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Tastu (Mme)

Sabine-Casimir-Amable Voïart, qui devint Mme Tastu, est née à Metz, en août 1798, et morte à Paris en janvier 1885. M. Voïart, son père, ex-administrateur des vivres à l'armée de Sambre-et-Meuse, et sa belle-mère, Elisabeth Petitpoin, cultivaient les belles-lettres. Son mari, M. Tastu, était imprimeur. Ces circonstances favorisèrent sa vocation littéraire. Elle débuta par la poésie. Son poème les Oiseaux du Sacre, composé à l'occasion du sacre de Charles X, n'a rien de la banalité des pièces de circonstance : l'originalité en fut remarquée. D'autres poèmes, composés à divers intervalles, classent Mme Tastu à un rang distingué parmi les poètes de second ordre du dix-neuvième siècle. Ils valent par la grâce, l'harmonie, l'aisance et une grande pureté de style.

Ce n'est pas, toutefois, cette partie de son oeuvre qu'on se propose d'étudier ici, mais bien ses ouvrages sur l'éducation. Mme Tastu songea à ses enfants avant de songer au public, et c'est vraiment la mère de famille qui, chez elle, tient la plume. Son principal ouvrage parut en 1836, par livraisons mensuelles, et sous ce titre justifié : Education maternelle, simples leçons d'une mère à ses enfants. Sainte-Beuve a dit de ce livre : « J'admire tout ce que l'auteur a su y faire entier de notions élémentaires, précises, senties, même agréables en tout genre. » Il ajoute que l'ouvrage eut le plus grand succès. en Russie. « En quoi, dit-il, les Russes ont fait preuve de goût. » Revenons donc brièvement silices pages qui contribuèrent à répandre à l'étranger les méthodes et l'esprit français.

L'auteur s'adresse aux enfants de cinq à neuf ans, « c'est-à-dire à ceux, garçons ou filles, qu'on garde à la maison jusqu'à l'âge de les envoyer au collège et à la pension ». Premier trait à signaler : Mme Tastu n'admet à l'origine qu'une seule éducation, qu'un seul cours d'études commun aux garçons et aux filles. Second trait : elle en confie l'exécution à la mère de famille, dont elle veut bien se faire l'auxiliaire, mais qu'elle n'entend pas remplacer. Fournir des indications, tracer un cadre et des programmes, voilà son rôle : aux mères de faire le reste. « Comme Marie dans l'Evangile, toute mère, dit-elle, obéit à la voix qui lui crie : Le maître est là ! Le maître, pour elle, c'est l'intérêt de son enfant. »

Après une courte prière — car Mme Tastu fait volontiers appel au sentiment religieux — commence la première leçon d'alphabet. Le tour en est vif, et l'aridité de la matière n'en exclut pas l'attrait : « Y a-t-il ici un enfant qui ait envie de connaître ses lettres? J'ai quelque chose à lui montrer. Voici une page où se trouvent toutes les lettres grandes et petites. Avec ces lettres on peut écrire tous les mots qui existent : dans le plus gros livre du monde, il n'y a pas d'autres lettres que celles-là. Je vais les nommer. » Dans tout son livre, Mme Tastu a de ces commencements heureux, pleins d'une verve engageante et persuasive : on n'est pas poète impunément. Ici l’attrait se complète par l'exhibition d'une page d'images où les 24 lettres de l'alphabet sont figurées sous la forme de bêtes. Le procédé avait alors sa nouveauté : l'enfance n'avait pas encore été dotée par Stahl et par Froehlich de « l'alphabet de Mlle Lili ».

L'auteur n'est pas pressé d'arriver à la grammaire. Elle y vient à la 15e livraison, c'est-à-dire quand elle juge l'esprit de l'enfant suffisamment riche en notions acquises. La première leçon de grammaire est excellente et pourrait aujourd'hui encore, à quelques détails près, servir de modèle. Sur les sons composant les mots, et sur les mots signes de nos idées, Mme Tastu engage une causerie pleine de verve et d'intérêt. Les questions se succèdent, provoquent la réflexion et le raisonnement, aboutissent à l'évidence.

