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Turquie (d’Europe d’Asie et d’Afrique)

 L'Empire ottoman, qui s'étend sur trois continents, a une superficie totale d'environ 5 millions de kilomètres carrés: quand à la population, il n'est pas possible d'en évaluer exactement le chiffre. La population turque proprement dite s'élève à 12 millions environ ; il y a en outre, dans des proportions variées, des Grecs, des Macédoniens, des Albanais, des Slaves, des Arméniens, des Kourdes, des Syriens, des Arabes, des Juifs, des « Francs », etc. La Turquie d'Europe comprend, outre le district de Constantinople, six vilayets ou provinces : Andrinople, Salonique, Monastir, Uskub, Janina, Archipel (partie européenne). La Turquie d'Asie comprend : l'Asie-Mineure (onze vilayets), l'Arménie et le Kourdistan (sept vilayets), la Mésopotamie (vilayets de Mossoul et de Bagdad), la Syrie (vilayets d'Alep et de Damas, et gouvernements de Beyrout, du Liban et de Jérusalem), les côtes de l'Arabie (vilayets du Hedjaz et du Yémen). La Turquie d'Afrique comprend la Tripolitaine (vilayet de Tripoli). L'Egypte, bien que ne faisant plus partie, administrativement, de l'Empire ottoman, reconnaît la suzeraineté du sultan.

Exposer dans le détail l'état de l'enseignement en Turquie serait une tâche assez délicate et assez complexe. Certes, aujourd'hui, la Turquie a vu sa puissance diminuer et son autorité se restreindre de jour en jour ; nous ne sommes plus au temps où la Hongrie, la Grèce, la Serbie, la Bulgarie, la Moldavie et la Valachie, l'Egypte, la Tunisie, l'Algérie, étaient des provinces turques ; mais l'Empire ottoman actuel nous offre encore le spectacle d'un mélange confus de races différentes, de religions ennemies, d'institutions contradictoires. En effet, dans la Turquie d'Europe seulement, à côté de l'Osmanli, qui descend des anciens conquérants de Constantinople, mais dont le sang a perdu de sa pureté primitive par quatre siècles de métissages et de croisements, on trouve les anciens habitants du pays, Grecs, Bulgares, Serbes, Albanais, Koutzo-Valaques, dont le nombre total dépasse de beaucoup celui des Turcs ; il faut également citer les nombreuses et florissantes colonies de Français, d'Italiens, d'Anglais, etc., établies dans les villes commerçantes, et les colonies de Juifs, d'Arméniens et de Persans. D'autre part, le facteur le plus important est la différence de religion : en Orient, l'école primaire est avant tout confessionnelle. A côté de l'enseignement musulman, nous trouverons les écoles qui relèvent de l'église grecque orthodoxe, de l'exarchat bulgare, de l'église catholique romaine, de l'église réformée, de l'église arménienne grégorienne, de l'église arménienne catholique, etc.

Ces quelques indications préliminaires nous ont paru indispensables pour établir le plan et la division de cet article. Nous aurons tout d'abord à étudier les écoles qui sont fréquentées par la population musulmane (Turcs, Albanais, Kourdes, Syriens, Arabes et autres musulmans) ; puis viendront les écoles fondées et organisées par le gouvernement ottoman à l'instar de celles qui fonctionnent dans l'Europe occidentale, à partir de 1869, et qui n'ont pas un caractère essentiellement et exclusivement musulman ; enfin les écoles soutenues par les différentes confessions chrétiennes et les Israélites ; nous terminerons par une statistique des établissements scolaires : d'où les quatre subdivisions suivantes :

A. Ecoles libres exclusivement musulmanes ;

B. Ecoles de la Réforme ;

C. Ecoles libres non musulmanes ;

D. Statistique générale de 1908.

Nous ne nous bornerons pas à l'enseignement primaire et nous ajouterons quelques détails sur l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur.

A. Ecoles libres exclusivement musulmanes. — L'islam n'est pas, ainsi qu'on a parfois voulu le prétendre, ennemi de toute instruction ; au contraire, il faut, d'après ses prescriptions, que l'homme s'instruise « pour son bien-être et son bonheur », dit le Coran. L'enfant est remis par son père aux mains d'un maître qui lui montrera à lire dans le Coran, et le lui fera apprendre par coeur. Telle est la base de l'enseignement à son premier degré.

