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Salvandy

Narcisse-Achille de Salvandy naquit à Condom (Gers), le 11 juin 1795. Il fit ses études au lycée Napoléon. Sa famille ou plutôt ses protecteurs. MM. de Wailly et de Fontanes, le destinaient à l'enseignement. Mais les évènements de 1812 et de 1813 lui firent préférer la carrière militaire. Il parut avec honneur sur les champs de bataille de Leipzig, de Brienne, etc. Après le retour des Bourbons, il s'attacha avec conviction à la royauté restaurée, mais il se rangea du côté des libéraux et combattit avec eux jusqu'au bout, sacrifiant, quand il le fallut, sa situation dans l'armée ou au Conseil d'Etat à ses idées et à son esprit d'indépendance. Il cultivait les lettres : en 1824, il publia un roman, Alonzo ou l'Espagne ; en 1829, une Histoire de la Pologne avant et sous Jean Sobieski. En 1830, il vit avec regret tomber le gouvernement qu'il avait plus d'une fois averti hardiment et inutilement (c'est lui qui, en juin 1830, à un bal donné par le duc d'Orléans, dit le mot fameux : « Nous dansons sur un volcan »). Pourtant, il accepta les faits accomplis et, tout en ayant peu de confiance dans la nouvelle monarchie constitutionnelle qui venait de s'élever, il ne lui marchanda son concours ni comme député, ni comme écrivain. Envoyé à la Chambre par le département de la Sarthe, les grandes discussions auxquelles il prit une part active le mirent en évidence et marquèrent sa place parmi les hommes politiques du temps. En 1835, il fut élu membre de l'Académie française.

Le 15 avril 1837, il entra dans le ministère Molé avec le portefeuille de l'instruction publique. Voici comment un de ses biographes apprécie son administration :

« Il inspira promptement à tous les intérêts que ce département comprend une telle confiance, qu'interpellé quand il apporterait la loi sur la liberté de l'enseignement il put répondre qu'il ne comptait pas l'apporter, qu'il lui fallait d'abord reconstituer tous les services de son ministère pour les approprier à ce régime nouveau ; et, pendant les deux années de son administration, la loi ne lui fut plus demandée.

« L'Université, dont le nom avait disparu depuis 1830, fut entièrement reconstituée ; sa discipline, sa hiérarchie, son autorité, reprirent l'éclat et la force que son fondateur avait voulu lui donner. Toutes les parties de l'organisation ravivées furent mises en harmonie avec des institutions à la fois monarchiques et constitutionnelles ; une foule de créations nouvelles furent votées par les Chambres. Les sciences et les lettres, grandement encouragées jusqu'à l'étranger, se virent conviées à se rallier au pouvoir et à participer à la défense de la société, dans un double intérêt de progrès et d'honneur public. Pour obtenir tous ces résultats, le ministre avait fait quelque chose de plus difficile : il avait ressaisi les rênes de son administration, que les révolutions contraires de 1814 et de 1830 avaient livrée a une foule d'influences contradictoires ; car elles avaient mis ce département en commission dans le sein du Conseil royal, et l'esprit particulier qui travaillait à y dominer était contraire à tous les intérêts permanents de la société française. »

Si l'on sort de ces généralités et si l'on s'en tient aux faits les plus saillants du premier ministère de M. de Salvandy, en ce qui concerne particulièrement l'instruction primaire, on trouve datant de 1837 :

L'affermissement et l'organisation définitive du service de l'inspection primaire par la création des sous-inspecteurs et la fixation des traitements (ordonnance du 13 novembre et arrêté du 29 décembre) ;

Et surtout la création et l'organisation des salles d'asile (ordonnance du 22 décembre).

Les salles d'asile existaient à Paris et dans plusieurs grandes villes, mais à l'état de refuges et d'établissements soutenus par la bienfaisance privée. M. de Salvandy, sans leur ôter le caractère d' « établissements charitables », en fit des « écoles du premier âge », devant, comme il aimait à le dire, servir de « vestibule » aux écoles d'un ordre plus élevé, ayant une existence légale et leur place officielle dans la hiérarchie scolaire. L'ordonnance de 1837 est comme la charte des salles d'asile. On peut dire qu'elle les crée, en les définissant, en réglant les conditions de leur ouverture, en exigeant des garanties de la part des maîtres ou maîtresses auxquels elles seront désormais confiées, en traçant au moins les grandes lignes de leur fonctionnement, enfin en les entourant d'autorités dirigeantes et protectrices. Elle forme une page importante de l'histoire de notre instruction primaire. Elle suffit pour honorer un ministère et en fixer le souvenir.

