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Technique (enseignement)

I. Définitions et caractères.? On entend par enseignement technique l'enseignement qui a principalement pour objet l'étude théorique et pratique des sciences et des arts ou métiers, en vue de préparer aux différentes carrières du commerce et de l'industrie.

Cet enseignement présente trois caractères essentiels qui le différencient de l'enseignement dit général ou classique. D'une part, la place prépondérante y est réservée aux travaux pratiques de l'atelier, du laboratoire ou du bureau commercial. D'autre part, les études théoriques qu'il comporte y sont nettement orientées vers les applications pratiques. Et enfin ses programmes, tout en ayant une base commune, varient profondément suivant les besoins particuliers de chaque région ou de chaque localité.

L'enseignement technique paraît ainsi viser un but purement utilitaire, et ceux qui s'en tiennent aux apparences le lui ont vivement reproché. Il ne suffit pas, a-t-on dit, de former des praticiens ; il faut aussi former des hommes, et les connaissances positives n'y suffisent pas.

Cette critique, qui a été souvent formulée, ne nous semble pas fondée. Outre que l'enseignement technique fait une part non négligeable dans ses programmes aux matières d'enseignement général, il est incontestable que l'apprentissage méthodique d'une profession contribue par lui-même à la culture générale et au développement des qualités intellectuelles et morales des futurs commerçants «ut industriels. « J'ai vu. écrit à ce sujet M. Millerand, dans une école pratique de commerce, une installation du cours de quatrième année qui m'a vivement frappé. La salle est divisée en boxes grillagés comme les guichets d'une banque ou d'un bureau de poste ; au-dessus de chaque guichet, une plaque où se lit « Maison française », « Maison allemande », « Maison italienne », etc. Chaque maison fait toutes les opérations auxquelles, dans la réalité, elle devrait procéder : elle constitue une société, elle rassemble le capital social ; elle achète ses matières premières ; elle frète le navire qui les lui apportera ; elle se préoccupe de trouver des débouchés, d'assurer le paiement de ses créances, de couvrir ses frais, de faire face à ses dettes. Eh bien, j'imagine qu'à la fin d'une année remplie par des exercices de ce genre, l'élève qui les aura pratiqués avec soin n'aura pas seulement acquis les connaissances professionnelles utiles à un futur commerçant : il aura, par surcroît, singulièrement développé ses qualités personnelles de réflexion, de prudence, d'initiative ; même si les hasards de la vie devaient l'écarter de la carrière commerciale pour l'engager dans une autre, il aura tiré de l'enseignement technique un profit durable. »

La nécessité de l'enseignement technique avait déjà été reconnue, sous l'ancien régime, par Richelieu, qui écrivait dans son Testament politique : « Comme la connaissance des lettres "est tout à fait nécessaire dans une république, il est certain qu'elles ne doivent pas être indifféremment enseignées à tout le monde ; . autrement le commerce des lettres bannirait absolument celui des marchandises, qui comble l'Etat de richesses, et ruinerait l'agriculture, vraie mère et nourricière des peuples. C est par ces considérations que les politiques veulent à un Etat, bien réglé, plus de maîtres ès arts mécaniques que de maîtres ès arts libéraux.» Au dix-huitième siècle, quelques écoles techniques furent créées, surtout en vue d'enseigner l'apprentissage d'un métier : l'Ecole industrielle de Saint-Yon, près Rouen, par J.-B. de La Salle, l'école de Liancourt (Oise) par le duc de La Rochefoucauld, etc.

Ces tentatives devaient rester isolées. Les plus grands ministres de l'ancien régime, notamment Colbert, considéraient que le seul moyen de sauvegarder la prospérité du commerce et de l'industrie nationale consistait à frapper de droits de douane protecteurs ou même prohibitifs les marchandises étrangères. Quant aux ouvriers, leur instruction professionnelle était assurée par les conditions rigoureuses que les corporations avaient établies pour leur apprentissage.

Mais quand la Révolution française eut proclamé le principe de la liberté du travail, le développement merveilleux du commerce et de l'industrie qui en fut la conséquence, et la transformation profonde qu'opérèrent les inventions scientifiques dans la production, dans les échanges, dans les relations internationales, nécessitèrent un nouveau système d'enseignement pour répondre à ces besoins nouveaux.