A l'origine, la société musulmane était profondément démocratique, et tous les fidèles, quelle que fût leur condition sociale, devaient être mis en état de lire et de comprendre le livre saint. Les femmes et les esclaves devaient participer à cet enseignement religieux, d'après la loi coranique.

L'enfant entrait à l'école à six ans, il y restait quelques années, entre les mains d'un maître généralement ignorant, misérable et peu considéré, et n'en recevait qu'une instruction formaliste, mais pas d'éducation. L'école n'avait aucune influence sur la vie morale de l'élève, et le nom même qu'elle porte nous montre clairement quel rôle borné elle était destinée à remplir : c'est le mektéb, l'endroit où l'on apprend à écrire.

Le mektéb était une institution purement privée ; être maître d'école, c'est exercer un métier et non remplir une fonction ; le seul profit matériel du maître est la rétribution scolaire, payée le plus souvent en nature ; mais la medrésèh, où entre l'enfant devenu jeune homme, est une institution, sinon officielle, du moins soutenue, encouragée, surveillée par l'Etat. La medrésèh (au pluriel médariss) est un établissement d'enseignement secondaire, annexé à une mosquée, où des professeurs payés sur les fonds de l'établissement font des cours. Les matières de l'enseignement comprennent la grammaire, la syntaxe, la rhétorique, la science du style et celle des tropes, la logique, la métaphysique, et parfois aussi la géométrie, l'astronomie et la médecine ; mais ces sciences sont un moyen de préparer le tâlib (le chercheur de science) aux deux sciences fondamentales auxquelles il devra se consacrer : la théologie dogmatique et le droit. Toujours par suite de la même idée démocratique, des institutions de bienfaisance sont établies pour aider l'étudiant pauvre. Non seulement il n'a rien à payer pour l'enseignement qu'il reçoit, mais encore, soit dans la medrésèh même, soit dans un bâtiment annexe, se trouvent un grand nombre de cellules où les étudiants sont logés gratuitement et où on leur fait des distributions quotidiennes de nourriture. La première medrésèh fut fondée à Bagdad en l'an 993 de notre ère, et le nombre de ces établissements devint bien vite considérable. On compta jusqu'à 44 médariss à Alep et 126 à Damas ; ce prodigieux développement s'explique par l'idée religieuse ; c'est oeuvre pie que de fonder une mosquée ou une medrésèh ; c'est oeuvre pie que de laisser à ces institutions des sommes destinées à assurer le traitement des mudderris (professeurs), à augmenter le nombre des chaires, à permettre à un grand nombre d'étudiants d'être secourus dans leurs études ; c'est ainsi que se constituèrent ces biens de main morte qui ont permis aux médariss de survivre à toutes les invasions, à toutes les catastrophes ; les livres mêmes donnés à la bibliothèque d'une medrésèh sont immobilisés et inaliénables.

Telle était l'organisation de l'enseignement sous le khalifat.

Les Turcs, qui s'étaient convertis à l'islam, en prirent les institutions, et Turcs et Arabes tinrent à honneur d'encourager l'instruction. Le sultan de Constantinople est, depuis que Sélim Ier, dit le Féroce, a pris possession, des mains du dernier Abbasside, des reliques sacrées du prophète, le « khalife », c'est-à-dire le vicaire, le représentant et le successeur du prophète Mohammed sur la terre, et à ce titre il doit, par tous les moyens, travailler à l'affermissement de l'islam. Aussi, dès que Mohammed II eut conquis Constantinople et qu'il l'eut repeuplée avec des colons turcs venus de différentes régions de l'Anatolie, il transforma huit des principales églises en mosquées et institua à côté de chaque mosquée une medrésèh. Dans chaque medrésèh, vingt-quatre étudiants (soukhtèh, « brûlé du feu de la science » ; la prononciation vulgaire est softa) étaient logés dans des cellules, nourris et entretenus. Chacun d'eux recevait tous les jours, nous dit un historien, de la soupe, du riz et de la viande bouillie, et en outre douze aspres par mois pour ses menus plaisirs. Les professeurs touchaient de vingt à soixante aspres par jour. Les autres sultans ne firent que continuer ces fondations de Mohammed II. Il vient d'être décidé (1910) qu'il sera donné à chaque softa soixante-dix piastres (15 fr. 50 e.) par mois pour remplacer la nourriture qui était fournie jusqu'à présent aux softas.