Après un intervalle de six années, pendant lesquelles M. de Salvandy remplit plusieurs ambassades, des fluctuations de la politique le ramenèrent au ministère de l'instruction publique (1er février 1845). De grandes difficultés l'y attendaient. Outre la réorganisation du Conseil royal (Voir Conseil supérieur de l'instruction publique), qui lui créa de graves embarras, la question de la liberté de l'enseignement était toujours pendante, plus brûlante et plus envenimée que jamais. Elle ne pouvait être ajournée davantage. Pour la résoudre, M. de Salvandy élabora plusieurs projets de loi fondés sur trois principes : l'Université forte, l'enseignement libre, l'éducation sérieusement religieuse. À la session de 1847, il présenta à la Chambre des pairs un projet de loi sur l'enseignement et l'exercice de la médecine et de la pharmacie, et un autre sur l'enseignement du droit, qui avaient l'avantage d'exposer tout son système en fait d'organisation de l'enseignement. En même temps il présentait à la Chambre des députés un projet de loi sur l'enseignement primaire, destiné à donner au gouvernement des moyens d'action nouveaux et des garanties qu'on croyait nécessaires à la société. Il élabora en outre un projet de loi sur la liberté de l'enseignement en matière d'instruction secondaire, qui devait terminer, par une transaction conclue entre les intérêts les plus élevés de la société, la querelle de l'épiscopat et de l'Université (Voir Louis-Philippe, p. 1123). A tous ces projets s'en ajoutait un dernier (25 janvier 1848) sur le Conseil de l'Université, qui formait comme le couronnement de l'édifice.

La discussion de la première de ces lois qui se trouva prête, celle sur la médecine, où tous les principes étaient posés, occupa cinq semaines la Chambre des pairs, eut un grand éclat et se termina par une adoption à cent vingt-cinq voix contre huit opposants. Ce succès semblait présager celui des autres projets, mais la révolution de 1848 en arrêta la discussion.

La loi sur l'instruction primaire, qui était précisément à l'ordre du jour pour le 24 février, eût sensiblement modifié celle de 1833. La rétribution scolaire était maintenue en même temps que les traitements communaux. Mais un minimum, variant suivant la classe, était assuré aux maîtres. Ceux-ci étaient divisés en quatre classes. Les écoles privées s'ouvraient sans autre formalité qu'une déclaration, sous la réserve que le titulaire fût pourvu d'un titre de capacité. Le chant et la gymnastique, réservés aux écoles supérieures par fa loi de 1833, étaient mis au nombre des matières d'enseignement des écoles élémentaires. Les instituteurs communaux continuaient à être nommés par le comité d'arrondissement, sur la présentation des conseils municipaux ; l'institution par le ministre était conservée. Une caisse des retraites était établie. La loi de 1850 allait faire plus d'un emprunt à ce projet de M. de Salvandy ; mais elle devait en retrancher les dispositions les plus sages et les plus libérales, en supprimant la hiérarchisation des écoles et des maîtres, et en établissant, pour les traitements, un minimum unique de C00 francs. — On trouvera le texte du projet Salvandy à la fin du présent article.

La révolution de 1848 mit fin à la carrière politique de M. de Salvandy. Rentré en France après un court séjour à Jersey, il donna un dernier gage de son attachement à la monarchie en travaillant, avec quelques-uns de ses anciens amis, à ce qu'on appelait alors la fusion, c'est-à-dire à la réconciliation des deux branches de la maison de Bourbon. Bientôt il ne sortit plus de sa retraite que pour assister aux séances de l'Académie française ou des sociétés savantes dont il était membre. Il mourut en 1856.

[E. BROUARD, avec additions.]

Projet de loi sur l'instruction primaire

Présenté à la Chambre des députés le 12 avril 1847.

EXTRAITS DE L'EXPOSE DES MOTIFS.

