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Syndicats d’instituteurs

Il faut remonter à 1887 pour trouver les traces de la constitution du premier syndicat d'instituteurs.

A la suite du Congrès de. Paris (août 1887), un « Comité d'instituteurs » fut chargé d'organiser une association professionnelle du corps enseignant, d'après la loi du 21 mars 1884, et conformément aux résolutions suivantes votées par le Congrès : « 1° Une société autonome et amicale sera constituée dans chaque département. Ces sociétés seront reliées entre elles et formeront l'Union nationale des instituteurs de France. Le Congrès émet le voeu que les délégués prennent l'initiative de ce groupement dans leur département ; 2° Il y a lieu de nommer le Comité d'organisation de l'Union. Il sera chargé d*étudier et d'arrêter les statuts et l'organisation de cette association, à l'aide des projets présentés. Il comptera vingt-quatre membres, pris à raison d'un instituteur par chacune des vingt-quatre circonscriptions de la Seine. Il se tiendra en correspondance avec un instituteur délégué de chaque département. »

Sur l'initiative d'un instituteur parisien, M. Marchand, des statuts du Syndicat des instituteurs et des institutrices furent déposés à la préfecture de la Seine. Le but de l'organisation était ainsi défini à l'article 1er : « Le Syndicat a pour objet d'étudier les intérêts professionnels des instituteurs au moyen des Congrès d'instituteurs, de servir de lien entre les sociétés d'instituteurs, et d'appliquer, à l'égard de l'enseignement primaire, toutes les dispositions de la loi de 1884 sur les syndicats professionnels ».

Avant de répondre aux organisateurs, le préfet de la Seine sollicita l'avis de M. Spuller, ministre de l'instruction publique ; celui-ci refusa très nettement de reconnaître le syndicat, et rédigea aussitôt une très longue circulaire condamnant de la façon la plus énergique tout essai d'organisation professionnelle dans l'enseignement.

Les promoteurs du mouvement parisien s'inclinèrent, en général, devant la décision ministérielle ; une minorité active, cependant, suivit M. Marchand et s'affilia au Syndicat de l'enseignement, fondé par Mlle Marie Bonnevial ; ce syndicat, qui groupait les instituteurs laïques libres, avait été autorisé par la préfecture de la Seine à occuper un bureau à la Bourse du travail de Paris.

L'enthousiasme passager de 1887 fut vite éteint après la circulaire Spuller ; pendant dix ans tout effort d'organisation disparut. Mais en 1899, sur l'initiative de MM. Deum et Lechantre, après l'inauguration du monument élevé aux instituteurs de l'Aisne fusillés en 1870, le mouvement des Amicales fut lancé, — Voir Amicales d'instituteurs et d'institutrices (Associations), — et presque aussitôt la partie active, à tendances syndicales, se groupa dans des associations d'instituteurs adjoints fondées dans les grandes villes sous le nom de Sections de l'Emancipation.

En réalité, l'Emancipation, dirigée par M. Albert Surier, tout en ayant pour objet la défense des instituteurs adjoints, réunissait les jeunes socialistes, les démocrates qui s'étaient formés avec l'affaire Dreyfus. Elle suivit le mouvement corporatif qui entraînait les autres fonctionnaires à transformer les associations en syndicats. Les instituteurs furent encouragés dans cette voie par les ouvriers organisés, qui les appelèrent dans leurs Unions, conformément à la résolution suivante votée au Congrès des Bourses du travail à Alger en 1902 : « Nulle catégorie de travailleurs ne peut être mise en dehors de l'action syndicale, que ces travailleurs soient salariés de particuliers ou salariés de l'Etat. Le Congrès invite les Bourses à accepter les organisations d'employés et d'ouvriers de l'Etat, ainsi que les associations des professeurs de l'Etat dont les statuts indiqueront bien que ces associations ont pour but la défense des intérêts de ces diverses corporations. »

Une Commission d'éducation syndicale, composée de six instituteurs et de six ouvriers, se réunit à Paris à la Fédération des Bourses du travail pour faire appliquer la motion du Congrès d'Alger. Son action ne fut guère efficace sur la masse du personnel enseignant ; mais, en 1904, l'Amicale, cercle pédagogique du Var, se transforma en Syndicat des instituteurs du Var et prit son siège à la Bourse du travail de Toulon. L'administration toléra cette transformation ; le préfet et l'inspecteur d'académie assistèrent au banquet annuel du syndicat.