Aujourd'hui, l'enseignement primaire exclusivement musulman a perdu de son importance et a subi une atteinte sérieuse par la loi de septembre 1869, dont nous donnerons l'analyse dans la section suivante. Comme cette loi élargissait les programmes et ne limitait plus l'enseignement primaire à la seule lecture du Coran, les petites écoles libres musulmanes ont dû se transformer, et, par suite du changement du programme des études, le niveau intellectuel s'est relevé. Aujourd'hui, pour fonder une école primaire libre, la loi exige du khodjah (maître) un diplôme ou un brevet de capacité délivré par le ministère de l'instruction publique.

Si l'école musulmane primaire a beaucoup à souffrir de l'heureuse concurrence que lui fait l'école officielle, là où celle-ci est établie, en revanche la medrésèh a été respectée par la loi de 1869. Cela s'explique par ce fait que le caractère essentiellement religieux de la medrésèh la fait dépendre plutôt du code religieux que du code administratif, la met bien plus sous la surveillance du mufti ou de l'iman que sous celle du gouverneur ; et, dans l'Orient musulman, si les ministres passent comme partout, si les règlements administratifs se succèdent les uns aux autres, le droit canonique est immuable ; rien de ce qui touche à cette législation ne peut être atteint valablement par le pouvoir temporel, et les médariss, instituées près des mosquées, préparant, comme nos petits séminaires, aux études ultérieures de théologie (dans le monde musulman, le droit est inséparable de la théologie), soutenues par le produit des vakouf, biens de mainmorte absolument sacrés et inviolables, échappent en fait et en droit à toute ingérence de l'autorité civile.

Depuis l'institution du régime constitutionnel (1908), les médariss ont vu leur programme se modifier, et aujourd'hui dans la plupart d'entre elles on enseigne les lettres et les sciences profanes.

B. Ecoles de la Réforme. — On connaît le Khatti-chérif (l'écrit auguste) de Gul-Khanèh (3 novembre 1839) par lequel le sultan Abdul-Medjid, exécutant le plan de réforme de son père et prédécesseur Mahmoud, établissait les principes des nouvelles institutions qu'il jugeait propres à infuser un sang nouveau dans l'organisme affaibli de l'ancien empire ottoman. Mais, comme le font remarquer MM. Ubicini et Pavet de Courteille (Etat présent de l'Empire ottoman, Paris, 1876), l'acte de Gul-Khanèh n'avait fait que formuler des principes généraux ; il restait à tirer les conséquences de ces principes, c'est-à-dire à promulguer les lois et les règlements qui devaient ouvrir à la Turquie une vie nouvelle et la régénérer en la réformant.

« C'est cette réforme, poursuivie avec plus ou moins de succès, à travers des difficultés sans cesse renaissantes, pendant le règne d'Abd-ul-Medjid et de son frère Abd-ul-Aziz, qui reçut à l'origine et qui porte encore aujourd'hui le nom de Tanzimât. Etendu successivement à toutes les branches des services publics, et de la capitale, où il fut établi d'abord à titre d'essai, aux diverses provinces de l'empire, le Tanzimât a parcouru plusieurs phases qui marquent comme les étapes de la Réforme en Turquie. »

Ces phases, nous les retrouvons pour la matière spéciale qui nous occupe ici. En 1846 a lieu le premier essai de sécularisation de l'instruction publique, mais il faut bien se garder de donner à ce mot de sécularisation plus de portée qu'il n'en a ; il n'a jamais été question en Turquie, sous prétexte de liberté de conscience et de fusion des diverses nationalités, pas plus dans l'essai de réforme de 1846 que dans la loi organique de 1869, d'instituer l'école neutre. Le Turc, quelle que soit sa religion, est trop religieux pour tolérer que l'école ne soit pas confessionnelle ; mais, tandis que dans l'ancienne école, que nous avons appelée l'école libre exclusivement musulmane, le Coran était à la fois le but et le moyen de l'enseignement, dans les nouvelles écoles l'étude du Coran sera une des parties obligatoires, fondamentales de l'enseignement donné aux enfants par les maîtres officiels, mais non l'objet exclusif du programme scolaire.

