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Tachymétrie

Quelle que soit la situation que lui réserve l'avenir, un adolescent a le plus grand intérêt à savoir, au moins dans ses principes essentiels, la géométrie, qui lui enseignera à mesurer les lignes, les surfaces et les volumes, et lui en fera connaître les principales propriétés. Grâce à cette science, il pourra exécuter une foule de tracés utiles et régler lui-même toute une série d'affaires usuelles : le dessin exact et le métrage sont depuis longtemps en faveur sur les chantiers et dans les ateliers de construction.

La géométrie classique est une science fort étendue, souvent très abstraite, dont l'étude exige beaucoup de temps et qui n'est accessible qu'aux esprits déjà exercés ; mais c'est aussi un excellent procédé de culture intellectuelle. On ne peut songer à l'introduire dans l'enseignement élémentaire. Toutefois, il est possible d'en détacher les principes qui sont d'une application immédiate, c'est-à-dire les règles relatives au mesurage. Dans les circonstances ordinaires, sur un chantier, un métreur, un appareilleur, qui savent calculer exactement et possèdent bien les formules trouvées par la géométrie savante, pourront mesurer aussi bien qu'un géomètre consommé.

La science des formules géométriques est donc indispensable à la plupart des hommes. Mais si cette connaissance repose uniquement sur la mémoire, on doit craindre que de graves erreurs ne se commettent facilement. En présence de cette double difficulté, insuffisance du temps d'étude et défaillance possible de la mémoire, il était nécessaire de composer une géométrie très simple, à la portée des gens peu instruits, et propre à faire comprendre les règles aux personnes qui ne peuvent suivre des démonstrations savantes et rigoureuses.

Un ingénieur distingué, M. Lagout, a cherché à vulgariser cette géométrie populaire, à laquelle il a donné le nom de tachymétrie ou takymétrie (du grec tachys, prompt, accéléré, et métron, mesure), « géométrie rapide ». La tachymétrie se borne aux faits indispensables, aux applications courantes ; en même temps, elle montre, elle fait voir ; elle n'a pas la prétention d'offrir aux élèves des démonstrations mathématiques, mais elle y prépare très heureusement.

Il n'est pas d'instituteur qui n'ait eu recours à la tachymétrie, souvent sans le savoir : lorsque, pour expliquer la règle du calcul de la surface d'un rectangle de 7 décimètres de long sur 3 décimètres de large, par exemple, nous décomposons ce rectangle, en trois bandes longitudinales de chacune 7 décimètres carrés, nous employons un procédé tachymétrique, nous faisons voir que le rectangle dont il s'agit contient 3 fois 7 décimètres carrés, ou un nombre de décimètres carrés exprimé par 7 X 3, c'est-à-dire par la longueur multipliée par la largeur ; ce qui justifie la règle. De même, à l'aide du dessin, nous montrons qu'un triangle est la moitié d'un rectangle de même base et de même hauteur. De même encore, au moyen d'un prisme triangulaire convenablement découpé, nous faisons voir que ce prisme est formé de trois pyramides équivalentes, ayant pour base et pour hauteur la base et la hauteur du prisme : d'où il est aisé de conclure que le volume d'une pyramide triangulaire s'obtient en multipliant la surface de sa base par le tiers de sa hauteur. La tachymétrie n'est pas autre chose que l'application persévérante de ce procédé, limitée aux faits géométriques des affaires usuelles. Elle n'exige donc ni beaucoup de temps ni une instruction développée.

D'après ce qui vient d'être dit, on comprend sans peine que la tachymétrie réclame l'emploi d'un 'matériel de démonstration expérimentale : figures en papier ou en carton, solides en bois, découpés en vue de la justification des règles du métrage. Au moyen de ces instruments, l'enseignement passe de l'abstrait au concret, et, quand il est bien gradué, conduit avec intelligence, il donne de bons résultats.

Nous avons dit que le créateur de la tachymétrie comme système d'enseignement est M. Lagout. Un autre mathématicien, M. Dalsème, s'est aussi occupé de ce sujet, et a apporté quelques modifications à la méthode de M. Lagout, pour la rendre plus accessible aux instituteurs. M. Lagout prétend (manuel publié à la librairie Paul Dupont en 1873) enseigner la takymétrie en trois leçons, « que tout enfant de dix ans peut apprendre sans effort », dit-il ; M. Dalsème, dans son manuel publié en 1880 a la librairie Belin, divise la matière en sept leçons.