La dictée nous semble partir de plusieurs degrés trop haut. D'emblée elle nous transporte dans La Bruyère, Mme de Sévigné, J.-J. Rousseau. L'enjambée est forte pour de jeunes enfants.

Un poète ne pouvait manquer de faire sa part à la poésie. Elle fait donc apprendre des vers aux enfants. Les conseils que lui suggère l'exercice de récitation seront toujours de saison. « Sans vouloir qu'on fasse des enfants de petits perroquets, je crois qu'il est utile d'exercer de bonne heure la mémoire. Mais il ne faut pas en exiger des efforts trop grands. Faites apprendre à l'enfant deux vers ou quatre au plus ; tâchez qu'il les dise nettement, naturellement, en observant bien la ponctuation. Assurez-vous qu'il en a compris le sens, aidez-le à le trouver. » Méditez et appliquez ces conseils, maîtres de l'enfance : c'est de la pédagogie de tous les temps. Ecoutez encore de quelle façon ingénieuse elle explique, à propos de La Fontaine, le procédé du fabuliste et dégage la moralité du corps de la fiction : « Dans les fables, on fait agir et parler des plantes ou des animaux, quoiqu'on sache fort bien qu'ils ne parlent pas. et de cette manière on adresse une leçon indirecte au lecteur. Je vais tâcher de t'expliquer cela. Quand j'ai dit l'autre jour à ton petit chat : « Minet, il ne faut pas vous fâcher quand » on joue avec vous, mais bien vous prêter à la plaisanterie, comme un chat aimable et bien élevé, qui » ne montre point ses griffes en bonne compagnie, » autrement on vous mettrait à la porte », — crois-tu que j'imaginais que le chat me comprendrait? Non, tu penses que je disais cela pour rire. Mais j'avais encore une autre intention. Voyons si tu l'as devinée. — Je crois que vous disiez aussi cela pour moi, parce que je m'étais fâché quand mon oncle fit semblant de prendre mes joujoux. — Fort bien ; tu as compris qu'en ayant l'air de parler au chat, c'est à toi que je m'adressais, quoique je n'eusse pu te dire de rentrer tes griffés et de faire patte de velours. — Non, mais c'était comme si vous aviez dit qu'il ne fallait pas montrer mon humeur. — C'est cela même ; tu comprends donc qu'on emploie ainsi une chose pour en signifier une autre. Aussi à chaque fable que nous apprendrons, tu me diras toi-même quelle est la moralité que tu en lires. » Ce ton de conversation enjouée est celui de Mme Tastu dans tout le cours de son livre.

Mme Tastu accompagne de notes les fables qu'elle propose de confier à la mémoire des enfants. C'est la partie faible du livre : ces notes ont peu de portée, et on ne peut pas toujours les accepter de confiance.

Le choix des poésies autres que les fables fournit une indication sur le goût public en 1836 et sur ce qu'il permettait d'introduire, à cette date, dans le courant scolaire. Lamartine contribue pour une seule pièce, Brizeux pour deux fragments, Guiraud se présente escorté de son fidèle Petit Savoyard, Delavigne de sa Messénienne sur Jeanne d'Arc ; Mme Desbordes-Valmore et Mme Tastu fournissent nombre de jolies strophes. De Victor Hugo, de Béranger, de Vigny pas un seul vers. En revanche Delille, Ducis, Arnault, Léonard, Millevoye reviennent fréquemment, et avec eux des muses féminines dont le nom même nous est devenu étranger. Mme Tastu a pour elles des complaisances qui s'accommodent mal du précepte de Mme de Maintenon : « Ne laisser rien apprendre par coeur qui ne soit excellent ». Plus tard — hâtons-nous de le dire — Mme Tastu publia, sous le titre de Lectures pour les jeunes filles ou Leçons et modèles de littérature (2 volumes, 1840-1841), un recueil où la part faite aux poètes contemporains est autrement ample : l'horizon de l'auteur s'est élargi ; le mouvement de l'opinion et les conquêtes du goût public lui permettaient davantage.