Le règlement de 1846 créait, pour surveiller l'organisation des nouvelles écoles, un Conseil supérieur de l'instruction publique (medjliss-i-meârif-i-oumou-miyèh), présidé par le grand-vizir et le ministre des affaires étrangères. En 1857 fut fondé le ministère de l'instruction publique (meârif-i-oumoumiyèh-nezareti). Enfin en septembre 1869 fut promulguée la loi organique de l'instruction publique, document considérable, qui ne compte pas moins de 198 articles, et dont nous croyons devoir donner l'analyse, bien que cette loi doive être entièrement remaniée. Le ministère de l'instruction publique a soumis, en effet, au Parlement (1910) un projet de loi sur l'organisation de l'enseignement public, projet qui sera prochainement discuté.

ORGANISATION SCOLAIRE D'APRES LA LOI DE 1869. — Les écoles sont ou bien des écoles publiques, dont la surveillance et l'administration appartiennent exclusivement au gouvernement, ou bien des écoles privées qui, placées seulement sous la surveillance de l'Etat, sont fondées et directement gérées par les communautés ou les particuliers.

Ce sont les écoles publiques que nous allons étudier dans cette section.

Les autres feront l'objet de la section suivante.

Les établissements d'instruction sont répartis en cinq classes : au degré le plus bas les écoles sibyân ou ibtidaïyèh, ensuite les écoles ruchdiyèh : les deux réunies constituent l'enseignement primaire ; les écoles préparatoires (idâdiyèh) et les lycées impériaux (sul-taniyèh) constituent renseignement secondaire ; enfin l'enseignement supérieur est représenté par les écoles spéciales (aliyeh).

ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. — Ecoles sibyân ou ibtidaïyèh. — Ces appellations ont détrôné l'ancien nom de mekteb. Le mot sibyân signifie « enfants » ; le mot ibtidaïyèh signifie « de début ».

Chaque village, chaque quartier d'une ville doit avoir au moins une école sibyân. En cas d'insuffisance de la population, plusieurs villages, plusieurs quartiers peuvent se grouper. Comme l'école est toujours confessionnelle, dans les villages dont la population est mixte il y aura forcément, à côté de l’école musulmane, une école non musulmane. Les communes supportent les frais de construction et de réparation des écoles, ainsi que le traitement des instituteurs.

L'obligation scolaire s'étend à, tous les enfants de l'empire, sans exception, pour les garçons de six à onze ans, pour les filles de six à dix ans.

Les juges de paix des quartiers et villages dressent le rôle des enfants en âge d'aller à l'école et le transmettent à l'instituteur. Celui-ci est tenu d'informer des absences le juge de quartier. Le juge convoque les parents ou tuteurs et les engage à envoyer l'enfant à l'école. Après trois exhortations dans le même mois restées sans effet, les parents seront passibles selon leur état de fortune d'une amende de cinq à cinq cents piastres (1 fr. 15 à 115 fr.), qui sera versée dans la caisse du conseil académique.

Les dispenses légales qui relèvent de l'obligation scolaire sont les suivantes : 1e les vices de constitution et les affections mentales qui, après examen de l'enfant par les autorités locales, seraient reconnus susceptibles d'empêcher absolument toute étude ; 2° la nécessité pour un père (ou une mère) dans l'indigence de garder auprès de lui son unique enfant ; 3° les travaux de l'enfant dans les champs à l'époque de la moisson ; 4° une distance supérieure à une demi-heure de chemin entre la maison et l'école ; 5° l'absence d'une école ou son insuffisance ; 6° la preuve que l'enfant reçoit l'instruction dans la maison paternelle ou dans une école privée.

En fait, toutes les prescriptions imposant l'obligation scolaire sont restées à l'état de lettre morte.

