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Sadolet

Jacquet Sadolet, humaniste italien, fils de Jean Sadolet, professeur de droit civil à Ferrare, naquit à Modène en 1477. Après avoir reçu les leçons des meilleurs maîtres, le jeune Sadolet renonça, pour s'adonner aux belles-lettres et à la philosophie, aux études de droit que son père lui avait lait commencer avec l'espoir de le voir embrasser une carrière à laquelle il devait lui-même une certaine célébrité. Sadolet obtint l'autorisation de se rendre à Rome, où il fut assez heureux pour prendre place dans la clientèle brillante et lettrée du cardinal Olivier Caraffa. Les années qu'il passa dans l'intimité de ce prélat furent les plus heureuses de sa vie. Pourvu par le pape Jules II d'un canonicat à Saint-Laurent, il put se livrer en toute liberté à la culture des lettres, et les succès qu'il remporta lui permirent bientôt de figurer à l'Académie romaine à côté des savants les plus illustres. Sa réputation le désigna au choix de Léon X, et il partagea la charge de secrétaire du pape avec le cardinal Bembo, qui devait rester l'ami de toute sa vie. Sadolet montra dans cette haute situation un grand désintéressement. Dédaignant les faveurs qu'il aurait pu s'attirer, il continua de se livrer à l'étude avec ardeur et n'usa de son crédit que pour protéger et encourager les savants. En 1517, il reçut du pape l'évêché de Carpentras ; mais il ne lui fut point permis d'aller administrer son diocèse comme il l'eût désiré : il dut rester auprès de Léon X, et continuer à lui prêter un concours que les circonstances rendaient encore plus précieux. C'est en effet le temps où Luther commence ses attaques contre un clergé dont Sadolet constate lui-même l'impopularité dans plus d'une lettre. Il ne s'aveugle pas sur les causes qui ont amené ce discrédit ; il reconnaît le besoin d'une réforme qu'il prévoit prochaine, mais il la voudrait pacifique, sans violence et sans secousse. A la mort de Léon X, le trône pontifical est occupé par Adrien VI. Elevé dans la scolastique, le nouveau pape goûtait peu les élégances et les délicatesses de style qui avaient charmé son prédécesseur. Aussi Sadolet, se sentant moins apprécié, se hâta-t-il de gagner son diocèse. Mais sous Clément VII et Paul III, il fut rappelé à Rome à différentes reprises, et chargé plusieurs fois de négociations délicates avec l'empereur et le roi de France. Paul III l'éleva au cardinalat en 1536. Au concile de Trente, il lit entendre des paroles de paix et de modération ; il croyait qu'une conciliation était encore possible entre le catholicisme et la Réforme. Mais son espoir ne devait pas se réaliser. Il mourut à Rome en 1547, à l'âge de soixante-dix ans.

Les écrits laissés par Sadolet sont des ouvrages de théologie, des discours, des poésies, des lettres. Il a composé en outre un traité d'éducation que nous allons analyser, et qui le place au premier rang des éducateurs catholiques du seizième siècle.

Ce traité, De liberis recte instituendis (Venise, 1534, un vol. in-8°), est dédié à Guillaume du Bellay de Langey à l'occasion de son récent mariage. C'est un dialogue entre Sadolet lui-même et son neveu Paul qu'il représente comme venant un jour le prier de lui exposer ses idées sur l'éducation. Au début, Sadolet exprime le regret que les lois n'aient pas pris soin de protéger l'enfant dès sa naissance en lui assurant l'instruction et l'éducation qui doivent faire de lui un bon citoyen : les anciens sur ce point s'étaient montrés plus prévoyants. Quoi qu'il en soit, on ne saurait commencer trop tôt à façonner le caractère de l'entant. Comme sa raison est impuissante à le guider pendant les premières années de son âge, il faut agir sur lui par l'exemple et la discipline de manière qu'au moment où l'influence extérieure cessera, il soit capable de pratiquer le bien et de tendre de lui-même à la vertu. Les premières impressions ont donc une importance extrême ; et qui saurait mieux que la mère les ménager? c'est donc elle qui sera la première éducatrice de l'enfant.

Elle le nourrira de son lait, si ses forces le lui permettent, et prendra soin de lui épargner tout chagrin dans un âge si tendre. Dès que l'intelligence de l'enfant commence à s'éveiller, il convient de lui parler d'un Dieu tout-puissant et de lui inspirer la crainte du Seigneur, non pas cette crainte servile qui rabaisse l'homme et n'est point agréable à la divinité, mais celle dont l'Ecriture a dit qu'elle est le commencement de la sagesse. A ce point, l?éducation de l'enfant a besoin d'être dirigée par le père. Quel sera son rôle? Sadolet le caractérise d'un mot : Le père devra servir de modèle à son fils. Tâche difficile, qui demande une perpétuelle surveillance de soi-même, une constante préoccupation de ses actes et de ses paroles, et qui, par cela même, n'est pas à la portée de tous. Si le père craint de ne pouvoir bien s'en acquitter, il faut qu'il ait le courage de s'effacer et de laisser la place à un maître qu'il croira capable de la mieux remplir. S'il ne recule pas au contraire devant un rôle qui lui appartient naturellement, il s'efforcera de se perfectionner lui-même en élevant son fils. Il sera simple et grave, toujours maître de ses sentiments, et montrera par son exemple l'empire que la raison doit prendre sur les passions. La famille entière le secondera dans son oeuvre d'éducateur. Toute la maison lui obéira sans qu'il ait besoin d'élever la voix. Les serviteurs, traités avec douceur et bienveillance, ne feront et ne diront rien qui puisse choquer les yeux ou les oreilles de l'enfant. Enfin, ce père de famille idéal prouvera par une sage administration qu'une grande fortune n'est pas nécessaire pour entretenir le bien-être dans une maison. Grandissant ainsi dans une atmosphère de calme et d'honnêteté, l'enfant sera merveilleusement préparé à recevoir les leçons des maîtres chargés de son instruction proprement dite. Sadolet ne pense pas que l'on doive craindre de la commencer trop tôt. L'émulation lui semble un excellent moyen d'inspirer à l'enfant le goût du travail ; des éloges et des récompenses accordés à d'autres plus avancés que lui stimuleront son zèle et l'aideront à faire des progrès. On lui fera étudier en même temps le grec et le latin, sans négliger les éléments de la religion chrétienne. La grammaire viendra ensuite, et avec elle la connaissance des poètes et des orateurs. Parmi ceux-ci, Sadolet place au premier rang Cicéron, dont il fait un éloge enthousiaste. A son avis, on ne saurait trop se nourrir des ouvrages d'un homme si éminent « qu'il inonde comme d'un torrent de délices les sens et l'âme des lecteurs ».

