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Scherr

 Thomas Scherr, qui a été l'un des principaux initiateurs du progrès scolaire dans la Suisse allemande durant près d'un demi-siècle, était né en 1801 à Hohenrechberg, en Wurtemberg, où son père était maître d'école. Après avoir fait ses études au gymnase de Gmünd, et dirigé quelque temps une école primaire, il devint en 1821 maître à l'institut de sourds-muets et d'aveugles à Gmûnd même. Une brochure qu'il publia à vingt-trois ans sur l'éducation des sourds-muets le fit connaître. Il fut appelé à Zürich en 1825 et placé à la tête de l'institut des aveugles, qu'il réussit à faire transformer en 1827 en un institut d'aveugles et de sourds-muets. Il s'occupa avec succès de réformer l'enseignement de la langue, non seulement dans son institut, mais dans les écoles primaires, et fit paraître en 1831 sa méthode, sous le titre d'Elementars prachbildungslehre, en deux parties, le manuel du maître, et le livre de lecture de l'élève. A ce moment, le peuple zuricois venait de se donner une nouvelle constitution, établissant le régime démocratique. Scherr, que ses travaux avaient mis en évidence, reçut la naturalisation d'honneur, et fut nommé membre du Conseil d'éducation (1831). Ce fut lui qui rédigea la portion relative aux écoles primaires de la nouvelle loi zuricoise sur l'instruction publique, adoptée en 1832. La même année, il fut placé à la tête de l'école normale d'instituteurs que le gouvernement zuricois venait de fonder à Küsnacht.

Les sept années pendant lesquelles il dirigea cet établissement furent les plus laborieuses de son existence si bien remplie : il avait à donner de six à dix heures de leçons par jour, et il trouvait encore du temps pour assister aux séances du Conseil d'éducation à Zurich, pour rédiger de nombreux livres classiques, pour faire des conférences de pédagogie aux instituteurs, pour présider à l'examen que durent subir, dans l'espace de deux ans, tous les instituteurs en fonctions, au nombre de plus de quatre cents, et pour visiter les écoles primaires du canton, qu'il réorganisa l'une après l'autre en allant en personne y faire la classe sous les yeux du maître. Il publia à partir de 1835 un journal pédagogique, Der pädagogische Beobachter, qui parut jusqu'en 1842.

Ce ne fut pas sans opposition que la loi nouvelle put être appliquée partout ; dans certaines communes, il y eut des émeutes : on prit d'assaut les maisons d'école, on brûla les livres de classe et le matériel d'enseignement ; mais grâce à la fermeté du gouvernement démocratique, qui fit emprisonner les principaux meneurs, le calme se rétablit. Un différend qui éclata entre Scherr et le bourgmestre Hirzel. chef du gouvernement, faillit aussi compromettre le succès de l'oeuvre commencée : mal soutenu par le pouvoir exécutif, auquel sa grande autorité personnelle portait ombrage, et violemment attaqué dans un pamphlet politique par le chef de l'opposition conservatrice, le Dr Bluntschli, le directeur de l'école de Küsnacht voulut donner sa démission (1837) ; mais la majorité du Grand-Conseil lui ayant témoigné sa confiance par un vote solennel, et ayant repoussé le nouveau règlement de l'école normale qu'avait préparé le Conseil exécutif, Scherr conserva ses fonctions. La paix se rétablit bientôt entre les deux fractions du parti démocratique, et l'année 1838 vit se continuer et s'achever la réforme scolaire. Mais de fâcheux évènements allaient briser, l'année suivante, la carrière de Scherr à Zurich, et remettre en question tous les progrès réalisés par le régime libéral.

A la suite de la nomination du Dr Strauss comme professeur à l'université, des bandes armées de campagnards fanatisés par le clergé envahirent la ville de Zurich, renversèrent le gouvernement démocratique, et replacèrent le pouvoir entre les mains des conservateurs (6 septembre 1839). Scherr fut destitué ; nombre d'instituteurs distingués, ses élèves, durent quitter le canton de Zurich ; ils portèrent dans les cantons voisins l'esprit et la méthode du pédagogue de Küsnacht. Pour vivre, Scherr fonda dans le voisinage de Winterthour un pensionnat, qu'il transféra en 1843 à Hochstrasse, dans le canton de Thurgovie. C'est là qu'il acheva la rédaction de son Manuel de pédagogie (Handbuch der Pädagogik, 3 vol.), dont le premier volume avait paru en 1839. Les élections de 1845 ayant ramené les libéraux au pouvoir à Zurich, Scherr rédigea pour les écoles zuricoises, à la demande du gouvernement, un certain nombre de livres classiques, continuant ainsi à témoigner de l'intérêt qu'il portait à son canton d'adoption. Ces livres, qu'il ne cessa de perfectionner à chaque nouvelle édition, trouvèrent accès dans les écoles de la plupart des cantons de la Suisse allemande, où ils ont exercé une salutaire influence sur l'enseignement.

Ses nouveaux concitoyens de Thurgovie lui montrèrent bientôt l'estime qu'ils faisaient de ses talents et de son caractère : ils l'élurent en 1849 député à la Constituante cantonale, et en 1852 ils le placèrent à la tète du département de l'éducation. Dans cette situation nouvelle, qu'il occupa trois ans, Scherr fit pour la Thurgovie ce qu'il avait fait pour Zurich ; il opéra une réorganisation complète du système de l'instruction primaire. A l'âge de soixante ans, en 1861, il accepta du Comité central de la Société des instituteurs suisses la rédaction du journal pédagogique Die schweizerische Lehrerzeitung, qu'il conserva jusqu'en 1865. Il continua jusqu'au bout à consacrer son temps et ses forces à la cause de l'instruction du peuple : en 1870, la veille de sa mort il travaillait encore à la rédaction d'un livre de lecture pour les écoles complémentaires zuricoises. Il est mort de la rupture d'un anévrisme, le 10 mars 1870, emportant avec lui l'estime et les regrets de toute la Suisse libérale. (Le présent article résume une notice de M. Rüegg. dans la Geschichte der schweizerischen Volksschule d'Otto Hunziker.)