Il n'y a d'autres vacances que les jours fériés de l'islam (le vendredi de chaque semaine, les deux fêtes du Beiram, le jour de la naissance de Mohammed, et l'anniversaire de l'avènement du sultan an trône.

Les matières de l'enseignement dans les écoles sibyân sont l'alphabet, le Coran, la lecture du Coran, le catéchisme musulman, l'écriture, des éléments de l'histoire ottomane, des éléments de géographie, des notions élémentaires des diverses connaissances pratiques (leçons de choses).

Par ces mots « lecture du Coran », il faut entendre ce genre de lecture qui chez les musulmans est une véritable science et dont nous avons de nombreux traités et manuels composés par les plus grands théologiens. En effet, on sait que dans les langues sémitiques on n'écrit que les consonnes, les voyelles n'étant indiquées que par des points ou signes spéciaux placés au-dessus, au-dessous ou au milieu de la consonne et qu'on omet généralement. Du jour où l'arabe est devenu la langue sacrée de l'islam, l'écriture arabe a chassé les anciennes écritures des peuples non sémites devenus musulmans, l'alphabet pehlvi en Perse, l'alphabet ouïgour chez les Turcs. Mais, suivant qu'un mot est vocalisé de telle ou telle façon, le sens change absolument ; d'où la nécessite, pour le Coran, comme jadis pour la Bible hébraïque, d'établir une lecture, une prononciation officielle, unique ; sinon, en lisant à haute voix le Coran d'une autre façon, on commettrait un sacrilège, car ce serait altérer le texte sacré. Cette lecture officielle s'appelle tedjvid. En outre, il est à remarquer que le Coran est écrit en arabe et qu'il ne doit pas être traduit ; les élèves turcs apprennent donc à lire dans un texte qu'ils ne comprennent pas.

La durée de l'enseignement est de quatre ans. à la suite desquels ceux des élèves qui voudraient apprendre par coeur le Coran ont la faculté de prolonger leur séjour à l'école.

Les écoles de filles doivent être autant que possible séparées de celles des garçons ; le personnel enseignant doit y appartenir au sexe féminin. Toutefois, tant qu'on n'aura pu se procurer tout le personnel nécessaire et qu'on ne trouvera pas suffisamment d'institutrices, on pourra en faire remplir les fonctions par des instituteurs d'un âge mûr et d'une moralité éprouvée.

Toutes les dispositions relatives à l'obligation scolaire, aux vacances, à la durée et aux matières de l'enseignement dans les écoles de garçons, s'appliquent également aux écoles des filles ; on les exerce en outre aux travaux à l'aiguille.

Ecoles ruchdiyèh. — Prise dans son sens littéral, cette expression signifierait écoles d'adultes ; il vaut mieux la traduire par écoles primaires supérieures. L'enseignement dans ces écoles est gratuit, sans être obligatoire. Il doit exister une école ruchdiyèh dans tout bourg comptant plus de 500 maisons. Si la population est mixte, il y a une école musulmane et une école non musulmane, pourvu que le nombre des maisons appartenant aux membres de la communauté non musulmane dépasse cent. Cependant les jeunes gens non musulmans sont admis dans les écoles ruchdiyèh. Les frais de construction, de réparation et d'entretien des écoles ruchdiyèh sont à la charge du gouvernement.

Chaque école compte au moins quatre professeurs, un surveillant et un concierge, qui ont pour appointements mensuels: les professeurs titulaires 800 piastres (184 francs), les suppléants 500 piastres (112 fr.), le surveillant 250 piastres (57 fr. 50), le concierge 150 piastres (34 fr. 50). En outre, une somme de 4000 piastres (920 francs) est affectée chaque année aux frais divers de l'école.

L'enseignement dure trois années ; il comprend les matières obligatoires suivantes : instruction religieuse élémentaire, grammaires turque, arabe et persane, arithmétique, tenue des livres, dessin linéaire, géométrie élémentaire, histoire universelle et histoire ottomane, géographie, gymnastique, langue d'une des communautés non musulmanes habitant la localité.

Dans les villes qui sont des centres de commerce, les élèves de la 2e et 3e années apprennent le français, comme langue obligatoire.

Les vacances durent du 1er juillet à la fin d'août. La première moitié de juin est consacrée à la révision générale des cours, la seconde aux examens.