La Révolution française créa, le 19 vendémiaire an III, le Conservatoire national des arts et métiers, dans lequel on devait « expliquer l'emploi des machines et outils utiles aux arts et métiers ». Puis furent successivement créées, depuis le commencement du dix-neuvième siècle, les Ecoles nationales d'arts et métiers, l'Ecole centrale des arts et manufactures, les Ecoles supérieures de commerce, les Ecoles pratiques de commerce et d'industrie, les Ecoles nationales professionnelles, et en même temps des écoles techniques libres et des cours professionnels dus à l'initiative privée. Ces écoles et ces cours prennent chaque jour une extension plus considérable. Nous allons exposer leur situation actuelle : on trouvera l'historique des diverses écoles techniques aux articles qui les concernent. Voir, notamment, Conservatoire national des arts et métiers ; Centrale des arts et manufactures (Ecole) ; Commerce (Ecoles supérieures de) ; Liancourt (Ecole de) ; Prytanée français ; Pratiques de commerce et d'industrie (Ecoles) ; Professionnelles (Ecoles nationales).

II. Organisation actuelle de l'enseignement technique. ? L'enseignement technique comprend actuellement : 1° des écoles de l'Etat ; 2° des écoles libres ; 3e des cours professionnels du soir et du dimanche.

Ecoles dépendant de l'Etat. ? Ces écoles sont placées, en très grande majorité, sous l'autorité du ministre du commerce et rattachées à la direction de l'enseignement technique. Le ministre est assisté du Conseil supérieur de l'enseignement technique et du comité d'inspection, qui sont appelés à donner leur avis sur les questions qui intéressent cet enseignement. L'inspection des écoles est assurée : 1° par des inspecteurs généraux et des inspectrices générales, qui sont des fonctionnaires de l'Etat : 2° par des inspecteurs régionaux et des inspecteurs départementaux, fonctionnaires bénévoles, qui sont choisis parmi les commerçants, les industriels ou les personnes désignées par leur compétence professionnelle.

L'enseignement technique donné dans les écoles de l'Etat peut se diviser en enseignement supérieur, enseignement moyen, et enseignement du premier degré.

Les écoles d'enseignement technique supérieur comprennent le Conservatoire national des arts et métiers, l'Ecole centrale des arts et manufactures, l'Ecole des hautes études commerciales, les Ecoles supérieures de commerce reconnues par l'Etat, et l'Ecole supérieure pratique de commerce et d'industrie de Paris.

Les écoles d'enseignement technique moyen comprennent les Ecoles nationales d'arts et métiers, actuellement au nombre de six, les Ecoles nationales d'horlogerie de Cluses et de Besançon, et les Ecoles professionnelles de la Ville de Paris (Ecole municipale de physique et de chimie industrielle, Ecoles municipales de dessin Germain Pilon et Bernard Palissy, Ecole d'ameublement ou Ecole Boulle, Ecole Dorian, Ecole Diderot, Ecole du Livre ou Ecole Estienne).

Les écoles d'enseignement technique du premier degré comprennent les écoles nationales professionnelles et les écoles pratiques de commerce et d'industrie.

Les écoles dépendant du ministère du commerce ne sont pas les seules qui distribuent l'enseignement technique. Les universités ont également créé des écoles spéciales affectées à certaines branches de l'industrie : nous citerons à cet égard l'Ecole de chimie industrielle et l'Ecole de tannerie annexées à l'université de Lyon, l'Ecole de brasserie annexée à l'université de Nancy, et l'Institut électro-technique annexé à l'université de Grenoble. D'autre part, le ministère de l'instruction publique a organisé dans les écoles primaires supérieures des sections spéciales d'enseignement professionnel agricole, commercial et industriel.

Ecoles techniques privées. ? De nombreuses écoles techniques ont été créées, soit par les municipalités, soit par l'initiative privée, dans le cours du dix-neuvième siècle. Nous citerons notamment : à Lyon, l'école La Martinière (Voir Martinière), l'Ecole centrale lyonnaise qui a pour but de former des ingénieurs civils et des directeurs d'usines pour les diverses branches de l'industrie, et l'Ecole municipale de tissage et de broderie ; ? dans la région du Nord, l'Institut industriel du Nord, l'Ecole municipale de filature et de lissage de Lille, l'Ecole municipale de tissage de Sedan, l'Institut technique de Roubaix et l'Ecole industrielle de Tourcoing ; ? dans la région du Sud, l'Ecole Rouvière de Toulon pour les mécaniciens de la flotte ; ? dans la région de l'Est, l'Ecole industrielle des Vosges, l'Ecole professionnelle de l'Est à Nancy. l'Ecole française de bonneterie à Troyes, l'Ecole Schneider au Creusot, etc., etc.