Le renouvellement des délégués élus du personnel enseignant primaire dans les Conseils départementaux en décembre 1904 fut l'occasion d'une propagande active par les sections de l'Emancipation. A Paris notamment, sept instituteurs se présentèrent aux suffrages de leurs collègues en réclamant le droit au syndicat. Ils furent élus avec d'imposantes majorités. De ce moment, les évènements se précipitèrent. En juillet 1905, la section parisienne de l'Emancipation décidait sa transformation en syndicat. Le 5 octobre, elle déposait ses statuts, mais, le 12 octobre suivant, le préfet de la Seine refusait de délivrer le récépissé de déclaration et le gouvernement donnait ordre au parquet de poursuivie en dissolution le syndicat des instituteurs de la Seine. Une interpellation à la Chambre des députés, le 7 novembre 1905, fut suivie, quelques jours après, d'un projet d'amnistie, et les poursuites engagées contre les membres du Conseil syndical furent abandonnées. La Fédération des Amicales, sous l'inspiration d'un ancien instituteur, député de Marseille, M. Carnaud, resta en dehors du mouvement ; mais, en décembre 1905, sur l'initiative de MM. Dufrenne, Glay, conseillers départementaux de la Seine, et Roussel, président de l'Association des anciens élèves de l'Ecole normale d'Auteuil, un Manifeste des instituteurs syndicalistes, précisant la revendication syndicale, fut approuvé par 133 présidents d'Amicales, conseillers départementaux, anciens présidents ou rapporteurs des congrès, et par les secrétaires des syndicats déjà fondés.

En même temps se constituèrent les syndicats des Bouches-du-Rhône, de Maine-et-Loire, des Deux-Sèvres, de la Loire-Inférieure, du Nord, de la Marne, de l'Aube, et, en janvier 1906, du Rhône.

Le 22 février 1906 était constituée la Fédération des syndicats d'instituteurs ; les statuts en furent déposés à la préfecture de la Seine ; le préfet donna le récépissé de déclaration. Le même jour, à l'Hôtel des Sociétés savantes, un meeting d'instituteurs acclamait le syndicalisme des instituteurs ; on y entendit M. Anatole France, président du meeting, MM. Jaurès et F. Buisson.

Le gouvernement, inquiet de l'extension rapide du mouvement, déclara au Sénat, le 7 avril 1906, par l'organe de M. Briand, alors ministre de l'instruction publique, au' « il ne tolèrerait plus désormais ni une formation de syndicat, ni à plus forte raison une affiliation de ces ' prétendus syndicats aux Bourses du travail ». Pourtant, en janvier 1907, le syndicat du Rhône, malgré les menaces du pouvoir, décida de donner son adhésion à la Bourse du travail de Lyon. Le ministre intima un délai aux instituteurs lyonnais pour quitter la Bourse ; ils refusèrent ; le gouvernement n'osa sévir, et le syndicat du Rhône resta à la Bourse du travail, où il est encore à l'heure actuelle.

Il en fut de même l'année suivante avec le syndicat de Maine-et-Loire, qui siège toujours à la Bourse d'Angers.

Le 23 février 1907, le syndicat de la Seine alla protester auprès de M. Clemenceau, ministre de l'intérieur, contre une décision du préfet de la Seine qui lui interdisait l'usage d'un local à la Bourse du travail. M. Clemenceau demanda un mémoire écrit sur le but de l'action des instituteurs syndicalistes. A ce mémoire, signé de MM. Nègre et Désirat, instituteurs parlant au nom du syndicat de la Seine, M. Clemenceau répondit trois semaines après : il concluait à. un projet de Statut des fonctionnaires.

Ce projet fut déposé à la Chambre le 11 mars. Aussitôt le Comité central pour la défense du droit syndical, qui comprenait quinze grandes organisations de fonctionnaires et d'ouvriers de l'Etat, protesta dans une Lettre ouverte à M. Clemenceau. Le gouvernement intenta des poursuites, à fin de révocation, à quelques secrétaires de ces organisations, et en particulier à M. Nègre, secrétaire de la Fédération des syndicats d'instituteurs ; si les instituteurs étaient particulièrement visés, c'est que le 29 mars, à Nantes, leurs syndicats avaient voté l'adhésion effective à la Confédération générale du travail. M. Nègre comparut le 25 avril devant le Conseil départemental de la Seine, qui refusa de s'associer à l'action du gouvernement. Le préfet passa outre et prononça la révocation ; le ministre la confirma.