Le goût de Sadolet n'est cependant pas exclusif, et son enthousiasme pour Cicéron ne l'empêche pas de recommander comme il convient la lecture d'Homère, de Démosthène, de Virgile, et même de Térence et de Plaute. La nécessité de cultiver l'esprit de l'enfant ne fera pas oublier les soins que l'on doit donner au corps. Les heures de loisir seront consacrées à la gymnastique, qui entretient la santé et règle les mouvements désordonnés de l'enfant, à la musique, pourvu qu'elle serve à glorifier les hommes illustres, à célébrer les louanges de Dieu, et même parfois à la danse. Les sciences auront aussi leur place marquée dans le programme des études de l'enfant. L'arithmétique, en particulier, devra être enseignée tant à cause de ses applications pratiques que pour la force qu'elle donne à l?intelligence en la préparant aux études abstraites et philosophiques. Que l'on ne s'effraie pas du nombre et de l'étendue de ces connaissances ; il n'est pas nécessaire qu'elles soient très approfondies, et leur diversité même soulagera l'esprit de l'élève. Enfin la philosophie sera le couronnement naturel de l'éducation, si on la considère comme l'art de vivre honnêtement et heureusement.

Telles sont les idées principales exposées par Sadolet dans son ouvrage. Plus philosophe que pédagogue, l'auteur s'est surtout occupé du développement moral de l'enfant ; il s'applique à ne faire naître dans l'âme de son élève que les sentiments les plus nobles et les plus élevés ; il surveille, pour ainsi dire jour par jour, la lente formation de ce qui sera la conscience et le caractère d'un homme. De là cette peinture d'un milieu idéal où l'enfant, n'ayant sous les yeux que de bons exemples et trouvant dans son père un modèle de vertu, prendrait naturellement l'habitude et l'amour du bien et s'affermirait en grandissant dans des principes capables de le préserver plus tard de toute défaillance. Il faut savoir gré à Sadolet de s'être gardé de l'utopie dans un ouvrage où cet écueil était particulièrement à craindre. Il ne rêve pas une perfection absolue, mais il a un sentiment profond de la dignité de l'homme, et il pense avec raison que c'est surtout par l'exemple qu'il faut en pénétrer l'enfant. Sans doute ce serait s'abuser que de croire tous les pères capables de devenir des modèles de vertu, et il faut, d'autre part, tenir compte des nécessités de la vie qui les empêcheront souvent de se consacrer, autant qu'il serait désirable, à l'éducation de leurs fils ; mais s'il n'est donné qu'à un petit nombre de se rapprocher du portrait idéal tracé par Sadolet, il n'en est pas qui ne puissent, à un degré quelconque, exercer cette influence salutaire dont l'auteur fait sentir tout le prix, et montrer une supériorité morale qui s'imposera à l'enfant et que celui-ci finira par acquérir lui-même.

C'est donc surtout par le côté philosophique que le traité de Sadolet présente encore de l'intérêt. Le programme d'études dressé par notre écrivain n'a rien qui le recommande particulièrement à l'attention. C'est le développement de cette idée qu'il est désirable que l'enfant ne reste complètement étranger à aucune des branches de la science. Constatons seulement dans ces études une lacune qui nous semble grave aujourd'hui : aucune place n'est réservée à l'enseignement de la langue maternelle. Cette prédilection pour la langue latine que Sadolet partageait avec les plus illustres de ses contemporains l'a entraîné, dans tous ses ouvrages, et particulièrement dans le traité que nous avons analysé, à des longueurs que le charme d'un style cicéronien ne réussit plus à faire oublier. Il y aurait injustice toutefois à lui reprocher trop sérieusement de s'être complu dans des développements où les réminiscences tiennent une large place ; ce serait oublier que Sadolet fut avant tout un littérateur et un humaniste. C'est peut-être dans ce profond amour de l'antiquité qu'il faut chercher l'explication de sa conduite dans les affaires politiques et religieuses de son temps. Il semble que son commerce assidu avec les anciens, en le transportant dans un monde si différent de celui où il vivait, fait rendu moins accessible aux passions qui s'agitaient autour de lui. De là son calme au milieu de la lutte et sa modération qui alla jusqu'à faire suspecter son orthodoxie. Il y aurait exagération à représenter Sadolet comme l'apôtre de la tolérance au seizième siècle ; mais s'il partagea, en matière religieuse, les sentiments des autres prélats de la cour de Rome, il faut reconnaître qu'il montra rarement dans la controverse la même ardeur et la même résolution. Son caractère paisible et conciliant, adouci encore par les délicatesses d'une éducation toute littéraire, le disposait à l'indulgence, et chez lui le philosophe fit plus d'une fois tort au théologien.

H. Wissemans