Messieurs. L'an dernier, les principes généraux de cette loi vous furent soumis. Une demande de crédit considérable pour l'amélioration du sort des instituteurs primaires y était annexée. La commission, dans son rapport, qui ne put pas être discuté, élevait l'allocation demandée à deux millions, mais sous la forme d'un crédit spécial, d'un secours accidentel, ne voulant pas statuer d'une façon définitive tant que la loi même, qui était promise, et le système, dont les bases étaient posées, n'auraient point été placés sous les yeux de la Chambre. Cette fois, messieurs, nous apportons la loi promise, le système demandé, et nous avons la douleur de nous borner à indiquer, sans les demander encore, même au budget de l'année prochaine, les ressources nécessaires pour appliquer le système nouveau. Le gouvernement du roi s'est imposé la loi de ne pas essayer cette année de porter remède à la situation tout à fait intolérable de la grande majorité des instituteurs de nos villes et surtout de nos campagnes. Eu fixant pour l'avenir seulement, et pour un avenir indéterminé, des minimums de traitements, très modestes encore, nous renvoyons l'application du principe posé aux budgets ultérieurs ; nous prévoyons même l'application de ce principe par allocations partielles et successives, de manière à ne pas grever l'Etat en une seule fois d'un fardeau qui semblerait trop pesant. Aujourd'hui, la moyenne totale des traitements ne s'élève pas à 375 francs, c'est-à-dire à un taux auquel ne descend la journée de l'ouvrier ni dans les contrées les plus misérables, ni pour les travaux les plus grossiers. En décomposant cette moyenne, on trouve que [, sur environ 33 000 instituteurs primaires,] 0276 sont placés, par les avantages de leurs situations ou la munificence des conseils locaux, au-dessus des taux que nous proposons de fixer, et, par conséquent, n'appellent aucune mesure nouvelle. Mais comment ne pas se préoccuper de la position de 23 000 de ces instituteurs, pouvant être pères de famille, l'étant souvent, — et, dans l'ordre laïque, ce sont les meilleurs, — mais n'ayant qu'un traitement inférieur au minimum de 600 francs proposé par le projet de loi de l'an dernier et par celui que nous avons l'honneur de vous présenter en ce moment. Si l'on décompose encore ce chiffre, on verra que, dans le nombre, 7000 n'arrivent pas à 600 francs de traitement, 7501 à 400 francs, et, le croira-t-on? 3654 à 300 francs.

Les nombreux esprits qui préfèrent l'enseignement des frères à tout autre. sont à l'état de prévention, sinon d'hostilité, à l'égard du projet de loi. Napoléon comprit les frères, comme une pierre de son édifice, dans le décret qui fonda l'Université. Le gouvernement du roi s'honore de les avoir soutenus dans des jours difficiles, de les avoir associés, d'une main impartiale et bienveillante, à tous les encouragements. Mais ces frères si humbles, si dévoués, vêtus de bure., ces frères, qui se servent de famille à eux-mêmes, qui ne vont que trois par trois, se chauffant au même foyer, vivant à la même table, mettant en commun leurs aliments grossiers et leurs jeûnes pieux, exigent pour chacun d'eux les 600 francs qu'on s'étonne de nous voir demander, ou, pour mieux dire, simplement prévoir, en faveur du chef de famille qui remplit le même office, là où précisément trois frères, à cause de la modicité des ressources locales, ne pourraient être entretenus.

Nous ne saurions trop le redire : c'est avec un regret amer que nous ajournons à des circonstances plus favorables l'application des bases nouvelles que nous vous demanderons de poser dans la loi. Mais plus nous sommes affligés de ce retard, plus nous avons attaché d'importance à ne pas ajourner la loi même. Nous ne voulons pas qu'à l'époque prochaine, il faut l'espérer, où le budget de l'Etat sera en situation d'acquitter cette dette publique, on se retrouve en présence de la difficulté d'une loi à faire, d'un système à constituer, de sorte que la question se trouvât éternellement captive dans un cercle vicieux, et qu'un jour l'argent fût refusé parce qu'il y aurait une loi à faire, qu'un autre jour la loi fût remise à des temps meilleurs, parce que le temps présent ne permettrait pas de voter l'argent.

