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Stoy

Karl-Volkmar Stoy, écrivain et pédagogue allemand, est né le 24 janvier 1815 à Pegau, petite ville de Saxe, où son père était pasteur. Après six années de classe à la Fürstenschule d'Afra à Meissen, il fit ses études de théologie à Leipzig, et résolut de se consacrer entièrement à la philosophie et à la pédagogie, après avoir suivi les cours du célèbre Herbart à Goettingue. Il devint en 1839 professeur dans une institution privée à Weinheim ; c'est là qu'il publia son premier travail, « sur l'enseignement de la langue allemande pendant les six premières années ». La méthode d'enseignement qu'il v recommande est devenue usuelle ; elle était neuve alors : il bannit des premières années les termes techniques de la grammaire, et veut que les enfants apprennent leur langue par l'étude de morceaux choisis, par la pratique et par l'exercice. En 1843 il entra à l'université d'Iéna comme privat-docent de philosophie, et prit l'année suivante la direction d'une importante maison d'éducation ; il la reconstruisit et la renouvela entièrement, changea les méthodes, lui donna une valeur considérable. Son ambition était de prendre de la huitième à la quinzième année les enfants des familles riches, de les rendre sains et vigoureux de corps et d'esprit, capables d'aller terminer leurs études au gymnase et à la Realschule et de se choisir librement une carrière, sans avoir été surchauffés et surmenés dans ces précieuses années du premier développement. A l'université, où il était devenu professeur, il faisait des cours très suivis sur la philosophie, puis, peu à peu, presque exclusivement sur la pédagogie, tant théorique que pratique. Dès son arrivée à Iéna, il avait fondé une modeste société de pédagogie, qui se transforma en ce que les Allemands appellent un « séminaire pédagogique », c'est-à-dire un ensemble de leçons et d'exercices dont Stoy fit tout à la fois une sorte d'école normale supérieure et de faculté spéciale. C'est là, à dire vrai, la grande oeuvre de sa vie, celle qui a donné à son nom de la notoriété et où il a véritablement rendu d'importants services.

On venait de toutes parts assister à ses cours, comme jadis on allait voir Pestalozzi ; il voyait se grouper autour de lui des étudiants non seulement de l'Allemagne, mais encore de la Suisse, de l'Autriche-Hongrie, de la Bulgarie, de l'Arménie, de la Grèce et de l'Amérique. Plusieurs étaient envoyés par leur gouvernement pour s'inspirer de sa méthode. Il fut nommé conseiller scolaire en 1857. A la suite d'un dissentiment avec le conseil de l'université (et plus particulièrement avec la faculté de théologie), qui voulait lui imposer, pour accorder à son oeuvre une subvention annuelle, des conditions qui lui parurent blessantes, il crut devoir donner sa démission de professeur ; il vendit son établissement, licencia son séminaire et quitta Iéna. Il fut nommé professeur à Heidelberg, où il enseigna la philosophie pendant huit années, après lesquelles il revint à Iéna ; il y retrouva ses amis, ses élèves et son oeuvre, auxquels il se consacra de nouveau avec un zèle infatigable, bien que sa situation de fortune et son âge eussent pu lui conseiller le repos. Il fut appelé à Vienne en 1871 par le ministre de l'instruction publique d'Autriche, le Dr Stremayr, pour prendre part à une enquête sur les moyens de réaliser l'article de loi relatif à l'établissement de cours pédagogiques dans les universités ; on lui reconnaissait en ces matières une compétence spéciale. Il venait d'envoyer à plus de quatre cents des vétérans de son séminaire l'invitation à se réunir à Iéna pour fêter avec lui son soixante-dixième anniversaire, lorsque la mort l'enleva, presque subitement, la veille même de ce jour de fête, le 23 janvier 1885.

