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Turgot

Né en 1727, à Paris, mort en 1778, Turgot n'a pas seulement joué un rôle considérable dans l'administration et le gouvernement de notre pays, comme intendant à Limoges, comme ministre et contrôleur général : il a été aussi un philosophe, le maître de Condorcet, « un penseur — a-t-on dit avec raison — qui représente le dix-huitième siècle d'une manière éminente, parce qu'il commence déjà à le dépasser » (MASTIER, Turgot, sa vie et sa doctrine, Paris, 1862).

Economiste distingué, il a accompli des réformes importantes dans le domaine du commerce, de l'agriculture et de l'industrie, et, quoiqu'il n'ait pas porté ses vues sur l'organisation d'un enseignement pratique et professionnel, il a mérité, par son zèle pour le progrès économique, qu'on plaçât de notre temps sous le patronage de son nom les écoles qui, comme l'école Turgot à Paris, préparent aux carrières industrielles.

En matière de pédagogie, Turgot semble ne s'être préoccupé que de l'établissement d'une éducation véritablement nationale, fondée sur la morale et la raison, en dehors de toute doctrine religieuse, d'une éducation laïque en un mot. Destiné d'abord lui-même à l'état ecclésiastique, il avait quitté les ordres à l'âge de vingt-cinq ans, et il a conçu pour l'éducation française une évolution analogue à celle de sa propre existence.

L'instruction religieuse lui paraissait insuffisante pour former des citoyens : « La preuve, disait-il à Louis XVI, dans un de ses Mémoires au Roi, que cette instruction ne suffit pas pour la morale à observer entre les citoyens et surtout entre les différentes associations de citoyens, est dans la multitude de questions qui s'élèvent tous les jours, où Votre Majesté voit une partie de ses sujets demander à vexer l'autre par des privilèges exclusifs, de sorte que votre Conseil est forcé de réprimer ces demandes, de proscrire comme injustes les prétextes dont elles se colorent».

En conséquence, il proposait au roi la création d'un Conseil de l'instruction nationale, qui devait avoir sous sa direction les académies, les universités, les collèges et les petites écoles. L'institution de ce Conseil, auquel Turgot attachait une extrême importance, aurait eu pour résultat de soumettre toutes les parties de l'enseignement à des règles uniformes, et surtout de diriger l'éducation « dans des vues nationales et publiques ».

Comme les parlementaires de ce temps-là, Turgot a donc désiré et proposé l'établissement d'une véritable Université nationale, s'étendant sur le territoire tout entier et à tous les degrés de l'instruction. Il demandait avec insistance que le premier enseignement qui y fût donné consistât dans la morale civique. « L'étude des devoirs du citoyen doit être le fondement de toutes les autres études. » Ces études elles-mêmes devaient être rangées « dans l'ordre d'utilité dont elles peuvent être à la patrie ». Faire des citoyens, tel est le but essentiel de l'éducation. « Il est étonnant, dit-il, que cette science soit si peu avancée. Il y a des méthodes et des établissements pour former des géomètres, des physiciens, des peintres, il n'y en a pas pour former des citoyens. »

Citons encore ce passage des Mémoires au Roi : « Votre royaume, sire, est de ce monde. Sans mettre aucun obstacle aux instructions dont l'objet s'élève plus haut, et qui ont déjà leurs règles et leurs ministres, je crois ne pouvoir rien vous proposer de plus avantageux pour votre peuple que de faire donner à tous vos sujets une instruction qui leur manifeste bien les obligations qu'ils ont à la société et à votre pouvoir qui les protège, les devoirs que ces obligations leur imposent, l'intérêt qu'ils ont à remplir ces devoirs pour le bien public et le leur propre. »

Pour atteindre ce but, Turgot réclamait « des livres faits exprès, au concours, avec beaucoup de soin ». Il plaçait un maître d'école dans chaque paroisse, pour les enseigner aux enfants, « avec l'art d'écrire, de lire, de compter de toiser, et les principes de la mécanique ». Une instruction plus savante, et qui embrasserait progressivement les connaissances nécessaires aux citoyens dont l'état exige des lumières plus étendues, serait donnée dans les collèges, mais toujours d'après les mêmes principes, plus développés, selon les fonctions que le rang des élèves les met à portée de remplir dans la société.

Tels étaient les projets de Turgot. Il n'avait pas tort de dire que dix ans de cette instruction nationale et patriotique suffiraient pour rendre la nation française méconnaissable. La Révolution a recueilli ses idées, et nous les appliquons aujourd'hui.

Gabriel Compayré