L'histoire sainte figure sur le programme de Mme Tastu. Les récits qu'elle donne des temps bibliques sont précis et corrects, sans beaucoup de chaleur ni de coloris.

L'histoire de France est absente : encore un signe du temps. On sait que la loi de 1833 n'en rendait pas l'enseignement obligatoire. Il fallut attendre 1867 et le ministère de Victor Duruy pour combler cette lacune. Mais l'importance de l'enseignement historique et national n'échappait pas à Mme Tastu, car dans la même année qu'elle publiait son Cours maternel paraissait, sous son nom et sous les auspices de Guizot, ministre de l'instruction publique, un Cours d'histoire de France en deux volumes, sur un plan assez nouveau. La première partie, toute d'exposition, contient un judicieux abrégé des faits « d'après les historiens les plus dignes de foi». La deuxième partie présente un choix de lectures, tirées des chroniques et des mémoires, donnant le détail des moeurs, les traits de caractère, les scènes fameuses. Ce livre ingénieux et bien composé fait de Mme Tastu un prédécesseur de Raffy et de Mme de Witt : le rapprochement lui est honorable.

L'enseignement de la géographie n'est pas la meilleure partie du livre : l'auteur n'y évite pas la sècheresse et la banalité scolaires. Elle laisse tout à faire aux novateurs d'aujourd'hui.

Plus à l'aise sur le terrain du calcul et du système métrique, elle emprunte à Pestalozzi sa méthode, et, avec l'aide d'un disciple du maître (Boniface, saut erreur), elle communique à cette partie de l'ouvrage la vie et l'entrain qui en animent tant d'autres pages.

Mais où elle fait avec le plus de bonheur acte d'éducatrice, c'est dans la partie la moins didactique du livre, dans des Variétés et Récréations où son imagination de poète et son coeur de mère se donnent complaisamment carrière. Elle se révèle là véritable amie de l'enfance, véritable institutrice, et guide d'institutrice ; elle fait honneur à son temps et mérite le respect du nôtre. Sous le titre de Variétés, elle donne de véritables leçons de choses, bien appropriées et soigneusement mesurées. Il y a là sur les divisions du temps (année, saison, mois, semaine, jour et heure), sur les couleurs, etc., d'ingénieux développements que n'eût pas désavoués Mme Pape-Carpantier. L'article Récréations contient des historiettes amusantes et bien contées : nous citerons comme modèle du genre l'histoire de cette petite princesse qui se moquait de ceux qui ont faim et à qui son père lit faire la douloureuse expérience du jeûne.

Telles sont les qualités qui font de ce Cours d'éducation un livre bon à rappeler et utile à feuilleter ; nous avons trop de tendance à croire que nous inventons quand nous ne faisons que recommencer ou perfectionner.

Nous citerons, sans y insister, un certain nombre de récits composés pour la jeunesse par Mme Tastu entre les années 1840 et 1845 : Le bon petit garçon ou récits du maître d'école, historiettes morales ; L'Honnête homme, Voyage en France, etc.

Il faut dire un mot aussi du succès littéraire remporté par elle en 1840 : son Eloge de Mme de Sévigné obtint le prix d'éloquence au concours de l'Académie française. Bien pensé et sobrement écrit, ce discours place Mme de Sévîgné dans un bon jour. Sans doute, le goût actuel, devenu exigeant, réclamerait plus de recherches spéciales et d'étude ; disciple de Villemain en critique littéraire, comme elle l'est de Guizot en littérature historique, Mme Tastu applique le conseil : « Glissez, mortels, n'appuyez pas ». Elle marque avec netteté le caractère de l'aimable marquise, sa forte éducation classique qui déconcerte nos timidités modernes, sa philosophie pratique, ses relations, l'intérêt historique de ses lettres, « véritable journal de l'époque », le charme de son esprit et de son style : de ce dernier, elle fait sentir le goût et le bouquet par des citations habilement enchâssées. Il y a là un travail de rapport et comme de broderie qui est le triomphe de la délicatesse et de la dextérité féminines.

Terminons sur Mme Tastu par ce mot de Mme Desbordes-Valmore : « Son talent est sans une tache, comme sa vertu ».

Hippolyte Durand