A la fin de la 3* année, les élèves doivent passer un examen. Le certificat d'études scolaires qui leur est alors délivré les dispense de tout nouvel examen pour entrer dans les écoles préparatoires. Ceux qui sont refusés à l'examen de fin d'études ont la faculté de rester encore un an à l'école ruchdiyèh.

Les écoles primaires supérieures de filles n'existent que dans les grandes villes et non dans les bourgs de plus de 500 maisons. Les premières écoles ont été établies à Constantinople et ne s'étendent que peu à peu aux provinces. Le personnel enseignant doit, autant que possible, appartenir au sexe féminin.

L'enseignement comprend : l'instruction religieuse élémentaire, la grammaire turque et des éléments de grammaire arabe et persane, l'orthographe et la littérature, les éléments de la morale, l'économie domestique, les éléments d'histoire et de géographie, l'arithmétique et la tenue des livres, le dessin d'imitation et l'aquarelle, les travaux à l'aiguille, la musique (facultative).

Toutes les autres prescriptions indiquées plus haut pour les écoles de garçons sont applicables aux écoles de filles.

ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. — Cet enseignement, selon la loi organique de 1869, doit être donné dans deux séries d'établissements, les écoles préparatoires (idâ-diyèh) et les lycées (sultaniyèh). Les idâdiyèhs se trouvent dans tous les chefs-lieux de vilayet et de sandjak (subdivision du vilayet). Dans les idâdiyèhs de chefs-lieux de vilayet, les études durent sept années : les trois premières sont du degré ruchdiyèh, les quatre autres du degré idâdiyèh. Dans les écoles préparatoires des chefs-lieux de sandjak, la durée des études est de cinq années (trois ruchdiyèhs et deux idâdiyèhs).

Les matières enseignées sont : la langue turque, la langue et la littérature françaises, la morale, l'histoire générale et l'histoire ottomane, les mathématiques élémentaires et spéciales, la cosmographie, la mécanique, la physique et la chimie, l'histoire naturelle, le lavis, le dessin géométrique et d'imitation. La gymnastique suédoise a été introduite dans tous les idâdiyèhs.

Les idâdiyèhs, dans les chefs-lieux de vilayet, sont des internats. Le prix de la pension est de 18 livres turques (424 francs). L'externat est gratuit. Les élèves appartiennent à toutes les religions et à toutes nationalités de l'empire.

Dans les lycées (sultaniyèh), la durée des études est de six années, et une grande partie des matières du programme sont enseignées en français.

Le seul lycée existant est celui de Constantinople. Les idâdiyèhs sont au nombre de 81.

Avec l'institution d'écoles officielles, on a vu apparaître une nouvelle science qui, jusqu'alors, n'avait pas été représentée dans la bibliographie ottomane : la pédagogie. Mais là, comme dans tout ce qui touche de près ou de loin au Tanzimât, nous ne trouvons qu'une pâle copie ou une traduction servile d'ouvrages européens.

ENSEIGNEMENT SUPERIEUR. — Il est représenté par l'université, à Constantinople, qui comprend les sections suivantes : section de droit, section de haute théologie, section des sciences naturelles, section des mathématiques, section des hautes études politiques, section de médecine et pharmacie.

Une école de droit a été ouverte à Salonique en 1907.

On trouve en outre les écoles suivantes :

'L'Ecole d'administration (mekteb-i-mulkiyéh), instituée en 1862. Les élèves sont recrutés parmi les diplômés des idddiyèhs, et ne sont admis qu'après concours. Les cours durent trois ans. On y enseigne les matières ci-après : littérature, histoire littéraire, philosophie, histoire politique, économie politique, science des finances, droit administratif, droit civil. C'est parmi les licenciés de cette école que se recrutent les fonctionnaires administratifs ;

L'Ecole supérieure de commerce ;

L'Ecole normale supérieure pour garçons et filles (dâr-ul-mouallimim).

