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Théâtre d?éducation

La forme dramatique plaît à l'imagination des enfants. Elle contente leur curiosité, leur amour du mouvement. Action cl dialogue, n'est-ce pas l'essence de la plupart de leurs jeux? Qui n'a vu une petite fille converser avec sa poupée? de jeunes garçons mettre en scène le récit ou la lecture de la veille? Qui n'a joui, au spectacle des marionnettes, de ces gaîtés épanouies? Oui n'a vu, au retour, des tentatives d'imitation et de naïves ébauches?

Les éducateurs ne pouvaient manquer de s'emparer de ces dispositions naturelles ; et cela date de loin.

On trouve dans notre vieux théâtre des scènes où se trahit la volonté de parler à la jeunesse par la voix: des personnages. Dans le Vieil Testament (au vers 9401), Abraham et Sarah donnent au petit Isaac une double leçon de catéchisme. Dans le miracle de Saint Jean Chrysostome, le petit Jehan, recueilli par un prêtre charitable, est mené vers l'empereur et conduit aux écoles : « Car il est de si bonne cole, ? qu'il apprendra tant qu'on voudra, ? et c'est par quoi mieux il vaudra ? toute sa vie ». Ce dessein est plus apparent encore dans le miracle de Saint Pantaléon. Le jeune Pantaléon, fils du sénateur Estor, se trouvant « très appert », est mis en apprentissage, dès l'âge de quinze ans, chez maître Morin le médecin : « C'est des mires le meilleur maître ». Les premières scènes nous font assister à ses études médicales : on y trouve le programme et le type d'une vie d'étudiant en médecine au quinzième siècle. (Cf. Collection des anciens textes français, chez Didot.)

Depuis la Renaissance, dans les collèges de l'ancienne université, on jouait, aux solennités scolaires, des tragédies composées par le poète attitré de la maison. Au collège de Guyenne, dont Montaigne fut élève, les maîtres sont tenus de composer « harangues, dialogues et comédies ». Montaigne ne se souvenait pas sans plaisir (Essais, I, 25) d'avoir joué les principaux rôles « ès tragédies latines » de Buchanan et de Muret. A Paris, l'usage fut maintenu jusqu'au rectorat du bon Rollin, lequel jugea l'oeuvre tragique trop ambitieuse et y substitua de simples pièces de vers latins (Traité des Etudes, IV). N'obéissait-il pas un peu à l'inspiration janséniste?

Les congrégations enseignantes eurent aussi leur théâtre scolaire. Le sévère Oratoire admet la tragédie, les Jésuites admirent la comédie et le ballet à côté de la tragédie, au contraire de Port-Royal qui se refusa toujours à des jeux par lui condamnés.

Les représentations dramatiques, dans les collèges de la Société de Jésus, avaient un grand éclat. Elles revenaient deux fois par an, aux fêtes du carnaval, à la distribution des prix. A Paris, au collège de Clermont (plus tard Louis-le-Grand), le roi, les princes ne dédaignaient pas d'y assister. Louis XIV, âge de douze ans, voulut y voir la représentation d'une Suzanne chrétienne, du P. Jourdain. Il y retourna plus tard, notamment le 6 août 1698 pour un Charlemagne (en latin, comme la pièce de Suzanne), et l'affiche lui donne le titre de président des jeux (rege agono-thetâ). Les Jésuites faisaient jouer à leurs élèves tragédies et comédies, même des ballets. L'un d'eux avait pour sujet la Conquête de la Toison-d'or. Un autre était tiré d'une harangue latine du P. Porée, le Théâtre, école de vertu : c'était un ballet pédagogique et moral.

Les Jésuites poursuivaient en cela un triple but : former leurs élèves au beau débit, aux belles manières ; les moraliser par la poésie ; attirer aux fêtes scolaires tout ce qu'avaient d'illustre la cour et la ville.

Quand Mme de Maintenon fonda Saint-Cyr, elle emprunta d'abord le procédé des Jésuites. Racine fut le poète de la maison. Il débuta par la tragédie enchanteresse d'Esther (1689). On en sait le succès ; six représentations (Mme de Sévigné assistait à la dernière et nous l'a contée) n'épuisèrent pas le triomphe des jeunes actrices ni l'enthousiasme de la cour. Il fallut bien vite en rabattre. On s'émut, les scrupules s'éveillèrent, et la prudente directrice se hâta de tout faire rentrer dans l'ombre et le silence. Athalie (1691) fut jouée sans costumes, devant le roi et quelques personnes de son intimité. Le théâtre d'éducation à Saint-Cyr était victime de son trop grand éclat. N'importe, il avait donné deux chefs-d'oeuvre à la France.