Tous deux, pour dégager la règle à suivre dans le mesurage des surfaces et des volumes, emploient des dessins diversement coloriés, qui font ressortir la décomposition des polygones en figures déjà connues, et des solides décomposés, pour mettre en évidence le rapport d'un solide nouveau à un solide précédemment étudié.

Tous deux aussi rompent avec la distribution ordinaire de la matière (lignes, surfaces, volumes), pour rapprocher les grandeurs géométriques dont l'étendue se calcule d'après des règles analogues : le rectangle et le solide rectangulaire, le triangle et la pyramide, etc. ; ils écartent les dénominations classiques pour admettre celles des chantiers : le rectangle est un carré long ; le solide rectangulaire, un équarri ; l'angle droit, un angle d'équerre ; l'hexagone régulier, un polygone à six pans, etc.

L'un et l'autre enfin présentent une démonstration expérimentale du carré de l'hypoténuse, usent parfois largement d<e l'algèbre, et semblent prendre à tâche de donner une autre expression au rapport de la circonférence au diamètre, exprimé habituellement par 3, 1416 ou 3 1/7.

Que faut-il penser de la tachymétrie? — Par son matériel de démonstration expérimentale, c'est un excellent procédé d'enseignement pour les élèves des écoles élémentaires et pour les adultes peu instruits, qui n'ont ni le temps ni les moyens d'étudier la géométrie classique ; c'est même un utile auxiliaire dans une première étude de la géométrie raisonnée : il frappe la vue, il porte l'évidence dans l'esprit, il justifie les règles pratiques, il vient heureusement au secours de la mémoire et en prévient les défaillances.

Mais on s'abuserait si, dans une école primaire, on avait la prétention de faire apprendre en trois et même en six leçons la matière que comporte la tachymétrie. En trois leçons, on peut l'exposer, mais non la graver dans les esprits ; avec les enfants, il faut marcher à pas mesurés, donner l'instruction à petites doses, revenir souvent sur les leçons antérieures, multiplier et varier les exercices d'application.

Le mélange qui a été fait des surfaces et des volumes, dans les deux ouvrages dont nous parlons, n'est pas une heureuse innovation. Ce n'est qu'après de longues et laborieuses explications que l'enfant attache une idée exacte aux mots ligne, angle, surface, volume, mètre, mètre carré, mètre cube, qui nous paraissent bien simples, et qu'il distingue nettement un volume d'une surface. Pour prévenir toute confusion dans son esprit, il convient de lui apprendre successivement à mesurer les lignes, les surfaces, les solides et leurs développements. Le rapprochement du triangle et de la pyramide peut être une cause de confusion dans l'application des règles du métrage.

Dans les écoles primaires, avec les adultes comme avec les enfants, l'étude de la géométrie appliquée ne vient utilement qu'après celle du système métrique. A ce moment, les élèves sont familiarisés avec les termes angle, angle droit, rectangle, carré, cube, parallélépipède, circonférence, hexagone ; il est plus nuisible qu'avantageux d'abandonner des expressions consacrées pour y substituer les synonymes du chantier ou de l'atelier, surtout quand ces derniers manquent de clarté.

Tout le monde sait que le rapport de la circonférence au diamètre ne peut être exprimé exactement en nombre ; il est approximativement 3, 1416 ou 3 1/7 ou 22/7. Dans les calculs écrits qui demandent une grande précision, on emploie 3, 1416 ; dans le calcul mental et approximatif, on se sert de 3 1/7 ou même de 3 1/10. La longueur d'une circonférence quelconque est égale à celle de son diamètre multipliée par 3, 1416 ou 3 1/7. -Il n'est ni plus simple, ni plus exact de dire, comme le fait la tachymétrie, qu'elle est égale à la longueur du diamètre multipliée par 3 3/20, ou encore au périmètre du polygone à six pans, augmenté du sou par franc ou du 1/20 de sa valeur.

Ainsi que nous l'avons dit plus haut, les deux auteurs ont tenté la démonstration expérimentale du théorème du carré de l'hypoténuse : leurs deux procédés sont ingénieux, exacts même, mais assez compliqués pour que les élèves ne parviennent pas facilement à les appliquer.

Le manuel de M. Lagout. est écrit dans le style un peu emphatique d'un apôtre qui veut opérer des conversions ; celui de M. Dalsème, d'une exécution mieux comprise, a le langage calme d'un traité scientifique.

A tous deux, au second surtout, un instituteur peut emprunter d'utiles procédés, sans se croire tenu de suivre l'ordre des matières ; il les complètera avec profit pour ses élèves en faisant mesurer réellement des surfaces et des solides de petites dimensions.

Claude Georgin