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Sarazin

Louis-Charles Sarazin naquit à Paris le 1er mars 1797. Il fit ses premières études dans un modeste externat du faubourg Saint-Antoine et y fut bientôt employé comme sous-maître. L'instruction primaire l'attirait. Il voulut connaître à fond la forme nouvelle sous laquelle elle se présentait alors et qui commençait à prendre faveur : il se fit le disciple du pasteur Frossard, qui, avec les pasteurs Martin et Bellot, était allé en Angleterre étudier le système de Lancaster, et essayait de l'implanter à Paris. Deux écoles mutuelles venaient de s'ouvrir, l'une rue Saint-Jean-de-Beauvais, l'autre rue Saint-Ambroise-Popincourt. Au mois de décembre 1816, le jeune Sarazin fut placé à la tête de cette dernière. Il s'y distingua et, le 19 août 1818, le jour de la distribution solennelle des prix du concours entre les collèges royaux de Paris, « dans le lieu des séances de l'Institut royal », il recevait des mains de Royer-Collard « une des médailles d'argent destinées à l'encouragement des instituteurs primaires ».

En 1820, le comte de Chabrol, préfet de la Seine, ayant fondé à Paris une « Ecole normale élémentaire », pour remplacer le cours normal créé en 1815 qu'avaient dirigé Martin, puis Nyon, la direction de cette école fut mise au concours. Les épreuves durèrent trois jours et six heures par jour ; elles portèrent sur toutes les questions de l'enseignement élémentaire (lecture, calligraphie, orthographe, principes de la langue française, éléments de la géographie, de l'arithmétique et de l'arpentage, ainsi que les procédés de leur enseignement, connaissance suffisante des préceptes et des dogmes de la religion). Des quarante-huit candidats qui s'étaient fait inscrire, treize seulement purent atteindre la fin des épreuves ; Sarazin, à l'unanimité du jury, fut placé au premier rang et nommé directeur de l'établissement. L'école comprenait un internat et un externat. Le 20 novembre 1821, Sarazin y annexa l'un des premiers cours d'adultes qui existèrent à Paris, et M. de Chabrol l'autorisa « à faire les dépenses d'éclairage et autres menus frais qu'exigerait la nouvelle classe ». Le 19 avril 1822, le conseil d'administration de la Société pour l'instruction élémentaire, par une lettre signée du duc de La Rochefoucauld, du duc de La Vauguyon, du duc de Doudeauville, du baron De Gérando, de Jomard, du comte de Lasteyrie, de Francoeur, félicitait chaudement le directeur des résultats obtenus.

Peu de temps après (20 mars 1824), le préfet de la Seine écrivait à Sarazin la lettre suivante : « Sur le rapport avantageux qui m'a été fait à votre sujet, j'ai décidé qu'à partir du mois d'avril prochain vous seriez chargé de l'inspection des écoles élémentaires du département. Trois jours par semaine seront consacrés à cette inspection et trois jours à l'enseignement des élèves de l'Ecole normale élémentaire. Votre traitement total pour ces deux attributions sera de trois mille francs, compris vos frais de tournées. Il ne sera rien changé à ce qui concerne l'école du soir pour les adultes actuellement en activité dans la maison de l'Ecole normale. Vous recevrez une expédition des règlements dont l'exécution vous est confiée comme inspecteur. C'est principalement dans cette fonction que tout votre zèle doit se déployer, pour assurer une bonne direction à la marche des écoles. Vous veillerez surtout à ce que rien ne soit négligé de ce qui concerne l'enseignement religieux. »

Nous citons cette lettre parce qu'elle marque l'origine de l'inspection dans le département de la Seine. L'inspection fut, comme on le voit, d'abord départementale, et Sarazin l'exerça jusqu'à ce que l'ordonnance du 26 février 1835 eût créé des inspecteurs de l'Etat. Il profita de l'influence que lui donnait sa situation pour provoquer la création de nouvelles écoles, par exemple dans les communes alors suburbaines de Passy, des Batignolles, de Montmartre, de Belleville, etc., et pour donner une organisation uniforme à celles qui existaient déjà. Dans ce but, il composa son Manuel des écoles élémentaires. Cet ouvrage, dont la première édition remonte à 1824, fut approuvé par le Conseil royal ; M. de Vatimesnil, par une lettre du 24 février 1829, en félicita l'auteur et lui fit connaître que 600 exemplaires en seraient distribués, aux frais du ministère, dans les diverses académies. Ce manuel, traduit en plusieurs langues, notamment en grec moderne, demeura jusqu'à la fin le véritable code de l'enseignement mutuel.

A la suite de la loi de 1833, l'Ecole normale élémentaire fut transformée en un simple cours normal ou pédagogique. Quelques années après, le département de' la Seine eut ses inspecteurs académiques. Sarazin continua néanmoins, d'une part, à préparer des maîtres pour Paris et pour les départements voisins désireux d'avoir des instituteurs formés d'après sa méthode, d'autre part à exercer ses fonctions d'inspecteur comme délégué général à titre gratuit du Comité central pour l'inspection des écoles communales de garçons et d'adultes hommes. En 1850, lorsque Paris et la banlieue eurent leurs inspecteurs universitaires, il demeura le délégué général du préfet, chargé du personnel et du matériel. Il passa le reste de sa carrière dans cette situation, assistant, comme Mlle Sauvan, sa contemporaine et sa collaboratrice, à l'effondrement du mode mutuel qu'il avait personnifié pendant près de quarante années, mais comprenant que ce mode avait fait son temps et qu'il devait être remplacé par la méthode simultanée à mesure que de nouvelles ressources étaient créées et que les maîtres se multipliaient.

Présenté plusieurs fois pour la décoration par le Comité central, Sarazin avait obtenu cette distinction en 1845. En 1857, sur la présentation du vice-recteur de l'académie de Paris, il reçut les palmes d'officier d'académie et, un peu plus tard, celles d'officier de l'instruction publique. Il mourut d'une maladie de coeur le 8 octobre 1865, ayant été pour les écoles laïques de garçons ce qu'avaient été, de leur côté, le frère Philippe pour les écoles congréganistes, Mlle Sauvan pour les écoles laïques de filles, et Mme Pape-Carpantier, venue la dernière, pour les salles d'asile Nous associons volontiers ici ces quatre noms, parce qu'ils résument l'histoire de l'instruction primaire à Paris, pendant la période qui s'étend de 1815 à 1860, c'est-à-dire pendant près d'un demi-siècle.

Eugène Brouard