Racine eut pour successeur Duché, qui s'employa à des adaptations de la Bible, et Mme de Maintenon elle-même. Les Conversations et les Proverbes spécialement composés par elle pour les jeunes filles de Saint-Cyr sont un rare mélange du goût le plus fin et de la raison la plus solide. De théâtre, il y en entre aussi peu que possible ; ni action, ni passion ; mais des entretiens pleins de grâce, de sel et de cet enjouement sérieux qui est le propre de son esprit. Ce sont des peintures de caractères, des définitions morales, des thèses d'éducation développées en quelques scènes, avec beaucoup de charme et d'agrément. Le roi s'y plaisait, et cinquante ans plus tard, quand Walpole visita Saint-Cyr, on lui en fit la surprise.

Au dix-huitième siècle, dans les collèges de Jésuites, malgré les prohibitions et les censures, les représentations dramatiques étaient dans toute leur gloire. Deux poètes s'y firent un nom : ce sont les PP. Porée et Du Cerceau, auteurs tous deux d'un répertoire d'éducation. Outre les tragédies, on a du premier cinq comédies en prose, le Joueur, le Paresseux, l'Homme de plaisir, l'Aveuglement d'un père, les Vocations forcées. Le Joueur est la plus gaie de ces pièces et la mieux conduite, grâce à Regnard, de qui l'auteur s'inspire assez heureusement. Les Vocations forcées sont la plus curieuse par le sujet: c'est la critique directe des pères qui font de leurs enfants de mauvais magistrats et de mauvais prêtres.

On trouve aussi dans Du Cerceau de la morale à l'adresse des parents. Ce Père, contemporain de Porée, enchérit sur lui : ses comédies sont en vers français, souvent négligés, parfois agréables et faciles. Deux pièces méritent d'être signalées : Le faux duc de Bourgogne, qui est le même sujet que celui de Sancho Pança dans son gouvernement de l'île de Barata-ria, et puis Esope au collège (1714). Un mot de cette dernière.

Le poète suppose que Xanthus affuble Esope son esclave d'une robe de régent et lui donne autorité sur les écoliers du collège de Samos. D'abord accueilli par des risées, Esope n'est pas long à se faire écouter, il use du pouvoir des fables. On voit d'ici le procédé : chaque leçon donnée par Esope se déguise sous un apologue. Par malheur, la plupart de ces fables sont médiocres de forme ; le plus fâcheux, c'est que l'auteur ne craint pas de refaire les propres fables de La Fontaine.

La première leçon d'Esope est caractéristique. Il s'agit d'une leçon de finesse et de diplomatie. Il y a des cas où le plus sûr est de ne dire ni oui ni non, témoin Le renard à la cour du lion :

Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,

Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,

Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.

Ainsi conclut La Fontaine (Liv. VII, fable 7), et le jésuite Du Cerceau, empruntant le précepte, propose le renard pour modèle :

Belle leçon, messieurs ; imitez ce qu'il fit.

Quelques principes de pédagogie ressortent des scènes suivantes. Avant tout, Esope veut qu'on étudie les naturels d'enfants, afin de les manier plus sûrement. Il défend de brusquer, d'attaquer de front les défauts trop enracinés : il est pour la tactique et les mouvements tournants. Un père lui amène son fils, le jeune Clinias, qu'il a surpris les dés en mains : c'est un joueur en herbe. « Qu'on lui rende le cornet et les dés », dit Esope, et, se faisant provoquer au jeu par le jeune Clinias, il le dépouille de son argent et d'une partie de ses vêtements. La scène est amusante: mais la morale est à deux tranchants. L'idée que Clinias pouvait être le gagnant et dépouiller Esope se présente nécessairement à l'esprit et n'est pas sans péril. Car de supposer que les dés sont pipés et qu'Esope gagne à coup sûr, c'est de toutes les hypothèses la moins acceptable.

Il y a quelques bons vers dans cette pièce. En voici deux qui font honneur à Du Cerceau :

Mais dans cette jeunesse

J'envisage la fleur et l'espoir de la Grèce.

Notons un personnage nommé Polymathès, type du précepteur qui ne cultive que la mémoire et fait de son élève un perroquet. Le personnage ne passa pas sans réclamation. On accusa la Compagnie de décrier ses rivaux et de se faire la part belle. Il est vrai que les méthodes des Pères y sont célébrées en ces termes :

Vous savez comme on vit en ces lieux :

Pour former la jeunesse on y fait de son mieux.

On n'épargne aucun soin, on y met en usage

Tout ce que la raison peut dicter de plus sage.

