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Taillandier

Alphonse-Honoré Taillandier, né à Paris en 1797, fils d'un avoué, fut reçu avocat en 1820, et collabora à plusieurs publications libérales, entre autres à la Revue encyclopédique. Après la révolution de Juillet, il fut nommé (septembre 1830) conseiller à la Cour royale de Paris, et élu député en juillet 1831. Membre zélé de la Société pour l'instruction élémentaire (il était, en 1831, l'un de ses secrétaires), et très occupé des questions d'éducation populaire, il fut nommé par la Chambre l'un des neuf membres de la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'instruction primaire présenté par le ministre, M. de Montalivet, le 24 octobre 1831, commission dont le rapporteur fut Daunou (Voir Daunou). La commission déposa le 22 décembre un contre-projet, dont la Chambre prononça l'ajournement. Le trait caractéristique de ce contre-projet était de donner à l'enseignement primaire un caractère essentiellement communal, et de ne pas placer la religion au nombre des matières du programme d'enseignement des écoles primaires : cet enseignement devait comprendre des « notions sur les droits et les devoirs sociaux et politiques » ; l'instruction religieuse devait être donnée, selon le voeu qu'auraient manifesté les parents, par les ministres des différents cultes.

L'année suivante, quatre députés : Taillandier, Eusèbe Salverte, Laurence, et Camille Eschassériaux, reprirent en leur nom personnel le projet de la commission de 1831 (17 décembre 1832) ; ce projet fut pris en considération et renvoyé à une nouvelle commission. Mais le 2 janvier 1833 Guizot, au nom du gouvernement, déposait un nouveau projet, et c'est celui-là qui, amendé par les Chambres, est devenu la loi du 28 juin 1833. Nous donnons ci-après le texte du projet des 22 décembre 1831 et 17 décembre 1832.

Non réélu député en 1834, Taillandier fit de nouveau partie de la Chambre de 1837 à 1842, et de 1843 à 1848. Après la révolution de Février, il devint membre de la Cour de cassation. Il est mort à Paris en 1867.

Exécuteur testamentaire de Daunou, il a écrit et fait paraître en août 1840, sans nom d'auteur, une Note sur la création de l'Institut, en réponse à une brochure intitulée Suum cuique par laquelle Lakanal, au lendemain de la mort de Daunou, avait revendiqué pour lui-même l'honneur d'avoir organisé l'Institut, Il a publié, sous le titre de Cours d'études historiques (20 volumes, 1842-1849), le cours d'histoire qu'avait professé Daunou au Collège de France, ainsi que des Documents biographiques sur Daunou (1841 et 1847).

Voici le texte du projet de loi dont il est question ci-dessus :

Projet de loi sur l'instruction primaire.

(22 décembre 1831 et 17 décembre 1832.)

TITRE Ier. — Dispositions générales. Comités cantonaux d'instruction primaire.

ARTICLE PREMIER. — L'enseignement donné dans les écoles primaires comprend : la lecture, l'écriture, les éléments de la langue française et du calcul, des notions sur les droits et les devoirs sociaux et politiques.

Selon les ressources et les besoins des localités, l'enseignement primaire pourra en outre comprendre le dessin linéaire, l'arpentage et d'autres notions élémentaires.

Les instituteurs seront tenus de veiller à ce que. selon le voeu qui aura été manifesté par les parents, les élèves reçoivent l'instruction religieuse des ministres des différents cultes.

ART. 2. — Les écoles primaires, privées ou communales, sont placées sous la protection et la surveillance de comités gratuits d'instruction primaire.

ART. 3. — Il y aura un comité gratuit d'instruction primaire par canton.

ART. 4. — Chaque comité sera composé :

1° Du maire du chef-lieu de canton, président ;

2° Du juge de paix ;

3° Des membres du Conseil général du département qui auront leur domicile réel dans le canton ;

4° Du curé cantonal et d'un ministre de chacun des cultes reconnus par la loi, qui résidera dans le canton et qui aura été désigné par son consistoire ;

5° De quatre autres citoyens choisis à cet effet par les maires réunis au chef-lieu pour la révision des listes électorales.

Le comité ne pourra délibérer quand la moitié de ses membres sera absente.

Toutes les délibérations seront transmises au préfet du département.

ART. 5. — A Paris, il y aura un comité par arrondissement municipal, et il sera composé du maire, du juge de paix et du curé de l'arrondissement, d'un ministre de chacun des autres cultes, désigné conformément aux dispositions de l'article 4, et de huit autres nommés par le Conseil général parmi les citoyens domiciliés dans l'arrondissement.

ART. 6. — Le préfet, ou le sous-préfet délégué par lui, pourra convoquer extraordinairement un comité cantonal pour se faire rendre compte de ses actes, et lui indiquer les améliorations dont les écoles primaires du canton paraissent susceptibles.