Le complément nécessaire des mesures que nous avons eu l'honneur de vous proposer pour donner à l'instruction primaire une plus forte constitution, c'est la création d'une caisse de retraite pour les instituteurs communaux. Déjà l'ancien gouvernement s'était préoccupé de cette nécessité, et une ordonnance royale du 14 février 1830 l'avait reconnue en principe. En 1833, il a été de nouveau question d'accorder aux instituteurs la récompense de leurs longues années de travail ; mais on se trouvait alors en présence d'un personnel considérable qui ne pouvait concourir efficacement à la formation d'une caisse de retraite, et qu'il aurait fallu exclure de toute participation au bénéfice de la nouvelle loi. On se borna à la création des caisses d'épargne et de prévoyance, mais l'insuffisance de cette création n'est que trop facile à démontrer.

Il n'est personne de vous, messieurs, qui n'ait été frappé de l'état de misère où se trouvent en ce moment plongés un grand nombre de vieux instituteurs. Après avoir dépensé en quelques mois la faible somme déposée par eux dans les caisses d'épargne, ils sont pour la plupart réduits littéralement à la mendicité, et je reçois journellement des demandes qu'ils forment à l'effet d'obtenir leur admission dans les hospices ou dans les dépôts. Malheureusement ces maisons ne s'ouvrent, la plupart du temps, qu'aux individus nés dans le département, et les pauvres instituteurs jetés par leur mauvaise fortune loin du lieu de leur naissance n'ont pas même la ressource d'aller mourir à l'hôpital. Cet état rie choses, messieurs, n'est pas digne de notre pays: il n'est pas digne de notre époque. La France, c'est un noble principe, doit à ceux qui la servent dignement une récompense proportionnée à leurs services. Cette récompense, nous la trouvons dans la fondation d'une caisse de retraite. Les instituteurs se présentent avec une première mise de 3 925 000 francs, produit des fonds déposés dans les caisses d'épargne et de prévoyance, capital considérable qui, placé en rentes sur l'Etat à 4 pour 100, donnera un revenu de 157 000 francs ; [capital] auquel s'adjoindra annuellement le produit capitalisé de ladite rente et des retenues annuelles faites sur les traitements des instituteurs jusqu'en 1865 (!), époque à laquelle la caisse commencera à payer des pensions. Je n'ai pas à vous exposer ici les calculs rigoureux qui ont été faits. ; qu'il me suffise de vous donner la certitude qu'en aucun cas l'Etat ne sera appelé à secourir la caisse des retraites des instituteurs, et que cette immense amélioration, que les instituteurs appellent de leurs voeux les plus ardents, s'effectuera par le seul fait d'une bonne et sage organisation, sans qu'il en coûte aucun sacrifice au pays.

PROJET DE LOI.

TITRE PREMIER. — Organisation des écoles primaires communales.

ARTICLE PREMIER. — Les écoles primaires communales, soit du degré élémentaire, soit du degré supérieur, sont divisées en trois classes, qui comprennent:

La première, les écoles des chefs-lieux de département et d'arrondissement ;

La deuxième, les écoles des chefs-lieux de canton, et des communes ou des sections de commune dont la population agglomérée excède 1500 âmes ;

La troisième, les écoles des communes, des réunions de communes ou des sections de commune dont la population agglomérée ne s'élève pas au-dessus de 1500 âmes.

ART. 2. — Le traitement des instituteurs communaux, soit du degré élémentaire, soit du degré supérieur, se compose :

1° Du traitement municipal, dont le minimum est déterminé par l'article 12 de la loi du 28 juin 1833, et qui portera à l'avenir le nom de rétribution municipale ;

2° De la rétribution des familles, ou rétribution scolaire, instituée par l'article 14 de ladite loi.

Le minimum du traitement total, ainsi composé, sera fixé comme il suit :

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ART. 3. — Si le minimum de traitement déterminé en l'article précédent n'est pas atteint par le montant de la rétribution scolaire ajouté à la rétribution municipale telle qu'elle est fixée par la loi de 1833, ladite rétribution municipale sera élevée jusqu'à ce minimum, au moyen de la partie restée disponible des revenus ordinaires des communes, et, à défaut de ressources sur les revenus ordinaires, au moyen de la partie qui serait restée disponible sur les centimes communaux affectés à l'instruction primaire par la loi de 1833 et par l'article 3 de la loi du 18 juillet 1836 [loi portant fixation du budget des recettes de l'exercice 1837].

