui assure le mieux sa supériorité, c'est la simplicité, l'internationalité, et par-dessus tout la clarté et la netteté vocale de son phonétisme. Par la suppression de tous les sons qui offrent des difficultés à certains peuples et de toutes les nuances dans les voyelles, par l'attribution d'un seul son à chaque lettre, par la constance de l'accent tonique qui se trouve dans tous les mots à la même place' par l'heureux choix des voyelles finales, qui caractérisent les parties du discours et servent en même temps de tampons euphoniques, Zamenhof a su donner à l'Esperanto une prononciation facile, coulante, harmonieuse, et surtout étonnamment claire, sonore, distincte et saisissable pour l'oreille. C'est ainsi que, suivant une constatation mille fois répétée, il y a moins de différence entre la façon de parler de deux espérantistes appartenant à deux nations différentes quelconques qu'entre celle d'un Parisien et d'un Marseillais ; c'est ainsi que deux espérantistes de nationalité différente et qui n'ont appris l'Espéranto que dans les livres, sans l'avoir jamais entendu parler, se comprennent parfaitement dès la première entrevue.

Plus facile à apprendre, à saisir, à comprendre et à manier que toute autre langue naturelle ou artificielle, se trouvant à la portée non seulement de l'homme d'étude, mais aussi de tous ceux qui ne possèdent qu'une instruction primaire moyenne et peu de loisirs, l'Espéranto jouit, de plus, d'une souplesse merveilleuse qui le rend propre à tous les emplois et aux exigences littéraires et scientifiques aussi bien qu'aux usages pratiques, commerciaux et utilitaires. Instrument incomparable de traduction, il se moule sans peine, sans rien perdre de sa précision, sur les langues les plus différentes, et il suit la pensée humaine dans toutes ses complications et toutes ses nuances. Bon nombre d'oeuvres littéraires ou scientifiques, classiques ou modernes, ont pu déjà être traduites en Esperanto par le Dr Zamenhof et ses adeptes. « L'Esperanto n'est plus, dit excellemment M. Couturat, une langue artificielle, figée et morte, simple décalque de nos langues ; c'est vraiment une langue naturelle, une langue vivante, autonome, qui possède des ressources intrinsèques et illimitées, qui a une physionomie originale et un esprit propre ; c'est une langue capable de vivre, de se développer, d'égaler en élégance et en style les langues naturelles, et de les dépasser en richesse, en souplesse et en variété. »

Il est particulièrement intéressant de signaler ici les qualités pédagogiques de l'Espéranto. C'est surtout à ce point de vue qu'il est vrai de dire que l'Esperanto est « le latin de la démocratie ». Chacun sait qu'on ne peut connaître à fond sa propre langue qu'à la condition de pouvoir la comparer à une langue étrangère. L'Esperanto présente à cet égard les mêmes avantages qu'une langue étrangère quelconque. « C'est, dit M. Durieux, directeur d'école à Lille, un aide dont professeurs et élèves peuvent tirer de grands avantages dès son introduction dans la classe. L'Esperanto dans une leçon, c'est le ferment dans la pâte, l'assaisonnement dans la nourriture. » Il offre de plus des avantages pédagogiques spéciaux dus tant à la constitution de son vocabulaire qu'à ses qualités particulières de simplicité et de logique. Admirable instrument d'analyse, il sert d'introduction à l'étude des langues étrangères et la facilite singulièrement, ainsi que l'a fait depuis longtemps remarquer le professeur Mayor, de l'université de Cambridge, cite par le général Sébert, membre de l'Institut, dans une brochure intitulée L'Espéranto et les langues nationales. « L'Esperanto deviendra un jour, écrit M. Boirac, recteur de Dijon, un des plus puissants instruments dont disposeront nos maîtres pour l'enseignement des langues vivantes. » Ainsi s'explique ce fait, en apparence paradoxal, que beaucoup des plus fervents espérantistes sont des professeurs de langues vivantes.

En tous cas, pour le moment, l'Espéranto, répandu dans le monde comme il l'est, est d'une utilité incontestable pour les voyageurs, les savants et les industriels.

V. Le succès de l'Espéranto a, comme il était naturel, suscité des concurrences, et les auteurs de langues internationales continuent à proposer leurs projets, dont le principal défaut est de n'être jamais que des projets. C'est ainsi que nous avons vu paraître, depuis 1887, le Kosmos, le Lingua, le Latinesce, l'Anglo-franca, le Myrana, le Communia, le Novlatin, le Mundolingue, l'Universala, le Novilatiin, le

Nuoveroman, l'Idiom neutral, l'Apolema, l'Ido, puis les incessants projets d'Ido perfectionné de Brandt, Seidel, Duthil, etc., qui se détruisent l'un l'autre. Bien que quelques-unes de ces tentatives arrivent à faire un certain bruit que ne justifient ni leurs qualités, purement théoriques, ni le nombre restreint de leurs adeptes, il semble bien qu'elles ne puissent espérer que des succès éphémères, parce que leurs auteurs ne tiennent pas assez de compte des exigences de la pratique et attribuent une importance exagérée aux théories spéculatives. De plus, ils négligent un fait d'une importance capitale, qui est l'existence même, la vie, la puissance acquise de l'Esperanto. Ce fait rend vaines à certains égards toutes les objections et discussions théoriques. « C'est avant tout, dit l'illustre philologue autrichien Schuchardt, d'un problème pratique qu'il s'agit. Il importe sans doute que la langue adoptée soit la plus parfaite possible. Mais cela n'est après tout qu'une question secondaire, si la langue est seulement simple et facile. Le problème essentiel est d'assurer à une telle langue, quand même elle ne serait pas la meilleure et pourvu qu'elle possède une perfection relative suffisante, le privilège de l'exclusivité. » A tous ces récents projets, il manque jusqu'à présent ce qui fait la force de l'Esperanto, l'unité et la fixité de la langue, qui n'exclut point cependant une élasticité susceptible d'un progrès et d'un perfectionnement indéfinis.

En résumé, si nous étudions le problème d'une langue internationale, nous sommes amenés à conclure que l'adoption d'une langue morte ou d'une langue vivante ou de plusieurs langues vivantes pour remplir ce rôle présente des difficultés insurmontables.

Seule une langue artificielle et neutre peut fournir une solution satisfaisante.

Pour le moment, c'est l'Esperanto qui tient incontestablement la corde comme la langue la plus répandue et, d'après ses partisans, la plus simple et la plus pratique.

Une autre langue supérieure à l'Esperanto sera-t-elle inventée un jour? C'est le secret de l'avenir. Mais, en l'attendant, si nous ne profitions pas de ce qui est à notre portée nous risquerions de renoncer dès maintenant aux immenses avantages qu'offre une langue universelle.

Émile Grosjean-Maupin