N'omettons pas de rappeler qu'en 1735, Voltaire faisait représenter au collège d'Harcourt sa tragédie de la Mort de César (rejouée sept ans plus tard au collège Mazarin), « pièce de ma façon, dit le poète, toute propre pour un collège où l'on n'admet pas de femme sur le théâtre ».

Il y avait donc, par le fait des collèges et par celui de Mme de Maintenon, un théâtre d'éducation en France. Mme de Genlis, qui inventa le titre, crut inventer la chose. Son recueil se compose de pièces bibliques et de pièces profanes en prose. Leur mérite ne vaut pas leur ancienne réputation. Les meilleures scènes sont gâtées par la déclamation philosophique à la Jean-Jacques, la sensiblerie, le romanesque. Ni naturel, ni simplicité. Ces défauts se font surtout sentir dans les pièces bibliques. Dans celle d'Agar, la mère d'Ismaël débite en plein désert d'Arabie Pétrée des maximes venues de l'Emile : « L'auteur de la nature n'a rien fait que de bon ; nous lui devons toutes nos vertus, et nos vices sont notre ouvrage ». Plus bas, une page sur l'amour-propre semble une réminiscence de La Rochefoucauld. Dans Joseph, sujet simple et naïf s'il en fut, l'auteur avertit qu'il a supposé «une petite intrigue », pour rendre le caractère de Joseph « plus brillant ». Encore un raisonneur et un philosophe, ce Joseph, lorsqu'il invoque » le voeu de la nature, l'opinion publique, la raison, le préjugé ». De quels yeux Mme de Genlis avait-elle lu Esther et Athalie ?

Il y a plus d'intérêt, de naturel et de vérité dans le théâtre de Berquin. L'Ami des enfants les peint tels qu'il les voit, avec leurs défauts dont pas un ne trouve grâce à ses yeux, avec leurs qualités qu'il n'exagère pas d'une manière choquante. L'action de ses pièces est' souvent ingénieuse et attachante, les caractères sont conséquents et bien tracés, le dialogue est vif et bien conduit. Les pères et les raisonneurs sont dans leur rôle, un peu sermonneurs, un peu sentencieux. Berquin excelle à peindre les personnages de soeurs aînées, types de bonnes conseillères et de providences du foyer. Il ne s'est pas confiné dans le monde enfantin. Ses scènes de la vie rurale et de la vie militaire ont de la vérité, du mouvement, et il en est de même de quelques scènes empruntées à l'histoire anecdotique. Les honnêtes gens sont en majorité chez lui, sans qu'il aille jusqu'à exclure le personnage des coquins et des fripons.

Celui-ci est ordinairement dévolu au bailli, ce traître de la vie de village, ce bouc émissaire de l'ancien régime. Il n'a mis qu'un magister en scène et il l'a fait ridicule : il ne semble pas qu'il ait pressenti la dignité de la fonction. Il tire volontiers ses acteurs des rangs de la noblesse et de la haute bourgeoisie, sans dédaigner pour cela les humbles de la ville et des champs : il s'est complu à reproduire d'honnêtes figures de paysans et de serviteurs. Inspiré par l'esprit qui souffle à la veille de 1789, il tend à rapprocher les classes. Une de ses meilleures scènes est celle où le petit villageois Mathieu se montre supérieur en bon sens, en courage et en bonté au vaniteux Valentin (La Vanité punie). Bref, la lecture de Berquin ne serait pas sans charme, si l'abus du sentiment, des sentences et d'une certaine naïveté trop prodiguée ne gâtait parfois ses meilleures pages.

On semble délaisser maintenant une forme illustrée par Racine et Mme de Maintenon. Nous n'avons pas de nos jours de théâtre d'éducation comparable à ceux des deux derniers siècles. Les écrivains attitrés de la jeunesse, les charmants conteurs qu'on nomme Mme Colomb, MM. Jules Verne, Girardin, et d'autres, ont préféré le récit tout simple et tout uni. Le Théâtre du Petit-Château de Jean Macé, Pour la patrie, par Mme d'Houdetot, sont des tentatives presque isolées. Il nous semble pourtant qu'en puisant dans l'histoire, en peignant l'enfance des grands hommes, on trouverait matière à de nouveaux tableaux. L'oeuvre mériterait d'être essayée.

Ouvrages à consulter : ERNEST BOYSSE, La Comédie au collège (1870) ; ? EMOND, Histoire du lycée Louis-le-Grand ; ? GAULLIEUR, Histoire du collège de Guyenne (1874) ; ? ABRAHAM DREYFUS, Le théâtre au séminaire (18823) ; ? Divers auteurs : Monographies de collèges ou universités avant 1789, etc.

Hippolyte Durand