TITRE II. — Ecoles primaires libres ou privées.

ART. 7. — Tout citoyen ou toute réunion de citoyens qui se proposera de fonder une école primaire dans une commune en fera la déclaration à la mairie ou au comité cantonal, en indiquant la nature et les objets de l'enseignement qui devra y être donné.

ART. 8. — Toute personne âgée de dix-huit ans au moins pourra exercer la profession d'instituteur, sous la condition de présenter au maire de la commune où elle voudra ouvrir une école, et de faire viser par lui :

1° Un brevet de capacité, délivré, après examen, par une commission départementale de trois membres, nommés annuellement par le Conseil général ;

2° Des certificats de bonne vie et moeurs, délivrés, sur l'attestation de trois conseillers municipaux, par le maire de la commune ou de chacune des communes où elle aura résidé depuis trois ans.

ART. 9. — Quiconque aura ouvert une école primaire sans avoir satisfait aux conditions prescrites par les articles 7 et 8 sera poursuivi devant le tribunal correctionnel du lieu du délit et condamné à une amende de 50 à 200 francs. Son école sera fermée.

En cas de récidive, il sera condamné à un emprisonnement de quinze à trente jours, et à une amende double de la première.

ART. 10. — Sont incapables d'être instituteurs primaires :

1° Ceux qui ont été interdits par jugement de la jouissance de leurs droits civils ;

2° Les condamnés à des peines afflictives ou infamantes ou emportant la dégradation civique ;

3° Les condamnés en police correctionnelle pour vol, escroquerie, banqueroute simple, abus de confiance, soustraction commise par des dépositaires publics, ou pour attentat aux moeurs.

ART. 11. — Le comité cantonal a droit d'inspection sur les écoles primaires tenues par des particuliers ; il les surveillera sous le rapport de la salubrité, de l'ordre public et des moeurs ; et, dans les cas où il y aurait lieu à l'application de l'article suivant, il transmettra au ministère public les renseignements qu'il aura recueillis.

ART. 12. — Pour cause d'inconduite ou d'immoralité, tout instituteur primaire pourra, sur la demande du comité cantonal, et à la poursuite du ministère public, être traduit devant le tribunal civil de l'arrondissement et être interdit de l'exercice de sa profession à temps ou à toujours. Le tribunal entendra les parties et statuera en chambre du conseil. Il en sera de même sur l'appel, qui, en aucun cas, ne sera suspensif.

L'affaire sera instruite comme en matière de police correctionnelle. Néanmoins, si les parties intéressées le requéraient, les témoins pourront être entendus devant le juge de paix de leur domicile.

Le tout aura lieu sans préjudice des poursuites et des peines qui pourraient être encourues dans l'exercice de la profession d'instituteur pour crimes, délits ou contraventions prévus par le Code pénal.

TITRE III. — Ecoles primaires communales.

ART. 13. — Toute commune est tenue de pourvoir, par elle-même ou en se réunissant à des communes voisines, à ce que tous les enfants qui l'habitent puissent recevoir l'instruction primaire.

ART. 14, — Plusieurs conseils municipaux pourront s'entendre à l'effet d'établir une école en commun.

S'ils ne s'accordaient pas sur le lieu où elle devrait être placée ou sur le choix de l'instituteur, le comité cantonal serait appelé à statuer sur ces deux points.

ART. 15. — Hors le cas prévu par l'article précédent, les instituteurs communaux seront choisis par le conseil municipal. Mais avant leur entrée en fonctions, le comité cantonal vérifiera la légalité de leur nomination et en donnera immédiatement avis au préfet.

La nomination de l'instituteur communal n'est valable qu'autant qu'il a préalablement obtenu le brevet de capacité et les certificats de bonne vie et moeurs exigés pour les instituteurs privés par l'article 8, et qu'il ne se trouve dans aucun des cas prévus par l'article 10.

ART. 16. — Il sera fourni à l'instituteur communal :

1° Un logement convenablement exposé, tant pour lui servir d'habitation que pour recevoir ses élèves ;

2° Un traitement fixe, qui ne pourra être moindre de 200 francs.

ART. 17. — L'instituteur communal devra recevoir gratuitement tous ceux des élèves de la commune ou des communes réunies que les conseils municipaux auront désignés, sur une liste annuelle, comme ne pouvant payer de rétribution.

Il recevra de tout élève non inscrit sur cette liste une rétribution mensuelle, dont le taux sera fixé tous les ans par le conseil municipal, et qui sera perçue dans la même forme et selon les mêmes règles que les contributions directes. Le rôle en sera recouvrable, mois par mois, sur un état des élèves certifié par l'instituteur et visé par le maire.