Il existe un certain nombre d'écoles spéciales qui ne dépendent pas du ministère de l'instruction publique. Parmi ces institutions se trouvent les écoles militaires (mekteb-i-harbiyèh), et l'Ecole de médecine militaire ; l'Ecole du génie civil (dépendant du ministère des travaux publics) ; l'Ecole navale (mektéb-i-bahriyéh): les écoles d'agriculture (dont deux supérieures, l'une à Constantinople et l'autre à Salonique) ; les écoles des arts et métiers (celle de Constantinople dépend du ministère de l'agriculture, celles des vilayets sont autonomes et sont entretenues par des revenus qui leur sont propres).

ORGANISATION ADMINISTRATIVE DE L'ENSEIGNEMENT PUBLIC. — Au sommet se trouve le ministre, assisté du Conseil de l'instruction publique, qui est présidée par le sous-secrétaire d'Etat et qui est composée de six membres. Dans chaque vilayet se trouve un conseil académique composé comme suit : l'inspecteur de l'instruction publique du vilayet, les directeurs des écoles supérieures, deux professeurs des écoles supérieures, deux ulémas désignés par le Cheikh-ul-Islam, le directeur et quatre professeurs de l'école idâdiyèh.

BUDGET DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. — Les crédits du ministère de l'instruction publique au budget général de l'Empire pour l'année 1910 s'élèvent à 94 639 804 piastres (21 700 000 francs), tandis que sous le régime autocratique ces crédits ne dépassaient pas 30 millions de piastres. STATISTIQUE DES ECOLES PRIMAIRES EN 1863, ETC. — Il n'est pas facile d'indiquer quelle peut être la fréquentation de l'école. Une statistique officielle de 1863, citée| par MM. Ubicini et Pavet de Courteille dans leur Etat présent de l'Empire ottoman, donnait pour une population de 28 millions d'habitants 15071 écoles primaires (289 à Constantinople, 14782 dans les provinces), fréquentées par 660000 enfants des deux sexes. Sur ce nombre, 12 509 écoles étaient musulmanes avec 135229 enfants. Depuis lors, de graves événements politiques ont amoindri la population de l'Empire et ont retardé les progrès de l'instruction. Nous donnons plus loin une statistique générale pour 1908, indiquant le nombre des écoles des divers degrés, tant libres qu'officielles.

Depuis l'arrivée au pouvoir de la Jeune Turquie (1908), de nouveaux efforts sont faits en vue d'améliorer l'instruction publique. Un certain nombre de jeunes gens choisis, après concours, sont envoyés tous les ans en Europe, en vue de parfaire leurs études et de répandre a leur retour dans le pays les méthodes nouvelles d'enseignement.

C. Ecoles libres non musulmanes. — En dehors des écoles officielles entretenues et dirigées par le ministère de l'instruction publique, et qui sont fréquentées principalement par la population musulmane, bien qu'elles soient, en principe, ouvertes à toutes les communautés, il existe en Turquie un grand nombre d'écoles ayant un caractère religieux et national et dépendant des églises non musulmanes, ainsi que d'écoles privées de toutes sortes.

Les diverses églises chrétiennes qui ont en Turquie leur hiérarchie autocéphale, le patriarchat orthodoxe, l'exarchat bulgare, les divers patriarchats arméniens, les patriarchats chaldéen et maronite, ont sous leur direction toute une organisation scolaire qui se rattache étroitement à l'organisation religieuse. Auprès de chaque église de ces communautés se trouvent des écoles qui en sont pour ainsi dire les annexes. Les écoles primaires sont entretenues par les communautés locales ; les écoles normales et les établissements secondaires sont entretenus par l'autorité religieuse supérieure, qui nomme le personnel enseignant à tous les degrés. Chacune des églises chrétiennes constitue ainsi une véritable administration scolaire placée sous l'autorité des chefs religieux, qui sont assistés à cet effet de conseils laïques.

Toutes ces écoles n'ont pas seulement pour but d'instruire la jeunesse dans sa langue maternelle, grec, bulgare, arménien, arabe ; quelques-unes d'entre elles constituent des instruments de propagande nationale destinés à répandre la langue nationale de la communauté et à accroître ainsi son importance politique. Tel est principalement le cas pour les écoles du patriarchat grec et de l'exarchat bulgare, dont la rivalité en Macédoine est bien connue. L'école est en effet, en Turquie, plus encore que dans tout autre pays, un instrument de propagande religieuse et nationale.