Il y eut quelque flottement dans la Fédération des syndicats d'instituteurs ; pendant plus d'un an, l'activité des militants de l'organisation ne réussit pas à remuer le personnel, arrêté par la crainte des représailles gouvernementales. En conséquence, un Congrès mixte d'ouvriers appartenant à la Confédération générale du travail et d'instituteurs syndiqués, qui devait se tenir à Lyon en avril 1908, n'eut pas lieu, le gouvernement ayant fait savoir qu'il était décidé à révoquer les instituteurs qui participeraient à ce Congrès. Seul le Congrès des syndicats d'instituteurs fut tenu à cette date. La direction de la Fédération fut alors confiée aux syndiqués de Marseille. Actifs, audacieux, les Marseillais, en un an, réussirent à doubler l'effectif des syndiqués ; ils formèrent dans plusieurs départements des sections syndicales qui n'eurent pas de statuts à déposer, puisqu'elles n'étaient pas des syndicats proprement dits, mais qui, en réalité, dans la Fédération, jouaient le même rôle que les syndicats.

L'impulsion donnée par les instituteurs de Marseille fut surtout remarquable dans la lutte menée contre les ingérences politiques et le favoritisme. Une méthode d'action contre les élus politiques qui avaient abusé de leur autorité pour diriger le mouvement d'avancement du personnel donna dans les Bouches-du-Rhône des résultats appréciables. Une commission de dix instituteurs suivit la campagne électorale de deux députés particulièrement, visés, et contribua pour beaucoup à leur échec aux élections législatives de 1910.

Entre temps le syndicat du Rhône avait envisagé la possibilité de s'employer à faire acquérir à ses membres une compétence technique, et voulut être « un moyen de perfectionnement professionnel ». Il obtint que le Congrès de 1909 serait un congrès mixte organisé d'accord avec la Confédération générale du travail pour y étudier « l'adaptation des programmes scolaires aux besoins de la classe ouvrière ».

Ce Congrès eut lieu. Le gouvernement, qui avait été menaçant en 1908, laissa faire.

Ainsi, malgré l'opposition la plus vive de la part du pouvoir, actuellement les instituteurs syndiques sont arrivés à leurs fins. Leurs syndicats vivent, au nombre de quatorze ; le nombre des sections syndicales augmente ; le Bulletin fédéral d'octobre 1910 annonce la formation des sections de la Somme, du Calvados, de Seine-et-Oise, de la Loire, de Meurthe-et-Moselle, de la Haute-Vienne et de l'Algérie ; le même Bulletin affirme l'adhésion de onze cents unités pour 1910. La Fédération des syndicats est affiliée à la Confédération générale du travail. Chaque instituteur syndiqué reçoit la carte confédérale, et verse ses cotisations, d'une part à l'Union des syndicats de sa région, et d'autre part à la Fédération. Les congrès mixtes existent. Enfin, à la date du 1er janvier 1911, une cotisation supplémentaire sera imposée à chaque syndiqué pour l'organisation de la « Caisse de résistance ».

La Fédération prépare une campagne de propagande à l'occasion des élections aux Conseils départementaux ; mais, conformément aux indications du Congrès de 1910, les Lyonnais, qui ont en mains pour cette année la direction de la Fédération, feront porter la campagne à la fois sur l'extension des syndicats et sur la réforme de l'enseignement primaire par l'effort direct des instituteurs.

Cette orientation de l'activité des syndiqués peut avoir des conséquences très grandes sur l'évolution de l'école primaire ; elle ne paraît pas avoir aux yeux des hommes politiques la même importance que la conquête du droit syndical, et cependant elle pose en principe la grosse question de l'autonomie professionnelle.

Sans doute, il ne faudrait pas s'imaginer qu'immédiatement les instituteurs syndiqués dussent réussir à modifier l'organisation actuelle du service administratif de l'enseignement primaire, ni qu'ils bouleverseront du jour au lendemain les méthodes et les programmes imposés. Mais il n'est pas téméraire 'affirmer que, par le souci qu'ils ont de leur perfectionnement technique, par le soin qu'ils apportent à l'étude des problèmes pédagogiques, par l'influence et l'autorité morale qu'ils ont même obtenue dans les Amicales d'instituteurs, ils s'imposeront à l'opinion publique et ils arriveront à faire prévaloir leurs méthodes et leur conception de l'école populaire.

La première période de leur développement, celle de la lutte quotidienne pour le droit de vivre syndicalement, est à peu près terminée. Maintenant commence la plus belle partie de leur tâche ; il paraît difficile qu'on puisse arrêter leur essor.

Émile Glay