En cas d'insuffisance, il sera pourvu à cette dépense sur les fonds des départements, dans les limites des articles 13 de la loi du 28 juin 1833 et 3 de la loi du 18 juillet 1836.

En cas d'insuffisance, il sera pourvu au surplus sur les fonds de l'Etat, conformément audit article 13 de la loi du 28 juin 1833, et dans les termes de l'article dernier de la présente loi.

ART. 4. — Le taux de la rétribution scolaire est annuellement fixé, sur la proposition du conseil municipal et après avis du conseil d'arrondissement, par le préfet en conseil de préfecture.

La liste des élèves qui seront admis gratuitement dans les écoles primaires est approuvée dans la même forme par le préfet.

ART. 5. — Dans toute commune dont les ressources disponibles sont suffisantes pour satisfaire aux prescriptions de la présente loi sans subvention du département ou de l'Etat, le conseil municipal peut rendre l'instruction primaire gratuite, en substituant à la rétribution scolaire un supplément de traitement fixe qui élève au moins ce traitement au minimum déterminé en l'article 2.

ART. 6. — Des cours spécialement destinés aux adultes, et comprenant, en totalité ou en partie, les matières de l'enseignement primaire, soit du degré élémentaire, soit du degré supérieur, peuvent être ouverts, le soir et le dimanche, dans les écoles communales, sur la demande du conseil municipal, ou avec son autorisation.

Le taux de la rétribution à payer par les élèves desdits cours sera fixé conformément au paragraphe 1er de l'article 4 de la présente loi.

Si la classe d'adultes est ouverte sur la demande du conseil municipal, et si le produit de la rétribution scolaire ne s'élève pas au quart du minimum de traitement déterminé par l'article 2 de la présente loi, le conseil municipal sera tenu d'élever dans la proportion ci-dessus indiquée le traitement de l'instituteur, et d'allouer, à cet effet, une subvention spéciale sur les ressources disponibles de la commune.

ART. 7. — Les préfets, sur le rapport des inspecteurs primaires, peuvent d'office, après avoir pris l'avis des conseils municipaux et des comités d'arrondissement, prononcer en conseil de préfecture la réunion de plusieurs communes pour l'entretien d'une école primaire élémentaire.

Ils fixent, en conseil de préfecture, la part pour laquelle les communes ainsi réunies contribuent aux dépenses d'entretien de l'école, proportionnellement au montant du principal de leurs impositions directes.

ART. 8. — Dans toute commune ou réunion de communes où les dispositions de l'article 9 et du paragraphe 1er de l'article 12 de la loi du 28 juin 1833 n'ont pas encore reçu leur exécution, le préfet, en vertu de l'article 15 de la loi du 18 juillet 1837, prendra d'office, dans un délai de cinq ans, les mesures nécessaires pour que l'école élémentaire communale soit établie, par voie de location, d'acquisition ou de construction, aux frais de la commune ou des communes réunies, dans un local convenablement disposé tant pour servir d'habitation à l'instituteur que pour recevoir les élèves.

ART. 9. — A l'avenir, tout engagement contracté Far les communes ou par les Conseils généraux pour instruction publique de tous les degrés, et dûment autorisé, constituera une dépense obligatoire. En conséquence, il y sera pourvu, conformément aux dispositions établies par les lois du 10 mai 1838 et du 18 juillet 1839, relativement à l'inscription d'office des dépenses reconnues obligatoires, à moins que le ministre de l'instruction publique n'autorise une dérogation auxdits engagements.

TITRE II. — Conditions d'exercice applicables aux instituteurs communaux et aux instituteurs privés.

ART. 10. — Tout Français âgé de vingt et un ans, et n'ayant encouru aucune des incapacités déterminées par la loi du 28 juin 1833, est en droit d'ouvrir une école privée, sans autre formalité ou condition que d'en faire préalablement la déclaration au comité d'arrondissement, et d'y déposer :

1° Son acte de naissance :

2° Son brevet de capacité ;

3° Le plan du local où il se propose de tenir école, ledit plan visé et approuvé par le maire de la commune.