Ce ne sont pas seulement les communautés chrétiennes ottomanes qui ont multiplié les écoles. Nombre d'églises et d'institutions étrangères en ont fondé, tant dans les grandes villes que dans les localités de l'intérieur.

Les écoles ouvertes par les congrégations catholiques sont parmi les plus importantes ; la plupart d'entre elles constituent de précieux éléments de propagation de la langue française, qui est généralement la base de leur enseignement. Elles ont été les premières à répandre en Turquie l'usage du français, qui est devenu dans ce pays une sorte d'idiome commun entre les diverses nationalités, tout au moins dans les grandes villes. Elles ont, du reste, fait pénétrer l'usage courant du français jusque dans les régions les plus éloignées de l'Asie-Mineure, partout où réside une communauté arménienne catholique. Les établissements catholiques comprennent des écoles de tous les degrés, depuis l'enseignement supérieur, représenté par l'Ecole de médecine de Beyrout, jusqu'à de modestes écoles primaires de village.

La communauté israélite ottomane, très nombreuse surtout dans certains villes telles que Constantinople, Salonique, Smyrne, Bagdad, possède également d'importantes écoles dirigées et subventionnées par l'Alliance israélite universelle. Le français est la base de l'enseignement de ces écoles, qui contribuent d'une manière chaque jour plus importante à vulgariser notre langue.

De nombreux établissements laïques français participent à cette oeuvre. La Mission laïque française s'est consacrée depuis l'année 1905 au développement de l'enseignement laïque en Turquie. Elle a fondé à Salonique un lycée, une école commerciale, des cours secondaires de jeunes filles et une école primaire ; elle dirige un établissement d'enseignement à Beyrout, et subventionne plusieurs écoles laïques.

L'Alliance française se consacre depuis longtemps à la propagation de la langue française en Turquie : dans chaque ville d'une certaine importance, elle possède des comités locaux dans lesquels beaucoup d'Ottomans et même d'étrangers collaborent à cette oeuvre avec les membres de nos colonies. Un très grand nombre d'écoles de toutes sortes reçoivent de l'Alliance française des subventions destinées à encourager l'enseignement du français.

La plupart des puissances européennes ayant des intérêts commerciaux et politiques en Turquie se sont également efforcées de répandre leur langue dans ce pays, et de nombreuses écoles de langues diverses sont soutenues soit par des associations nationales, soit par les gouvernements eux-mêmes.

Le gouvernement italien a fondé en Turquie plusieurs établissements d'enseignement secondaire et un assez grand nombre d'écoles primaires, qui sont des établissements officiels et dont les directeurs et professeurs sont à la nomination du ministre de l'instruction publique d'Italie. La Société Dante Alighieri groupe les colonies italiennes pour une oeuvre de propagation de la langue italienne analogue à celle de l'Alliance française pour la propagation du français.

Des écoles de langue allemande ont été fondées dans la plupart des grandes villes par les colonies allemandes et autrichiennes, et sont subventionnées par les gouvernements d'Allemagne et d'Autriche.

Enfin des missions américaines et anglaises, et des sociétés privées de ces deux nationalités, ont fondé de nombreux établissements scolaires de langue anglaise. Le plus important de ces établissements est le Robert Collège, installé dans la banlieue de Constantinople. Les missions américaines sont surtout répandues en Arménie ; on en trouve également quelques-unes parmi les Bulgares de Macédoine.

D. Statistique générale de 1908. — Nous donnons ci-après la dernière statistique (1908) des établissements scolaires de Turquie qui ait été dressée par le ministère de l'instruction publique ottoman ;

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Un pourra trouver des renseignements statistiques plus détaillés concernant les écoles non musulmanes dans les publications officielles des divers patriarchats, dans le Bulletin de l'Alliance israélite universelle, dans celui de l'Alliance française, et dans les publications des diverses sociétés étrangères entretenant des écoles en Turquie.

[Le présent article a été rédigé en utilisant l'article Turquie de la première édition du Dictionnaire, écrit par M. J. PREUX, professeur à l'Ecole des langues orientales, et en le complétant par des communications dues à l'obligeance d'un Français qui réside à Constantinople.]