Cours professionnels. ? Les cours professionnels du soir et du dimanche sont extrêmement nombreux, et l'on peut affirmer qu'à l'heure actuelle il n'existe pas de place de commerce ou d'industrie dans laquelle ces cours fassent défaut.

Ces cours sont créés soit par des sociétés d'enseignement populaire, soit par des syndicats patronaux ou ouvriers, soit par les Bourses du travail : ils sont en général subventionnés par le ministère du commerce.

Les cours professionnels les plus importants sont : à Paris, les cours d'adultes hommes et femmes organisés par la Ville, et les cours de l'Association philotechnique et de l'Association polytechnique, ? à Lyon, les cours de la Société d'enseignement professionnel du Rhône, ? à Bordeaux, les cours de la Société philomathique, ? dans le Nord, les cours de la Société industrielle d'Amiens et de la Société industrielle de Saint-Quentin et de l'Aisne.

III. Le problème de l'apprentissage : renseignement professionnel obligatoire. ? En ce qui concerne le degré supérieur et le degré moyen, notre enseignement technique répond largement aux besoins du commerce et de l'industrie nationale. Quels que soient les progrès qui ont été réalisés à cet égard par les pays étrangers et notamment par l'Allemagne, il est certain que notre Conservatoire des arts et métiers, notre Ecole centrale des arts et manufactures, nos Ecoles nationales d'arts et métiers, nos Ecoles supérieures de commerce sont de valeur au moins égale aux grandes écoles industrielles et commerciales de l'Allemagne, et que les ingénieurs ou les chefs de maison qu'elles forment peuvent rivaliser d'instruction et de savoir technique avec les ingénieurs ou les chefs de maison, plus ou moins docteurs, qui sortent des écoles allemandes.

Au premier degré, au contraire, c'est-à-dire en ce qui concerne les ouvriers et les employés, notre enseignement technique, tel qu'il est organisé, est absolument insuffisant.

On compte actuellement environ 900 000 jeunes gens ou jeunes filles de moins de dix-huit ans employés dans le commerce ou dans l'industrie. Sur ce nombre, il en est à peine 100 000 qui fréquentent les écoles techniques du premier degré ou qui suivent réellement les cours professionnels du soir ou du dimanche. Les autres, la grande majorité, ne reçoivent aucun enseignement qui les prépare à l'exercice intelligent de leur métier. Et cependant cet enseignement n'a jamais été aussi nécessaire qu'aujourd'hui.

Un problème a surgi qu'il est urgent de résoudre, le problème de l'apprentissage. On ne forme plus d'apprentis, tel est le cri qui s'élève de toutes parts. L'apprentissage n'existe plus que de nom dans un grand nombre d'industries : trop souvent, l'enfant qui entre à l'atelier est immédiatement confiné dans une tâche parcellaire dont il ne sort plus ; trop souvent aussi il est employé à des besognes domestiques ou autres qui n'ont rien de commun avec sa profession. En un mot, il apprend son métier au hasard, au petit bonheur, quand il peut et comme il peut. De là, l'abaissement de la capacité professionnelle de l'ouvrier, qui risque ainsi de rester toute sa vie un vulgaire manoeuvre. De là aussi la décadence de certaines industries qui ne peuvent plus recruter les employés et les ouvriers qualifiés dont elles ont besoin.

Nos rivaux étrangers n'ont pas attendu ce jour pour comprendre le péril et chercher les moyens d'y remédier. Les uns, comme l'Angleterre, la Belgique et les Etats-Unis d'Amérique, ont développé dans des proportions considérables leurs écoles techniques et leurs cours professionnels. Les autres, comme l'Allemagne et certains cantons suisses, sont allés plus loin : ils ont édicté, à côté et comme complément de l'enseignement primaire obligatoire, l'obligation de l'enseignement professionnel pour les apprentis, et, grâce à cette obligation nouvelle, ils sont arrivés à former une armée d'ouvriers et d'employés dont la solide instruction professionnelle a puissamment contribué à l'essor industriel et à l'expansion commerciale de ces pays.

En France, la question est encore pendante. Un projet de loi, qui constitue la charte organique de l'enseignement technique et qui établit, à l'exemple de la législation allemande, l'enseignement professionnel obligatoire pour les apprentis, a été déposé par le gouvernement à la date du 13 juillet 1905 : il est inscrit actuellement à l'ordre du jour de la Chambre des députés ; mais il n'a pas encore été discuté.

Émile Cohendy