Si, dans un délai d'un mois, le recteur n'a pas élevé d'opposition devant le comité d'arrondissement, il est donné acte de la déclaration, et l'école est ouverte.

L'opposition du recteur ne peut être élevée que dans l'intérêt des moeurs publiques.

Si la parue conteste l'opposition du recteur, le comité d'arrondissement donne son avis, et l'affaire est portée devant le Conseil académique, qui statue dans le délai d'un mois.

Si le maire a refusé l'approbation du plan des lieux voulue par le paragraphe 3 du présent article, il sera statué à cet égard par le préfet en conseil de préfecture.

Les jeunes gens pourvus du brevet de capacité peuvent être employés dans toute école, communale ou privée, à titre de sous-maître ou à tout autre, quel que soit leur âge.

ART. 11. — L'exercice de la profession d'instituteur primaire est incompatible avec l'exercice de toute profession commerciale.

ART. .12. — Les instituteurs communaux ne doivent employer dans leurs écoles que des livres dont l'usage a été autorisé par le ministre de l'instruction publique, ou qui ont été approuvés, en fait d'enseignement religieux, soit par l'évêque diocésain, soit par le consistoire.

Les instituteurs privés, indépendamment des ouvrages ci-dessus, peuvent employer des livres dont l'usage n'aura pas été défendu par une décision spéciale du comité d'arrondissement. Toute contravention à cette défense sera punie comme il est dit à l'article 22.

ART. 13. — Le chant, compris, aux termes de la loi du 28 juin 1833, dans le programme de l'instruction primaire supérieure, fera également partie de l'enseignement dans toutes les écoles primaires élémentaires. Des notions de dessin linéaire y seront aussi comprises.

ART. 14. — Les instituteurs, soit communaux, soit privés, ne peuvent prendre d'autres titres que celui qui leur est assigné par la loi, et donner à leurs écoles d'autres désignations que celles d'écoles communales ou privées du degré élémentaire ou supérieur.

ART. 15. — Les instituteurs primaires du degré élémentaire ne peuvent recevoir dans leurs écoles des élèves âgés de moins de six ans et de plus de quatorze ans accomplis.

Dans les communes où il n'y a ni salles d'asile, ni écoles primaires supérieures, le comité d'arrondissement peut autoriser les instituteurs du degré élémentaire à recevoir des élèves de l'âge de cinq à quinze ans accomplis.

Les instituteurs primaires supérieurs ne peuvent recevoir dans leurs écoles des élèves âgés de moins de treize ans, et de plus de dix-huit ans accomplis. Des autorisations particulières et individuelles peuvent être accordées par le comité local de surveillance pour les élèves qui n'ont pas atteint l'âge ci-dessus, ou qui l'ont dépassé.

Nul instituteur ne peut recevoir dans un cours d'adultes des élèves âgés de moins de quinze ans.

TITRE III. — Nomination des instituteurs communaux.

ART. 16. — Lorsqu'il y a lieu de pourvoir à un emploi d'instituteur communal de troisième classe, le conseil municipal présente deux candidats, qu'il choisit soit parmi les élèves des écoles normales, soit parmi tous les autres aspirants pourvus du brevet de capacité. Les instituteurs en fonctions, soit communaux, soit privés, peuvent toujours être compris dans les présentations.

Le comité d'arrondissement nomme l'un des deux candidats, dans les termes de la loi du 28 juin 1833. Lorsqu'il y a lieu de pourvoir à un emploi d'instituteur communal soit de deuxième classe, soit de première, le conseil municipal présente au comité d'arrondissement deux candidats qu'il choisit parmi les instituteurs qui appartiennent, depuis trois ans au moins, à la classe immédiatement inférieure, et qui ont obtenu soit une des médailles d'encouragement qui se distribuent chaque année, soit deux mentions honorables. Il est procédé à la nomination comme il est dit au paragraphe 2 du présent article.

ART. 17. — Les instituteurs privés qui exercent dans la commune peuvent également être choisis comme candidats, sous la condition qu'ils soient établis dans la commune depuis trois ans, s'il s'agit d'être appelés à une école communale de seconde classe, ou qu'ils comptent six ans d'exercice, s'il s'agit d'une école de première classe.