ART. 18. — Dès que le choix d'un instituteur communal aura été fait, conformément aux articles 14 et 15, le conseil municipal sera tenu, à défaut de ressources ordinaires, d'imposer les communes jusqu'à concurrence de 5 centimes additionnels au principal des contributions directes, pour l'établissement de l'école primaire communale.

ART. 19. — L'état des communes qui n'auraient point rempli l'obligation prescrite par l'article 13 de la présente loi sera dressé chaque année par le préfet, qui veillera à ce que, dans le cours de l'année suivante, les conseils municipaux établissent l'imposition additionnelle fixée par l'article 18, et invitera, s'il y a lieu, les comités régionaux à organiser les écoles primaires, conformément aux articles 14, 15, 16 et 17.

Aucune commune ne pourra être dispensée des obligations susdites, que dans le cas où il aura été reconnu par le préfet, sur l'avis du comité cantonal, que les écoles privées établies dans cette commune satisfont à tous les besoins de l'instruction primaire, et spécialement de celle des enfants pauvres, conformément au premier paragraphe de l'article 17.

ART. 20. — Chaque école primaire communale sera immédiatement surveillée par le maire, qui communiquera ses observations au comité cantonal, et y prendra séance avec voix consultative pour toute affaire relative à l'école de sa commune.

ART. 21. — Les comités cantonaux sont chargés de la direction des écoles primaires communales.

Ils vérifient les choix des instituteurs, conformément aux articles 14 et 15 ci-dessus.

Ils s'assurent qu'il est pourvu à l'enseignement gratuit des enfants pauvres ; ils veillent au maintien de la salubrité de ces écoles, et à ce qu'aucun désordre ne s'y introduise.

Ils provoquent toutes les réformes et améliorations nécessaires.

Ils font connaître à l'autorité compétente les divers besoins des écoles primaires.

Ils peuvent les faire visiter par des délégués, qu'ils choisissent parmi leurs propres membres ou hors de leur sein.

ART. 22. — En cas de négligence ou de faute grave d'un instituteur communal, Te comité cantonal pourra, après l'avoir entendu ou dûment appelé, lui adresser une réprimande, ou le suspendre provisoirement, ou même le révoquer de ses fonctions.

ART.23. — Les dispositions de l'article 12, relatives aux instituteurs privés, sont applicables aux instituteurs communaux.

TITRE IV. — Ecoles primaires spéciales.

ART. 24. — Selon les besoins et les ressources des communes, il sera, sur le voeu des conseils municipaux, établi des écoles de filles sous la surveillance et la direction des comités cantonaux.

ART. 25. — Les institutrices communales seront choisies dans les mêmes formes et aux mêmes conditions que les instituteurs communaux. Elles demeureront assujetties aux mêmes obligations.

ART. 26. — Dans les communes où il n'y aura point d'institutrice, l'instruction primaire sera donnée aux filles par l'instituteur communal, mais à d'autres jours ou à d'autres heures que celles où il tiendra l'école des garçons, et sans qu'aucune fille âgée de onze ans puisse être comprise au nombre des élèves.

ART. 27. — Les rétributions à payer par les filles à l'institutrice ou à l'instituteur communal seront réglées conformément à l'article 18 ci-dessus.

ART. 28. — Moyennant des rétributions fixées de la même manière, et aux jours et heures que le comité cantonal déterminera, l'instituteur communal donnera l'instruction primaire aux hommes adultes qui la voudront recevoir.

ART. 29. — Des écoles primaires à l'usage des militaires et des marins seront organisées, entretenues et dirigées par le gouvernement, dans les corps des armées de terre et de mer.

ART. 30. — Il sera établi aux frais de l'Etat des écoles primaires dans les maisons centrales de détention et dans les bagnes.

Ces écoles demeureront sous la surveillance et la direction exécutive de l'administration publique.

ART. 31. — En chaque département, il sera pourvu par le Conseil général à ce que l'une des écoles primaires devienne école modèle, embrassant toutes les parties principales et accessoires de l'enseignement primaire indiquées dans l'article 1er de la présente loi.

On recevra dans cette école, outre les élèves ordinaires, les adultes qui se destineront à la profession d'instituteurs ; ils y assisteront aux leçons communes, et il leur en sera donné de spéciales sur la méthode à suivre dans l'enseignement.

Cette école demeurera sous la surveillance du comité cantonal du lieu où elle sera établie ; mais la nomination des maîtres appartiendra au Conseil départemental.

L'accroissement de dépense sera porté au budget du département.

ART. 32. — Sous les conditions établies au titre II de la présente loi, tout particulier peut fonder, ouvrir ou tenir une école spécialement destinée à former des instituteurs.

ART. 33. — Les instituteurs communaux actuellement en exercice devront, pour conserver leurs fonctions, être confirmés par les conseils municipaux dont ils dépendent, après que les comités cantonaux auront vérifié s'ils remplissent les conditions prescrites par la présente loi.