Stoy a écrit de nombreux ouvrages ; on en compte vingt et un ; quelques-uns ne sont que des brochures ; tous traitent de questions de pédagogie : « l'enseignement de la langue allemande, les besoins de l'école ; Rousseau, Fichte, Considérant et l'idée de l'éducation ; la pédagogie dans la famille ; programmes scolaires ; deux jours dans les gymnases anglais ; la vocation et la formation des instituteurs ; l'organisation d'une école normale, » etc. Ses livres les plus considérables sont sa Propédeutique philosophique, et surtout son Encyclopédie de la pédagogie. Ils ont les qualités et les défauts des livres allemands qui aspirent au titre de scientifiques : ils sont graves, complets, minutieux, mais lourds et pédants, souvent vides sous leur rotondité. Disciple de Herbart, Stoy n'a pas échappé aux exagérations prétentieuses d'un système qui se donne pour avoir découvert les choses les plus connues et qui embrouille à plaisir les notions les plus simples. Il a protesté lui-même, en termes assez vifs, contre les extravagances de Ziller, dont le nom est si souvent joint au sien et à celui de Herbart ; mais ils ne sont pas plus faits l'un que l'autre pour séduire des esprits amoureux de la simplicité, de la clarté, de la réalité. Voici, en quelques mots, le plan de la pédagogie scientifique de Stoy. Il la divise en trois branches : pédagogie philosophique, pédagogie historique, pédagogie pratique. La première, qu'il subdivise en Dioetétique, Didactique, et Hodégétique, traite successivement des soins à donner à l'esprit et au corps, de' la matière et de la forme de l'enseignement, de la distribution, de la méthode soit analytique, soit synthétique, soit génétique, des moyens de conduire les élèves selon l'âge, le sexe ou les dispositions individuelles. La pédagogie historique poursuit séparément l'histoire de chacune de ces branches. La pédagogie pratique, subdivisée en générale et particulière, traite tour à tour de la pédagogie dans la famille ou dans les institutions, puis dans les institutions de divers ordres, gymnases, écoles primaires, écoles de filles, etc.

S'il ne fallait juger Stoy que par ses livres où les divisions et subdivisions se multiplient à l'infini, et font illusion par leurs noms savants et leur rigoureuse ordonnance sur leur fond assez ordinaire et médiocre, on ne s'expliquerait pas l'enthousiasme de quelques-uns de ses biographes. Il se comprend mieux quand on pense aux efforts énergiques et intelligents qu'il a déployés pour former des maîtres, et aux résultats remarquables qu'il a obtenus. Par ses seuls sacrifices et par des souscriptions volontaires, sans subvention de l'Etat ou avec des subventions dérisoires, il a fondé et soutenu pendant trente-quatre ans son séminaire pédagogique, il a formé plus de sept cents élèves qui sont tous devenus des maîtres et des professeurs de tout ordre, des inspecteurs, des directeurs, etc. Il a adjoint à son séminaire une magnifique école annexe, où il avait même établi des logements pour les maîtres. La majorité des étudiants qui se groupaient autour de lui étaient des étudiants en théologie, quelques philosophes, quelques naturalistes, un certain nombre d'instituteurs d'élite auxquels il était permis de suivre les cours universitaires.

On restait élève du séminaire (qui était un externat) pendant deux à quatre semestres. Aux éludes théoriques se joignaient des exercices pratiques dans l'école annexe. Chaque étudiant devait y enseigner une matière pendant un semestre ou deux, sous la surveillance du directeur ; tous avaient le droit d'assister aux leçons de leurs camarades ; ils rendaient compte de leurs observations dans une conférence hebdomadaire appelée le Scholasticum, où se discutaient, au point de vue pédagogique, tous les évènements de la semaine. La leçon d'épreuve que chacun devait faire à son tour aux enfants devant ses condisciples, et qu'on appelait le Practicum, donnait lieu, le soir, à des réunions critiques que présidait le directeur. Tous les ans, un grand voyage pédestre emmenait dans les forêts de la Thuringe les étudiants du séminaire et les élèves de l'école annexe sous la conduite de Stoy, le plus gai, le plus alerte et le plus courageux de tous : on en causait l'année entière.

Le vivant souvenir que Stoy a laissé dans le coeur de ses nombreux élèves, presque tous parvenus à des situations influentes, parle plus en sa faveur que ses lourds écrits dont le « herbartianisme », pour mitigé qu'il soit, ne réussirait probablement pas à sauvegarder sa mémoire.

Jules Steeg