ART. 18. — Si, dans un délai d'un mois, le conseil municipal, dûment mis en demeure, n'a pas fait de présentations, le comité d'arrondissement nomme directement, dans les conditions voulues, à toute place d'instituteur vacante.

Dans le cas où le comité d'arrondissement refuse de nommer entre les candidats présentés par le conseil municipal, le conseil municipal est immédiatement appelé à en délibérer.

Si le conseil municipal persiste dans son choix, et si, ensuite, le comité d'arrondissement persiste dans son refus, il en est référé, par le recteur de l'académie, au ministre de l'instruction publique, qui nomme.

TITRE IV. — Du régime des écoles communales et des écoles privées.

ART. 19. — Les instituteurs communaux ne sont institués à titre définitif par le ministre de l'instruction publique que lorsqu'ils sont entrés dans leur vingt-cinquième année. Le ministre les autorise jusque-là à titre provisoire.

Les instituteurs communaux sont soumis aux mêmes autorités et à la même discipline que les membres de l'Université, sans préjudice de la juridiction et de la pénalité instituées par la loi du 28 juin 1833.

ART. 20. — Les écoles communales et les écoles privées sont ouvertes en tout temps aux délégués des comités locaux, des comités d'arrondissement, et du ministre de l'instruction publique, sous les peines prévues en l'article 22.

ART. 21. — L'inspecteur de l'instruction primaire, et, à son défaut, le sous-inspecteur désigné par le ministre, est membre du comité d'arrondissement avec voix délibérative.

ART. 22 — Toute contravention commise par un instituteur communal aux dispositions des articles 11, 12, 14, 15 et 20 de la présente loi constitue le cas de faute grave, prévu par l'article 23 de la loi du 28 juin 1833.

Tout instituteur communal suspendu ou révoqué de ses fonctions en exécution de l'article 23 de la loi du 28 juin 1833 peut, dans le délai de huit jours, appeler du jugement du comité d'arrondissement devant le Conseil académique, et, en dernier ressort, devant le Conseil royal de l'Université, dans les cas de révocation.

L'inspecteur primaire du département peut, dans le délai de quinze jours, interjeter appel devant le Conseil académique, avec faculté de pourvoi pour l'instituteur, comme il est dit ci dessus, en cas de révocation, des jugements prononcés par le comité d'arrondissement à l'égard des instituteurs communaux.

ART. 23. — En cas de contravention par un instituteur privé aux dispositions des articles 11, 12, 14, 15 et 20 de la présente loi, le comité d'arrondissement, par une délibération spéciale, adresse audit instituteur privé un avertissement disciplinaire.

Si, dans un délai de trois jours, l'instituteur n'a pas déféré à l'avertissement, il est traduit devant le Conseil académique, qui lui applique, s'il y a lieu, la peine de la réprimande, ou le renvoie devant le tribunal de première instance. Le tribunal prononce une amende de 50 à 200 francs. L'école peut être fermée.

ART. 24. — Tout instituteur communal suspendu ou révoqué ne peut exercer comme instituteur privé dans la même commune, ou dans le même arrondissement, qu'avec l'autorisation du comité d'arrondissement.

En cas de contravention, l'école est fermée, et le contrevenant est puni des peines prévues en l'article 6 de la loi du 28 juin 1833.

TITRE V. — Pension de retraite des instituteurs communaux.

ART. 25. — Il est fait sur le traitement des instituteurs communaux une retenue du vingtième pour former une caisse de retraite.

ART. 26. — Tout instituteur communal, âgé de soixante ans. et comptant au moins trente années de service, pendant lesquelles la retenue du vingtième a été exercée sur son traitement et versée à la caisse des retraites, a droit à une pension égale à la moitié du traitement moyen dont il a joui pendant les cinq dernières années de service.

ART. 27. — Les instituteurs communaux que des infirmités contractées dans l'exercice de leurs fonctions rendent incapables de les continuer peuvent obtenir une pension égale au sixième de leur traitement, lorsqu'ils ont au moins dix années de service. Cette pension s'accroît d'un centième dudit traitement pour chaque année de service au-dessus de dix ans.

ART. 28. — Les veuves des instituteurs décédés en activité de service, ou en possession d'une pension de retraite, peuvent obtenir une pension égale au tiers de celle à laquelle avait droit leur mari, ou dont il jouissait.

Cette pension ne peut leur être accordée qu'autant qu'elles sont mariées depuis plus de cinq ans Elles cessent d'en jouir si elles contractent un nouveau mariage.

Si les instituteurs ne laissent pas de veuve, mais seulement des orphelins, il peut être accordé à ceux-ci des pensions de secours jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de seize ans.

Ces pensions, dont la quotité est fixée relativement à leur nombre, ne peuvent excéder, pour tous les enfants ensemble, la moitié de celle à laquelle leur père avait droit ou dont il jouissait.

ART. 29. — L'admission à la retraite est prononcée par le ministre de l'instruction publique, et la pension est liquidée dans les formes adoptées pour les membres de l'Université.

Le titre d'instituteur émérite peut être conféré par le ministre à tout instituteur communal admis à la retraite après trente ans de service.

ART. 30. — Le temps d'exercice dans l'instruction primaire compte aux instituteurs communaux pour établir leurs droits à la pension de retraite dans tout autre service public, s'ils ont rempli au moins pendant dix ans les fonctions de l'enseignement, et obtenu un exeat régulier, et s'ils produisent un certificat de bons services du ministre de l'instruction publique.

ART. 31. — Les instituteurs communaux en fonctions au moment de la promulgation de la présente loi, et qui étaient âgés de moins de trente ans lorsque la retenue du vingtième a commencé à être exercée sur leur traitement, pourront être admis à jouir du bénéfice de la pension de retraite, pourvu qu'ils remplissent les conditions déterminées en l'article 26.

En conséquence, les fonds appartenant à ces instituteurs, qui se trouvent dans la caisse d'épargne et de prévoyance, seront versés immédiatement à la caisse des dépôts et consignations pour le compte de la caisse des retraites.

ART. 32. — Les instituteurs communaux auxquels sont applicables les dispositions de l'article précédent subiront, en plus de la retenue prescrite par l'article 25, une retenue supplémentaire égale : 1° au vingtième de la différence qui existe entre leur nouveau traitement et celui dont ils jouissaient antérieurement ; 2° au montant des intérêts cumulés que celle retenue aurait produits, si elle avait été exercée annuellement avant la promulgation de la présente loi.

La retenue supplémentaire sera exercée pendant un nombre d'années égal au nombre des années de service antérieures à 1848, sans toutefois pouvoir excéder quatorze ans.

ART. 33. — La caisse d'épargne et de prévoyance établie par l'article 15 de la loi du 28 juin 1833 est maintenue pour les instituteurs qui étaient âgés de plus de trente ans lorsque la retenue du vingtième a commencé à être exercée sur leur traitement. Un crédit sera temporairement ouvert au ministère de l'instruction publique pour accorder des secours à ceux de ces instituteurs qui, forcés par l'âge ou les infirmités de quitter l'enseignement, seront dénués de moyens d'existence. Ces secours ne pourront excéder 100 francs pour ceux qui auront plus de trente ans de services, et 50 francs pour ceux qui n'auront que de quinze à trente ans de services.

ART. 34. — Les dispositions des articles 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32 et 33 de la présente loi sont applicables aux directeurs d'école normale et aux maîtres-adjoints de ces écoles qui sont pourvus du brevet de capacité pour l'instruction primaire.

DISPOSITIONS TRANSITOIRES.

ART. 35. — Il sera pourvu au surcroît de dépense mis à la charge de l'Etat par les dispositions de la présente loi au moyen d'allocations successives qui seront ultérieurement portées au budget et réparties entre les instituteurs, en commençant par ceux de troisième classe, et, en second lieu, par ceux de seconde classe, dont le traitement sera le plus loin des fixations de la présente loi.

Les suppléments d'allocation qui pourront être demandés aux communes et aux départements, en vertu de l'article 3, ne seront exigibles qu'aux mêmes époques et dans les mêmes proportions que les allocations supplémentaires qui seront portées au budget de l'Etat.

La retenue supplémentaire prescrite à l'article 32 au profit de la caisse des retraites sera continuée sur le traitement des instituteurs communaux, jusqu'à l'époque où le minimum dudit traitement aura pu être complété par les annuités successives mentionnées ci-dessus.

Fait au palais des Tuileries, le 31 mars 1847.